2019
année judiciairement excentrique ?
Par Christian Fremaux
avocat honoraire et élu local.
Serge
Gainsbourg avait chanté 1969 année érotique. 2019 sera-t-elle celle de la
justice excentrique au sens du renouveau, de l’inédit, de l’extravagance ?
C’est moins sexy mais plus démocratique car l’actualité judiciaire permet de
croire à un nouveau départ concernant l’indépendance des juges.
Depuis la fin
du 19ème siècle comme l’avait dit le chancelier Séguier premier
président de la cour d’appel de paris, on a affirmé que « la justice
rend des arrêts et pas des services ». On n’y a jamais cru et le français
moyen a toujours été persuadé que la justice était au service du pouvoir en
place et qu’il y avait deux poids et deux mesures selon la qualité de celui qui
comparaissait devant les juges. Les polémiques et les scandales ont été de
toutes époques et la justice a été beaucoup critiquée. Les juges ont été dans
le collimateur certains d’entre eux ayant pris des positions politiques à
l’encontre de telles ou telles catégories sociales et fait et cause pour des
candidats aux élections présidentielles. On a eu le sentiment que certains
étaient moins égaux que d’autres devant la justice ou que celle-ci interférait
dans le processus démocratique ou voulait instaurer un gouvernement des juges
par le droit. C’est parfois vrai il faut être honnête, mais la très grande
majorité des magistrats fait son devoir qui est d’appliquer la loi comme elle
existe, de l’interpréter s’il y a un vide juridique, et exerce leurs fonctions
en mettant de côté leurs sentiments personnels. Nul n’est parfait dans aucun
métier mais il n’est pas utile de soupçonner tous pour tout, sans aucune preuve
et parce que cela nous arrange. Les juges prennent des décisions au nom du
peuple français qui est actuellement divisé sur le plan philosophique, économique,
social et identitaire ce qui complique la tâche de ceux qui doivent trancher
parfois du sort d’un homme ou d’une femme ou d’un problème sociétal, et qui se
réfèrent alors à la loi votée par les majorités politiques successives.
La loi de
jadis a parfois été obscure ou floue ce qui a pu entrainer des pratiques que
l’on ne supporte plus moralement aujourd’hui .Par exemple, les emplois
familiaux au bénéfice des parlementaires, les fonds secrets ou les valises de
billets qui alimentaient les campagnes électorales ; divers abus avec
l’argent public ; des cumuls de mandat qui permettaient d’accroitre ses revenus ;
de la fraude en général selon le principe que tout ce qui n’est pas
formellement interdit est autorisé. Mais on avait le sentiment que les personnes
éminentes les politiques en particulier étaient épargnées par la justice et qu’elles
disposaient d’un traitement de faveur. D’où l’interrogation négative sur
l’indépendance des juges bien qu’il y a eu de nombreuses condamnations sévères
de politiques : mais on considérait qu’il y avait faute personnelle et que
c’était une exception. Depuis plusieurs
années désormais le vent a tourné et les juges ont décidé d’aller au bout des
dossiers quand il y a des faits avérés même si les procédures sont très lentes.
Les médias
ont joué un rôle ambivalent puisque certains d’entre eux se sont lancés dans la
dénonciation tout azimut en faisant leurs propres recherches sans observer la
présomption d’innocence ou les droits de la défense, et en alertant le procureur-
qui se sent alors obligé d’ouvrir une enquête judiciaire- de ce qu’ils avaient trouvé
sans révéler leurs sources qui peuvent être aussi intéressées. Ils sont devenus « auxiliaires de justice »
sous les beaux noms auto-attribués de lanceurs d’alerte, ou de défenseurs de
l’intérêt général au nom de la transparence et du devoir d’information. Le
tribunal médiatique se réunit sans attendre la vérification par les juges des
faits révélés et la confirmation ou non qu’il y a des infractions en droit. C’est ainsi que l’on est arrivé au summum de
la justice participative : M. De Rugy le mangeur d’homard alors qu’il n’y
avait aucune poursuite judiciaire ni même de plainte sauf erreur de ma part ni
préjudice exigeant une réparation, a démissionné de son poste de ministre. Il
est allé de lui-même plus loin que la jurisprudence de M. Balladur qui exige
qu’un ministre mis en examen démissionne. Jusqu’où ira-t-on ? On n’a pas
eu besoin des juges pour faire partir illico -presto un homme politique
qui est redevenu député, il ne faut quand même pas exagérer la punition !
L’indépendance
de la justice est un serpent de mer, sachant par ailleurs que le statut
des procureurs pose problème comme l’a indiqué la cour européenne des droits de
l’homme, puisqu’ils sont nommés par le garde des sceaux dans certaines
conditions. De mon point de vue un gouvernement a besoin de porte-paroles
judiciaires pour faire appliquer sa politique pénale nationale, pour éviter des
pratiques locales diversifiées.
L’année 2019
semble être un bon cru pour démontrer l’indépendance des juges. M. Tapie a été
relaxé, tandis que M. Balkany a été condamné avec mandat de dépôt à la
barre. M. Bayrou qui avait porté la loi
de moralisation de la vie publique, et avait démissionné de ses fonctions de
ministre de la justice, a été rattrapé par les mêmes faits et a été auditionné
par un juge d’instruction comme son amie du modem Mme Goulard qui vient d’être
nommée par le président Macron commissaire européen. M.Le Pen le père de 91 ans
a été mis en examen comme M.Ferrand président de l’assemblée nationale. Aucun
camp politique n’a donc été privilégié dans la quête de la vérité judiciaire
des juges. Et je n’évoque que les personnalités les plus célèbres. D’autres
élus grands ou petits y compris du « nouveau monde » politique sont dans
les starting- blocks des juges, ou vont comparaitre devant un tribunal dans les
semaines ou les mois qui viennent. L’année 2020 verra la comparution d’éminents
politiques devant le tribunal correctionnel comme de vulgaires voyous : MM.
Fillon et Sarkozy donneront leur version de leur innocence chacun pour des
faits différents. Tout ceci donne à penser que les juges se déterminent en fonction
des faits et des dossiers et non en fonction de la tendance politique de celui
ou celle qui est poursuivi. On sait d’ailleurs qu’officiellement en droit
le(la) garde des sceaux ne peut plus donner d’instructions individuelles dans
les dossiers. Il doit rester neutre. M.Mélechon qui va s’expliquer devant
le tribunal correctionnel de Bobigny à la suite de son comportement lors de la
perquisition de son parti la France insoumise ne crie plus au complot du
gouvernement depuis que M.Ferrand pilier du parti gouvernemental LREM a été mis
en examen. Il se contente d’hurler au procès politique comme pour Lula au
brésil ou d’autres dans le monde, ce qui veut dire que les juges français auraient
pour mission d’éliminer judiciairement tout opposant. Tout ce qui est excessif
est insignifiant disait le prince de Talleyrand- Périgord. On a le droit de maudire ses juges quand ils
rendent un jugement qui nous parait injuste mais pas de les accuser d’être
partiaux ou aux ordres avant même les débats. Et que dira M.Mélenchon s’il est
relaxé ou condamné à une peine minuscule, je ne dis pas pour « l’exemple » car
le jugement Balkany a mis en exergue cette
sanction discutable.
La justice
doit être juste et équitable et tenir compte de la personnalité de la personne
jugée avec sa part d’ombre et ce qu’elle a fait de bien. Elle ne doit pas payer pour tous les autres
qui sont passés à travers des poursuites et baliser l’avenir à titre
préventif. N’en jetons plus la cour (de justice) est
pleine. L’indépendance des juges me parait avérée ce qui ne veut pas dire
qu’ils ont toujours raison dans leurs jugements, et que leurs motivations en
droit et en morale sont inattaquables. Chacun apprécie selon sa sensibilité.
Nous avons
besoin de juges compétents, motivés et respectés dans un état de droit. La
justice aura gagné quand ses décisions ne feront plus débats, et qu’on ne parlera
plus de l' indépendance des magistrats. Nous avons
besoin d’une société de confiance qui sanctionne ceux qui trichent quel que
soit leur position sociale ou qui abusent de leurs fonctions publiques pour
s’enrichir directement ou indirectement. Vive l’indépendance des juges et que
d’autorité la justice devienne pouvoir. Que 2019-2020 donne le départ d’une nouvelle
considération de la justice.