jeudi 27 mars 2025

La justice spectacle

 

                                            La justice spectacle

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire

La loi est formelle : l’instruction judiciaire est secrète. Rien ne doit être divulgué des investigations en cours et seul le procureur de la République peut s’exprimer. Les avocats sont soumis au secret professionnel d’ailleurs malmené actuellement pour des impératifs sécuritaires. On leur concède chichement le droit de s’exprimer publiquement dans l’intérêt de leurs clients soupçonnés ou poursuivis ne serait- ce pour qu’il y ait un équilibre avec l’accusation. Les droits de la défense sont cependant les piliers de l’état de droit. Mais entre les dispositions légales qu’il faut respecter sous peine de sanctions et la pratique échevelée, intervient l’opinion publique, cette intruse à chasser, prostituée qui ne doit jamais entrer dans le prétoire car elle tire le juge par la manche, comme le disait l’illustre avocat d’assises Me Moro-Giafferi.

Chaque citoyen honnête est un justiciable qui s’ignore même pour des futilités. On peut être accusé par n’importe qui et de n’importe quoi. Ce qui peut prendre de l’ampleur. Surtout sur des sujets de la vie privée ou les croyances. C ’est la tendance. Je ne parle pas évidemment des délinquants d’habitude ou des criminels y compris mineurs pour qui la justice doit passer et vite et forte. Sans s’affranchir des règles car la société n’applique pas la vengeance.

Les exigences de la société obligent. On doit communiquer même sur rien. On est dans un collectif sincère ou orienté qui veut laver plus blanc que blanc. Pas pour soi car l’individu est innocent pour tout, mais pour les autres. Les mots transparence ou vérité sont dans toutes les bouches. On exige le droit de tout savoir même sur ce qui ne nous concerne pas. Peu importe les lois et les codes notamment celui de procédure pénale qui protège celui qui est accusé présumé innocent et donne des droits aux victimes qui intéressent moins le chaland. Le public est avide de savoir qui a fait le coup et pourquoi. Et de se prononcer.  Les journalistes se prennent pour Rouletabille et font leurs propres enquêtes avec révélations parallèlement à celles des gendarmes ou des policiers. Le voyeurisme judiciaire est la norme. Il y a autant de juges que de citoyens intéressés qui ont un avis !  Les donneurs de leçons de morale pullulent, sans légitimité et peuvent se tromper en toute impunité. Ils projettent leurs inimitiés et sectarismes. 

En ce moment on assiste à un spectacle vivant dans les palais de justice assimilés à des théâtres. Je ne parle pas de Me Dupond-Moretti passé du rôle d’avocat talentueux avec ses propres textes à celui de ministre plus controversé avec éléments de langage. Il nous explique les coulisses de son oui à M. Macron alors qu’il disait non depuis des années à tous les honneurs. Mais seuls les sots (garde des sceaux ?) ne changent pas d’avis.

Dans une histoire dramatique qui n’est pas une comédie, M. Depardieu s’explique devant les juges et semble de pas savoir définir en droit une agression sexuelle. On lui fait confiance pour la pratique. Il a de l’expérience. Il y a la présence d’une plaignante victime de l’acteur mais qui ne se rappelle plus vraiment dans quelles circonstances. En demandant d’être crue sur parole. Les avocats s’affrontent devant les caméras.  Je ne connais pas ce que dit le scénario pour la fin judiciaire. Et j’ai fini de manger mon sachet de pop-corn.

 M. Sarkozy est un habitué du palais comme avocat bien sûr mais surtout dans son rôle de politique. Un ancien président de la République qui comparait pour répondre d’éventuelles infractions de droit commun, avec des seconds rôles anciens ministres tous prétendus complices, l’affiche est belle. Mais comme citoyen elle me désole car à travers l’ex- chef de l’Etat c’est le citoyen qu’on atteint. Surtout si le prévenu est reconnu coupable.   

Et on attend le jugement pour Mme Le Pen.

 Ce qui se joue au palais de justice est une fête en pleurs. Les puissants sont rabaissés. Ce qui rassure les misérables ou les simples quidams. Personne ne peut échapper au respect de la loi. La justice devra être exemplaire. Mais je ne sais pas si la société se portera mieux ou si telle ou telle décision ne fracturera pas plus la nation ?  

On connait l’affaire du petit Gregory depuis des décennies qui s’est perdue en justice. J’espère qu’on fera mieux avec celle du petit Emile qui éclipse tous les autres sujets de l’Ukraine à Gaza, de la dette publique à la censure. Jusqu’à l’âge de la retraite. Le pays s’est arrêté de vivre. Son cœur bat avec les péripéties de la famille Soleil nom du garçonnet. On s’interroge sur le grand-père qui serait bizarre dans son comportement et sa foi. Ce qui n’a rien à voir a priori directement avec le crime. Les journalistes dénoncent presque le fait de n’avoir pas été autorisés à mettre un micro et filmer dans les locaux de la garde à vue. Et que les quatre personnes entendues ont été libérées sans charges, intrigue.  Ce qui n’est que l’application de la loi.

L’émotion et le parti pris n’aident pas la justice qui ne défend pas une cause. Elle doit caractériser des faits qui sont prouvés et en tirer les conséquences. Prévues par la loi. Elle n’est pas là pour bâtir une société telle que certains voudraient qu’elle soit. Elle juge au nom du peuple français qui est divers. Elle doit mesurer les conséquences de ses jugements dans le cadre du pouvoir d’appréciation qu’elle détient. Les juges sont des hommes et des femmes avec leurs convictions personnelles, sinon leurs engagements. Ils doivent les surpasser ce qui est très difficile.

Dans un procès il y a souvent deux mécontents : celui qui a gagné mais pas assez et celui qui a perdu et pense que le tribunal n’a rien compris. Dans le procès pénal il y a la satisfaction ou non des victimes .Et l’innocence ou la culpabilité du prévenu.  L’accusation représente la société mais ne peut jamais être gagnante puisqu’elle est la voix de l’intérêt général donc des citoyens et ne demande rien pour elle. 

Ne transformons pas la justice en jeu du cirque.     

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