jeudi 1 février 2024

Du droit en temps de guerre

 

                                 Du droit en temps de guerre

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire

La propagande et la désinformation battent leur plein. On est donc en guerre pour ceux qui regardaient de loin et les désaccords s’exportent. Sur le plan interne c’est pareil : on s’oppose avec fermeté mais c’est de la démocratie et ce n’est pas mon sujet du moment. Je me préoccupe de toutes les victimes innocentes par définition et comment éviter qu’il y en ait plus en cas de bagarres physiques. Pendant que le canon tonne sur de nombreux champs de bataille on a fourbi les armes juridiques. Sont-elles des tigres de papier ou de paroles ?

Je n’évoque que le Proche-Orient. La Cour internationale de justice qui ne juge que les conflits entre Etats et applique la convention sur la prévention du génocide essaie de calmer le jeu mortel avec le décompte morbide des victimes et invite à la modération. Je n’écris pas à l’humanisme car avec les guerres les valeurs humaines reculent au bénéfice des ressentiments anciens et de la vengeance, et on compare les barbaries commises ou les coups bas des uns et des autres. Chacun estime être dans son droit, être légitime. L’homme n’a pas de limites dans la haine, on l’a déjà connu. On a cru qu’on avait progressé, on déchante.

L’Afrique du sud qui n’est pas partie prenante directement au litige avait saisi la cour de mesures conservatoires en accusant Israël de pratiquer un génocide sur la population palestinienne. Elle n’a pas poursuivi le Hamas. Elle a demandé un cessez- le- feu immédiat. Israël qui est un Etat s’est défendu et le Hamas qui est un groupe sui generis pour le mal et qui n’est pas soutenu par tous les palestiniens ou tous les pays arabes a été aux justiciables absents. Les terroristes ne s’incarnent pas et ne tentent pas de justifier leurs exactions. Ils détestent les juges. Et pour la paix il faut pouvoir en discuter et être a minima d’accord.

En général dans un procès il y a deux mécontents : celui qui a gagné mais pas assez car selon lui son adversaire avait tout faux. Et celui qui a perdu alors qu’il était certain d’avoir raison ce qui prouve que les juges sont incompétents et partiaux et n’ont rien compris.

La cour a rendu son verdict le 26 janvier 2024. C’est une simple ordonnance c’est- à -dire une décision qui n’aborde pas le fond des faits et qui ne juge pas des responsabilités. Aussitôt l’Afrique de sud a levé les bras au ciel en criant on est les meilleurs, Israël a échoué en justice. Cri de joie excessif donc insignifiant. 

Cette lecture n’est pas exacte et les juges ont rendu une décision nuancée. Ils ont reconnu à l’Etat d’Israël le droit de se défendre. Ils ont ordonné de prévenir -donc de stopper – toute incitation ou génocide éventuel s’il y a lieu par des mesures dont Israël devra rendre compte et qui sont en son pouvoir sans pour autant qualifier juridiquement les faits dénoncés et sans se prononcer sur la réalité ou non d’un génocide. Ils ont enjoint à Israël de faire son possible pour que l’aide humanitaire puisse arriver à Gaza ce qui implique aussi que l’Afrique du Sud y contribue comme d’autres Etats.

La cour n’a pas ordonné le cessez- le- feu ce qui aurait été d’ailleurs sans effet car la juridiction ne dispose d’aucune force contraignante pour faire appliquer ses arrêts de force ou avec des sanctions efficaces. L’Afrique du Sud dans cet épisode judiciaire a eu le mérite de faire parler le droit international. Quant à la fin des hostilités qui peut en prévoir la date et l’issue ?

Il n’y a pas eu une condamnation ferme  de culpabilité d’Israël et la confirmation de ce que l’Afrique du Sud prétendait. C’est au moins un match nul qui ne change rien sur le terrain : les arbitres n’ont pas désigné celui qui doit rentrer au vestiaire avec un carton rouge. L’Afrique du Sud ne risquait qu’un revers puisque rien ne lui était demandé ou reproché. Israël avait plus de risques au moins sur le plan de la conscience mondiale et du respect envers l’homme fût -il un ennemi qui veut sa perte. On n’est pas obligé d’utiliser les mêmes armes inhumaines que celles de celui qu’on combat ? J’admets que c’est facile à dire de loin ! 

En matière de justice internationale le droit et la diplomatie se complètent. Pour bien faire dans l’absolu il ne faut ni vainqueur ni vaincu. Il faut réserver l’avenir et humilier une partie n’est pas un gage de paix pérenne, on l’a vu notamment après la première guerre mondiale avec le traité de Versailles.

« La guerre est une poursuite de l’activité politique par d’autres moyens » a écrit Carl von Clausewitz. Il y a aussi la justice internationale avec ses règles de droit âprement débattues, et quand les temps sont venus s’impose la diplomatie car il faut bien en finir un jour et que les vivants le restent. La guerre est un acte de violence absolue. Elle ne dépend que d’un seul dans son coin. La diplomatie est l’art des subtilités, des compromis et de l’imagination constructive dans un intérêt collectif. Le droit pose des principes qui sont tous universels ou devraient l’être si on exclut la loi du plus fort ou les affirmations théocratiques.

La justice applique le droit, l’interprète, le modère s’il le faut, comble les vides qui n’appellent pas de réponse prédéterminée. Elle recherche des solutions s’il y en a en posant un cadre juridique. Elle s’efforce de promouvoir la vertu, ne donne pas de leçons de morale et répond uniquement aux questions qui lui sont posées dans la limite de ses compétences. Elle ne tranche pas des dilemmes historiques ou existentiels et laisse les responsables politiques décider du sort des peuples et donc de la paix sur la planète puisque tout se sait et que l’effet d’un vol de papillon peut déstabiliser le monde.

Souvent la vérité est à comprendre à travers ce que les juges n’ont pas dit ou écrit. Le prétendu victorieux est souvent en pratique défait. Tout homme ou femme de bonne volonté et sincère et qui croit dans le progrès de l’homme vers le bien doit s’interroger :  la violence a -t-elle un sens ? La loi du talion conduit- elle à l’harmonie ? Certes il ne s’agit pas de tendre l’autre joue quand on a pris un coup. On n’est pas naïfs ou faibles. Mais la raison doit l’emporter. Le vainqueur n’est pas toujours celui qu’on pense. Ou celui qu’on préfère et soutient. Il est plus grand de savoir se modérer et de respecter les êtres de chair et de sang.

 Le père d’Albert Camus disait que l’homme doit « s’empêcher », pour tout sujet selon moi. Ecoutons- le. 

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