La justice un monument en péril.
Par Christian Fremaux avocat honoraire
Quand le
bâtiment va tout va parait -il sauf qu’avec la crise il a des difficultés ne
serait- ce que pour avoir des matériaux et des bras, le confinement ayant
ramolli des bonnes volontés. La covid-19 n’a pas amélioré la justice dans son
fonctionnement et je crains que les dernières péripéties n’aient atteint les
fondations. Cela me désole. Je n’ai pas plaidé activement pendant plus de 42 ans quasiment chaque jour
devant toutes les juridictions de France et de Navarre sans que je m’intéresse encore
de près à la justice tant dans son organisation matérielle que pour ses
messages dans la société à travers ses décisions .Bien qu’en retraite désormais
je continue à exercer peu ou prou et comme président d’audience auprès du
conseil de prud’homme à Paris où avec mes collègues magistrats d’origine
professionnelle (nous sommes deux employeurs et deux salariés) nous faisons
face à un contentieux très important et parfois âpre. La cour d’appel de Paris
infirme ou confirme nos jugements et je prends acte du raisonnement en droit et
en fait des magistrats de carrière.
Nous sommes quoiqu’en
disent des excités peu objectifs dans un état de droit, ce qui veut dire que
chacun peut saisir les tribunaux pour faire reconnaitre ses droits, conforter ses
libertés y compris de vivre sans vaccin au détriment de la collectivité, voire
se battre contre l’Etat c’est-à -dire nous pour l’obliger à agir. Nous vivons
dans un beau pays ouvert à la démocratie que l’on critique pourtant et que l’on
sabote par l’abstention, où tant de possibilités nous sont offertes en même
temps que nous pouvons exprimer à haute voix notre mécontentement. On crie aux
mesures liberticides pour tout et rien, mais on veut aussi être protégé. On a
la société que l’on mérite et que l’on fabrique. Tel est le cas de la Justice
qui n’est ni un pouvoir ni un contre- pouvoir mais une autorité.
La justice
est controversée depuis longtemps voire toujours. Salomon n’est plus et ne peut arbitrer tous les litiges du
quotidien. César baisse ou non le pouce
mais il doit tenir compte malgré lui des médias en continu et des réseaux
sociaux donc des minorités agissantes, ainsi que des juges de la cour
européenne de Strasbourg et des grands principes humanistes ou prétendus tels. L’opinion
publique est entendue quand elle est dans le sens du politiquement correct
sinon on doit l’écarter des prétoires naturellement. On
pense que la justice est forte avec les faibles et indulgente pour les
puissants. C’est faux et les dernières ou plus lointaines personnalités
condamnées vouent les juges aux gémonies. Je parle évidemment de l’aspect pénal
qui aborde le mal quasiment le seul qui intéresse le quidam qui veut tout
connaitre du criminel, et ignore les victimes en lâchant une larme de compassion,
car cela aurait pu être pour soi ! Or le contentieux le plus
important dont les juges non médiatisés
ont la lourde charge concerne les problèmes de la vie personnelle, un divorce, une garde d’enfants, un
licenciement, les conditions de travail
avec du harcèlement ou de l’inégalité, un permis de conduire, un petit litige
d’abonnement ou d’assurance, une
construction et un permis de construire, des relations difficiles avec les administrations, les
communes…C’est ce monument qu’il faut consolider, moderniser notamment par des équipements numériques , des simples
téléphones et des photocopieuses, remettre à proximité, faciliter la
saisine par des procédures rapides et allégées moins complexes, ce qui veut
dire augmenter le nombre des juges qui siègent réellement et leur demander
d’être les plus véloces possible ; les payer mieux pour avoir les meilleurs professionnels, les faire aider par des assistants
administratifs, multiplier les greffiers, et obliger tout le monde dans
certaines conditions à du rendement comme dans toute entreprise privée. Le résultat
n’est pas l’ennemi du bien, de la réflexion et de la compétence. J’ajoute et de
la responsabilité car aucun professionnel fût -il fonctionnaire ou magistrat ne
peut se retrancher derrière son ministère ou l’Etat s’il commet une faute grave
qui a eu des conséquences. Naturellement ce dernier point se discute.
On ne peut
se contenter de toujours palabrer pour savoir si les procureurs pourraient être
indépendants du ministère de la justice ce qui n’est pas le cas
constitutionnellement parlant et peut être une fausse bonne idée, et si les
juges du siège ne cèdent pas à des pressions. Il faut faire confiance aux
hommes et aux femmes, et instituer un système qui permet aux juges d’être
impartiaux sachant qu’ils ont le droit d’avoir des humeurs et des convictions
et que le plus difficile -et j’en ai une modeste expérience dans mon activité
prud’homale- est de n’envisager que la loi rien que la loi, et de ne pas faire interférer
avec le droit la morale personnelle ou indiquer le chemin à suivre. Les politiques
sont là pour cela.
Bien sûr on
se rappelle les maçons du mur des cons ou le parquet national financier qui a
contrarié et le mot est faible la trajectoire de l’élection présidentielle de
2017. Mais globalement la justice selon moi
est neutre mais peut être suis- je naïf, et elle rend des arrêts pas des services
comme l’a écrit le 1er président Séguier de la cour d’appel de paris au 19 -ème
siècle. J’avoue que la mise en examen inédite pour un ministre qui reste à son
poste à savoir M. Dupond-Moretti pour un éventuel conflit d’intérêts et
la perquisition échevelée de ses bureaux à la chancellerie me perturbent,
car la confiance en la justice représentée par une déesse aux yeux bandés s’érode.
Mon excellent ex-confrère doit regretter d’avoir fait son travail jusqu’au
bout pour défendre tous ceux qui l’ont choisi pour son talent et sa
détermination ! On n’y comprend plus rien sur le rôle des uns et des autres et
des magistrats entre eux. On ne peut pas dire que la justice en sort grandie. Il
y a des fissures dans l’édifice. M. Dupond-Moretti n’est pas heureusement M.
Mélenchon et il ne sera pas en plus poursuivi pour rébellion ! Si des
magistrats veulent choisir leur ministre, pourquoi ne pas confier le ministère
du travail à la Cgt, Fo et la Cfdt réunis ; ou le ministère des finances
au Medef et aux banquiers ; et peut être le ministère des armées à un
objecteur de conscience ?
Le ministère
de la justice fait partie du domaine régalien et il doit être fort pour
maintenir l’état de droit, défendre les institutions et les valeurs républicaines,
et permettre aux citoyens d’exercer leurs libertés, aux entreprises de dégager
de la valeur ajoutée, et de poser les limites là et quand il le faut. Il a
aussi une visibilité symbolique. Quand la justice passe tout ne se résout pas
mais tout peut se comprendre de façon équitable. Confortons notre monument qui
est en péril et notre société en sortira plus confiante en elle -même et envers
ceux qui la représente puisqu’il ne peut y avoir de plus égaux que d’autres. L’intérêt
général n’est l’apanage de personne. La justice est une vertu.
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