Le coup de pied de l’âne
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
M. Sarkozy est
sorti de prison le 10 novembre 2025.L’incarcération provisoire avait surpris
sinon choqué. La cour d’appel a appliqué la loi ce qui ne devrait étonner
personne. Tous les juristes objectifs donc non partisans car il y a des
idéologues, savaient que les conditions de l’article 144 CPP pour remettre en
liberté étaient réunies. Mais ce n’est pas le fond du dossier dit Lybien qui a
été jugé et il ne faut tirer aucun enseignement de l’arrêt rendu pour la
suite à venir en 2026. A ce moment seulement la culpabilité ou l’innocence sera
reconnue par les juges d’appel M. Sarkozy étant toujours non coupable théorique
jusqu’à la décision définitive. La Justice est aléatoire. Elle peut se
contredire. Sans avoir eu accès au dossier donc aux pièces, spéculer ou
pronostiquer ne sert à rien. La Justice n’est pas qu’une émotion. La loi peut être à géométrie variable dans son
application. L’actualité le prouve. Les juges ont une intime
conviction qui s’appelle un pouvoir d’appréciation d’essence subjective défini
nulle part, par aucun texte légal. Tout est toujours possible. Il faut
attendre la fin de la partie.
Le diable se
cache dans les détails. Ce qui compte ce sont les conditions imposées à M. Sarkozy
pour son contrôle judiciaire et pas la motivation sur sa mise en liberté même
si elle est essentielle pour le concerné. Les juges de la cour d’appel ont
prononcé un véritable camouflet pour leur ministre qui si on s’y attarde ou si
on est excessif - donc insignifiant ce qui est mon cas - est une critique de la
séparation des pouvoirs. Le ministre de la Justice est membre de l’exécutif
et dirige la politique pénale du gouvernement. Selon la Constitution de 1958
les juges font partie de l’autorité judiciaire qui n’est pas un pouvoir. Mais
ils considèrent qu’en fait c’est le cas.
Le juge constitutionnel a étendu d’office son champ
de compétences comme le Conseil d’Etat qui intègre aussi les décisions des
juges européens. La Cour de cassation se substitue souvent au législateur qui a
d’autres préoccupations - on le voit avec l’examen actuel du futur budget élaboré
par des canards qui s’agitent mais n’ont plus de tête -que de rédiger des lois claires,
pensées dans leurs conséquences, avec des limites d’interprétation et surtout
conformes aux nécessités actuelles de protection du pays et des citoyens,
notamment dans le domaine régalien et de l’autorité en général.
On crie au gouvernement des juges mais si le
parlement qui relève la tête effectuait son travail les magistrats
auraient les armes juridiques que le peuple veut voir utiliser, notamment en
matière d’insécurité et terrorisme voire d’immigration et pour tous les sujets
qui fâchent. Dont la laïcité. Ils ne seraient pas obligés parfois de s’en remettre
à leur propre sagesse présumée. Ou de créer une jurisprudence ex -nihilo et déconcertante
ou préjudiciable pour certains. Les parlementaires ont une responsabilité si la
Justice est devenue un bateau ivre et que les Français ne croient plus en elle.
L’arrêt
mettant en liberté M. Sarkozy doit se lire au -delà du cas de l’ancien chef de
l’Etat. M. Darmanin ministre de la Justice avait annoncé qu’il irait voir son mentor
Nicolas à la Santé. M. Heitz procureur général à la Cour de cassation
l’a déconseillé à son chef avec ses mots mesurés, en disant que cette visite
faisait courir un risque à l’indépendance de la Justice. Ce sont donc les
subordonnés qui donnent des consignes à leur supérieur dont par ailleurs ils contestent
la politique de fermeté pénale qu’il met en place et ne veulent pas s’en
saisir. C’est comme si les militaires en action sur le terrain refusaient la
stratégie de l’état-major et déterminaient leurs propres méthodes et buts de
guerre. En exigeant que leur chef renonce à sa décision. C’est stupéfiant. Les juges ont-ils carte blanche ? Le
devoir de réserve leur est- il opposable ?
M. Darmanin
est quand même allé à la prison pour vérifier les conditions de détention
d’un individu menacé dénommé Sarkozy. Condamné à ce stade de la procédure
certes mais présumé innocent et surtout son ami. La démarche était singulière et
légale. Il a été courageux mais les magistrats n’ont pas digéré la
couleuvre. Le ministre n’a pas suivi leur recommandation, crime de lèse-majesté.
On ne voit pas en quoi les magistrats d’appel qui vont juger M. Sarkozy ont eu leur
indépendance menacée. Ou leur liberté d’appréciation être en péril.
Parmi les
obligations du contrôle judicaire de M. Sarkozy, il lui est interdit de rencontrer
M. Darmanin ministre et ses collaborateurs. Une précaution pour éviter qu’on
lui livre des secrets sur la procédure d’appel ? Les magistrats ne font donc pas confiance à
leurs collègues ou aux hauts fonctionnaires du cabinet du ministre. Et
naturellement ils se méfient de l’élu nommé ministre qu’est Gérald Darmanin.
On est dans un nouvel épisode de la lutte entre les politiques et les juges.
Ou du combat de la grenouille judiciaire qui veut se faire aussi grosse que le
bœuf de l’exécutif. Mais sans avoir de responsabilité dans les actes qu’elle prend.
On se cache derrière l’indépendance de la Justice pour fustiger toute critique
envers ses serviteurs qui eux, ne se gênent pas pour faire connaitre leurs opinions.
On se rappelle le mur des cons.
Les juges d’appel
ont voulu faire d’une pierre deux coups. Le contentieux avec M. Sarkozy n’est
pas nouveau. Mais les juges ont tancé à l’occasion leur ministre M. Darmanin
pour lui rappeler qu’il n’est que de passage et que la Justice est le monopole
des juges professionnels. Si on ne les écoute pas on s’expose à des effets boomerangs.
Plus prosaïquement déchiffré cela veut dire que l’autorité judicaire s’impose
aux autres pouvoirs. Au secours sinon Montesquieu du moins les règles du
Général De Gaulle. Il va bien falloir qu’un jour quand les politiques
seront devenus courageux sans se soucier de se faire réélire, que l’on aborde
le dossier Justice. Pas seulement celui des moyens matériels et des délais. Mais
du statut des juges et de leur rôle dans l’état de droit. Il appartient
aux politiques d’ouvrir ce chantier fondamental dans notre démocratie puisque
la Justice est rendue au nom du peuple français. La Justice doit être
insoupçonnable et efficace. Conditions pour avoir la confiance et pas la censure.
Avec la
décision pour son ami Nicolas, Gérald le ministre de la Justice a reçu le
coup de pied de l’âne. Je me réfère bien sûr à Jean de la Fontaine car la
catégorie des ânes est très étendue, dont moi. Mais la problématique soulevée est
sérieuse. L’âne de Buridan est mort de faim pour n’avoir pas voulu choisir
entre un seau d’eau et un picotin d’avoine à égale distance de lui.