Du
droit de retrait dévoyé au devoir de ne pas battre en retraite.
Par Christian
Fremaux avocat honoraire et élu local.
A la suite
d’un accident entre un train et un véhicule qui n’a fait aucun blessé grave
heureusement faut-il le rappeler, une nouvelle fois les cheminots se sont
distingués en bloquant tout trafic et en laissant les usagers- ces gueux qui
ont le droit de payer leurs billets et qui devraient dire merci pour ce beau
voyage à quai ! -se débrouiller voire annuler leurs déplacements. Ils ont
inventé une nouvelle définition ébouriffante du droit de retrait qui est une
disposition précise du code du travail, et s’étonnent qu’on ne partage pas leur
raisonnement qui est ce que la bonne foi est à la tricherie volontaire et au
bon sens qui est dans ce cas la chose au monde la moins bien partagée. Les cheminots veulent nous faire prendre des
vessies pour des lanternes, c’est-à-dire un tortillard pour un tgv ou un danger
éventuel pour une menace immédiate. Pour
tenter de faire croire que leur droit de retrait était légal, Ils ont donné des
justifications à géométrie variable aussi improbables que fumeuses, la plus
farfelue étant celle du danger qu’il y aurait de croiser… un autre train où il
n’y a pas de contrôleurs ! Heureusement qu’il y a encore des conducteurs.
Félicitons d’ailleurs le conducteur du train accidenté qui bien que choqué a
parcouru à pied des centaines de mètres pour donner l’alerte : qu’il soit
décoré, promu et augmenté. Le mérite doit payer. Ceux qui par solidarité ont
cessé de travailler alors qu’ils étaient peut- être à la maison et que ni leur
sécurité ni leur santé étaient en danger, devraient se couvrir la tête de
cendres. Mais il y a des lustres que le ridicule ne tue plus et que l’insolence
règne.
Personne ne nie que la sécurité des transports
et donc des voyageurs est fondamentale mais qu’il y ait ou non un homme ou une
femme à casquette dans les rames, n’évitera ni incident ni accident. Des moyens
de secours matériels peuvent être montés sur le train si le conducteur n’est
plus en mesure d’alerter ou si les procédés techniques embarqués sont hors
service. Sans compter la réactivité des
voyageurs munis de téléphone qui peuvent prévenir les autorités pour le cas où
le conducteur ne peut le faire et si le contrôleur -lorsqu’il y en a un- n’est
plus en état de réagir. La sécurité en général est l’affaire de tous, de l’Etat
qui doit donner les moyens de l’assurer, des professionnels et des citoyens qui
ne doivent pas rester bouche bée à attendre qu’on les aide.
Quitter les
trains ou refuser de les faire circuler au prétexte qu’il n’y a pas
suffisamment de personnel interne et accompagnateur n’arrange rien, car
beaucoup de trains circulent déjà sans contrôleurs et sans incident depuis
longtemps et les syndicats ont intégré cette pratique voire donné leur accord
au moins tacite. S’apercevoir d’un seul coup que c’est dangereux n’est pas
crédible. L’excuse donnée crée un faux problème pour punir les usagers qui ne
sont pas considérés comme des clients qui méritent considération et dont on a
besoin, pour à travers eux faire pression sur le gouvernement pour des
revendications professionnelles parfois légitimes comme la lutte contre les
agressions journalières et surtout pour éviter la perte de leur régime spécial
dans le cadre de la refonte des retraites pour tous. L’ouverture à la
concurrence va aussi obliger la Sncf à avoir des règles vraiment commerciales
plus strictes au bénéfice de ses clients, concurrence que les cheminots
redoutent. La ruse a été grossière et le
droit de retrait cache le vrai objectif : conserver les privilèges issus
de l’après -guerre et devenus obsolètes et discriminatoires pour les autres
non- bénéficiaires. J’espère que le gouvernement ne battra pas en retraite
comme Napoléon devant la Bérézina et que comme employeur la Sncf considérera
qu’il y a eu droit de retrait dévoyé donc grève sauvage donc illégale. Le
problème des sanctions est du ressort de l’entreprise mais je souhaite que
celle-ci aille au bout des procédures y compris judiciaires pour le principe et
que le droit soit fixé pour l’avenir. En effet la sécurité au travail, avec le
harcèlement, les maladies professionnelles et la pénibilité sont des sujets
majeurs dans le secteur privé qui ne bénéficie pas de la protection à vie de
l’emploi-autre privilège-, et il ne faudrait pas que le droit de retrait soit
galvaudé. Examinons la loi pour que chacun se fasse une opinion
personnelle.
Le code du
travail évoque les droits d’alerte et de retrait. L’article L.4131-1 du code du
travail dispose : « le travailleur alerte IMMEDIATEMENT
l’employeur de toute situation de travail dont
il a un motif RAISONNABLE de penser qu’elle présente un DANGER GRAVE ET
IMMINENT pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate
dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle
situation ».
N’en
déplaise à quelques inspecteurs du travail qui considèrent que le droit de retrait
en l’espèce était en fait une alerte il m’apparait que les conditions légales
n’étaient pas réunies. Les juges du fond qui ont un pouvoir souverain
d’appréciation s’ils sont saisis départageront les protagonistes [20 janvier
1993 ch. Soc. ; 23 avril 2003 n°01.44-806 dr.soc. 2003.805 note
Savatier]. L’article L .4131-1
oblige le salarié à un signalement immédiat et non différé dans le temps. La
difficulté est dans l’appréciation de la subjectivité : le salarié
« estime » qu’il y a danger. La jurisprudence existe : « mais
constitue l’exercice du droit de grève et non de retrait l’arrêt de
travail décidé par les salariés qui après avoir refusé d’exécuter un ordre
dangereux pour leur santé et leur vie, ont présenté une revendication professionnelle
en demandant le bénéfice de la position chômeur intempéries » [Soc.26
septembre 1990 dr.soc.1991 ,60 conclusions Waquet, note Ray].
Le service
public pour qu’il soit de qualité a besoin de moyens et d’agents qui ont le
sens de l’intérêt général, tout en défendant leurs intérêts ce qui est
légitime, mais sans profiter de l’outil de blocage dont ils disposent par
délégation des citoyens. Les transports sûrs, rapides et à l’heure sont un bien
commun et n’appartiennent pas à une « certaine catégorie de personnel » annonce
en cas de grève subite que le transporté entend ! Le droit de retrait est
une chose trop sérieuse avec des conséquences directes et indirectes qu’on ne
peut laisser à l’initiative de n’importe qui avec des conditions subjectives.
C’est aussi un aspect de la démocratie qui est actuellement mal en point
surtout si chacun oublie ses devoirs collectifs au profit de ses droits
individuels. On doit avoir confiance dans l’autre qui doit faire l’effort
d’être mesuré pour ne pas fracturer la cohésion sociale car la réussite de la
nation implique parfois des renoncements. Nous sommes avant d’être des
professionnels d'abord des citoyens.
Soyons
cependant lucides. L’épisode que nous venons de vivre n’est qu’un échauffement
pour montrer ses muscles et son pouvoir de nuisance, avant le grand round
décisif de la suppression ou non des régimes spéciaux dont celui de la Sncf
biberonnée à l’argent public.
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