La justice de la C.J.R. est
-elle équitable ?
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
On attend de
la justice qu’elle applique le droit sans faire de morale, condamne si les
infractions sont avérées, relaxe si tel n’est pas le cas, et qu’elle personnalise
sa décision en tenant compte de l’équité au profit de l’individu poursuivi. On
connait la cour d’assises qui apprécie les crimes. Me Dupond-Moretti avocat en
était un ténor. On a l’habitude des tribunaux correctionnels qui jugent parfois
des personnalités ou des anciens dignitaires politiques pour des faits de droit
commun comme des achats de costume, le travail d’un proche payé par de l’argent
public, des dépassements de comptes de campagne, de la corruption, ou autres
délits comme le fait le justiciable moyen. Parfois de la prison ferme est prononcée.
On attend l’appel ou le pourvoi en cassation. Souvent on pense que
l’indépendance des magistrats est un leurre, et qu’ils subissent des pressions
pour condamner ou non. La politique s’est immiscée dans la justice selon
l’opinion publique. Mais c’est parfois le contraire : la justice prend
place dans la politique. Les juges n’ont rien demandé mais on les oblige à se
prononcer sur des décisions publiques de politique réelle.
En 1993 on a
créé la Cour de justice de la république qui a pour mission globale de juger
les ministres en exercice ou qui ont quitté le gouvernement, qui auraient pu
commettre des fautes, des manquements devenus des délits voire des crimes dans
l’accomplissement de leurs fonctions. Cela partait d’un bon sentiment :
personne ne doit échapper à sa responsabilité que l’on soit puissant ou
misérable, et encore plus avec l’ère de la transparence, du soupçon et de la
justice pour tous. Les plus responsables doivent répondre encore plus de leurs
actes. C’est une question de confiance
dans l’intérêt de la vérité et de l’égalité entre les citoyens solidaires d’un
même destin et des conséquences d’une décision publique. Sa composition est
particulière :il y a 3 magistrats
du siège dont le président, et 6 députés plus 6 sénateurs. Les poursuites sont
gérées par le procureur général de la cour de cassation. Toute personne
qui se prétend lésée peut déposer plainte dont la recevabilité est examinée par
une commission. Il y a ensuite l’instruction des faits dénoncés. Si les
magistrats instructeurs les estiment fondés la personne poursuivie est jugée
par la cour. Celle-ci n’entend ni témoins ni victimes. Cela donc évite de ne
juger qu’en fonction de l’émotion, bien que présente surtout en matière de
santé ou de la vie.La CJR ne s’est prononcée au fond qu’à de rares reprises.
L’affaire la plus emblématique fut celle du sang contaminé. Avec la formule
devenue culte : « responsable mais pas coupable… ».
L’actualité
nous a comblé. M. Dupond-Moretti ministre de la justice en exercice a été
mis en examen pour divers motifs dont celui de profiter de ses fonctions de
ministre pour régler des comptes d’avocat. On a peu réagi. Le ministre gère
toujours les magistrats et se bat pour l’amélioration de la justice
quotidienne. Mais Mme Buzyn ancienne
ministre de la santé, responsable au gouvernement jusqu’aux élections
municipales et chargée de la crise de la covid-19 vient d’être mise en examen par
la CJR notamment pour mise en danger de la vie d’autrui, infraction qui
implique une intention. Le port du masque la rattrape.
Ce fut un tollé : comment la justice peut-elle
poursuivre un ancien ministre alors que la crise n’est pas terminée disent les
uns. Les autres répliquent que la responsabilité d’un ancien ministre ne peut être
écartée par principe et que tout le monde est responsable de ses fautes. Tous
s’interrogent sur le rôle de la justice. Faut-il que les hommes et les
femmes politiques comparaissent pour leurs actes ou abstentions ou décisions
inappropriées devant un tribunal ordinaire comme n’importe quel
justiciable ? Ce qui veut dire que les juges prennent le pas sur les
politiques alors que l’institution judiciaire n’est pas un pouvoir mais une
autorité ? Ou seul le suffrage universel est le juge suprême, sachant que
les ministres sont nommés-et non élus- par le président de la république élu au
suffrage universel, sur proposition du 1er ministre qu’il a désigné,
et dont la responsabilité politique peut être engagée devant le
parlement ? Les juges n’auraient ainsi aucune légitimité. Pourquoi alors
avoir créé la cour de justice de la république que d’ailleurs M. Macron voulait
supprimer en 2017 ? Mais sa réforme constitutionnelle n’a pas trouvé de
majorité au congrès à Versailles.
Le débat est
lancé tandis que les juges feront leur travail celui prévu par les textes
légaux et sachant que le responsable en chef le président de la république a
une irresponsabilité pénale pendant son mandat selon les articles 67 et 68 de
la Constitution. Si M. Macron se représente et est réélu en 2022,
cela repousse l’échéance vers 2027-2028. D’ici là les ministres en
exercice qui vont être aussi poursuivis tout est possible, l’ancien premier
ministre, les hauts fonctionnaires voire l’Etat car tout s’est fait avec son autorité
et les moyens suffisants ou non qu’il a déployés, seront sanctionnés ou blanchis.
On n’a donc
pas fini de parler de la CJR et de la justice. Cela peut décourager les
plus compétents qui n’auraient pas envie de se dévouer pour la chose publique,
puisque le risque zéro n’existe pas, et qu’être ministre devient un métier
dangereux. Les aléas de la vie ne sont plus supportés et chacun veut faire
reconnaitre « ses » droits sur la collectivité. Il y a
actuellement des milliers de plaintes recopiées à partir d’internet, ce qui est
regrettable et peut avoir un effet contre-productif. La CJR n’a pas été créée
pour des contentieux de masse et siéger jours et nuit et contrôler l’action
publique. Paradoxalement on dénonce le gouvernement des juges mais on leur
soumet n’importe quel dossier fut- il important ou non. La covid-19 ne sera pas
jugulée par les décisions de la CJR qui par son enquête permettra cependant
d’améliorer la prise de décision du pouvoir exécutif et surtout le
fonctionnement de l’Etat et de l’administration en général, autre sujet de
débats sur la décentralisation ou la déconcentration.
Pour qui se
sent non « coupable » même par incompétence ou manque de courage politique ou d’avoir
été involontairement insuffisant mais qui est avant tout responsable, un procès
pénal donc public est difficile à assumer. Une condamnation est
insupportable sinon injuste. N’en rajoutons pas. Ne cherchons pas des
boucs émissaires. Pointons les défaillances, les négligences, les hésitations,
les manquements en déplorant de n’avoir pas pu faire bouger le «
mammouth », pour remédier à ce qui n’a pas marché. La justice y compris la CJR n’a pas pour
mission de condamner à tout prix. Parce qu’elle doit être équitable au -delà du
droit elle permet de retrouver l’apaisement et la réconciliation pour regarder
l’avenir et ne pas commettre les mêmes erreurs. Nous devons avoir foi dans les
décideurs publics. La justice doit y jouer sa partition. Le seul à condamner
est… le virus.