Ne tirez pas sur les pianistes
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
La loi immigration a été votée dans des
conditions rocambolesques chacun ayant suivi au jour le jour les tractations,
les crises de nerf, les accusations diverses et finalement son vote. Va- t-elle
modifier profondément la situation rien n’est moins sûr mais il y a eu des
avancées que certains contestent et que d’autres approuvent tout en les
trouvant insuffisantes. C’est le jeu gribouille devenu habituel de nos
élites, pour moi indigne car le parlement a pour mission de voter des lois dans
l’intérêt général et de ne pas s’entredéchirer pour des querelles politiciennes,
les egos de certains, et laisser ainsi la porte ouverte à toutes les
difficultés. Mais si l’assemblée nationale était un cénacle philosophique et le
temple de la raison, on le saurait. Le citoyen subit. Cela ne le fait pas
rire.
La loi a été
soumise au Conseil Constitutionnel par le président de la république, la
première ministre et les oppositions. Personne n’était donc certain que la
loi votée était constitutionnelle, et sauf erreur même la première ministre
savait que des dispositions qu’elle avait acceptées sinon voulues ne correspondaient
pas à la légalité. Il faut oser ! Tout ça pour ça ! Est -ce
que par hasard on ne se serait pas moqué du quidam à qui on avait fait miroiter
des mesures efficaces, applicables et étant de vraies solutions ? Est-ce
être insolent que de poser cette question ? La démocratie parlementaire ne sort
pas grandie de cet épisode. Et on nous reparlera ensuite de
l’abstention !
Bien sûr
comme on s’y attendait - je n’écris pas comme on lui avait suggéré car je veux croire
à l’indépendance des juges - dans sa décision 2023-863 DC du 25 janvier 2024 le
Conseil Constitutionnel a censuré 32 articles sur 86 pour des motifs de
procédure, les fameux cavaliers législatifs. Et a fait des réserves pour
d’autres. Même si une loi n’est pas une course de haies et qu’on n’est pas au tiercé,
quand un article ne se rattache pas directement ou indirectement au texte
d’origine, il est annulé. Par exemple en l’espèce le conseil a estimé
que réduire le regroupement familial ne se rattachait pas à
l’immigration : on peut en discuter
à vie. C’est une appréciation subjective comme pour tout jugement où le
droit et les principes s’interprètent et où les opinions personnelles influent
en dernière analyse. Chatgpt justice et ses algorithmes ne se prononcent pas
encore. L’humain le reste.
On ne sait
pas ce que les juges ont voté individuellement. Il n’y a pas d’opinions
dissidentes qui sont connues comme par exemple à la Cour Internationale de Justice
à La Haye. Le Conseil Constitutionnel est un et seul son président en l’occurrence
M. Fabius s’exprime. Il ne justifie rien : il suffit de
lire les motivations des décisions. Mais il doit protéger
l’institution. Le Conseil Constitutionnel a été introduit dans la Constitution
de 1958 par le général De Gaulle qui ne passait pas pour un laxiste et avait
mis fin au règne des partis politiques. Il avait refusé que les juges
deviennent un pouvoir judiciaire. La priorité était à la politique donc à la
décision publique et l’intérêt supérieur de la nation. Et à défaut au
référendum.
Encore faut
-il que les élus prennent leurs responsabilités et ne laissent pas le Conseil
décider à leurs places. Ou qu’ils trouvent comme excuse que le gouvernement des
juges surtout européens les empêche d’agir. Certes le Conseil a étendu
d’office ses pouvoirs par sa jurisprudence et a décidé de sa seule initiative
de créer des valeurs comme en promouvant la fraternité devenue principe
constitutionnel à l’identique de la liberté et de l’égalité. Mais il n’est
pas à opposer au peuple. Il statue en son nom et le renforce dans ses
droits et libertés. Il juge sur les
hauteurs.
Le président
Sarkozy a imposé la question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.) qui
permet à tout justiciable de faire vérifier qu’une loi est conforme à la
constitution : qui s’en plaint ? Pour cela on aime le Conseil.
Que les
politiques qui ne sont pas contents de la censure partielle de la loi
immigration redéposent une proposition de loi à l’assemblée en tenant compte
des remarques du Conseil et tentent d’obtenir une majorité. C’est cela le
courage. Ce n’est pas de supprimer ou de réformer -dans quel sens ? – ledit
Conseil. Notre souveraineté dans tous les domaines doit être
construite ou reconstruite par ceux qui en ont la charge et ont été choisis pour
se faire. Si on veut une démocratie vivante il faut que les citoyens
retrouvent de la confiance dans leurs représentants. Ils proposent et font des
promesses : chiche de les tenir. On ne les essaie pas faute de mieux ou
pour voir.
Le premier
ministre a dit : « tu casses tu répares, tu salis tu nettoies, tu
défies l’autorité tu apprends à la respecter ». On ne détruit pas le
thermomètre ou l’endroit où les principes sont appliqués. Il doit rester immaculé
et en ordre de marche. L’autorité de la chose jugée et de la loi est la
base. On doit donner l’exemple quelle que soit notre conviction intime et
respecter l’institution car si on commence à la considérer à géométrie variable
selon les nominations tous les trois ans, on court à sa perte donc celle de nos
garde-fous. Le président Edgar Faure disait que ce ne sont pas les girouettes
qui tournent mais le vent. On ne vise personne. La loi immigration a révélé les
intentions des uns et des autres et les manœuvres. Attention que la bise
mauvaise n’apporte pas des menaces dont nous nous repentirions. En attendant
le président de la république a promulgué les articles validés :
espérons qu’ils apporteront des solutions pratiques aux problèmes conformément
à nos valeurs républicaines qui ne sont pas incompatibles avec un ordre public
juste et collectif.
Déjà en 1826
le premier président de la Cour d’appel de Paris Antoine Séguier avait
répondu : « la Cour rend des arrêts et pas des services ». Le
garde des Sceaux de l’époque M. Peyronnet lui avait demandé « d’arranger
les choses » à propos d’un procès de presse contre les jésuites, qui étaient
soutenus par le roi.
Notre état
de droit est un trésor que nous devons préserver. Il se fait rare dans le monde. Le Conseil
Constitutionnel est composé de neuf juges (sur 68 millions d’habitants) qui
sont des virtuoses réels ou supposés du droit et des grands principes, des
pianistes sans claviers. On a la liberté de contester leurs décisions mais la
tendance actuelle du soupçon n’est pas de mise. Les mettre en doute rendrait
l’orchestre cacophonique. Et ce n’est jamais une bonne chose pour la grande
musique qui conduit nos pas et qui doit adoucir la symphonie démocratique qui
parfois émet de fausses notes.