Justice inclusive ou
non ?
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
Le procès
des attentats du 13 novembre 2015 dont celui du Bataclan s’ouvre. Nous sommes
dans la tuerie de masse perpétrée par une organisation terroriste internationale
avec 130 morts, des centaines de blessés, des traumatismes permanents pour les
concernés directement ou leurs proches, et une sidération qui n’a pas disparue.
La justice qui se prononce au nom du
peuple français va avoir un rôle considérable dans les principes comme dans ses
décisions, à la fois tant pour les citoyens que nous sommes que pour montrer au
reste du monde que nous ne céderons pas à l’intimidation et que nous nous
défendrons sans renier nos principes universels qui nous permettent d’avoir la
tête haute quelques soient les malheurs. La résilience fait partie de nos
qualités.
L’actualité
nous fait réfléchir. En Afghanistan les talibans qui ont défait les russes puis
les Usa première puissance mondiale parlent d’une gestion inclusive de leur
société qui devra néanmoins se soumettre à la charia. Inclusif veut dire
que l’on intègre une personne ou un groupe en mettant fin à leur exclusion pour
aboutir à un ensemble solidaire. Attendons quelques semaines ou mois pour voir
si les femmes afghanes par exemple, ou tous ceux qui ont combattu les
talibans seront inclus ou non. En attendant le premier geste symbolique des
nouveaux maîtres de Kaboul enfouraillés jusqu’au cou, est d’avoir libéré les
prisonniers terroristes d’al -qaïda, les talibans détenus, et les criminels et
autres bandits de grand chemin, en prononçant une amnistie dont on ne sait pas
qui est vraiment concerné et si en pratique elle jouera malgré la charia et la revanche.
Et en matière de justice, quid ?
C’est le terme inclusif qui me chiffonne : aurait-on pu parler de
nazis inclusifs ou de khmers rouges modérés, et désormais d’islamistes éclairés
ou de génocidaires indulgents tuant proprement plutôt qu’à
la machette ?
Notre
justice va-t-elle être inclusive pour M. Salah Abdeslam et le commando ? Denis
Salas magistrat et écrivain pose la question ainsi : « allons-nous
le juger comme un ennemi ou comme un justiciable » ? La justice
ne peut s’abaisser à utiliser des méthodes que l’on réprouve chez les autres.
La justice est aussi une vertu et fait partie des valeurs que l’on enseigne
surtout dans notre société laïque qui ne se réfère pas à un principe spirituel.
La justice n’est pas la morale même si parfois on confond les deux notions.
Elle permet de progresser vers la recherche de la vérité qui peut - être à
géométrie variable : « vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au- delà
» a écrit Blaise Pascal. Mais en dehors des considérations métaphysiques qui
intéressent accessoirement le quidam, il y a une évidence : je pense que
si par référendum on interrogeait les français sur la terreur ils baisseraient
le pouce pour condamner tout terroriste et pour lui infliger la peine la plus sévère
possible. Cette réaction est humaine surtout quand on est victime.
Tout le monde
n’a pas la force de caractère de M. Antoine Leiris qui a perdu sa femme dans l’attentat
et qui a écrit « vous n’aurez pas ma haine ». M. Victor Rouard
gravement blessé au Bataclan vient de publier « Comment pourrais-je
pardonner » ? Il précise son état d’esprit : « comment accorder
le pardon à des individus qui ont semé la mort, provoqué des souffrances
insupportables et endeuillé des familles entières ? ». Effectivement
pour pardonner encore faudrait -t- il d’abord une volonté des auteurs et un
geste de leur part…Chacun, surtout une victime, agit selon sa conscience, sa douleur,
ce qu’il attend.
Je crains
que les mois d’audience soient difficiles à supporter : on entendra - si
les accusés daignent parler- des explications saugrenues, des excuses
accusatrices, des arguments qui n’ont aucun sens, des renvois de
responsabilités vers les autres, des défaussements, et sûrement la référence à un
dieu ce qui justifierait la violence aveugle et injuste. Je ne crois pas que
les accusés vont formuler des regrets sauf pour dire qu’ils ne savaient pas ou que
leur rôle a été purement matériel pour tenter d’éviter une lourde condamnation,
et encore moins plaindre les victimes et dire qu’ils ont eu tort. Les terroristes
en général s’estiment martyrs de tout et de tous et combattent pour leur « idéal »
ou ce qu’ils croient être l’avenir du monde pour faire son bonheur sans tenir
compte des souffrances des autres. Ils se trompent profondément sur la nature
humaine qu’ils ne connaissent pas puisqu’ils sont claquemurés dans leurs
certitudes moyenâgeuses. Ils vont se réjouir in petto de nos atermoiements, de
nos polémiques, de notre liberté de paroles et de pensées, des luttes entre nos
services de sécurité, des ordres d’intervention donnés ou non, de notre géopolitique,
de nos valeurs républicaines dont la laïcité, et de ce qu’ils estiment être une
société vide de sens et consumériste. Ils useront de nos principes de droit et
de nos règles de procédure pénale pour essayer de s’en sortir.
Leurs
avocats payés souvent par l’aide juridictionnelle exécuteront leurs missions de
défense et tenteront d’éviter le pire pour leurs clients voire d’en faire
acquitter pour les moins impliqués s’il n’y a pas de preuve, sans les
cautionner ou partager leurs délires et mensonges. Il ne faudra pas crier
au scandale. C’est l’honneur du barreau
d’être présent, et il ne faudra pas confondre l’avocat avec l’accusé.
Comme citoyen je sais que c’est un effort considérable pour comprendre qu’on s’occupe
des pires individus et qu’on admet avec réticence ce luxe de précautions
judiciaires pour ceux qui sont « présumés coupables » selon les gens, mais
l’opinion publique n’est pas le juge. Comme professionnel auxiliaire de
justice je participe à ce que les procès soient les plus exemplaires
possibles : la justice doit sortir grandie de ce procès historique.
Il ne peut y avoir de déni de justice ou une
justice expéditive ou d’exception ou prétendument subjective dès le départ ou
aux ordres supposés. Tout ce qui va se passer ne fera pas l’unanimité.
Il y aura des querelles et des incidents mais nous y arriverons :
il y aura un verdict, la justice passera, les victimes seront considérées
comme telles, et la société pourra ne pas oublier mais passer à autre chose
sans exploitation dans la campagne présidentielle qui vient, et tirer les
conséquences en matière de protection collective et du risque terroriste. Les
magistrats français font leur métier sans faiblesse et connaissent leurs
devoirs. Il faut leur faire confiance. La justice n’a pas d’ennemi. Elle n’est
ni inclusive ni exclusive. Elle est distributive c’est-à-dire donne à chacun la
part qui lui revient. Elle juge des
faits et des hommes et des femmes selon leurs responsabilités. Cela n’empêche
personne d’avoir une opinion. La vérité judiciaire n’est pas parole d’évangile.
Toujours aussi brillant Christian ! Souvenir amical de nos années amiénoises ! Bruno Peltier
RépondreSupprimerravi d'avoir de tes nouvelles. je continue diverses activités, je m'occupe. Je parle de toi avec william Warnault et je suis régulièrement à auchy- la- montagne. Notre ami philippe Potelle se terre à Blicourt! Si tu as l'occasion d'être sur Beauvais dis le moi: tel 06 15 30 24 02.Amitiés fidèles. Christian.
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