Liberté
et loi.
Billet d’humeur par Christian Fremaux avocat
honoraire.
Je rentre de vacances en France l’esprit ramolli (comme
d’habitude diront ceux qui ne m’aiment pas) par la canicule mais ayant subi les
« nouvelles » chaque jour qui me font craindre le pire pour la rentrée. Je n’en
peux plus d’entendre parler du covid, et de supporter la cacophonie des
médecins non crédibles puisqu’il y a autant d’opinions que de spécialistes.
Quand on ne sait rien de certain et vérifiable on se tait et on prône des
précautions c’est tout et c’est simple. On a compris qu’il allait falloir vivre
avec le virus : il faut s’organiser en conséquence. On ne va pas recommencer à
se calfeutrer et mourir d’inanition économique. Il faut faire confiance aux
français qui sont responsables et imaginatifs puisque l’on sait que l’Etat
providence ne peut pas tout. L’Etat est fait pour prévoir les catastrophes et
remédier du mieux possible, coordonner et fournir les moyens et le moral. Ce
n’est pas en condamnant pénalement des personnalités que le virus va
disparaitre .Et la recréation d’un haut -commissariat au plan qui rappelle des
années disparues et un raisonnement étatique quelque peu daté, ne contribuera
pas à court ou moyen terme à éradiquer le mal : pourvu que l’excellent M.Bayrou
pressenti pour le diriger (bien qu’il ait dû démissionner du ministère de la
justice pour des faits liés au financement de son parti politique toujours à
l’instruction ,comprenne qui pourra)
soit assez perspicace pour trouver des solutions efficaces qui réconcilient les
français. Par ailleurs toujours audacieux avec un sens pratique, les
enseignants ont voulu reporter la rentrée, jusqu’à la saint- glinglin ou
l’arrivée d’un hypothétique vaccin ? Ce fut non. Le chômage est annoncé devoir être terrible :
chacun s’y prépare sans savoir quoi exactement. Des prétendus responsables
rêvent à la convergence des luttes et des dates de grèves ou de défilés
-forcément par de bons enfants pacifiques dont on connait les tristes pratiques-sont
déjà fixées puisque le président a annoncé de l’argent coûte que coûte :
l’Europe paiera , les pays du nord radins aussi, bravo. Les exigences de toutes natures vont aider
alors que l’on a besoin d’union, de consensus et d’efforts en commun !
Au secours maman, j’ai peur. Et les interpellations et
exclamations continuent, il n’y a pas de crise à ce sujet. Abordons d’autres thèmes où on se cache
derrière la liberté.
Nous sommes dans une époque où chacun est prompt à vouloir
saisir la justice pour tous motifs qu’ils soient de diffamation ou injure,
d’atteinte à son égo souvent, où pour dénoncer des faits souvent très anciens
voire prescrits mais qui indignent dans la tendance actuelle, qui touchent à la
morale, et qui ne sont plus admis dans l’indignation générale pour tous sujets.
Car tout est devenu grave y compris le secondaire. On ne relativise plus : on
affirme et on cloue aux poteaux des condamnés.
J’ai relevé pendant les mois d’été quelques nouveautés qui ne font pas
l’unanimité et sapent ce qui faisait notre joie ou notre sérénité.
Le cas des animaux maltraités en fait partie à juste titre,
mais je préfèrerai que l’on s’occupe des humains qui souffrent et qui sont pauvres ou ignorés par la
société, ou celui de la nature outragée aussi souvent par
les citoyens qui ont un comportement personnel inadmissible– avant de vouloir
sauver la planète- Il n’y a jamais aucun
débat contradictoire pour apporter des
preuves et la présomption d’innocence se transforme en un soupçon généralisé où
il faut croire sur parole le ou la plaignante , et ceux qui font passer
l’émotion d’abord comme des porteurs de vérité. Les ayatollahs de la pensée
sont légion surtout dans l’anonymat des réseaux sociaux et circulent plus de
fake- news que de réalités vérifiées. L’essentiel est dans le buzz et la
caricature et cela commence à fatiguer.
Chacun peut être concerné ce qui ne rassure pas et
personnellement je passe mon temps à revoir ce que j’ai fait depuis la
maternelle, car il est possible que j’aie fauté sans même m’en rendre compte.
Je suis né blanc en outre, du genre masculin même si le genre ne veut plus rien
dire selon les élites éclairées, sans religion affirmée ce qui est suspect aux
yeux des croyants. Je paie depuis des dizaines d’années taxes et impôts, et vit
du fruit de mon travail ce qui est un privilège inouï je l’avoue en baissant la
tête ; et sans demander aides ou subventions sociales ce qui est louche. On me
répondra que je suis certainement « riche » par rapport à ceux
qui n’ont rien et je ne le nie pas sauf pour modérer cette affirmation, mais sans
m’excuser puisque je n’ai pas spéculé : j’ai accompli ma tâche. Je suis auxiliaire de justice ce qui me rend
partisan puisque la justice n’est pas indépendante, surtout pour les autres on
le sait : on aime la justice qui protège le faible entendu comme le délinquant
qui a des excuses sociales, sociologiques ou familiales ( il n’a pas eu son goûter car ses parents ne
parlent pas français ou ne connaissent pas leurs droits) mais surtout qui condamne les puissants , ce
qui est une sorte de revanche.
L’extrême violence quotidienne pour des motifs futiles
m’inquiète, plus aucune autorité n’étant supportée. L’intérêt général est une
vieille lune et les devoirs collectifs sont devenus ringards. On a vu que pour
fêter leur joie après la victoire d’un club de football sur les Champs- Elysées
il y a eu de la casse et l’attaque d’un car de police. Le bonheur veut donc
dire violence. La frustration aussi, et les manifestations encore plus. Les jeunes, euphémisme qui évite de
stigmatiser parait-il, ne supportent pas de porter un masque ou de se confiner
un minimum pour protéger les autres. On agresse pour se défouler y compris une
infirmière ou un conducteur de bus : l’un d’entre eux en légitime défense
a passé à juste titre une bonne correction à celui qui le frappait. On n’est
pas obligé de tendre l’autre joue ou de se mettre à genoux : la séquence a été
vite supprimée des réseaux sociaux par les modérateurs officiels. Je n’adhère
pas automatiquement au progressisme échevelé ou aux oukases de la bien-
pensance. Il me semble qu’on n’a pas l’interdiction- mais cela peut changer
avec les minuscules groupes de pression- de ne pas aimer tel ou tel, ou de ne
pas être d’accord avec ceux qui professent des
imbécillités, ne connaissent pas l’histoire en particulier coloniale
avec le contexte de l’époque et les acquis par le sang de 1789 et n’ont pas compris que
la France avait des principes universels et humanistes qui s’opposent aux communautés, à la
discrimination positive , ou à des cultures qui sont le contraire de celles des
siècles précédents et qui ont fait notre renommée et notre art de vivre ouvert
aux autres s’ils respectent nos lois et coutumes. Je mérite donc au moins un procès pour
m’apprendre à vivre et à accepter n’importe quoi comme si une nation se
réduisait à offrir toujours plus de droits sans contrepartie, à encourager ce
qui la désagrège, à lui faire perdre son identité, et à ne pas supporter que
tous les individus fassent ce qui leur plait, y compris par la violence pour s’imposer
à la majorité silencieuse.
On aura beau déboulonner toutes les statues qui rendent
hommage à des gloires passées – pour y substituer qui ?- on n’arrivera pas à
changer l’essentiel : le droit de vivre en tranquillité, sans scandales
permanents, sans violences même pour des motifs dits justifiés ce qui se
discute, sans remettre en cause toute légitimité y compris élective, en étant
fier d’appartenir à un pays en paix, redistributif, accueillant… Malgré les réformes à faire pour réduire ou
supprimer les inégalités et permettre à tous de vivre dans la dignité. Mais qui peut prétendre construire un monde
parfait s’il existe ?. Les oppositions ont parfois raison dans leurs
critiques mais que feraient-elles au pouvoir. Mieux ? On n’est pas certain, ce
qui n’empêche pas de proposer. Quand on compare avec la majorité des autres
pays dans le monde à feu et à sang quand il y a un vrai Etat qui gouverne, on
devrait être modeste dans ses revendications, et plus modéré.
On vit une époque formidable puisqu’au nom de la liberté on
interdit celles des autres et on donne mauvaise conscience à tous. Citons
quelques exemples non exhaustifs : on doit manger bio et on peut attaquer
physiquement les agriculteurs qui gèrent leurs champs selon leurs compétences
et produits adaptés. Mme Pompili ministre a avalé son chapeau en rétablissant
courageusement un traitement pour les betteraves, qu’elle avait elle -même
interdit ! Il ne faut pas prendre sa voiture diesel ou l’avion mais il est de
principe écologique d’ empêcher le tour de France cycliste (qui a réduit ses
emplois 2020 de 5000 à 3000 personnes merci pour les chômeurs) qui pollue et
oblige des hôtesses à embrasser le vainqueur d’étape : c’est odieux et indigne
de la femme ! Il faut supprimer le nucléaire et les emplois qui vont avec au
profit des éoliennes en priant pour qu’il y ait du vent. On peut faire ce que
l’on veut du corps. Les féministes ont raison par principe pour tout et la
moindre de leurs accusations ou demandes est sacrée. Les chasseurs à courre- ou
traditionnels dont je suis - sont dans le collimateur comme des bourreaux, y
compris ceux qui ne sont pas végans .Il est quasi obligatoire d’utiliser
l’écriture inclusive . Les terroristes sont des délinquants comme les autres et
il n’est pas question de les surveiller après leur sortie de prison et de leur
imposer des peines complémentaires (décision d’été du conseil constitutionnel).
Les jeunes ont le droit de se défouler en conduisant avec du H. que l’on veut
légaliser dans des rodéos motorisés et la loi qui veut les punir est
inapplicable… J’en passe et des plus sévères. La liberté permet tout et
interdit tout le reste.
On n’entend quasiment jamais des décisions positives, des
solutions pour sortir de la crise, comment éviter la violence, pourquoi
protéger le pays de tous ceux qui l’agressent de l’intérieur ou de l’extérieur
; du rôle de nos militaires au sahel qui se battent pour nos libertés ; du
sacrifice des pompiers, de la sécurité civile et des soignants (sauf péril
avéré), des forces de l’ordre sauf pour des bavures prétendues. Et d’un espoir sur le plan économique et
social c’est le silence radio.
Manifestement le fléau de la balance est bloqué.
C’est pourquoi j’évoque la liberté et la loi.
J’ai lu pendant mes vacances le livre de Pascal Mbongo chez
Balland « écrivains à la barre ». Au 19ème siècle les écrivains comparaissaient
devant la cour d’assises (Zola) ou le tribunal correctionnel (Baudelaire,
Flaubert, Proudhon, Victor Hugo.. ) souvent pour outrage à la morale religieuse
ou à la morale publique, outrage aux bonnes mœurs… et risquaient outre des
amendes, de la prison ferme. Les plus illustres avocats prononçaient des
plaidoiries très longues souvent déjà écrites pétries de culture grecque ou de
citations latines (la loi Toubon exigeant le français n’existait pas !) pour
défendre leurs célèbres clients. Ceux- ci avaient le droit de plaider pour eux
-mêmes et de justifier leurs oeuvres . On pinaillait sur un mot, sur une
expression ou une description, sur une métaphore, on comparait, on raillait, on
ergotait, on planait dans les hauteurs, on élevait les débats. Le public
applaudissait ou sifflait. Parmi les magistrats du parquet M. l’avocat général
Pierre Ernest Pinard (1822-1909) portait l’accusation avec éloquence. Il a
requis par exemple contre Flaubert pour Mme Bovary. Victor Hugo avait intenté
un procès qui a eu lieu le 19 décembre 1832 à propos de sa pièce « le roi
s’amuse » dont les représentations avaient été interdites. Il criait à la
censure. Après la plaidoirie magnifique de son avocat Me Odilon Barrot il prit
la parole pour affirmer que l’écrivain avait toutes les libertés contre
l’arbitraire des appréciations du gouvernement. Il fut débouté.
Je retiens de lui
quelques phrases : d’abord :« sur ce tribunal vous représentez une idée auguste
et moi à cette barre j’en représente une autre. Sur votre siège il y a la
justice, sur le mien il y a la liberté». Puis : « la justice et la liberté sont
faites pour s’entendre. La liberté est juste et la justice est libre ». Enfin :
« qui a le droit a la force et qui a la force dédaigne la violence ! il n’y a
pas de droit au-dessus du droit » …
N’est pas Me Hugo avocat d’un jour qui veut. De nos jours les plaidoiries sont moins
flamboyantes sauf exceptions par un ténor du barreau et … plus courtes. Mais les
paroles de l’écrivain sont d’actualité.
On peut tout dire et être ferme sans menacer ou invectiver,
ou être discourtois ou violent. La vie en société surtout quand elle est en
crise de nerfs impose de la distinction et de la retenue. Dans une démocratie
le dialogue seul est fécond. On ne peut progresser collectivement qu’en
respectant la liberté des autres, celle de la majorité silencieuse. Et la loi
même si elle ne nous parait pas excellente car on peut toujours
l’améliorer. Les plus excités n’ont pas
forcément raison et en réclamant la justice pour une cause, celle-ci n’est pas
forcément juste. Attaquons la rentrée qui va être difficile en prenant de bonnes
résolutions surtout celle de se calmer et de coopérer dans l’intérêt de
tous.