Réformer la justice : oui,
mais pour quels bénéficiaires et dans quels buts ?
Par Christian Fremaux
avocat honoraire
Le président
de la République lui -même a annoncé qu’il lançait les états généraux de
la justice. C’est donc du sérieux même si je ne connais pas l’ampleur de
la future réforme et quels seront les domaines examinés à part ceux
brûlants qui occupent l’actualité. Examinons à titre préventif les aspects
pénal et civil puisque la justice est un tout pour le citoyen.
Les plus
dubitatifs ou cyniques diront qu’il faut éteindre l’incendie entre des
autorités régaliennes et que la décision de réformer vient à la suite du
Beauvau de la sécurité où certains policiers ont hurlé que le problème de la police
c’était la justice. Ils ont tort et le raccourci n’est pas acceptable dans un
état de droit où sécurité publique et justice sont complémentaires et doivent
être dans leurs missions spécifiques, indiscutables et insoupçonnables. Certes il y a de quoi avoir peur et chercher
des solutions miraculeuses en regardant les faits divers malheureusement
quotidiens et la violence endémique de la société. Ou plutôt la radicalisation d’individus
mués par la haine pour des raisons aussi diverses que confuses, sans
oublier le fait que certains n’aiment pas le passé de la France et veulent
faire payer aux vivants ce que leurs lointains ancêtres ont toléré ou n’ont pas
fait de mieux. J’y ajoute les attentats et le terrorisme d’origine interne comme
externe.
Tout ceci
crée de l’insécurité qui est réelle et pas un sentiment, même si et c’est
heureusement vrai la France n’est pas un coupe- gorge comme l’a dit le garde
des sceaux. Mais le débat sur la répression à outrance quasi automatique avec
le concours Lépine des solutions drastiques n’est pas en phase terminale, les
campagnes électorales favorisant la surenchère. Rappelons-nous la phrase
célèbre de Blaise Pascal : « la justice sans la force est
impuissante : la force sans
la justice est tyrannique ». Tout est dit. Bâtissons des solutions
concrètes.
On peut
cependant opposer toutes les
statistiques que l’on veut qui prouveraient que les violences étaient au moins
égales jadis, que les mineurs sont restés avant tout des enfants, et autres
explications ou excuses tirées de réflexions de philosophes, d’intellectuels,
de sociologues et autres membres du camp du bien ouverts à tous les autres et
à toutes les cultures, rien ne peut persuader le citoyen : la police
que l’on méprise, attaque, accuse des pires travers qui seraient systémiques
fait son travail ,mais la justice est un maillon faible.
C’est
injuste, et Mme Arens 1ère présidente de la cour de cassation qui représente les magistrats du siège toutes spécialités
confondues ainsi que M.Molins procureur général de ladite cour qui incarne le
parquet celui qui soutient l’accusation c’est-à-dire le respect de la loi , sont venus défendre à juste titre leur
institution outragée car accablée pour être réputée
laxiste et globalement insuffisante, en protégeant ses membres même
s’ils ont commis des fautes professionnelles ou qu’ils prennent des décisions
qui ne correspondent pas avec l’opinion publique. Ce qui est rassurant selon
moi, car il n’y a rien de pire que la foule en colère. Mais les juges
appliquent la loi que les politiques fabriquent, et comblent les vides juridiques
quand une question est officiellement posée dans un contentieux. Il ne faut pas
en faire des boucs émissaires. M.Macron leur a répondu en lançant les
états généraux : je pense que ces hauts magistrats attendaient une autre
proposition plus corporatiste de leur protecteur institutionnel, garant de leur
indépendance et de l’autorité judiciaire. Et qu’il leur renouvelle publiquement
sa confiance et leurs mérites. Il a dû le faire, mais discrètement ?
La réforme
de la justice doit aussi s’étendre à ce qui ne ressortit pas du droit pénal qui
intéresse certes le quidam mais n’est pas son habitude. Les contentieux autres
sont la majorité et ils génèrent un
sentiment d’injustice ou de désespoir pour certains. Les états généraux
rappellent ceux de 1789 : qu’est le tiers état : rien ? Que
veut-il : tout. C’est le cas aujourd’hui. Le citoyen-justiciable veut à son
service une justice globale performante digne du XXIème siècle dans tous
ses tiroirs. Et pas seulement pour que les juges soient réconfortés et reconnus
au niveau qu’ils se sont fixés dans la hiérarchie sociale et parce qu’ils estiment
devoir être considérés sinon admirés. Mais surtout pour que le sort personnel
du consommateur de justice soit amélioré. Il veut aussi être reconnu et
être partie prenante participative puisque la justice est rendue en son
nom. La tour d’ivoire doit être abattue !
Il peut y avoir quiproquo et le président
a pensé peut- être n’agir que sur la justice pénale celle qui est en lien
avec les gendarmes et policiers ? Ce serait dommage de limiter la réflexion car
la justice n’est pas circonscrite au plus spectaculaire. Comme Janus l’individu
a un recto qui peut être sombre et donc doit respecter des devoirs, mais aussi
un verso qui veut la lumière donc faire reconnaitre ses droits. L’annonce au
moins de discussions a été bien accueillie par les justiciables, ceux qui sont
victimes ou prévenus certes, mais surtout par tous ceux qui ont à régler un
problème de la vie privée ; qui sont devant le conseil de prud’homme ou le
tribunal de commerce ; qui ont un conflit avec leurs voisins ou leurs
mairies ou une administration quelconque voire le fisc, ou avec son assurance,
sa copropriété ou un squatteur, car la justice ce n’est pas que le procès
pénal même si de petits dérapages y conduisent pour les infractions au
code de la route ou un peu trop d’alcool ou de shit! c’est la vie de tous les
jours. Et pour qui un juge est un juge sans distinction subtile entre les
différentes fonctions. Personne ne peut se vanter qu’il n’aura jamais
affaire à un magistrat. Donc prudence, mais désir d’une justice rapide qui sait
trier le bon grain de l’ivraie occasionnelle ou apaiser un conflit par son jugement.
Tout individu qui a eu affaire à la justice a
connu les obstacles à l’accès de celle -ci ; le choix indispensable des
avocats ; le tribunal de plus en plus lointain puisque les juges de
paix de proximité n’existent plus et que désormais les tribunaux d’instance
sont regroupés auprès du tribunal judicaire siégeant au chef -lieu du
département et que les cours d’appel sont dans les régions. Ils ont subi
les délais d’attente interminables avant que leurs dossiers soient évoqués, ont
été perdus dans la procédure compliquée ; n’ont pas eu droit à la parole
puisqu’ils avaient un conseil qui s’exprime pour eux…Ils ont peut-être gagné,
mais l’adversaire a un droit d’appel. Et ils doivent attendre pour que le
jugement soit exécuté avec l’aide d’un huissier qui fait payer des frais !...
Et je passe les péripéties. Je n’évoque que pour mémoire l’existence du
tribunal administratif que l’on trouve dans les régions, qui traite les
contentieux administratifs (avec l’Etat ; les collectivités
locales ; les services publics…) de plus en plus fréquents par une
procédure exclusivement écrite, et dont les juges sont de hauts fonctionnaires.
N’est -ce pas une incongruité du passé ?
La liste de
tout ce que l’on reproche à la justice est longue et puisqu’il va y avoir des
états généraux il faut consulter les cahiers de doléances écrits
depuis longtemps. On sait qu’elle manque de moyens matériels
comme humains, et que son budget bien que récemment revu à la hausse est
insuffisant. On a donc la justice que l’on mérite, en dépensant pour elle avec
parcimonie. On vit un état de droit au
rabais. Certes il y a des comportements individuels inacceptables
comme les magistrats qui ont construit le mur des cons ou ceux qui
ont déclenché une enquête supersonique à la veille des élections
présidentielles de 2017 et qui ont éliminé de fait un candidat. Mais c’est une
infime minorité qui confond réserve et idéologie. Il y a aussi ceux qui
commettent des erreurs parfois avec des conséquences très graves. Dans tout
métier c’est le cas, et chacun doit assumer ses responsabilités devant ses
pairs et devant la justice : les victimes ont droit de savoir,
d’exiger des sanctions, d’être indemnisées. Au lieu de se focaliser sur
l’indépendance nécessaire des juges, donnons-leur les moyens d’être impartiaux,
de juger vite, de s’entourer d’assistants qualifiés et d’être aidés. Tout en
examinant éventuellement leur responsabilité personnelle. Comme en matière de sécurité le risque zéro
n’existe pas. Quand le drame tombe sur vous on ne veut plus rien comprendre ni
accepter. Mais la société a le devoir de
faciliter le travail de ceux qui prennent des décisions difficiles. Ils
doivent pouvoir se confier à des collègues, à des experts, que le choix soit
collectif, et qu’ils ne soient pas contraints de faire confiance à leur seule
conscience et bonne foi. Un juge est une femme ou un homme, un être humain qui
peut se tromper quel que soit le domaine concerné ou le cas particulier qu’il
doit affronter.
La réforme
de la justice doit être naturellement matérielle mais pas uniquement. La morale
ne participe pas mais il y a l’équité, et les grandes règles universelles
sont les fondements de la justice avec la loi positive. Nul n’ignore
que donner toujours plus de moyens n’améliore pas automatiquement les décisions,
s’il n’y a aucun cap, aucune stratégie, ni choix de société ou de
civilisation que le peuple a choisis. Le président de la république a annoncé
qu’il souhaitait que désormais le garde des sceaux explique aux parlementaires,
donc au peuple, chaque année la politique pénale du gouvernement : qui sont
ceux qui défient l’ordre public, nos adversaires voire ennemis ; comment
les combattons nous avec quelles armes légales ; quel est le sens de
la punition et de la réinsertion … ? Bonne idée mais il faudra
écouter les citoyens en permanence et entendre ce que disent les élus
locaux.
En matière
civile comment améliorer le fonctionnement concret de la justice ? Comment
faire du droit donc de la loi un élément structurant de la vie en société pour
l’utilisation de nos libertés sans choquer ou nuire à autrui ? Comment
faciliter la médiation, la concertation qui donnent des résultats rapides en
cas de conflit, sans gagnant ou vaincu chacun ne perdant pas la face ce qui est
essentiel quand on estime que l’on a raison et que l’autre a forcément
tort : c’est mettre de l’harmonie dans les rapports sociaux…
La question
principale est : dans notre état de droit la justice doit- elle passer
d’autorité judiciaire à pouvoir judiciaire selon la théorie adaptée
à la modernité de Montesquieu, et si oui avec quels moyens légaux ou
autres et quels contrôles, pour faire quoi au bénéfice du qui ?
Je souhaite
donc que la discussion sur la réforme concerne la justice en tous ses états, et
pas seulement celui qui attire l’attention du public et des médias. La
justice doit être contextualisée selon le mot à la mode dans un espace
plus vaste qui est celui de la vie en société .Il faut rétablir de
l’autorité c’est- à -dire le respect des normes générales à tous les étages et
dans tous domaines y compris dans la famille ou l’école .On doit s’intéresser
au rapport entre tous les individus dans leurs diversités qui acceptent l’usage
de la tolérance .Enfin il faut rappeler que pour vivre tranquille il faut
donner aussi de la priorité à ce qui est collectif, la défense de la
nation et de la patrie avec des citoyens qui n’exigent pas que des
droits en écartant les devoirs. Il faut nous mettre d’accord sur les
grands principes républicains sinon toute réforme échouera. Si l’on veut que police/gendarmerie et justice
réussissent sans s’opposer il faut leur donner des objectifs communs qui
dépassent leurs missions. Et convaincre les citoyens que c’est dans leur
intérêt que la justice intervient.
Tout le monde
doit participer. La justice n’appartient ni aux magistrats, ni aux avocats, ni
aux politiques ni à un pouvoir ou un contre -pouvoir quelconque : les citoyens
l’ont en commun. Ils doivent être partie à la réflexion sans tirage au sort. On
a besoin de responsables légitimes. La justice qui est aussi une vertu est une
chose trop sérieuse pour ne pas la laisser à des aléas ou à de
l’instrumentalisation. Il en va de la démocratie.
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