lundi 5 février 2024

Ne tirez pas sur les pianistes

 

                                  Ne tirez pas sur les pianistes

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire

 La loi immigration a été votée dans des conditions rocambolesques chacun ayant suivi au jour le jour les tractations, les crises de nerf, les accusations diverses et finalement son vote. Va- t-elle modifier profondément la situation rien n’est moins sûr mais il y a eu des avancées que certains contestent et que d’autres approuvent tout en les trouvant insuffisantes. C’est le jeu gribouille devenu habituel de nos élites, pour moi indigne car le parlement a pour mission de voter des lois dans l’intérêt général et de ne pas s’entredéchirer pour des querelles politiciennes, les egos de certains, et laisser ainsi la porte ouverte à toutes les difficultés. Mais si l’assemblée nationale était un cénacle philosophique et le temple de la raison, on le saurait. Le citoyen subit. Cela ne le fait pas rire.

La loi a été soumise au Conseil Constitutionnel par le président de la république, la première ministre et les oppositions. Personne n’était donc certain que la loi votée était constitutionnelle, et sauf erreur même la première ministre savait que des dispositions qu’elle avait acceptées sinon voulues ne correspondaient pas à la légalité. Il faut oser ! Tout ça pour ça ! Est -ce que par hasard on ne se serait pas moqué du quidam à qui on avait fait miroiter des mesures efficaces, applicables et étant de vraies solutions ? Est-ce être insolent que de poser cette question ? La démocratie parlementaire ne sort pas grandie de cet épisode. Et on nous reparlera ensuite de l’abstention ! 

Bien sûr comme on s’y attendait - je n’écris pas comme on lui avait suggéré car je veux croire à l’indépendance des juges - dans sa décision 2023-863 DC du 25 janvier 2024 le Conseil Constitutionnel a censuré 32 articles sur 86 pour des motifs de procédure, les fameux cavaliers législatifs. Et a fait des réserves pour d’autres. Même si une loi n’est pas une course de haies et qu’on n’est pas au tiercé, quand un article ne se rattache pas directement ou indirectement au texte d’origine, il est annulé. Par exemple en l’espèce le conseil a estimé que réduire le regroupement familial ne se rattachait pas à l’immigration :  on peut en discuter à vie. C’est une appréciation subjective comme pour tout jugement où le droit et les principes s’interprètent et où les opinions personnelles influent en dernière analyse. Chatgpt justice et ses algorithmes ne se prononcent pas encore. L’humain le reste.

On ne sait pas ce que les juges ont voté individuellement. Il n’y a pas d’opinions dissidentes qui sont connues comme par exemple à la Cour Internationale de Justice à La Haye. Le Conseil Constitutionnel est un et seul son président en l’occurrence M. Fabius s’exprime. Il ne justifie rien : il suffit de lire les motivations des décisions. Mais il doit protéger l’institution. Le Conseil Constitutionnel a été introduit dans la Constitution de 1958 par le général De Gaulle qui ne passait pas pour un laxiste et avait mis fin au règne des partis politiques. Il avait refusé que les juges deviennent un pouvoir judiciaire. La priorité était à la politique donc à la décision publique et l’intérêt supérieur de la nation. Et à défaut au référendum.

Encore faut -il que les élus prennent leurs responsabilités et ne laissent pas le Conseil décider à leurs places. Ou qu’ils trouvent comme excuse que le gouvernement des juges surtout européens les empêche d’agir.  Certes le Conseil a étendu d’office ses pouvoirs par sa jurisprudence et a décidé de sa seule initiative de créer des valeurs comme en promouvant la fraternité devenue principe constitutionnel à l’identique de la liberté et de l’égalité. Mais il n’est pas à opposer au peuple. Il statue en son nom et le renforce dans ses droits et libertés.  Il juge sur les hauteurs.

Le président Sarkozy a imposé la question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.) qui permet à tout justiciable de faire vérifier qu’une loi est conforme à la constitution : qui s’en plaint ? Pour cela on aime le Conseil.

Que les politiques qui ne sont pas contents de la censure partielle de la loi immigration redéposent une proposition de loi à l’assemblée en tenant compte des remarques du Conseil et tentent d’obtenir une majorité. C’est cela le courage. Ce n’est pas de supprimer ou de réformer -dans quel sens ? – ledit Conseil.  Notre souveraineté dans tous les domaines doit être construite ou reconstruite par ceux qui en ont la charge et ont été choisis pour se faire. Si on veut une démocratie vivante il faut que les citoyens retrouvent de la confiance dans leurs représentants. Ils proposent et font des promesses : chiche de les tenir. On ne les essaie pas faute de mieux ou pour voir.

Le premier ministre a dit : « tu casses tu répares, tu salis tu nettoies, tu défies l’autorité tu apprends à la respecter ». On ne détruit pas le thermomètre ou l’endroit où les principes sont appliqués. Il doit rester immaculé et en ordre de marche. L’autorité de la chose jugée et de la loi est la base. On doit donner l’exemple quelle que soit notre conviction intime et respecter l’institution car si on commence à la considérer à géométrie variable selon les nominations tous les trois ans, on court à sa perte donc celle de nos garde-fous. Le président Edgar Faure disait que ce ne sont pas les girouettes qui tournent mais le vent. On ne vise personne. La loi immigration a révélé les intentions des uns et des autres et les manœuvres. Attention que la bise mauvaise n’apporte pas des menaces dont nous nous repentirions. En attendant le président de la république a promulgué les articles validés : espérons qu’ils apporteront des solutions pratiques aux problèmes conformément à nos valeurs républicaines qui ne sont pas incompatibles avec un ordre public juste et collectif.

Déjà en 1826 le premier président de la Cour d’appel de Paris Antoine Séguier avait répondu : « la Cour rend des arrêts et pas des services ». Le garde des Sceaux de l’époque M. Peyronnet lui avait demandé « d’arranger les choses » à propos d’un procès de presse contre les jésuites, qui étaient soutenus par le roi. 

Notre état de droit est un trésor que nous devons préserver.  Il se fait rare dans le monde. Le Conseil Constitutionnel est composé de neuf juges (sur 68 millions d’habitants) qui sont des virtuoses réels ou supposés du droit et des grands principes, des pianistes sans claviers. On a la liberté de contester leurs décisions mais la tendance actuelle du soupçon n’est pas de mise. Les mettre en doute rendrait l’orchestre cacophonique. Et ce n’est jamais une bonne chose pour la grande musique qui conduit nos pas et qui doit adoucir la symphonie démocratique qui parfois émet de fausses notes.  

   

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