mardi 7 novembre 2023

La justice au banc des accusés

 

                             La justice au banc des accusés

                 Par Christian Fremaux avocat honoraire

La justice est à l’honneur. Ou y-a -t- il de l’injustice ? Un serpent de mer navigue toujours entre deux eaux :  chaque gouvernement promet de réformer la justice. Il faudrait tout changer … pour que tout reste pareil ? On continue car les résistances internes ont la vie dure. On assiste à une première comme si l’actualité manquait de faits divers tragiques, d’indignations, d’émotions et de fractures alors que la vie humaine tient à un fil et la civilisation à du sectarisme, à des certitudes non démontrées et des vérités discutables. Le mépris sauvage emporte tout, chacun voit dans l’autre un ennemi à abattre, la tolérance et l’empathie fraternelle entre voisins ou êtres jumeaux n’existent plus. C’est la barbarie à visage humain. On ne se rappelle plus de l’Histoire et on croit que de la force nait le bien. Et on a les conflits internes que l’on se donne en pâture. C’est médiocre et désespérant.   

 Le ministre de la Justice-garde des sceaux M. Dupond-Moretti, une vedette médiatique devenue une élite politique mais pour un temps suspecté d’être un vulgaire délinquant comparait devant un tribunal. Il n’a pas tué ou eu l’intention ou commis une éraflure, il n’a pas volé un œuf l’Etat n’a rien perdu ; il n’a pas refusé d’obtempérer au volant d’une voiture de luxe sans permis, il n’a pas participé à une manifestation non autorisée contre la loi ou la liberté d’expression en déclamant ses haines ; il n’a pas détourné un sou et a déclaré ses revenus, il n’a pas trafiqué ; il n’y a pas de victime présumée sauf la justice en tant que telle mais il va répondre à des juges de ce dont il est accusé. A savoir une prise illégale d’intérêt, en gros d’avoir utilisé ses fonctions ministérielles pour s’attaquer à des juges qui l’avaient « contrarié » dans ses activités d’avocat ? C’est puni par de la prison ferme et d’une amende outre les répercussions politiques. Naturellement le dossier est plus complexe et subtil et fait ressortir les devoirs des juges notamment de réserve, le pouvoir de sanctions des autorités dont celui du ministre, l’indépendance des magistrats, leur fonction dans la société, la place de l’avocat avec ses obligations et droits de la défense…les non- dits, les rancœurs, chacun étant un être avec ses faiblesses et ses qualités. L’avocat et le juge parfaits sont à inventer.  

Me Dupond-Moretti va devoir s’expliquer devant une juridiction qui juge peu et uniquement les politiques dans l’exercice de leurs fonctions gouvernementales à savoir la Cour de Justice de la République [C.J.R]. Excusez du peu. Ce n’est pas pour le quidam. Cette cour visée dans la constitution est composée de parlementaires et de trois juges professionnels du siège indépendants de leur ministre de tutelle bien sûr. Rien que de l’écrire on frémit ! Le procureur général qui soutient l’accusation a été nommé par le garde des sceaux après des précautions de droit cela va de soi. Accuser son patron tout en restant dans l’entreprise ne se voit pas tous les jours. C’est le en même temps ou faire le grand écart. Il faut être souple et juriste très compétent en droit pénal et procédure pénale car les questions à résoudre sont complexes et inédites. La CJR a ses propres juges d’instruction qui ne devaient pas plier l’échine et rester neutres. Il y aurait eu des écoutes dérivantes d’avocats à juger ? Les plaintes de leurs collègues parties civiles ont été examinées. Des juges seront entendus comme témoins : ceux qu’a visés le ministre et qui sont à l’origine de ses déboires d’avocat et sujets du conflit d’intérêt…La bonne foi des uns et des autres l’emportera. Tout le monde est optimisme avant un procès. Chaque individu qui passe en jugement déclare : « je suis serein, je fais confiance à la justice de mon pays. ». Après le verdict on se lâche. 

Mais il ne peut y avoir de match nul : si l’accusé est relaxé ce que je souhaite (car les accusations connues me paraissent évanescentes en droit mais je n’ai pas lu le dossier… comme la plupart des commentateurs !) les magistrats considéreront avoir perdu, être choqués ce mot à la mode, être désavoués dans leur quête de pureté morale que partage le secteur privé personne n’ayant aucun monopole. Ce qui sera mauvais pour la justice en général voire n’améliorera pas les relations avocats-juges. Si le ministre est condamné le barreau fera la tête car Me Dupont-Moretti aura été condamné partiellement pour ses activités d’avocat et ses liens réels ou supposés et amicaux avec des personnalités que la justice a dans le collimateur, sans que cela soit de l’acharnement faut-il le préciser ! Et le ministre aura abusé de ses droits de discipline. Dans un corps de 9.000 membres il n’est pas possible que tout le monde soit irréprochable et ne commette jamais d’erreurs, à vie.

Ce sont les justiciables qui naturellement comptent les points et s’inquiètent du match Justice contre Justice. On ne comprend pas bien la querelle mais on se doute que les juges veulent gagner par KO ce qui se répercutera peut- être par un changement de ministre que les juges approuveraient. Ce qui pose un problème institutionnel et de principe car le ministère de la justice n’est pas la propriété des magistrats.  Dans ce grand déballage c’est la justice qui est en cause. Dans tous les cas de figure c’est l’arroseur arrosé.

 S’il y a culpabilité on dira que les juges ont eu la peau du ministre nommé par le président de la république. Pour eux la désignation était une « déclaration de guerre ». On ne peut pas dire que des magistrats ont fait dans la nuance. Alors que pour certains d’entre eux ils ont construit le mur des cons ou participé à la fête de l’Humanité ou défilé avec des extrémistes. Comme mélange des genres et partialité sans aucune légitimité populaire sauf à avoir réussi un concours, ils cochent les cases. Qui aurait l’audace de leur dire ?

Si le ministre n’est pas reconnu coupable, on dira que les juges doivent se contenter de rester ce qu’ils sont, une autorité et non un pouvoir et qu’ils ont eu ce qu’ils méritaient. La nécessaire réforme de la justice attendra un climat plus favorable, non pas sur les moyens matériels et en personnel mais sur le fond du rôle des juges dans un état de droit et de l’éventuelle mise en cause de leur responsabilité personnelle en cas de faute professionnelle distincte de leur liberté d’appréciation. Outre sur l’application des jurisprudences européennes qui posent un problème pour la souveraineté de la nation. Notre droit doit être une arme pour nous protéger qui ne peut se retourner contre nous au nom de principes philosophiques dont l’interprétation et l’extension se discutent et ne sont restés universels qu’entre nous malheureusement et de libertés sans limites ou de droits sans devoirs. La collectivité ne peut passer après l’individu.  

Le président de la république maintiendra ou non le ministre à son poste. Dans une réforme constitutionnelle qu’il avait proposée au congrès, la CJR devait disparaitre. Le projet n’a pas été voté. Il doit le regretter. Quand on met le doigt dans l’engrenage de la justice tout peut arriver.     

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