mardi 18 juin 2019

Passer le bac ? à mon âge j’échouerai !


                                 Passer le bac ? à mon âge j’échouerai !
                     Par Christian Fremaux avocat honoraire  et élu local.
Je viens de lire dans la presse du 17 juin 2019 les sujets proposés aux élèves qui passent le bac et je constate qu’en philosophie c’est difficile. Je me réjouis que nos jeunes réfléchissent de manière générale sur les valeurs, les concepts, et sortent intellectuellement de la machine électronique, des algorithmes , de l’intelligence artificielle et du business  .  L’avenir leur appartient et ils doivent s’échapper de la lutte matérielle ou plutôt l’alimenter par l’humanisme. Nous avons besoin d’une nouvelle génération qui s’engage partout en ayant en tête que l’homme est l’alpha et l’oméga, que la vie n’est pas faite que de statistiques et de courbes (sauf celles des femmes si je puis dire sans  que les féministes me poursuivent), qu’il n’y a pas que l’avantage matériel  comme but ultime, et que la vie en société repose aussi sur de l’éthique, des règles collectives librement acceptées, de la tolérance, de la discussion plutôt que de la violence, et de la recherche d’une finalité commune. Bien sûr c’est facile à dire quand comme moi on est arrivé non pas à la fin du parcours car je reste optimiste sur ce point, mais qu’on en a vu beaucoup, que l’on a connu échecs et quelques réussites, que l’on s’est fait une sorte de philosophie personnelle de la vie et de la nature humaine avec son côté sombre aussi,  que l’on est moins agressif ou ardent et que l’on relativise. Quand on a 20 ans on en veut toujours plus, on bataille, on clive, on polémique, on pense  avoir raison, on trouve les vieux ringards, les parents dépassés, et on fonce car on y croit.  Cependant c’est Paul Nizan qui disait : « J’avais 20 ans.  Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme, l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes…». En justice devant la cour d’assises quand il y a un crime passionnel on dit qu’on a toujours 20 ans. 
Parmi les sujets proposés à nos apprentis philosophes - je n’en menais pas large quand j’ai été à leur place -certains m’ont intéressé car ils vont conditionner les comportements dans  les futures années. On leur a demandé : « reconnaître ses devoirs est -ce renoncer à sa liberté » ? ou «  les lois peuvent -elles faire notre bonheur » ? ou encore  « la morale est-elle la meilleure des politiques ? ». Je me garderai bien de répondre directement à ces questions, car je n’ai pas la culture qui est ce qui reste quand on a tout oublié de nos garçons et filles qui ont bûché toute l’année et peuvent citer les grands auteurs à l’appui de leur raisonnement. Je ne suis personne pour donner des conseils et produire un corrigé qui fasse autorité. Simplement après 45 ans de barreau , de  nombreux mandats municipaux, et de vie personnelle et professionnelle où j’ai croisé beaucoup de gens de toute confession,  des quidams, des engagés, des politiques, des importants par leurs fonctions,  des modestes y compris exerçant des postes à responsabilités, des bandits, des escrocs intellectuels, des utopiques…  j’ai quelques idées de base pour tenter de vivre dans l’union sans avoir une  logique  binaire et croire que tout est blanc ou noir, voire simple ou imaginer que les faits qui sont têtus doivent se plier à la théorie.
La vie en société repose sur le rassemblement des bonnes volontés, de l’enthousiasme, de l’effort, de la reconnaissance du mérite, de l’exemplarité, de la certitude  de participer à un destin commun, et de savoir limiter ses exigences. Il ne peut y avoir de réussite collective sans quelques sacrifices, et même si l’idéal de perfection reste à atteindre  la grandeur de l’individu est d’essayer et d’apporter sa pierre à l’édifice. Notre société est actuellement fracturée, et ceux qui ont été au pouvoir ou l’ont approché depuis des dizaines d’années, ont  la responsabilité de l’échec.  J’y prends ma part.
 On déplore l’individualisme forcené  et on se demande comment y remédier alors que l’on a voté de bonne foi  des lois  qui peuvent le renforcer et on continue  pour donner toujours plus de droits pour éviter du prétendu racisme ou de la discrimination que l’on voit partout, à des minorités agissantes ou à des groupes de pression de toute nature (religieuse ou  diverse) ou dans une idéologie quelconque telle  l’écologie plus politique que verte dont on ne sait pas comment les intégrer pour que la majorité silencieuse de la nation les accepte. Cela conduit au règne des droits personnels et au communautarisme, à la dictature de l’émotion  et à la mise au ban par les bien-pensants auto-déclarés si on n’est pas d’accord avec des affirmations non démontrées et des pétitions de principe. Au nom de la liberté et de l’égalité on interdit la contradiction et on s’offusque que l’on puisse résister à ce qui serait le progrès, comme si toute mesure nouvelle était un progrès donc tendait vers le bien. L’individu n’accepte plus que l’on ne satisfasse pas immédiatement ce qu’il veut , son caprice, son ambition personnelle ( on le voit en bioéthique) sans se demander si son désir ne va pas à l’encontre de la construction de notre société qui vient de loin avec ses valeurs, ses traditions, ses lois, ses coutumes. On ne parle que de droits de l’homme dits désormais droits humains pour ne pas oublier la femme, parité oblige !  en niant  les obligations  du citoyen qui sont des devoirs. Je ne sais pas comme on l’a demandé à nos futurs bacheliers s’il faut « reconnaître » ses devoirs : ils sont c’est tout et il faut les exercer. Les devoirs ne sont pas une matière inactive, théorique que l’on connait sans plus, le pendant des droits qui eux sont positifs et doivent être appliqués pour exister. Le devoir est une obligation particulière et concrète ce à quoi on est tenu par respect d’un texte, d’une loi, de la raison ou de la morale , de sa profession ,de ses responsabilités. Comme l’a écrit Platon  dans le dialogue entre Socrate et  Criton sur la justice et l’injustice, le devoir d’obeïssance aux lois de la cité interdit par la raison  à Socrate de s’évader puisque il a été mis en prison . On lui conseille de fuir avec des arguments pertinents. Il résiste et affirme : « peu importe l’opinion publique…la seule question qui vaille est celle de savoir s’il serait juste ou non de s’enfuir (alors qu’il y a eu une décision de justice)». On connait la réponse  : on ne  se résoud pas à l’injustice par une autre injustice . Socrate ne s’évada pas et  avala la ciguë.  On parle peu des devoirs à notre époque , à peine pour aller voter et éviter de l’abstention massive ce qui met notre démocratie en danger. On ne peut vivre avec des mouvements de foules permanents, une contestation de la représentation par du vide, de l’opposition du peuple et des prétendues élites, et du dégagisme dans tous les domaines.
Liberté et  devoir sont -ils antinomiques ?
La liberté c’est l’absence de contraintes alors que le devoir s’impose à nous, avec une obligation d’agir.  Reconnaître c’est identifier ou distinguer ou admettre. Nos devoirs sont connus, on nous les a enseignés  ou transmis par nos parents, et on ne peut les ignorer dans la république. Reconnaître ses devoirs , c’est avant tout les accepter en ce qu’ils sont et en leurs dimensions,  et considérer qu’ils sont à égales valeurs avec nos droits. Les uns ne vont pas sans les autres, sinon c’est le déséquilibre qui conduit au désordre. Ce n’est en rien amoindrir voire effacer notre liberté car il ne peut y avoir  l’existence de libertés individuelles comme publiques que dans un état de droit où il y a des règles à suivre obligatoirement qu’on le veuille ou non. Et des contraintes collectives. Si l’on prend la sécurité première des libertés dit -on , avec le terrorisme, n’est-il pas naturel de limiter même à la marge nos droits dans l’intérêt de tous ; d’accepter de respecter des règles votées  démocratiquement par le parlement pour  que d’éventuelles victimes  – des morts ou blessés -soient épargnées.  Etre un sujet libre exige d’être aussi un citoyen lucide et responsable soucieux du collectif. La liberté s’arrête là où commence celle des autres. A défaut c’est le chaos dont il faut tirer un ordre public juste pour éviter l’état sauvage ou la loi du plus fort. On ne renonce donc pas à la liberté en respectant son ou ses devoirs. On la renforce. C’est le sens de l’engagement volontaire.
En matière de lois nous ne sommes plus dans un choix personnel.  Selon les principes de Montesquieu et de la séparation des pouvoirs, ce sont nos parlementaires, assemblée nationale et sénat, qui fabriquent la loi qui est l’ émanation de la volonté générale et de la majorité du peuple, en théorie. J’écris en théorie car la loi est la résultante de ce que le président de la république élu a promis pendant sa campagne électorale et que les parlementaires élus  à sa suite ont proposé comme programme. Mais on s’aperçoit désormais qu’appliquer ses promesses pose problème, y compris parfois dans la majorité.  On voit que le président élu a un socle électoral très faible de l’ordre du quart des électeurs qui ont adhéré au premier tour, et est élu au deuxième tour par des coalitions hétéroclites qui font surtout barrage à un candidat. La loi devient donc la conséquence de cette fausse union, et il s’agit de textes de compromis où il faut fâcher le moins de citoyens possible. On assiste à l’élaboration de lois  nécessaires mais curieuses après débats comme par exemple la loi anticasseur votée récemment que l’on a qualifié de « liberticide » pas moins.  La droite républicaine- qui faisait illusion avant le résultat désastreux  des européennes-  n’a pas vraiment soutenu le texte qu’elle avait elle- même initiée, et la majorité au pouvoir n’a pas fait le plein de ses voix sur ce texte qui touchait aux libertés fondamentales, dans l’intérêt de la sécurité. Et c’est le président Macron qui a saisi lui- même le conseil constitutionnel qui a annulé la disposition phare, celle de permettre aux préfets d’empêcher à titre préventif  un individu de manifester. La loi n’est plus ce qu’elle était ou devrait être surtout quand on fait des lois sur mesure pour accéder aux desiderata de petites parties de la population ( par exemple pour des lois bioéthiques ou le port du voile pour les mères accompagnatrices des écoliers).  La loi est devenue particulière visant un groupe déterminé et n’est plus l’expression de la volonté générale. C’est un moyen parmi d’autres- comme celui de donner mauvaise conscience- d’imposer des règles de vie à ceux qui ne comprendraient  pas ce qu’est le « progrès » ou qui ne veulent pas que le pays se transforme malgré eux ou contre eux. L’Etat est désormais le médium orienté du vivre- ensemble, de la liberté d’expression que l’on limite ou sanctionne si elle n’est pas politiquement correcte pour ne heurter personne, et il devient le garant des droits individuels. La liberté n’est plus un encouragement , elle devient un obstacle car on veut créer une nouvelle société exempte de haine, de discrimination , d’injustices réelles ou supposées, sans affrontements où tout le monde respecte l’autre. Cela part d’un bon sentiment collectif mais je ne crois pas que ce soit par la loi que l’on transforme les mentalités et je pense qu’il faut d’abord convaincre le citoyen lui qui a besoin d’espace et ne peut se contenter de punitions même vertueuses. L’Etat qui n’est plus providence et dont il faut revoir le périmètre est fait pour permettre l’expression de tous, pour construire un environnement  favorable et apaisé, pour choisir entre les contraires , et pour laisser les initiatives prospérer. Pas pour substituer des libertés à d’autres au moyen de la loi qui doit préciser aussi et surtout les devoirs. C’est aussi cela la démocratie.
Les lois ne sont pas faites pour faire notre bonheur ou satisfaire un petit nombre, mais pour organiser la société, la structurer,  délimiter les droits et fixer les devoirs, permettre aux libertés de vivre, ne pas mélanger les intérêts particuliers et l’intérêt général, en un mot pour conforter un état de droit ce qui n’est pas un supplément de droits pour l’Etat,  dans le cadre de la république qui doit apporter la paix , la concorde et la cohésion.   C’est Saint-Just qui pourtant a aidé à couper des têtes, qui déclarait que le bonheur est une idée neuve en Europe. Le bonheur est une idée personnelle et relative, et ce n’est pas à l’Etat de le décréter et à la loi encore moins.  En outre des lois opportunistes, bavardes, rédigées à la hâte pour satisfaire une minorité peuvent créer des conflits que la justice devra arbitrer et qui peuvent révolter le peuple. On ne touche aux lois qu’avec une main tremblante et on ne les écrit qu’après en avoir vérifié l’impact et ses conséquences dans un consensus réel.    
La politique étant ce qu’elle est dans le grand chambardement actuel, où tout le monde veut s’exprimer et donner son avis même s’il est illégitime,  nul ou peu argumenté, devient aléatoire et surtout communicative. Faut -il dire la vérité  sur l’état du pays, ses caisses à sec,  les avantages de certains, l’abandon des autres, les menaces… Les rapports  sont connus, les experts ont tout dit mais le politique (de tous bords) doit-il prendre le risque de l’avouer s’il veut être réélu, ou éviter des manifestations de plus en plus violentes, ou revendiquer  la vérité mais quelle est -elle sachant qu’il n’y en a pas qu’une ? Chacun a ses  connaissances et certitudes qu’il estime justes avec  sa morale, et ce que les uns acceptent les autres sont contre. La meilleure des politiques est celle qui à partir de faits établis contradictoirement donc un diagnostic partagé, privilégie la majorité, qui défend l’intérêt général et qui corrige les injustices et les inégalités. Vaste programme, et on se demande en sortant des choix partisans qui  a la stature et la légitimité pour ce faire,  et comment on pourra le mettre en oeuvre.  Si la politique recouvre la morale il faut être prudent , car comment définir un contenu commun et des valeurs consensuelles ? La morale est un ensemble de principes, de jugements, de règles ou de conduites relatives au bien et au mal, et qui dépendent de la conscience individuelle comme collective. Barbey d’Aurevilly a  écrit dans les demoiselles de bien- Filâtre que du point  de vue des faits le bien et le mal sont une question de latitude. Ce que l’on admet ici est considéré comme inacceptable là- bas. Il en est de même pour l’homme. La « morale » est à utiliser avec parcimonie et donner des leçons n’est pas de bonne politique. La meilleure politique qui soit est celle qui donne des résultats mesurables, sonnants et trébuchants en matière économique, sociale et de justice. Si de surcroît elle est irriguée par  des grands principes d’essence supérieure, des valeurs et de la hauteur , c’est parfait.
Je demande à ceux qui viennent de passer le bac de pardonner mes insuffisances et mes affirmations, et aux professeurs de ne pas me noter. Je ne voudrai pas entamer ma retraite par une humiliation pour avoir été  mauvais et pour le moins hors sujet !. L’âge ne fait rien à l’affaire « tous les jeunes blancs- becs prennent les vieux mecs pour des cons… » comme le chantait Georges Brassens.

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