L’Etat
et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?
Par Christian
Fremaux avocat honoraire.
Les années
passent et se ressemblent. Désormais le pire succède au pire mais il faut agir,
l’Etat est attendu. Par moment on
s’interroge et on se demande où est l’intérêt général, qui le défend, et on
voudrait savoir si l’Etat est au service des particuliers/citoyens et électeurs
ou s’il a une mission plus globale ? On se rappelle l’apostrophe énervée d’un gilet
jaune à M. Macron venu discuter : « vous êtes mon serviteur ! » ce
qui résume l’état d’esprit ambiant et le peu de considération que l’on a envers
les autorités publiques, même si on peut comprendre le désarroi de certains et
leur précarité. Il en est de même en matière de justice : celle-ci doit-elle
avoir pour mission principale de préserver les intérêts supérieurs de la nation,
conforter les valeurs républicaines et traditionnelles du droit positif ou
doit- elle faire droit uniquement à des demandes particulières
puisqu’elle doit répondre aux questions qui lui sont posées quitte à
remettre en cause la cohésion morale ou de conscience en créant
la polémique ? En un mot à quoi sert l’Etat sous toutes ses formes :
pour qui gouverne-t-il ?
M.
Jospin premier ministre avait dit que l’Etat ne peut pas tout. Il a trainé
cette vérité comme un boulet car on lui a reproché de ne vouloir rien faire. Il
y a quelques années assez récentes on disait que l’Etat devait être minimum,
qu’il fallait revoir son périmètre pour le réduire aux fonctions
régaliennes et ainsi diminuer drastiquement les dépenses publiques. Il y avait
plus ou moins consensus sur cette nécessité. Mais la crise de 2008 puis celle du
covid-19 notamment couplée à la crise de la sécurité (ou de l’insécurité selon
les sensibilités), à l’économie qui rame, à l’anxiété qui fait douter et la
demande des citoyens ont tout remis en cause.
Le même
reproche d’impuissance de l’Etat à trouver des solutions concrètes et rapides revient
avec les dépôts de bilan liés (ou non) à la crise sanitaire. Comment va-t-il
les empêcher ? M. Tapie ministre voulait une loi qui interdise les
licenciements : est-ce envisageable ? L’Etat conseillé par des éminents et très
nombreux experts épidémiologistes n’arrive pas à faire disparaitre le virus - à
l’impossible invisible nul n’est tenu - ou à trouver des bonnes mesures sans
confinement généralisé. On le critique sévèrement et on engage des poursuites
pénales contre les ministres. On a déjà saisi les juridictions pour dénoncer
les insuffisances du gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement
climatique.
Quand la
société Bridgestone annonce qu’elle fermera en 2021 son usine de Béthune qui
est la moins rentable du groupe selon la direction, on se tourne illico vers
l’Etat. L’émotion est à son comble ce qui est légitime pour les salariés qui
perdent leur travail, et les politiques emploient les qualificatifs les plus durs
voire les insultes pour dénoncer des dirigeants de l’usine sans cœur et profiteurs
d’argent public sans contrepartie avérée. Le gouvernement s’écrie qu’il « fera
tout » pour sauver les emplois, sans dire quoi, comment, selon quel coût
et quand. On le sait bien : en matière industrielle privée l’Etat ne peut
que gesticuler et aider : il ne dirige et ne décide pas, et quand
il est actionnaire d’une entreprise il n’est pas compétent pour
gérer. Les travailleurs et leurs
syndicats ne l’ignorent malheureusement pas : faute d’une perspective industrielle
ou d’une reconversion réelle en concertation avec ceux qui font tourner la
boutique le site risque de disparaitre. L’indignation médiatique a payé
provisoirement : les ministres concernés sont allés sur place et un accord
de méthode permettra pendant 5 mois de négocier. Mais la direction de
Bridgestone n’a pas renoncé. Les pouvoirs publics n’ont pas gagné.
L’Etat n’est ni magicien ni doté de pouvoirs
de coercition contre des dirigeants d’entreprise. On se rappelle un candidat
devenu président de la république perché sur le toit d’une camionnette qui
avait dit qu’avec lui élu, le site ne fermerait pas. C’était ArcelorMittal à
Florange en 2012. On avait promis une loi. Les promesses n’engagent que ceux
qui y croient disait Raymond Barre. On peut citer d’autres exemples, mais je ne
veux pas faire perdre le moral à quiconque car il faut être volontariste. La conclusion navrante est que toujours en
2020 l’Etat ne peut sauver tous les emplois et donc les particuliers et je le
regrette profondément. Il doit travailler en amont et en permanence en
ayant des politiques plus préventives. On ne fera croire à personne que la
situation de Bridgestone n’était pas connue : je crois qu’un accord de
compétitivité a été proposé aux syndicats début 2020 qui a été refusé
certainement pour des bonnes raisons. C’était à ce moment qu’il fallait
agir. Et il semble évident qu’il faut donner aux autorités décentralisées
régions comme départements, plus de moyens en matière économique voire sociale,
pour trouver des solutions locales. L’Etat a la charge de l’intérêt général
mais il n’est pas interdit qu’il en confie aussi la responsabilité aux
élus de terrain avec l’aide des services déconcentrés que le préfet
dirige. L’intérêt général se nourrit de
la cohésion sociale, des intérêts des particuliers, et de l’humain avant peut
être de la finance et l’équilibre d’une société à vocation mondiale. Une nation
doit avoir un Etat fort et respecté : mais il doit faire la preuve de son efficacité
au profit de tous les citoyens.
En matière
de justice le débat est récurrent sur le « pouvoir » des juges
(notamment en matière pénale mais ce n’est qu’une petite partie des
contentieux) et pour savoir si une décision ne fait pas droit à un particulier s’il
s’agit ou non d’une décision liberticide ? Les juges ont- ils une
obligation de résultats ou ont- ils - ce que j’espère et crois - une libre
appréciation même si elle n’est pas favorable ? Peut- on faire de la peine
à un justiciable qui mène un combat que l’Etat n’a pas abordé ? Cela éviterait de revenir à
l’éternel débat sur l’indépendance des juges ! Je cite un cas
d’espèce tiré de l’actualité qui m’a ouvert des abîmes de réflexion, mais je ne
suis qu’un vieux conservateur. Je résume
au mieux les faits et je m’excuse de mes raccourcis.
Un monsieur
a eu deux enfants avec sa femme. Puis étant transgenre il est devenu lui-même
femme ce qui a été transcrit à l’état civil conformément à une loi de 2016.
Toujours marié il avait eu avec sa femme un troisième enfant en 2014 car
il n’avait rien perdu de ses attributs virils. Il a voulu aller encore
plus loin et que pour l’état civil de son dernier enfant l’administration
l’inscrive comme mère. Il y a eu conflit d’où la saisine des juridictions. La cour d’appel de Montpellier a quasi fait
droit à sa demande en lui conférant un statut inédit : celui de «
parent biologique ». La cour de cassation a été saisie et par arrêt du 16
septembre 2020 elle a cassé l’arrêt de Montpellier en renvoyant le dossier
devant une autre cour d’appel, en considérant que la filiation pouvait être
reconnue par la voie de l’adoption, et que dans l’intérêt supérieur de l’enfant
on ne pouvait accéder à la demande. Elle a donc refusé le statut de mère à un
homme devenu femme.
L’avocat du
monsieur/dame et l’association qui soutenait son combat ont crié à une
« violation des droits et libertés essentiels » et que la cour
européenne des droits de l’homme de Strasbourg serait saisie au plus vite. Je
ne me prononce pas sur le fond humain de ce dossier et je respecte les
motivations profondes du demandeur mais je m’interroge sur l’aspect égalité
humaine du jeune enfant surtout pour son avenir et ce qu’il pensera quand
il sera adulte : l’enfant n’a -t
-il pas droit à avoir un père et une mère comme ses ainés, et non pas deux
mères , sujet vaste par ailleurs avec des projets législatifs en cours sauf
erreur ? Plus sérieusement juridiquement
ce procès pose la question des droits de la société puisque on peut tenter de
remettre en cause les fondements en droit de la filiation et de l’état civil. Les
droits individuels ont -ils vocation à être illimités seraient -ils en
contradiction avec les tendances lourdes de la société et de la majorité
silencieuse. La cour de cassation semble
avoir voulu dire que la vie privée ne peut pas prendre le dessus sur le droit
existant qui concerne tout le monde.
La
question est : l’Etat à travers sa
justice rendue au nom du peuple français peut- il faire droit à toutes les
demandes quand la loi est muette, avec des requêtes infiniment rares comme
spécifiques pour satisfaire l’envie irrépressible et de bonne foi d’un
individu ? On sait que des militants plaident pour la disparition des termes
père et mère ; veulent dégenrer les cours d’école, imposer l’écriture
inclusive et se réservent d’autres nouveautés qu’ils estiment progressistes.
L’Etat pouvoir exécutif par ses décisions
propres ou à travers la justice – « simple » autorité judiciaire-
doit- il être un distributeur automatique de droits nouveaux ou un
justicier (masqué évidemment) si la morale ne coïncide pas avec le droit ou des
besoins pragmatiques comme le maintien de l’emploi ? Doit-il confier le soin
aux juges dans leur indépendance de créer des règles en évitant ainsi des
débats publics dans des domaines délicats qui engagent l’avenir comme par
exemple la bioéthique qui touche à la morale personnelle, à la conscience de
chacun, et qui peut bouleverser notre société ? « Il ne faut toucher
aux lois que d’une main tremblante » a écrit Montesquieu. La justice n’est
pas un laboratoire d’idées ou un substitut au peuple qui ne s’est pas exprimé
sur un sujet donné.
Et l’Etat
peut de moins en moins d’où l’urgence de le réformer en profondeur, de ne lui
confier que ce qui est vital, qu’il garantisse l’état de droit et le fonctionnement
des institutions, et assure la redistribution pour ne pas oublier les plus faibles.
On doit pouvoir avoir confiance et faire participer la société civile à l’intérêt
général qui n’est pas le monopole exclusif de l’Etat. Celui-ci a le devoir de garder les intérêts
collectifs supérieurs de la nation et de ne pas s’aventurer sur des chemins
sinueux qui conduisent à l’inconnu. Il n’est le serviteur de personne, il doit
rester le maître même si certain(e)s trouvent cette appellation connotée y
compris… pour les avocats ! On progresse !
Cessons de
demander tout à l’Etat ou à la justice qui d’ailleurs « rend des arrêts et
non des services » comme le déclarait jadis le 1er président de
la cour d’appel de paris et pair de France Antoine-jean Séguier.