Le
devoir de vigilance face au droit individuel.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
On oppose
les devoirs collectifs que tout citoyen doit à la nation aux droits personnels
et exclusifs qu’exige chaque individu qui considère que ses désirs sont des
ordres et que rien ni personne pas même l’Etat ne peut réduire ou s’y opposer
seraient -ils contraires à l’intérêt de tous.
On a perdu pour la majorité des
gens le sens du sacrifice qui nous dépasse et on estime que ce qui compte c’est
notre bonheur personnel et qu’il appartient aux autres donc l’Etat de nous le
garantir. Les circonstances font que
parfois l’histoire nous rattrape et qu’il faut accepter de limiter nos libertés
individuelles et nos réactions habituelles pour que nous puissions conserver ce
que nous sommes collectivement. La question est de savoir où nous plaçons le
curseur entre ce que nous possédons à savoir nos usages, nos traditions, notre
ordre juridique, nos droits, et ce que nous devons abandonner ou changer de
méthodes pour garder notre art de vivre en harmonie sans tomber dans l’excès ou
ce qui pourrait être autoritaire.
Le président de la république a nommé l’ennemi : « l’hydre
islamiste » c’est-à-dire non pas les musulmans qui vivent en paix en
respectant les lois de la république mais ceux qui signent des crimes au nom d’une prétendue idéologie qu’eux seuls
interprètent. Et le président a invité tout le monde à se déculpabiliser- comme
si on était coupables ? - et faire remonter les informations sur les
menaces. La définition de l’état (avec un petit é) de droit est que c’est un
système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit.
Le droit ce sont aussi des obligations.
A la suite
de l’assassinat début octobre 2019 de quatre fonctionnaires de police au sein même
du service de renseignement de la préfecture de police de paris censé être le
cœur de la sécurité par un autre fonctionnaire dénommé Harpon qui prônait et vivait
un islamisme radical (ce qui pour moi est un pléonasme) -un harpon est un
crochet de fer et est connu comme le trident qui est utilisé pour la pêche
sous-marine-on est resté sidéré. On n’aurait jamais imaginé qu’un tel attentat
puisse arriver dans un des lieux les mieux sécurisés de France, là où les
mesures de sécurité et les précautions doivent être les plus rigoureuses, et
que l’agresseur soit issu du milieu policier où l’on recrute après moultes
vérifications et où le personnel doit être insoupçonnable.
On se dit que si le pire peut survenir à cet
endroit tout peut arriver ailleurs et que la seule solution puisque l’Etat ne
peut tout faire est de concourir individuellement à sa propre protection mais
comment ? Sauf naïveté de ma part, je ne pense pas qu’un tel attentat
puisse recommencer demain car je veux croire que ceux qui travaillent pour les
pouvoirs publics en général sont avant tout des républicains et respectent le
principe de laïcité, quelques soient leurs opinions personnelles et leurs modes
de vie et croyances ce qui est de leurs libertés. Je fais confiance aux
fonctionnaires de toutes catégories et grades et je suis certain qu’ils
accomplissent leurs devoirs avec zèle et dévouement. Mais il suffit d’un seul raté, d’un cas que
l’on espère unique pour que l’on s’inquiète à juste titre. Je n’accable pas le ministre
de l’intérieur qui a de grandes qualités mais pas celle de l’expression en
général qui est toujours approximative voire inexacte et qui n’est pas souvent
dans le bon tempo. Mais lui demander sa démission ne rime à rien car je ne sais
pas si un autre ministre de l’intérieur à sa place ferait mieux, et si le
ministre est responsable de ses services il n’est pas coupable des manquements
ou fautes individuelles, selon la formule immortelle de Mme Dufoix jadis ministre
au moment du scandale du sang contaminé.
Attendons
cependant la fin de l’enquête pour savoir avec certitude qui était réellement
ce M. Harpon, comment et avec qui il
s’est radicalisé, ses mentors et complices éventuels, pourquoi il y a eu des failles administratives
et comment malgré des actes manifestes
et des signaux significatifs pour ses fréquentations extérieures et ses
comportements au travail il n’a pas fait
l’objet d’un signalement , pour quelles raisons
ses collègues n’ont pas voulu ou pas
pu saisir officiellement la hiérarchie qui aurait sévi du moins on l’imagine
et même si M.Harpon avait saisi la justice
en prétendant à l’arbitraire, à la discrimination , à l’atteinte à la
vie privée et à la laïcité outre l’absence
de faute professionnelle. Mieux vaut prendre le risque de perdre un procès et
éliminer un danger potentiel que
d’attendre en tremblant que l’on passe à l’acte.
En effet un
des moindres paradoxes est que les terroristes ou apparentés même simplement soupçonnés (le fameux fichier
S ) n’hésitent pas à se servir des
moyens de droit et des avocats qui font leur travail, que notre démocratie met
à la disposition de ceux qui veulent la détruire : c’est un principe qui fait notre gloire mais qui est contesté par les victimes et par ceux qui ne
croient qu’au principe de réalité ce qui entraine des polémiques au sein de
notre société ce dont se délectent ceux que l’on veut éliminer à juste titre le principe de
précaution ayant enfin un vrai sens. On a ainsi appris que des fonctionnaires
écartés, mutés ou révoqués pour radicalisation avaient obtenu des tribunaux
l’annulation de la décision et leur réintégration dans le service. On a crié au
scandale mais nous sommes dans un Etat de droit et les juges doivent respecter
la loi et les grands principes qui fondent notre justice. Cela peut paraitre
angélique, trop humaniste, mais nous ne pouvons combattre l’ennemi intérieur en
particulier qu’avec des armes légales et démocratiques. S’il s’agit de
rapatrier lentement soyons francs des théâtres de guerre ceux qui se sont
battus pour Daech et qui sont français notre devoir est similaire même si on
n’en a pas envie et qu’il y a des femmes (dont le rôle actif sur place dans le
soutien voire l’action a été parfois majeur et que nos féministes ne
soutiennent pas !) et des enfants qui n’ont rien demandé. La majorité des
français est contre on le sait mais l’opinion publique ne peut conduire à
prendre des décisions qu’elle regrettera ensuite en raison des conséquences. Notre justice examinera chaque cas, les
sanctionnera après un débat contradictoire et l’exercice des droits de la
défense, avec la difficulté qu’un jour ils sortiront de prison. Mais on ne peut
pas s’asseoir sur les principes sinon ils finissent par céder disait le prince
de Talleyrand-Périgord et alors ensuite tout est possible : quand les
bornes sont franchies il n’y a plus de limites et le quidam peut subir ce que
le criminel exceptionnel mérite. L’histoire relativement récente nous a
appris ce qu’était la justice d’exception.
Le président
de la république a appelé à une société de vigilance face à l’islam radical qui
est selon lui « un islam dévoyé et porteur de mort qu’il nous revient d’éradiquer ».
Il a raison, et nous avons été trop indulgent depuis des dizaines d’années sur
les atteintes à la laïcité dans tous les domaines comme les écoles, les
activités sportives, dans les entreprises privées, voire dans les services
publics (lire le rapport sénatorial de MM. Diard et Pouillat de juin 2019) ou assimilés
comme dans les transports et qui ont ouvert la porte à un entrisme forcené et à
des demandes toujours nouvelles et sans fin. La politique des petits pas a
payé, a grignoté la laïcité et les responsables politiques ou autres n’ont pas
su y mettre un terme pour ne pas faire de vagues considérées comme de la
provocation (sic). Pour paraphraser Winston Churchill on a voulu éviter la
guerre au prix du déshonneur c’est -à -dire à la renonciation à nos valeurs ou
leurs transformations pour ne pas apparaitre conservateur ou fermé aux autres
ce qui veut dire sectaire. Mais on a la guerre directe de l’extérieur et
désormais de l’intérieur et on se dirige vers le déshonneur si on renonce. Les
politiques de la ville malgré les mannes d’argent déversées n’ont rien donné de
vraiment positif et les efforts des élus des collectivités locales avec l’aide
de l’Etat n’ont réglé aucun problème de fond. On a assisté impuissant aux actes
de barbarie d’individus que nous avons éduqués et considérés comme des citoyens
comme les autres. On s’est concentré dans
l’actualité sur le sort misérable des migrants qui sont un « leurre » certes
très important, mais en réalité des trompe- l’œil car la vraie question est
l’intégration de ceux qui vivent sur notre territoire avec l’acceptation des
valeurs républicaines ou non et personne ne remet en cause le statut des
réfugiés décrétés comme tels. Les français sont généreux, accueillants, ouverts
à condition qu’on les respecte eux aussi. Mais c’est un autre sujet. L’urgence est de se
protéger aussi de ceux qui sont près de nous. D’où l’exhortation du président
de la république pour éviter toute partition et un affrontement qui ne pourra
que dégénérer. Une petite minorité est dangereuse contre laquelle il faut agir.
C’est un devoir pour tous.
On ne peut pas dire que nous ne savions pas il
y a des dizaines de rapports officiels depuis des années sur tous les sujets
qui ont été écrits. Les collectivités locales ont dû s’adapter, sont devenues
pour certaines les territoires perdus de la république, et il ne se passe pas
un jour sans qu’un fait divers sanglant défraye la chronique ou qu’un acte plus
ou moins grave révulse ou inquiète. Certes ce n’est pas la religion musulmane qui
est en cause car il y a d’autres
sources du mal « bien de chez nous » si je puis dire comme l’esprit
criminel, l’appât du gain ou ce que la nature humaine dans son côté sombre
invente. Comme toute religion qui est du domaine de la
sphère privée chacun doit la vivre comme il l’entend, à la condition -ce
qui est du simple bon sens et pas la volonté d’imposer des normes occidentales
ou chrétiennes-- que les règles légales et nos traditions de vivre-ensemble
soient respectées d’autant plus qu’il y en a qui ne croient pas en un dieu,
sont libres-penseurs et veulent simplement vivre en paix. C’est ce qu’on appelle le respect de la
diversité où personne ne cherche à imposer sa manière de voir et de vivre, où
la cohabitation des cultures se fond dans la nation qui exalte toutes les
individualités, où l’identité a un sens, et pour ceux qui arrivent c’est le comportement
normal que l’on doit avoir quand on est dans un autre pays que le sien où il ne
s’agit plus de vivre comme là-bas.
Mais
il faut admettre que le terrorisme devenu individuel repose sur des motivations
précises qui tournent autour de la dénonciation des mécréants, sur la nécessité
de punir les infidèles et qui ont pour fondement une vision extrême d’une
religion avec la violence qui vaut comme justification. Prenons- les aux mots
et nous aussi « dénonçons » -on dit informons qui de droit- ce qui
nous parait menaçant et si on se trompe ou que l’on fait n’importe quoi l’état
de droit je veux dire notre justice, nous sanctionnera.
Le président
a demandé à chacun de savoir repérer « les relâchements, les
déviations, ces petits gestes qui signalent un éloignement avec les lois et les
valeurs de la république ». Il s’agit d’éléments objectifs pouvant être
vérifiés. Pour moi cette vigilance
s’applique à tous les domaines et pas seulement pour une religion. La sécurité
est l’affaire de tous les citoyens et je me réjouis quand dans un quartier les
habitants signalent les trafiquants de drogue ou ceux qui participent aux
trafics et qui sont mineurs, ou qui relatent tout comportement illégal ou
potentiellement dangereux. Je me féliciterai aussi qu’une communauté chasse ses
brebis galeuses et participe à l’éthique globale qui bénéficie à tous. J’appelle cela du civisme, de l’honnêteté
intellectuelle, de l’objectivité nationale, ou simplement le sens du devoir
dans l’intérêt général. Le premier ministre PS Manuel Valls l’avait de son temps
souhaité. Il ne s’agit pas d’en venir à
une délation généralisée favorisée par des critères flous voire non définis
donc subjectifs et dangereux, ou à l’ère du soupçon comme on l’a connue
notamment sous Robespierre, ou à la dénonciation du proche que l’on n’aime pas
pour des raisons diverses ce qui reste dans nos mémoires ou celles de nos grands-parents
qui en ont souffert. Je n’évoque que
pour mémoire les régimes dictatoriaux qui obligent les citoyens à faire leur
auto-critique et à se dénoncer en famille. Nous n’en sommes pas là. Le président de la république nous a demandé
d’avoir le sens des responsabilités et de ne pas se méfier de tout comme c’est
la tendance avec le complotisme ou la tentation de rejeter toute parole
publique, mais d’être attentif. Dès qu’une information sort certains pensent
que c’est une « fake news », destinée à cacher la vérité et que l’on protège
les puissants. On ne peut vivre dans un cadre de méfiance et il faut parvenir à
une société de confiance comme l’avait écrit il y a déjà des dizaines d’années
Alain Peyrefitte ministre du général de Gaulle.
Pour cela il faut croire en son voisin et donc le
connaitre, le fréquenter ; il faut être sûr que nous avons tous un
destin commun quelques soient nos différences ; il faut faire vivre les grands
principes humanistes et cesser d’opposer les communautés ou se replier vers ce
que l’on croit être la vérité. Le président nous a invité à la vigilance ;
écoutons- le en choisissant la raison, la tolérance, l’union, et la confiance
c’est - à -dire les valeurs de la république, en éradiquant a dit le président
ce qui est un terme fort signifiant supprimer totalement-vaste programme qui ne
peut être cependant une chasse aux sorcières soyons prudents- tous ceux qui veulent
la haine, l’affrontement et la division ou qui ne respectent pas les règles du
jeu démocratique. L’état de droit nous protège
des excès et des dénonciations téméraires ou calomnieuses. A nous d’agir sans
passion mais avec détermination en participant à un devoir collectif ce qui
renforcera nos droits individuels qui ont besoin de sécurité pour s’épanouir.
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