Le
virus n’est pas que dans l’ordinateur.
Par
christian fremaux avocat honoraire et ancien élu local.
J’ai bien entendu le président de la
république et j’obéis aux instructions
gouvernementales car j’ai le sens de la responsabilité pour moi et les autres, et comme il est interdit d’avoir une
activité non essentielle pour le pays ce qui est mon cas puisque je suis
retraité et que je sévis encore dans le domaine judiciaire civil, je me suis
confiné tout seul et j’erre de mon clavier à la télévision dont je me méfie de
peur qu’un virus mal intentionné saute de l’écran sur mes lunettes, pour écouter la nouvelle libératrice qui annoncera
la fin du mal. Je préfère me priver d’un
petit plaisir debout à l’air en me promenant avec ma famille et veaux,
vaches, cochons,couvées, mon chien et mon chat, plutôt que de déguster cette ignoble maladie
allongé malgré moi en prenant une place d’hôpital à ceux qui ont été atteint gravement
sournoisement. C’est une question de civisme par ces temps électoraux. On
applique le fameux principe de précaution que l’on a étendu à tout et rien et
que je critique souvent, sauf en matière de santé.
Je n’en
étais pas loin mais je suis devenu fermement hypocondriaque en entendant jour et
nuit les urgentistes, réanimateurs, infectiologues et j’en passe, spécialistes des
poumons et des difficultés de l’hôpital public, et je me demande si, tout en
étant bien portant en apparence, je ne suis pas un porteur sain. Le docteur
Knock manque au tableau et désormais au loto je joue le 15. Je tente de
plaisanter pour ne pas stresser. Les journalistes qui font difficilement leur
travail me font peur car ils sont aussi ignorants que moi en matière de
médecine, et ils se contentent de rapporter ce qu’ils entendent à partir de
sources parfois étranges qui ajoutent de l’anxiété à l’angoisse, ou montrent du
vide dans les rues ce qui est creux comme informations. Croyons plutôt en la
parole des autorités qui se seraient volontiers passé de cet épisode en raison
des réformes sur le feu. Et je suis content d’entendre et de voir à la
télévision le professeur Salomon qui est à la santé ce que le procureur Mollins
était aux attentats : des experts calmes qui rassurent.
Je n’aime
pas non plus le décompte macabre tous les soirs, car il n’y a pas un concours
avec les pays voisins et comparer n’est pas jouer. On a bien compris que la
progression journalière était très forte et qu’on n’avait pas atteint la phase
de stagnation, sachant qu’il n’y a pas de médicaments ou de traitements
efficaces, sauf à se laver les mains et à ne parler de près à personne. On va
donc être propre comme des sous neufs, même si la bourse dévisse on ne sait pas
rationnellement vraiment pourquoi et que les revenus vont surtout faire défaut
aux commerçants, artisans, professions libérales déjà touchés par les
conséquences des manifestations des gilets jaunes, les grèves diverses et
l’ambiance délétère.
On va donc
lire et il parait que le livre d’Albert Camus « la peste » fait un
tabac (que les commerces dédiés peuvent continuer à vendre ! ). Je ne
partage pas la réflexion désabusée de Stéphane Mallarmé dans brise
marine : « la chair est triste hélas et j’ai lu tous les
livres ». Je n’ai pas lu tous les livres tant mieux, et ayant l’âge
merveilleux de 70 ans passés ma chair est devenu plus flasque, mais elle peut
servir et me suffit d’ailleurs. Tout
espoir n’est donc pas perdu il faut être optimiste.
On vient de
comprendre que la peur est mauvaise conseillère, que nous étions solidaires
puissants comme misérables à égalité devant la douleur sans faire de tri, ou de
choix cornéliens, et que nous devions être unis quelles que soient nos origines
et croyances ce qui est une bonne nouvelle. Mais on a une critique collective à
se faire : à force d’avoir économisé et délocalisé peu importe pourquoi, on
s’est tiré une balle dans le pied. Tous les domaines dont celui de la santé ne
sont pas éligibles à la mondialisation et l’Etat a toujours un rôle
d’intervention central à jouer, même si les libertés individuelles doivent être
conservées sans être en opposition avec les contraintes nécessaires. Les libertés collectives qu’on appelle encore
devoirs ont un sens et les valeurs républicaines nous donnent un cadre de comportement
civique.
On vient de
s’apercevoir que malgré nos institutions décriées qui sont très solides, notre
société et notre démocratie sont fragiles, et les gilets jaunes en fureur qui
ont manifesté samedi 14 mars malgré l’interdiction des regroupements, sont de
dangereux irresponsables. Quand la nation est touchée on met de côté les revendications
catégorielles et on ne défile pas pour avoir raison contre tout le monde en
voulant imposer sa vérité sans avoir le moindre devoir ou conscience des
dangers. Le virus est aussi dans certaines têtes. Comme
l’a déjà écrit Jean de la Fontaine dans sa fable les animaux malades de la
peste : « tous n’en mouraient pas mais tous étaient
frappés ».
Sur le plan
politique des élections municipales la polémique va venir. Pour l’instant tout
le monde est vertueux et modéré en paroles, met en avant la santé des français
et commente peu le résultat du 1er tour. La question était :
peut -on repousser le 2ème tour sans que le 1er soit annulé ? Les
professeurs de droit constitutionnel sont d’avis divergents - le contraire eut étonné-
car il n’y a pas de précédents et de jurisprudence formelle pour s’inspirer. Le
président a tranché en fonction de l’avis des scientifiques et des juristes du
conseil d’Etat sûrement, voire des responsables politiques dont certains ont
été élus au 1er tour : ils n’ont donc pas plaidé pour une
annulation on le présume. La solution choisie me parait la bonne. On fera le bilan quand l’épidémie sera finie
et on pourra juger alors si la décision fut opportune ou non. Je parie qu’il y
aura dispute car c’est toujours facile de réécrire l’histoire.
Il n’y avait aucune raison de droit ou de fait
d’annuler le premier tour des élections municipales. Je me réjouis que les élus
du premier tour soient sanctuarisés car les électeurs se sont déplacés quelle
que soit la relativement faible participation (que l’on a déjà subi pour
d’autres élections ou consultations) et ont fait connaitre leurs opinions. Ces
élus ont pu élire leurs maires et font fonctionner la commune. La décision de reporter le deuxième tour est
prise, par une loi en urgence, avec l’avis du conseil constitutionnel. Il faut en effet changer les conditions de
l’article 56 du code électoral qui prévoit un délai de huit jours entre les
deux tours, et l’allonger de quelques mois, puisque la date du 21 juin a été citée.
On n’est d’ailleurs pas sûr que la
participation soit meilleure à cette date et que les électeurs se déplaceront en
masse quand il n’y aura plus de virus car rien ne prouve que le déplacement
pour voter toujours insuffisant- on voudrait plus- soit la conséquence
uniquement de la peur de bouger compte tenu du dégagisme ambiant et de la
lassitude du corps électoral en matière de représentation ?
Je connais
les objections. Une élection à deux tours est un tout pour que le résultat final
soit sincère et légitime dans la foulée. Des électeurs changent de camp en fonction du
résultat du 1er tour, des alliances se nouent, des accords parfois curieux se concluent. Le 2ème tour peut ne pas avoir la même configuration et
trajectoire que le 1er. Ce n’est pour autant que ce dernier est
anti-démocratique même s’il a eu lieu des mois ou des semaines auparavant et
que le futur 2ème tour n’a aucun lien dans la continuation avec le 1er. Les
éliminés le restent il n’y aura pas une deuxième chance au nouveau tirage !. Mais il faudra innover le cas échéant car
l’opinion peut varier, vouloir corriger son vote du 1er tour et on
sera dans une situation juridique inédite. Par ailleurs je ne vois pas
juridiquement ou civiquement en quoi cela change quoique ce soit de confirmer
les élus du 1er tour de façon définitive les conditions de
l’élection ayant été transparentes et sincères, ce qui apporte de la sécurité
juridique et règle le cas d’environ 30.000 communes de quelques centaines ou
milliers d’habitants. Et je suis égoïste puisque je parle de moi : après 37 ans
de mandat en commune rurale de 600 habitants j‘ai laissé la place aux jeunes
qui ont été élus à 15 sur 15 sièges avec plus de 55% de participation. Pas de 2ème tour. Mission accomplie. C’est moi le vainqueur
puisque je n’ai pas été battu et je pars en un tournemain.
Pour le deuxième
tour les candidats agiront comme d’habitude à partir du 1 er tour qui a fixé la
volonté et les choix du corps électoral. Les municipales sont des élections locales faites
pour élire surtout des gestionnaires. Ne faisons pas du juridisme sous la
réserve de l’appréciation du conseil constitutionnel. La
politique politicienne celle que le citoyen déteste se trouve surtout dans les
plus ou moins grandes villes et n’est pas compatible avec la santé publique. Le
virus de la politique qui manœuvre ne passera pas.
La constitution s’interprète. Le droit n’est
pas gravé dans le marbre : il doit s’adapter à des circonstances exceptionnelles.
Le covid-19 peut participer au progrès citoyen et à l’apaisement politique. Ce
sera un apport démocratique positif de cette crise. Les battus crieront de toutes les façons au
scandale et au déni de démocratie. Et
restent les tribunaux en urgence même si les juges sont aussi confinés que les
avocats.
Comme l’a
écrit Paul Valéry «le vent se lève il faut tenter de vivre».