vendredi 14 mars 2025

Le droit malléable

 

                                                        Le droit malléable

                          Par Christian Fremaux avocat honoraire

Le droit doit apaiser les esprits et résoudre les conflits. Est -ce le cas ?

Le droit interne comme international réserve des surprises. Rien n’est jamais sûr et définitif puisque soit la loi ne prévoit rien d’affirmatif, soit elle est interprétée par des juges outre les diplomates, soit elle dépend de rapport de forces ou de circonstances, sans oublier les arrière -pensées. Tout le monde est de bonne foi et s’estime juste.  L’insécurité juridique et judiciaire ne sera pas corrigée par l’intelligence artificielle car ce sont des hommes et des femmes avec leurs subjectivités, leurs vérités et leurs défauts qui auront le mot final surtout dans la société globalisée où de vieilles rancœurs ressurgissent.   

Le citoyen qui est perdu dans un monde qu’il ne maitrise pas et qui va trop vite pour lui essaie de savoir si telle information est vraie ou non, et si ce qu’il a entendu comme vérité le matin est confirmé ou démenti le soir. Est- ce que la décision prise est légale ? Le droit est devenu malléable car l’émotion submerge la raison.

 M. Bayrou quand il était haut-commissaire au plan n’avait rien vu venir et surtout pas une économie de guerre. Sans penser qu’il serait premier ministre. Il faut désormais se mobiliser. J’ai ressorti du grenier mes galons de caporal -chef quand je faisais mon service militaire à Balard Paris 15ème, dans les bureaux. Et il va falloir produire plus d’armement.  Donc recréer des industries. Le concours Lépine va commencer pour trouver de multiples milliards d’euros. Des magiciens vont nous expliquer comment les fabriquer sans les rendre et sans aucun préjudice pour personne. Il y aura de l’impôt virtuel devenu patriote. Et de l’épargne militarisée. Sans toucher à l’Etat providence ?  

 Il faut ajouter des moyens au combat fondamental déjà existant sur le plan intérieur (terrorisme et islamisme radical avec violences individuelles) et financer sur le plan extérieur puisque la menace est réelle. La crainte est peut -être exagérée ? Mais le principe de précaution s’impose :  on doit combattre les deux en même temps. Va- t -on voter des lois dites d’exception qui seront immédiatement taxées de liberticides et de va -t -en guerre. Et si on ne faisait rien et que la prophétie se concrétise ? « Père gardez -vous à droite père gardez- vous à gauche » a dit Philippe le hardi futur duc de Bourgogne lorsque son père le roi de France Jean Le Bon a été défait lors de la 3ème bataille de Poitiers en 1356.

Prenons un exemple chaud de question juridique à résoudre entre Etats.  

Pour accélérer une paix forcée qu’on espère durable, on entend des éminents juristes affirmer qu’il est possible de s’approprier de fait les intérêts sinon la propriété des sommes et des biens qui ont été confisqués aux autorités Russes qui sont l’agresseur. Et donc des hors- la -loi. Ce serait aussi moral ? Et de les mettre à la disposition des Ukrainiens, sinon indirectement de l’Union Européenne qui va les utiliser. D’autres aussi savants jurisconsultes crient au scandale et expliquent que le droit international interdit une telle spoliation en raison de l’immunité des Etats. L’illégalité justifie-elle le non-respect du principe ? Une nation doit- elle être malhonnête comme les voyous ?  Cette sanction serait en outre contre- productive : qu’aurions-nous à  proposer aux russes pour les victimes comme deal sonnant et trébuchant si on a dilapidé leurs sous ?  

 Notre assemblée nationale a adopté une résolution sur la confiscation, comme pour les biens mal acquis, avec les pour et les contre ! Le droit est flexible en politique.

 Le droit international est à géométrie variable et dépend de la puissance des Etats. D’autant plus que l’ordre d’après -guerre vole en éclat, qu’il n’y a pas eu la fin de l’histoire en 1989, et que des puissances émergent ou renouvellent des ambitions anciennes. Le territoire européen n’a pas apporté une paix irréversible. Et la solidarité ?

 Les juridictions internationales et la communauté des Etats démocratiques surtout vont devoir revoir leurs corpus juridiques et ce qui était considéré comme du droit acquis. Et d’autant plus que des Etats ne jouent plus le jeu de leurs obligations comme avec les OQTF. Ou le respect des souverainetés. En entamant des guerres en toute conscience plus ou moins éclairée et en écartant les prohibitions publiques.     

Observons un autre exemple de droit mouvant tiré d’un récent contentieux français.

Après large concertation pendant des années il avait été décidé de construire l’autoroute A.69. Cela engageait des millions d’euros. Les autorisations administratives ont été données et le chantier a commencé. Un peu hâtivement a priori ? Mais le tribunal administratif saisi plusieurs fois en référé a validé les travaux qui ont été exécutés à près de 70 %. Et brutalement sur le fond des mois plus tard à la requête d’associations défendant l’environnement et estimant que ce projet n’avait aucune utilité, le tribunal administratif a annulé les arrêtés des préfets du Tarn et de Haute Garonne faute" d'intérêt public majeur". Et de risque sur la bio- diversité. L’aspect positif économique est rejeté. Chacun appréciera le vague du motif principal qui au -delà du droit et de son respect dépend de l’appréciation de chacun...On aurait pu s’en rendre compte plus tôt. Il y a appel avec demande de reprise des travaux ! Une cour administrative d’appel peut déjuger un tribunal administratif. C’est la beauté de la justice. Et l’insécurité judiciaire dans toute sa splendeur. C’est du droit chewing- gum.

Compte tenu des contraintes et menaces actuelles, il n’est pas question de remettre en cause l’état de droit avec la hiérarchie des normes, des élections libres, une séparation des pouvoirs avec une justice indépendante. C’est la démocratie. Mais il n’est pas interdit de revoir le droit, de voter des lois plus soucieuses du collectif, de redéfinir ce qu’est l’intérêt général qui n’est pas la volonté de bâtir une société telle qu’on voudrait qu’elle soit. En considérant que la collectivité a le droit de se protéger et de prendre des mesures qui profitent au plus grand nombre.  La sécurité juridique fait partie de la protection des citoyens.

 Salvador Dali a peint les montres molles. On voudrait que les juges nous donnent l’heure exacte et ferme.

       

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