vendredi 16 mai 2025

Revenons aux fondamentaux de la justice

 

                          Revenons aux fondamentaux de la justice

                    Par Christian Fremaux avocat honoraire

En ce moment je suis un peu désespéré par la justice sous toutes ses formes. Je m’inquiète car je sens une dérive dangereuse. J’ai entendu des personnalités politiques dire qu’un non- lieu ou une relaxe ne changeaient rien aux faits qui étaient reprochés et que ce n’était pas la preuve d’une innocence ! Mao Tse Toung ou Trotski sortez de ces esprits. Je cite en vrac quelques interrogations.  

 L’émotion est la base de tout. Les faits deviennent secondaires. L’honneur des uns et des autres est bouleversé sur une simple affirmation. Tout le monde s’en mêle et l’indignation vaut réalité. Attention ce qui arrive à des personnalités peut un jour concerner le quidam puisqu’on ne veut plus de prescription. On pourrait accuser à vie. Naturellement les coupables avérés doivent payer. Les victimes ont droit à réparation ou d’avoir l’esprit libre. Avec des souvenirs qui se révèlent tardivement. Elles n’y sont pour rien. Mais ne cherchons pas des coupables quoiqu’il arrive avec des raisonnements contemporains. La justice n’est ni la vengeance ni la condamnation d’une faute globale ou par inaction. Ni la volonté de créer une société pure et sans tâche. Sinon on ne cessera de sortir du placard les cadavres coupables ou non de l’histoire et on installera la désunion. Ou la repentance perpétuelle.

Quand le parlementaire enquête et enlève son écharpe pour revêtir le costume du juge on est dans la confusion. Si ce n’est dans l’arbitraire puisqu’on veut une Justice indépendante de toute pression. Qu’il s’occupe de contrôler nos finances et de bâtir un budget en équilibre ; qu’il vérifie le fonctionnement des institutions ; qu’il fasse tout pour participer à des débats dignes qui renforcent la nation... Mais qu’il laisse de côté son aspect justicier surtout quand le présumé suspect est un adversaire politique. Et je n’évoque même pas les qualités nécessaires juridiques et judiciaires, le sens du débat contradictoire, des droits de la défense, de la présomption d’innocence et sans juridiction d’appel.  Outre la neutralité et l’impartialité c’est à dire les qualités que l’on exige des magistrats professionnels. Diffamez, insinuez, il en restera toujours quelque chose. On n’est pas dans une instruction judiciaire à charge et à décharge d’où rien ne doit filtrer sous peine de délit !  L’élection ne confère ni compétences ni hauteur. S’il y a eu jadis des manquements collectifs ou des insuffisances voire des « protections » pour ne pas faire savoir, qui sera condamné ?

J’ai écouté M. Bayrou1er ministre mais surtout parent d’élève donc intimement concerné pour le scandale de Betharram interrogé par M. Vannier de LFI plus proche de Fouquier-Tinville que d’un simple procureur membre du syndicat de la magistrature.  M. Vannier a décrété que M. Bayrou avait menti sous serment quelles que soient ses explications et preuves. Il ne cherchait pas la vérité des faits. Il a instruit à charge politique exclusivement.  La commission d’enquête n’en sort pas grandie. Il va falloir revoir ses compétences et sa procédure.

C’est le président Mitterrand qui avait parlé de la force injuste de la loi. Le juge doit naturellement appliquer la légalité, quand il ne l’interprète pas.Il doit mesurer les effets pratiques de sa décision sur les citoyens, sur la démocratie ou sur une future élection. Il ne peut se substituer au peuple. Ou vouloir privilégier telle ou telle victime même si on est d’accord avec lui que le délit ou le crime est odieux. Sinon l’unité de la nation est ébranlée. Le doute s’installe.

On n’ose pas critiquer les juges sauf à être taxé de populiste voire d’extrême. Mais ils n’ont pas toujours raison. Au procès Depardieu ils ont condamné plus sévèrement sous le curieux concept de victimisation secondaire à l’audience parce que l’avocat du prévenu que je ne défends pas particulièrement, aurait eu un comportement outrancier et méprisant pour les parties civiles. Mais on peut tout dire à condition d’avoir du talent. Y compris contester des accusations. Outre que le président du tribunal a la police de l’audience et peut demander à un avocat de se modérer, sous l’autorité du bâtonnier. L’avocat peut et doit être libre de choisir sa stratégie et son expression de défense qu’il pense utiles à son client. Quitte à être contre -productif.

Après 1981 j’ai eu modestement l’occasion de plaider notamment avec ou contre Mes Jacques Vergès ou Thierry Levy pénalistes ténors qui s’attaquaient aux puissants et à l’Etat et prononçaient des plaidoiries de rupture. Féroces et parfois très blessantes pour leurs adversaires, avocats compris. Personne ne les a condamnés pour leurs propos parfois insupportables. Leurs victimes ont encaissé. A l’époque le combat judiciaire n’était pas uniquement émotionnel.   

Les parties civiles ne subissent pas une deuxième victimisation à l’audience car un tribunal juge des faits qui doivent être prouvés, les personnalités et en droit. S’il faut demander pardon et aller à Canossa en ménageant les parties civiles ou les opposants en croyant aveuglement à leurs paroles, la défense ne sera plus ce qu’elle devrait être. Elle doit être ferme et incisive et sans haine. Et subtile envers le malheur réel ou exagéré ou non démontré des plaignants. Les avocats des parties civiles peuvent redresser la barre au lieu de se plaindre de la méchanceté du confrère et remettre en place l’insolent ou l’insultant. On juge le prévenu pas son conseil. Le tribunal n’est pas l’arbitre des élégances et du bon goût ou de la compassion. La défense ne peut être censurée sinon c’est l’Etat de droit qui vacille. La vérité n’est pas univoque.

Dans les affaires sensibles l’avocat est souvent seul contre tous, contre la société, contre la doxa. Faisons en sorte que la défense puisse toujours être présente et s’exprimer. Tout le reste est polémiques stériles.   

Revenons aux fondamentaux. Aux parlementaires la loi et la politique. A la justice neutre et impartiale l’examen de la culpabilité ou de l’innocence. Et le devoir de trancher les litiges qui lui sont soumis. Pas de bâtir une société idéale socialement ou par les mœurs qui d’ailleurs évoluent. Ou politiquement.  Aux avocats la lourde responsabilité de défendre tous ceux qui font appel à eux. Et de choisir leurs arguments.

 C’est ainsi que la confiance reviendra.    

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