mardi 20 juillet 2021

La justice un monument en péril.

 

                                     La justice un monument en péril.

                            Par Christian Fremaux avocat honoraire

Quand le bâtiment va tout va parait -il sauf qu’avec la crise il a des difficultés ne serait- ce que pour avoir des matériaux et des bras, le confinement ayant ramolli des bonnes volontés. La covid-19 n’a pas amélioré la justice dans son fonctionnement et je crains que les dernières péripéties n’aient atteint les fondations. Cela me désole. Je n’ai pas plaidé activement  pendant plus de 42 ans quasiment chaque jour devant toutes les juridictions de France et de Navarre sans que je m’intéresse encore de près à la justice tant dans son organisation matérielle que pour ses messages dans la société à travers ses décisions .Bien qu’en retraite désormais je continue à exercer peu ou prou et comme président d’audience auprès du conseil de prud’homme à Paris où avec mes collègues magistrats d’origine professionnelle (nous sommes deux employeurs et deux salariés) nous faisons face à un contentieux très important et parfois âpre. La cour d’appel de Paris infirme ou confirme nos jugements et je prends acte du raisonnement en droit et en fait des magistrats de carrière.

Nous sommes quoiqu’en disent des excités peu objectifs dans un état de droit, ce qui veut dire que chacun peut saisir les tribunaux pour faire reconnaitre ses droits, conforter ses libertés y compris de vivre sans vaccin au détriment de la collectivité, voire se battre contre l’Etat c’est-à -dire nous pour l’obliger à agir. Nous vivons dans un beau pays ouvert à la démocratie que l’on critique pourtant et que l’on sabote par l’abstention, où tant de possibilités nous sont offertes en même temps que nous pouvons exprimer à haute voix notre mécontentement. On crie aux mesures liberticides pour tout et rien, mais on veut aussi être protégé. On a la société que l’on mérite et que l’on fabrique. Tel est le cas de la Justice qui n’est ni un pouvoir ni un contre- pouvoir mais une autorité.  

La justice est controversée depuis longtemps voire toujours. Salomon n’est plus  et ne peut arbitrer tous les litiges du quotidien.  César baisse ou non le pouce mais il doit tenir compte malgré lui des médias en continu et des réseaux sociaux donc des minorités agissantes, ainsi que des juges de la cour européenne de Strasbourg et des grands principes humanistes ou prétendus tels. L’opinion publique est entendue quand elle est dans le sens du politiquement correct sinon on doit l’écarter des prétoires naturellement.   On pense que la justice est forte avec les faibles et indulgente pour les puissants. C’est faux et les dernières ou plus lointaines personnalités condamnées vouent les juges aux gémonies. Je parle évidemment de l’aspect pénal qui aborde le mal quasiment le seul qui intéresse le quidam qui veut tout connaitre du criminel, et ignore les victimes en lâchant une larme de compassion, car cela aurait pu être pour soi ! Or le contentieux le plus important  dont les juges non médiatisés ont la lourde charge concerne les problèmes de la vie personnelle,  un divorce, une garde d’enfants, un licenciement,  les conditions de travail avec du harcèlement ou de l’inégalité, un permis de conduire, un petit litige d’abonnement  ou d’assurance, une construction et un permis de construire,  des relations  difficiles avec les administrations, les communes…C’est ce monument qu’il faut consolider, moderniser notamment  par des équipements numériques , des simples téléphones et  des photocopieuses,  remettre à proximité, faciliter la saisine par des procédures rapides et allégées moins complexes, ce qui veut dire augmenter le nombre des juges qui siègent réellement et leur demander d’être les plus véloces possible ; les payer mieux  pour avoir les meilleurs  professionnels,   les faire aider par des assistants administratifs, multiplier les greffiers, et obliger tout le monde dans certaines conditions à du rendement comme dans toute entreprise privée. Le résultat n’est pas l’ennemi du bien, de la réflexion et de la compétence. J’ajoute et de la responsabilité car aucun professionnel fût -il fonctionnaire ou magistrat ne peut se retrancher derrière son ministère ou l’Etat s’il commet une faute grave qui a eu des conséquences. Naturellement ce dernier point se discute.  

On ne peut se contenter de toujours palabrer pour savoir si les procureurs pourraient être indépendants du ministère de la justice ce qui n’est pas le cas constitutionnellement parlant et peut être une fausse bonne idée, et si les juges du siège ne cèdent pas à des pressions. Il faut faire confiance aux hommes et aux femmes, et instituer un système qui permet aux juges d’être impartiaux sachant qu’ils ont le droit d’avoir des humeurs et des convictions et que le plus difficile -et j’en ai une modeste expérience dans mon activité prud’homale- est de n’envisager que la loi rien que la loi, et de ne pas faire interférer avec le droit la morale personnelle ou indiquer le chemin à suivre. Les politiques sont là pour cela.

Bien sûr on se rappelle les maçons du mur des cons ou le parquet national financier qui a contrarié et le mot est faible la trajectoire de l’élection présidentielle de 2017.  Mais globalement la justice selon moi est neutre mais peut être suis- je naïf, et elle rend des arrêts pas des services comme l’a écrit le 1er président Séguier de la cour d’appel de paris au 19 -ème siècle. J’avoue que la mise en examen inédite pour un ministre qui reste à son poste à savoir M. Dupond-Moretti pour un éventuel conflit d’intérêts et la perquisition échevelée de ses bureaux à la chancellerie me perturbent, car la confiance en la justice représentée par une déesse aux yeux bandés s’érode. Mon excellent ex-confrère doit regretter d’avoir fait son travail jusqu’au bout pour défendre tous ceux qui l’ont choisi pour son talent et sa détermination ! On n’y comprend plus rien sur le rôle des uns et des autres et des magistrats entre eux. On ne peut pas dire que la justice en sort grandie. Il y a des fissures dans l’édifice.   M. Dupond-Moretti n’est pas heureusement M. Mélenchon et il ne sera pas en plus poursuivi pour rébellion ! Si des magistrats veulent choisir leur ministre, pourquoi ne pas confier le ministère du travail à la Cgt, Fo et la Cfdt réunis ; ou le ministère des finances au Medef et aux banquiers ; et peut être le ministère des armées à un objecteur de conscience ?  

Le ministère de la justice fait partie du domaine régalien et il doit être fort pour maintenir l’état de droit, défendre les institutions et les valeurs républicaines, et permettre aux citoyens d’exercer leurs libertés, aux entreprises de dégager de la valeur ajoutée, et de poser les limites là et quand il le faut. Il a aussi une visibilité symbolique. Quand la justice passe tout ne se résout pas mais tout peut se comprendre de façon équitable. Confortons notre monument qui est en péril et notre société en sortira plus confiante en elle -même et envers ceux qui la représente puisqu’il ne peut y avoir de plus égaux que d’autres. L’intérêt général n’est l’apanage de personne. La justice est une vertu.     

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