mardi 22 octobre 2019

du droit de retrait dévoyé au devoir de ne pas battre en retraite.


Du droit de retrait dévoyé au devoir de ne pas battre en retraite.
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
A la suite d’un accident entre un train et un véhicule qui n’a fait aucun blessé grave heureusement faut-il le rappeler, une nouvelle fois les cheminots se sont distingués en bloquant tout trafic et en laissant les usagers- ces gueux qui ont le droit de payer leurs billets et qui devraient dire merci pour ce beau voyage à quai ! -se débrouiller voire annuler leurs déplacements. Ils ont inventé une nouvelle définition ébouriffante du droit de retrait qui est une disposition précise du code du travail, et s’étonnent qu’on ne partage pas leur raisonnement qui est ce que la bonne foi est à la tricherie volontaire et au bon sens qui est dans ce cas la chose au monde la moins bien partagée.  Les cheminots veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes, c’est-à-dire un tortillard pour un tgv ou un danger éventuel pour une menace immédiate.  Pour tenter de faire croire que leur droit de retrait était légal, Ils ont donné des justifications à géométrie variable aussi improbables que fumeuses, la plus farfelue étant celle du danger qu’il y aurait de croiser… un autre train où il n’y a pas de contrôleurs ! Heureusement qu’il y a encore des conducteurs. Félicitons d’ailleurs le conducteur du train accidenté qui bien que choqué a parcouru à pied des centaines de mètres pour donner l’alerte : qu’il soit décoré, promu et augmenté. Le mérite doit payer. Ceux qui par solidarité ont cessé de travailler alors qu’ils étaient peut- être à la maison et que ni leur sécurité ni leur santé étaient en danger, devraient se couvrir la tête de cendres. Mais il y a des lustres que le ridicule ne tue plus et que l’insolence règne.  
 Personne ne nie que la sécurité des transports et donc des voyageurs est fondamentale mais qu’il y ait ou non un homme ou une femme à casquette dans les rames, n’évitera ni incident ni accident. Des moyens de secours matériels peuvent être montés sur le train si le conducteur n’est plus en mesure d’alerter ou si les procédés techniques embarqués sont hors service.  Sans compter la réactivité des voyageurs munis de téléphone qui peuvent prévenir les autorités pour le cas où le conducteur ne peut le faire et si le contrôleur -lorsqu’il y en a un- n’est plus en état de réagir. La sécurité en général est l’affaire de tous, de l’Etat qui doit donner les moyens de l’assurer, des professionnels et des citoyens qui ne doivent pas rester bouche bée à attendre qu’on les aide.
Quitter les trains ou refuser de les faire circuler au prétexte qu’il n’y a pas suffisamment de personnel interne et accompagnateur n’arrange rien, car beaucoup de trains circulent déjà sans contrôleurs et sans incident depuis longtemps et les syndicats ont intégré cette pratique voire donné leur accord au moins tacite. S’apercevoir d’un seul coup que c’est dangereux n’est pas crédible. L’excuse donnée crée un faux problème pour punir les usagers qui ne sont pas considérés comme des clients qui méritent considération et dont on a besoin, pour à travers eux faire pression sur le gouvernement pour des revendications professionnelles parfois légitimes comme la lutte contre les agressions journalières et surtout pour éviter la perte de leur régime spécial dans le cadre de la refonte des retraites pour tous. L’ouverture à la concurrence va aussi obliger la Sncf à avoir des règles vraiment commerciales plus strictes au bénéfice de ses clients, concurrence que les cheminots redoutent.  La ruse a été grossière et le droit de retrait cache le vrai objectif : conserver les privilèges issus de l’après -guerre et devenus obsolètes et discriminatoires pour les autres non- bénéficiaires. J’espère que le gouvernement ne battra pas en retraite comme Napoléon devant la Bérézina et que comme employeur la Sncf considérera qu’il y a eu droit de retrait dévoyé donc grève sauvage donc illégale. Le problème des sanctions est du ressort de l’entreprise mais je souhaite que celle-ci aille au bout des procédures y compris judiciaires pour le principe et que le droit soit fixé pour l’avenir. En effet la sécurité au travail, avec le harcèlement, les maladies professionnelles et la pénibilité sont des sujets majeurs dans le secteur privé qui ne bénéficie pas de la protection à vie de l’emploi-autre privilège-, et il ne faudrait pas que le droit de retrait soit galvaudé. Examinons la loi pour que chacun se fasse une opinion personnelle. 
Le code du travail évoque les droits d’alerte et de retrait. L’article L.4131-1 du code du travail dispose : « le travailleur alerte IMMEDIATEMENT l’employeur de toute situation de travail dont   il a un motif RAISONNABLE de penser qu’elle présente un DANGER GRAVE ET IMMINENT pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation ».
N’en déplaise à quelques inspecteurs du travail qui considèrent que le droit de retrait en l’espèce était en fait une alerte il m’apparait que les conditions légales n’étaient pas réunies. Les juges du fond qui ont un pouvoir souverain d’appréciation s’ils sont saisis départageront les protagonistes [20 janvier 1993 ch. Soc. ; 23 avril 2003 n°01.44-806 dr.soc. 2003.805 note Savatier].  L’article L .4131-1 oblige le salarié à un signalement immédiat et non différé dans le temps. La difficulté est dans l’appréciation de la subjectivité : le salarié « estime » qu’il y a danger. La jurisprudence existe : « mais constitue l’exercice du droit de grève et non de retrait l’arrêt de travail décidé par les salariés qui après avoir refusé d’exécuter un ordre dangereux pour leur santé et leur vie, ont présenté une revendication professionnelle en demandant le bénéfice de la position chômeur intempéries » [Soc.26 septembre 1990 dr.soc.1991 ,60 conclusions Waquet, note Ray].
Le service public pour qu’il soit de qualité a besoin de moyens et d’agents qui ont le sens de l’intérêt général, tout en défendant leurs intérêts ce qui est légitime, mais sans profiter de l’outil de blocage dont ils disposent par délégation des citoyens. Les transports sûrs, rapides et à l’heure sont un bien commun et n’appartiennent pas à une « certaine catégorie de personnel » annonce en cas de grève subite que le transporté entend ! Le droit de retrait est une chose trop sérieuse avec des conséquences directes et indirectes qu’on ne peut laisser à l’initiative de n’importe qui avec des conditions subjectives. C’est aussi un aspect de la démocratie qui est actuellement mal en point surtout si chacun oublie ses devoirs collectifs au profit de ses droits individuels. On doit avoir confiance dans l’autre qui doit faire l’effort d’être mesuré pour ne pas fracturer la cohésion sociale car la réussite de la nation implique parfois des renoncements. Nous sommes avant d’être des professionnels d'abord  des citoyens.
Soyons cependant lucides. L’épisode que nous venons de vivre n’est qu’un échauffement pour montrer ses muscles et son pouvoir de nuisance, avant le grand round décisif de la suppression ou non des régimes spéciaux dont celui de la Sncf biberonnée à l’argent public.







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