La justice au banc des accusés
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
La justice
est à l’honneur. Ou y-a -t- il de l’injustice ? Un serpent de
mer navigue toujours entre deux eaux : chaque gouvernement promet de réformer la
justice. Il faudrait tout changer … pour que tout reste pareil ? On
continue car les résistances internes ont la vie dure. On assiste à une
première comme si l’actualité manquait de faits divers tragiques,
d’indignations, d’émotions et de fractures alors que la vie humaine tient à un
fil et la civilisation à du sectarisme, à des certitudes non démontrées et des
vérités discutables. Le mépris sauvage emporte tout, chacun voit dans l’autre
un ennemi à abattre, la tolérance et l’empathie fraternelle entre voisins ou
êtres jumeaux n’existent plus. C’est la barbarie à visage humain. On ne se
rappelle plus de l’Histoire et on croit que de la force nait le bien. Et on a
les conflits internes que l’on se donne en pâture. C’est médiocre et
désespérant.
Le ministre de la Justice-garde des sceaux M. Dupond-Moretti,
une vedette médiatique devenue une élite politique mais pour un temps suspecté
d’être un vulgaire délinquant comparait devant un tribunal. Il n’a pas tué ou
eu l’intention ou commis une éraflure, il n’a pas volé un œuf l’Etat n’a rien
perdu ; il n’a pas refusé d’obtempérer au volant d’une voiture de luxe
sans permis, il n’a pas participé à une manifestation non autorisée contre
la loi ou la liberté d’expression en déclamant ses haines ; il n’a pas
détourné un sou et a déclaré ses revenus, il n’a pas trafiqué ; il n’y a
pas de victime présumée sauf la justice en tant que telle mais il va répondre à
des juges de ce dont il est accusé. A savoir une prise illégale d’intérêt,
en gros d’avoir utilisé ses fonctions ministérielles pour s’attaquer à des
juges qui l’avaient « contrarié » dans ses activités d’avocat ?
C’est puni par de la prison ferme et d’une amende outre les répercussions
politiques. Naturellement le dossier est plus complexe et subtil et fait
ressortir les devoirs des juges notamment de réserve, le pouvoir de sanctions
des autorités dont celui du ministre, l’indépendance des magistrats, leur fonction
dans la société, la place de l’avocat avec ses obligations et droits de la
défense…les non- dits, les rancœurs, chacun étant un être avec ses faiblesses
et ses qualités. L’avocat et le juge parfaits sont à inventer.
Me
Dupond-Moretti va devoir s’expliquer devant une juridiction qui juge peu et uniquement
les politiques dans l’exercice de leurs fonctions gouvernementales à savoir la
Cour de Justice de la République [C.J.R]. Excusez du peu. Ce n’est pas pour le
quidam. Cette cour visée dans la constitution est composée de parlementaires et
de trois juges professionnels du siège indépendants de leur ministre de tutelle
bien sûr. Rien que de l’écrire on frémit ! Le procureur général qui
soutient l’accusation a été nommé par le garde des sceaux après des précautions
de droit cela va de soi. Accuser son patron tout en restant dans l’entreprise
ne se voit pas tous les jours. C’est le en même temps ou faire le grand
écart. Il faut être souple et juriste très compétent en droit pénal et
procédure pénale car les questions à résoudre sont complexes et inédites. La
CJR a ses propres juges d’instruction qui ne devaient pas plier l’échine et
rester neutres. Il y aurait eu des écoutes dérivantes d’avocats à
juger ? Les plaintes de leurs collègues parties civiles ont été examinées.
Des juges seront entendus comme témoins : ceux qu’a visés le ministre et
qui sont à l’origine de ses déboires d’avocat et sujets du conflit d’intérêt…La
bonne foi des uns et des autres l’emportera. Tout le monde est optimisme avant
un procès. Chaque individu qui passe en jugement
déclare : « je suis serein, je fais confiance à la justice de
mon pays. ». Après le verdict on se lâche.
Mais
il ne peut y avoir de match nul : si l’accusé est relaxé ce que je
souhaite (car les accusations connues me paraissent évanescentes en droit mais
je n’ai pas lu le dossier… comme la plupart des commentateurs !) les
magistrats considéreront avoir perdu, être choqués ce mot à la mode, être
désavoués dans leur quête de pureté morale que partage le secteur privé
personne n’ayant aucun monopole. Ce qui sera mauvais pour la justice en général
voire n’améliorera pas les relations avocats-juges. Si le ministre est condamné
le barreau fera la tête car Me Dupont-Moretti aura été condamné partiellement
pour ses activités d’avocat et ses liens réels ou supposés et amicaux avec des
personnalités que la justice a dans le collimateur, sans que cela soit de
l’acharnement faut-il le préciser ! Et le ministre aura abusé de ses
droits de discipline. Dans un corps de 9.000 membres il n’est pas possible
que tout le monde soit irréprochable et ne commette jamais d’erreurs, à vie.
Ce sont les
justiciables qui naturellement comptent les points et s’inquiètent du match
Justice contre Justice. On ne comprend pas bien la querelle mais on se doute
que les juges veulent gagner par KO ce qui se répercutera peut- être par un
changement de ministre que les juges approuveraient. Ce qui pose un
problème institutionnel et de principe car le ministère de la justice n’est pas
la propriété des magistrats. Dans ce grand déballage c’est la
justice qui est en cause. Dans tous les cas de figure c’est l’arroseur arrosé.
S’il y
a culpabilité on dira que les juges ont eu la peau du ministre nommé par
le président de la république. Pour eux la désignation était une
« déclaration de guerre ». On ne peut pas dire que des magistrats ont
fait dans la nuance. Alors que pour certains d’entre eux ils ont construit le
mur des cons ou participé à la fête de l’Humanité ou défilé avec des
extrémistes. Comme mélange des genres et partialité sans aucune légitimité
populaire sauf à avoir réussi un concours, ils cochent les cases. Qui aurait
l’audace de leur dire ?
Si le
ministre n’est pas reconnu coupable, on dira que les juges doivent se contenter
de rester ce qu’ils sont, une autorité et non un pouvoir et qu’ils ont eu ce
qu’ils méritaient. La nécessaire réforme de la justice attendra un climat
plus favorable, non pas sur les moyens matériels et en personnel mais sur le
fond du rôle des juges dans un état de droit et de l’éventuelle mise en cause
de leur responsabilité personnelle en cas de faute professionnelle
distincte de leur liberté d’appréciation. Outre sur l’application des
jurisprudences européennes qui posent un problème pour la souveraineté de la
nation. Notre droit doit être une arme pour nous protéger qui ne peut se
retourner contre nous au nom de principes philosophiques dont
l’interprétation et l’extension se discutent et ne sont restés universels
qu’entre nous malheureusement et de libertés sans limites ou de droits sans
devoirs. La collectivité ne peut passer après l’individu.
Le président
de la république maintiendra ou non le ministre à son poste. Dans une réforme
constitutionnelle qu’il avait proposée au congrès, la CJR devait
disparaitre. Le projet n’a pas été voté. Il doit le regretter. Quand on
met le doigt dans l’engrenage de la justice tout peut arriver.
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