mardi 8 juin 2021

Réformer la justice : oui, mais pour quels bénéficiaires et dans quels buts ?

 

     Réformer la justice : oui, mais pour quels bénéficiaires et dans quels buts ?

                  Par Christian Fremaux avocat honoraire

Le président de la République lui -même a annoncé qu’il lançait les états généraux de la justice. C’est donc du sérieux même si je ne connais pas l’ampleur de la future réforme et quels seront les domaines examinés à part ceux brûlants qui occupent l’actualité. Examinons à titre préventif les aspects pénal et civil puisque la justice est un tout pour le citoyen.

Les plus dubitatifs ou cyniques diront qu’il faut éteindre l’incendie entre des autorités régaliennes et que la décision de réformer vient à la suite du Beauvau de la sécurité où certains policiers ont hurlé que le problème de la police c’était la justice. Ils ont tort et le raccourci n’est pas acceptable dans un état de droit où sécurité publique et justice sont complémentaires et doivent être dans leurs missions spécifiques, indiscutables et insoupçonnables.  Certes il y a de quoi avoir peur et chercher des solutions miraculeuses en regardant les faits divers malheureusement quotidiens et la violence endémique de la société. Ou plutôt la radicalisation d’individus mués par la haine pour des raisons aussi diverses que confuses, sans oublier le fait que certains n’aiment pas le passé de la France et veulent faire payer aux vivants ce que leurs lointains ancêtres ont toléré ou n’ont pas fait de mieux. J’y ajoute les attentats et le terrorisme d’origine interne comme externe.

Tout ceci crée de l’insécurité qui est réelle et pas un sentiment, même si et c’est heureusement vrai la France n’est pas un coupe- gorge comme l’a dit le garde des sceaux. Mais le débat sur la répression à outrance quasi automatique avec le concours Lépine des solutions drastiques n’est pas en phase terminale, les campagnes électorales favorisant la surenchère. Rappelons-nous la phrase célèbre de Blaise Pascal : « la justice sans la force est impuissante :  la force sans la justice est tyrannique ». Tout est dit. Bâtissons des solutions concrètes.

On peut cependant  opposer toutes les statistiques que l’on veut qui prouveraient que les violences étaient au moins égales jadis, que les mineurs sont restés avant tout des enfants, et autres explications ou excuses tirées de réflexions de philosophes, d’intellectuels, de sociologues et autres membres du camp du bien ouverts à tous les autres et à toutes les cultures, rien ne peut persuader le citoyen : la police que l’on méprise, attaque, accuse des pires travers qui seraient systémiques fait son travail ,mais la justice est un maillon faible.

C’est injuste, et Mme Arens 1ère présidente de la cour de cassation  qui représente les magistrats du siège toutes spécialités confondues ainsi que M.Molins procureur général de ladite cour qui incarne le parquet celui qui soutient l’accusation c’est-à-dire le respect de la loi  , sont venus défendre à juste titre leur institution outragée car accablée pour être  réputée  laxiste et globalement insuffisante, en protégeant ses membres même s’ils ont commis des fautes professionnelles ou qu’ils prennent des décisions qui ne correspondent pas avec l’opinion publique. Ce qui est rassurant selon moi, car il n’y a rien de pire que la foule en colère. Mais les juges appliquent la loi que les politiques fabriquent, et comblent les vides juridiques quand une question est officiellement posée dans un contentieux. Il ne faut pas en faire des boucs émissaires. M.Macron leur a répondu en lançant les états généraux : je pense que ces hauts magistrats attendaient une autre proposition plus corporatiste de leur protecteur institutionnel, garant de leur indépendance et de l’autorité judiciaire. Et qu’il leur renouvelle publiquement sa confiance et leurs mérites. Il a dû le faire, mais discrètement ?

La réforme de la justice doit aussi s’étendre à ce qui ne ressortit pas du droit pénal qui intéresse certes le quidam mais n’est pas son habitude. Les contentieux autres sont la majorité et ils génèrent  un sentiment d’injustice ou de désespoir pour certains. Les états généraux rappellent ceux de 1789 : qu’est le tiers état : rien ? Que veut-il : tout. C’est le cas aujourd’hui. Le citoyen-justiciable veut à son service une justice globale performante digne du XXIème siècle dans tous ses tiroirs. Et pas seulement pour que les juges soient réconfortés et reconnus au niveau qu’ils se sont fixés dans la hiérarchie sociale et parce qu’ils estiment devoir être considérés sinon admirés. Mais surtout pour que le sort personnel du consommateur de justice soit amélioré. Il veut aussi être reconnu et être partie prenante participative puisque la justice est rendue en son nom. La tour d’ivoire doit être abattue !

 Il peut y avoir quiproquo et le président a pensé peut- être n’agir que sur la justice pénale celle qui est en lien avec les gendarmes et policiers ? Ce serait dommage de limiter la réflexion car la justice n’est pas circonscrite au plus spectaculaire. Comme Janus l’individu a un recto qui peut être sombre et donc doit respecter des devoirs, mais aussi un verso qui veut la lumière donc faire reconnaitre ses droits. L’annonce au moins de discussions a été bien accueillie par les justiciables, ceux qui sont victimes ou prévenus certes, mais surtout par tous ceux qui ont à régler un problème de la vie privée ; qui sont devant le conseil de prud’homme ou le tribunal de commerce ; qui ont un conflit avec leurs voisins ou leurs mairies ou une administration quelconque voire le fisc, ou avec son assurance, sa copropriété ou un squatteur, car la justice ce n’est pas que le procès pénal  même si de petits dérapages y conduisent pour les infractions au code de la route ou un peu trop d’alcool ou de shit! c’est la vie de tous les jours. Et pour qui un juge est un juge sans distinction subtile entre les différentes fonctions. Personne ne peut se vanter qu’il n’aura jamais affaire à un magistrat. Donc prudence, mais désir d’une justice rapide qui sait trier le bon grain de l’ivraie occasionnelle ou apaiser un conflit par  son jugement.  

 Tout individu qui a eu affaire à la justice a connu les obstacles à l’accès de celle -ci ; le choix indispensable des avocats ; le tribunal de plus en plus lointain puisque les juges de paix de proximité n’existent plus et que désormais les tribunaux d’instance sont regroupés auprès du tribunal judicaire siégeant au chef -lieu du département et que les cours d’appel sont dans les régions. Ils ont subi les délais d’attente interminables avant que leurs dossiers soient évoqués, ont été perdus dans la procédure compliquée ; n’ont pas eu droit à la parole puisqu’ils avaient un conseil qui s’exprime pour eux…Ils ont peut-être gagné, mais l’adversaire a un droit d’appel. Et ils doivent attendre pour que le jugement soit exécuté avec l’aide d’un huissier qui fait payer des frais !... Et je passe les péripéties. Je n’évoque que pour mémoire l’existence du tribunal administratif que l’on trouve dans les régions, qui traite les contentieux administratifs (avec l’Etat ; les collectivités locales ; les services publics…) de plus en plus fréquents par une procédure exclusivement écrite, et dont les juges sont de hauts fonctionnaires. N’est -ce pas une incongruité du passé ?

La liste de tout ce que l’on reproche à la justice est longue et puisqu’il va y avoir des états généraux il faut consulter les cahiers de doléances écrits depuis longtemps. On sait qu’elle manque de moyens matériels comme humains, et que son budget bien que récemment revu à la hausse est insuffisant. On a donc la justice que l’on mérite, en dépensant pour elle avec parcimonie. On vit  un état de droit au rabais. Certes il y a des comportements individuels inacceptables comme les magistrats qui ont construit le mur des cons ou ceux qui ont déclenché une enquête supersonique à la veille des élections présidentielles de 2017 et qui ont éliminé de fait un candidat. Mais c’est une infime minorité qui confond réserve et idéologie. Il y a aussi ceux qui commettent des erreurs parfois avec des conséquences très graves. Dans tout métier c’est le cas, et chacun doit assumer ses responsabilités devant ses pairs et devant la justice : les victimes ont droit de savoir, d’exiger des sanctions, d’être indemnisées. Au lieu de se focaliser sur l’indépendance nécessaire des juges, donnons-leur les moyens d’être impartiaux, de juger vite, de s’entourer d’assistants qualifiés et d’être aidés. Tout en examinant éventuellement leur responsabilité personnelle.  Comme en matière de sécurité le risque zéro n’existe pas. Quand le drame tombe sur vous on ne veut plus rien comprendre ni accepter.  Mais la société a le devoir de faciliter le travail  de ceux qui prennent des décisions difficiles. Ils doivent pouvoir se confier à des collègues, à des experts, que le choix soit collectif, et qu’ils ne soient pas contraints de faire confiance à leur seule conscience et bonne foi. Un juge est une femme ou un homme, un être humain qui peut se tromper quel que soit le domaine concerné ou le cas particulier qu’il doit affronter. 

La réforme de la justice doit être naturellement matérielle mais pas uniquement. La morale ne participe pas mais il y a l’équité, et les grandes règles universelles sont les fondements de la justice avec la loi positive. Nul n’ignore que donner toujours plus de moyens n’améliore pas automatiquement les décisions, s’il n’y a aucun cap, aucune stratégie, ni choix de société ou de civilisation que le peuple a choisis. Le président de la république a annoncé qu’il souhaitait que désormais le garde des sceaux explique aux parlementaires, donc au peuple, chaque année la politique pénale du gouvernement : qui sont ceux qui défient l’ordre public, nos adversaires voire ennemis ; comment les combattons nous avec quelles armes légales ; quel est le sens de la punition et de la réinsertion … ? Bonne idée mais il faudra écouter les citoyens en permanence et entendre ce que disent les élus locaux. 

En matière civile comment améliorer le fonctionnement concret de la justice ? Comment faire du droit donc de la loi un élément structurant de la vie en société pour l’utilisation de nos libertés sans choquer ou nuire à autrui ? Comment faciliter la médiation, la concertation qui donnent des résultats rapides en cas de conflit, sans gagnant ou vaincu chacun ne perdant pas la face ce qui est essentiel quand on estime que l’on a raison et que l’autre a forcément tort : c’est mettre de l’harmonie dans les rapports sociaux…

La question principale est : dans notre état de droit la justice doit- elle passer d’autorité judiciaire à pouvoir judiciaire selon la théorie adaptée à la modernité de Montesquieu, et si oui avec quels moyens légaux ou autres et quels contrôles, pour faire quoi au bénéfice du qui ?

Je souhaite donc que la discussion sur la réforme concerne la justice en tous ses états, et pas seulement celui qui attire l’attention du public et des médias. La justice doit être contextualisée selon le mot à la mode dans un espace plus vaste qui est celui de la vie en société .Il faut rétablir de l’autorité c’est- à -dire le respect des normes générales à tous les étages et dans tous domaines y compris dans la famille ou l’école .On doit s’intéresser au rapport entre tous les individus dans leurs diversités qui acceptent l’usage de la tolérance .Enfin il faut rappeler que pour vivre tranquille il faut donner aussi de la priorité à ce qui est collectif, la défense de la nation et de la patrie avec des citoyens qui n’exigent pas que des droits en écartant les devoirs. Il faut nous mettre d’accord sur les grands principes républicains sinon toute réforme échouera.  Si l’on veut que police/gendarmerie et justice réussissent sans s’opposer il faut leur donner des objectifs communs qui dépassent leurs missions. Et convaincre les citoyens que c’est dans leur intérêt que la justice intervient. 

Tout le monde doit participer. La justice n’appartient ni aux magistrats, ni aux avocats, ni aux politiques ni à un pouvoir ou un contre -pouvoir quelconque : les citoyens l’ont en commun. Ils doivent être partie à la réflexion sans tirage au sort. On a besoin de responsables légitimes. La justice qui est aussi une vertu est une chose trop sérieuse pour ne pas la laisser à des aléas ou à de l’instrumentalisation. Il en va de la démocratie.     

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