Instrumentalisation et / ou idiot
utile.
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
Dire que la
violence y compris verbale domine la société est un truisme et traduit un
climat d’insécurité, une société électrisée. Les prétendues élites ne donnent
pas toujours l’exemple, et la sérénité ou la tolérance ne règnent pas en
maître. On clive entre le camp du bien et celui du mal, entre le politiquement
correct et le rejet de toutes nuances qui sont prises pour au moins de la trahison,
de qui et de quoi c’est un autre sujet. On conteste tout et son contraire c’est
plus rapide, mais sans proposer du concret faisable c’est plus facile. On relativise les valeurs surtout
républicaines car tout se vaudrait, ce qui est inexact. Et on attend le moment
clé : deux à trois heures en direct à la télé entre les deux finalistes,
où l’on juge le physique, l’esprit, l’expression et les idées des candidats au
poste unique de la république. C’est le vote image et impressions. La démocratie est chronométrée et en couleurs.
Pour ceux
qui auraient mauvaise vue, ou seraient sourds rappelons qu’on est entré en
campagne électorale présidentielle bien sûr, car tout ce qui concerne les élus
locaux, départementaux ou régionaux sert de prétexte et de répétition. Le sort
local des citoyens qui sont sur le terrain et qui ont des besoins est mis
de côté. Tout est fondamental, tout est très sérieux, à chaque évènement c’est
le drame. Et le lendemain on passe à autre chose. Les lilliputiens se prennent
pour Gulliver.
Dans notre
quotidien on assiste impuissants aux échanges entre politiques de formules
lapidaires qui sont plutôt des invectives sinon des insultes ou des menaces.
Cela lasse et ne conduira pas à plus de confiance envers nos futurs élus comme
ils ne cessent de la réclamer. Elle ne se décrète pas et le citoyen n’est
coupable de rien, sauf de vouloir de la réussite globale et de vivre en paix.
Il ne se bat pas tous les jours contre son voisin. On préférerait des discussions
positives mais il n’y en a plus. On twitte, on raccourcit, on résume, on
condamne, on soupçonne, on schématise. Le slogan vaut action et il faut surtout
discréditer l’autre sans se lancer dans des considérations plus élaborées, plus
démocratiques, plus humanistes, pour prouver plus d’efficacité dans l’intérêt
général futur. On sera élu au moins par défaut
si on ne commet aucune faute de communication et non pas en fonction de son
programme et de ses propres qualités, mais parce que l’adversaire aura été
rabaissé et taxé d’infâmie. L’enthousiasme est secondaire, à option et
quasiment réservé aux seuls militants.
L’instrumentalisation
consiste à considérer quelqu’un ou quelque chose comme un instrument simplement
utile, on veut dire manipulé. On détourne ainsi de son but tout ce qui est
l’objectif projeté. On se sert de l’occasion pour desservir autrui. Il y a
aussi les idiots utiles d’une cause selon le mot attribué à Lénine, qui en
politique s’applique à des personnalités qui servent des desseins divergents de
leurs représentations authentiques, fussent-elles sincères. Les exemples sont légion qui substituent
l’émotion à la raison, l’empathie à la nécessité, la conviction à la
responsabilité, et la lutte pour le pouvoir à l’attente collective. Comme si un
camp pouvait avoir raison sur tout !
Dans le
champ politique ce n’est plus programme contre programme, et à la limite
promesses contre promesses qui n’engagent que ceux qui y croient. Il faut
réduire l’adversaire à sa part d’ombre, le ranger dans une catégorie dangereuse
totalitaire si possible, ou utopique qui a échoué. L’histoire est évacuée. Il
n’y a plus d’exposé des motifs, mais la demande d’adhérer sans réserve à ce qui
est proposé. L’expérience des autres est rejetée, et on s’empresse de jeter à
la poubelle même ce qui a pu fonctionner jadis, ou qui mériterait d’être maintenu
et/ou revu simplement. On n’accepte ni analyses contraires ni avertissements
viendraient -ils de voix non officiellement autorisées à s’exprimer mais légitimes,
et ayant fait la preuve de leur neutralité et de leur dévouement dans l’intérêt
général. La prétendue bonne parole se
cantonne à des citoyens tirés au sort, ou aux vociférations de quelques excités
qui ont des haut -parleurs.
A chaque
fois qu’il y a une objection pour des projets de réforme sur des problèmes
fondamentaux, par exemple sur la sécurité et les libertés, ou sur la police et
la justice, sur l’identité et les frontières aussi, et je n’allonge pas
la liste de ce qui est vital, on la balaie en dénonçant de
l’instrumentalisation à des fins diverses notamment électorales ou
électoralistes. Autant supprimer le parlement ou toute institution dédiée aux
dialogues et à la coopération. Pour le peu qui en reste d’ailleurs
puisque la démocratie semble se limiter à quelques individus choisis au
hasard ? ou à des influenceurs, car il faut faire jeune et
participatif. L’instrumentalisation dénoncée
permet ainsi de ne pas répondre à la question sans avoir à préciser son
projet et sans admettre la moindre critique et surtout de ne pas être obligé de
convaincre. Mais la bonne foi et le
subjectif constat que les prédécesseurs ont échoué ne sont pas la démonstration
que l’on détient la vérité. Un peu de modestie grandit.
Les idiots
utiles sont les responsables qui prennent le citoyen pour ce qu’il n’est pas. L’électeur comprend les enjeux et sait faire
la part des choses. Il vote parce qu’il croit qu’il aura un avenir meilleur que
ce qu’il subit aujourd’hui. Il ne faut désespérer ni Boulogne ni
Billancourt. Il faut rassembler. Le quidam veut que les politiques le
guident sans l’embrigader ou vouloir qu’il vive contrairement à ses
traditions et principes. Et qu’ils soient pratiques en proposant des mesures
qui conviennent à la majorité sans vouloir changer la vie ou la planète même si
l’individu sait qu’il faut progresser dans tous les domaines y compris pour
lui. Accuser d’instrumentalisation celui qui n’est pas d’accord avec vous n’est
pas persuader, et est un postulat un peu court jeune homme pour conforter la
cause que l’on veut servir car à la fin de l’envoi on ne touche pas. Cela
peut au contraire nuire par son excès et sa caricature.
Créons de vrais débats publics, arguments
contre arguments, raison contre émotion qui ne sont pas incompatibles, réalité
contre utopie dont on a besoin mais qui a coûté sa tête au lord - chancelier
Thomas More. Instrumentaliser ou
prétendre à une manipulation n’est ni débattre ni agir surtout. Revenons à
l’essence de la démocratie : la confrontation des idées au -delà des
personnes qui les incarnent. Et la recherche de consensus car pour avoir des résultats
il faut que tout le monde s’y engage ardemment.
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