La justice sur tous les fronts.
Par Christian Fremaux avocat
honoraire et élu local.
On dira que je relie des faits et des évènements qui n’ont
aucun rapport entre eux et que tout ceci n’a ni queue ni tête. C’est possible
mais moi je vois des liens entre les faits que je vais relater en écoutant
simplement les nouvelles du jour (mercredi 15 janvier) avec la justice.
A notre époque où
parait-il tout se vaut et que les informations se succèdent sans recul ni
hiérarchie entre le médiocre ou le
ridicule, l’important et l’essentiel ,où l’on accuse en direct à la
télévision ou sur les réseaux sociaux
sous couvert de l’anonymat n’importe qui
pour n’importe quoi, sans avoir un début de preuve quelconque, où la morale et
l’émotion se substituent à la réflexion et à la raison, où ce qui était porté
aux nues puis toléré jadis devient du dernier scandale porté par les mêmes qui
ont une attitude à géométrie variable (Edgar Faure disait que ce ne sont pas les girouettes qui
tournent mais le vent), je me marre
comme le disait l’inénarrable Coluche qui aurait du mal aujourd’hui à s’en sortir sans être accuser entre autres
de racisme , de discrimination, d’ennemi du genre féminin, de mépris des
syndicats et des politiques et qui devrait sûrement affronter la justice sur
plainte de tous ceux qui s’estiment victimes et n’ont pas d’humour, de ceux qui
sont prompts à donner des leçons, des autres qui veulent imposer leur vérité,
et de tous ceux qui ne sont jamais
contents de rien et qui jalousent tout et son contraire. Autres temps autres moeurs.
On le sait il semble que l’on n’aime pas les juges que l’on
accuse d’être partiaux rouges de préférence. On leur reproche de façon souvent
contradictoire d’interférer dans le débat politique (exemple les poursuites
contre M. Fillon pendant la campagne
présidentielle de 2017 ou une différence de sanction entre M .Cahuzac et M .Balkany) ;
de n’être pas assez sévère contre les voyous et laxistes en relâchant des
djihadistes ; de privilégier ceux
qui sont toujours « déséquilibrés » en leur épargnant un
procès ; mais de protéger les forces de l’ordre en condamnant sévèrement
des gilets jaunes ; d’être plus
pour les salariés que pour les petits patrons en matière de droit du
travail ; de rendre des décisions personnelles en matière de famille
structurellement nouvelles et d’éthique
et de bio-éthique ou d’écologie ; et en un mot de se mêler de ce qui ne
les regarde pas eux qui n’ont pas la légitimité du suffrage universel .
Néanmoins personne ne discute qu’il faut une justice pénale
ou civile pour trancher les litiges dans l’intérêt général et fixer les bornes
de la vie en société, ou pour résoudre des difficultés personnelles ou pour
innover en respectant les grands principes et les valeurs républicaines quand
la loi n’a rien prévu et que l’évolution de la vie génère des questions
imprévues.
Il faut aussi savoir ce que l’on veut. A la moindre
difficulté on saisit le procureur de la république et on demande aux juges
d’enquêter et de faire la lumière. On veut que les puissants s’expliquent comme
le justiciable de base et ne puissent plus se retrancher derrière l’usage ou le suffrage universel. Si une interpellation par des policiers ou des
gendarmes se termine mal, on exige la vérité, on fait immédiatement une marche
blanche, et on veut la condamnation au plus vite des présumés coupables, sans même
savoir si la victime n’a pas une part de responsabilité, ce qui n’enlève rien à
celle des autorités si elles n’ont pas respecté la loi ou leur déontologie. Le
ministre de l’intérieur a eu une belle formule : « on ne fait
pas de croche-pied à l’éthique » et il a raison sur l’exemplarité
nécessaire. Ce qui entraine pour les professionnels soumis aux ordres de la
hiérarchie et à la provocation de ceux qui bousculent l’ordre public, d’avoir
des nerfs d’acier et du sang-froid et ce qui me rappelle ce que disait Alphonse
Karr (1808-1890) : « je suis contre la peine de mort mais que MM. les
assassins commencent ».
Le conseil de prud’homme-dont je fais partie comme président
d’audience à Paris- est à l’honneur.
M. Carlos Ghosn a annoncé qu’il avait saisi celui de Boulogne
(92) compétent pour juger l’entreprise Renault, pour avoir paiement de diverses
indemnités dont des droits à la retraite. Je me réjouis que M. Ghosn fasse plus
confiance au conseil de Boulogne qu’à la justice japonaise ! L’addition
demandée va être lourde car le salaire mensuel de M. Ghosn qui estime ne pas
avoir démissionné et je ne sais pas s’il a été licencié, était pour
le moins conséquent. Dans cet ordre d’idées on sait que M. Kerviel avait
réclamé à la société générale près de 5 milliards d’euros devant le conseil de
prud’homme de Paris. Finalement la cour d’appel
n’a pas fait droit à sa demande. Les conseillers prud’homme bénévoles membres
d’une juridiction paritaire composée de deux juges représentant les employeurs
et de deux juges représentant les salariés savent prendre leurs responsabilités
en appliquant le droit après avoir examiné les faits. Ce sont des juges
impartiaux qui rendent des arrêts et non des services comme le disait au 19ème
siècle M. Séguier premier président de la cour d’appel.
Le conseil de prud’homme est souvent saisi de procédures pour
apprécier si le licenciement est abusif ou non avec des demandeurs aux
appointements plus ordinaires. Ainsi a-t-on appris qu’un salarié en habit de
lumière jaune ou orange d’une entreprise de propreté travaillant pour la ville
de Paris, s’était allongé dans la rue ou à l’abri dans l’entrée d’un immeuble
pour faire une sieste. Il a été filmé à son insu par une contribuable en
colère qui a diffusé la photo sur les réseaux sociaux avec un commentaire du
style suivant : « voilà où passent nos impôts et pourquoi Paris est sale ».
Son Drh l’a immédiatement licencié pour faute grave, mais peut être que ce
salarié qui avait droit contractuellement semble- t -il à une pause, avait déjà
quelques manquements à son passif ? Les conseillers trancheront notamment cette
question : une photo volée est- elle une preuve recevable en
justice ?
Personne ne doute de l’utilité de la justice prud’homale,
unique dans le monde sur ce modèle, sauf quand on est condamné à payer ou que
l’on a gagné mais pas assez.
J’évoquais le bénévolat des juges prud’homaux qui reçoivent
quelques euros par heure comme défraiement, en passant beaucoup de temps à préparer
les audiences, à entendre les parties puis examiner les pièces versées aux
débats et examinées contradictoirement, et à discuter entre eux pour délibérer
c’est- à -dire rendre un jugement.
En matière de
bénévolat le cas de Mme Ségolène Royal a été mis sur le tapis et surtout entre
les mains blanches et expertes du parquet national financier (le même que pour
M. Fillon qui comparait prochainement devant le tribunal correctionnel pour
l’emploi fictif ou non de Pénélope son épouse). La justice pénale va enquêter.
Madame Royal crie à la victime, qu’on veut l’empêcher de
s’exprimer politiquement et qu’elle a bien exercé gratuitement ses fonctions
d’ambassadrice auprès des pôles nord et sud. Dans cette mission il ne faut pas
perdre ses sens ni le devoir de réserve. Madame Royal aussi était bénévole mais
avec un tarif qui n’est pas celui des conseillers prud’homme en percevant
quelques milliers d’euros par an comme frais, et travaillait avec l’aide de trois
collaborateurs. Tout le monde recevant de l’argent public. C’est donc le
contribuable qui paie et il me parait normal qu’elle justifie des fonds
qu’elle a reçus. Madame Royal va devoir s’expliquer comme tout quidam, comme un
pingouin de base, ce qui pour un haut fonctionnaire peut être
retraitée ? députée, ministre,
présidente de région, vedette des médias et appelée selon elle aux plus hautes
fonctions, lui fait un choc. La justice
appréciera pour l’instant la présomption d’innocence s’impose.
Ce qui me frappe mais je le savais, c’est que conformément
aux usages immémoriaux de la république, l’exécutif puisse nommer comme ambassadeur ou préfet ou
à toute autre fonction prestigieuse publique qui il veut, amis ou ceux qu’il
faut recaser voire apprivoiser ou contenir. Je l’annonce je suis disponible. Mais
puisqu’on veut tout réformer et instaurer l’égalité surtout du mérite, que l’on
supprime cette anomalie d’ancien régime qui est un privilège pour ceux qui en
bénéficie.
La justice est sur tous les fronts. Qu’elle continue. Comme
quoi on peut relier ce qui apparait disparate.