Une ordonnance M. le président ?
Par Christian FREMAUX avocat
honoraire et élu local.
Chaque
français qui est un bien portant en mauvaise santé qui s’ignore sait
ce qu’est une ordonnance délivrée par son médecin ce qui lui permet ensuite de
se faire rembourser par la sécurité sociale et sa mutuelle. Ce sujet a été à
l’ordre du jour de la campagne présidentielle. Les électeurs n’ont pas aimé
notamment la potion amère que le docteur
Fillon voulait imposer pour purger et guérir le malade ou l’huile de foie de morue
typiquement française que le front national voulait lui faire boire et ils ont
finalement préféré faire confiance à un jeune thérapeute qui a prétendu avoir des solutions homéopathiques, celles qui ne
tuent pas immédiatement et sont efficaces
dans la durée, plus dans l’air du temps et plus douces à avaler . M.Macron ,
triomphalement élu président de la république, a proposé de gouverner par ordonnances, car le
cas de la France est grave, pour porter
remèdes au plus vite compte tenu de
l’urgence , avant de devoir opérer à chaud. Qui est donc mal portant et que
signifie gouverner par ordonnances ? .C’est le texte de la constitution de
1958 celui de la Vème république que d’aucuns veulent jeter aux orties (autre
ponction qui soigne) qui permet de répondre.
Tout le
monde connait la loi qui est âprement
discutée par nos éminents parlementaires, qui s’invectivent au parlement,
ergotent sur les détails , y passent des heures jusqu’à ce qu’un premier
ministre excédé utilise l’article 49-3 de la constitution qui permet de faire
adopter le texte à l’arraché. Circulez ,
il n’y a plus rien à voir. La loi travail dite El khomry a ainsi amusé la galerie pendant des mois.
Mais « dura lex sed lex ». La
loi est la base de notre démocratie et la justification du salaire de nos
députés et sénateurs, car ce n’est pas un
emploi fictif que de fabriquer un
texte qui va régir les rapports entre les citoyens, fixer les règles, même
s’il faut ensuite écrire des décrets
d’application, des circulaires explicatives,
et attendre que les tribunaux l’interprètent avec leur jurisprudence. La mise en œuvre effective de la loi prend
donc un temps certain.
L’article 34
de la constitution dispose : « la loi fixe les règles concernant … les droits civiques, les libertés
publiques et fondamentales…détermine les principes fondamentaux notamment pour
la défense nationale, la libre administration des collectivités territoriales,
le régime de la propriété, le droit du
travail et syndical, la sécurité sociale… », enfin tout ce qui est
essentiel au fonctionnement du pays. Ce sont les parlementaires qui proposent
un sujet (proposition de loi) ou c’est le gouvernement pour appliquer son
programme et faire valider ses promesses (projet de loi).La loi doit faire
l’objet d’une navette entre l’assemblée nationale et le sénat qui dure plus ou
moins longtemps, l’assemblée nationale ayant le dernier mot, puis peut être
soumise à la censure du conseil constitutionnel saisi par au moins 60
parlementaires et enfin être promulguée au journal officiel. C’est donc un
parcours du combattant et on se rappelle l’année dernière les manifestations,
grèves, débats à dormir la nuit debout, négociations sans fin et surtout sans
accord final, polémiques aussi diverses
que stériles , pour aboutir à une loi vidée de sa substance. On n’avance
ainsi pas quand la politique catégorielle
des partis fait de l’obstruction au parlement, aidée par la rue, aux dépens de l’intérêt général. M.Macron qui
est jeune donc pressé comme l’a écrit Paul Morand, qui s’est usé au parlement
quand il était ministre et essayait avec constance de convaincre et ses amis et ses frondeurs,
outre l’opposition qui était dans son rôle tout en partageant certains
arguments du ministre ! ne veut pas retomber dans ces travers qui alimentent
surtout les médias et ceux qui n’exercent pas de responsabilités, mais nous rendent ridicules devant le monde
entier qui regarde médusé nos débats et nuisent aux français, a donc décidé de faire vite voter les mesures
qu’il a préconisées pendant la campagne électorale, celles qui doivent
débloquer le pays et lui permettre de redémarrer selon lui , tout en restant
attaché aux prérogatives du parlement
qu’il entend recadrer cependant un peu,
car la démocratie l’exige. S’il passe par la loi classique il lui faut une
majorité absolue et que le mouvement la république en marche gagne les élections avec ses candidats triés sur le volet d'internet-ce qui est inédit-, ce qui
n’est écrit nulle part pour l’instant, les républicains espérant être majoritaires
pour prétendre à une cohabitation avec
un premier ministre issu de leur rang ou pour au moins imposer leurs
idées. M.Macron a donc décidé de passer
par une autre méthode de droit , celle des ordonnances, ce qui est parfaitement
légal, et a déjà été utilisé par d’autres présidents. Même si on entend déjà la
voix outrée de certains- les mêmes qu’avant le 7 mai d’autant plus qu’ils ont
été battus- et le silence vigilant de tous ceux qui veillent à l’état de droit et au respect des
libertés publiques et de la démocratie. De quoi s’agit-il ?
L’article 38
de la constitution dispose : « le gouvernement peut pour
l’exécution de son programme demander au
parlement l’autorisation de prendre par ordonnances , pendant un délai limité,
des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Il faut donc
réunir une majorité au parlement qui va voter ladite autorisation qui n’est pas
éternelle, rassurons les plus craintifs . D’où l’obligation pour le président
d’avoir une majorité à lui, ou d’en trouver une
d’idées ou de conjonction d’intérêts. Les élections législatives de juin
sont donc déterminantes et les extrêmes
ne devront pas perturber le jeu : c’est de la responsabilité des électeurs
qui devront faire preuve de raison et pragmatisme en votant pour les candidats les plus susceptibles de participer à un redressement
et une politique utile, et pas se faire
plaisir en éparpillant leurs votes s’ils sont cohérents avec l’élection de
M.Macron et de ses principes ,s’ils veulent la réussite de la France .Les ordonnances sont ensuite prises par le gouvernement en conseil
des ministres après avis du Conseil d’Etat ( plus haute juridiction
administrative faut –il le rappeler). Selon l’article 13 de la constitution
elles sont signées par le président de la république puis publiées et non
promulguées. Elles entrent immédiatement en vigueur.
Gouverner
par ordonnances c’est vouloir que les maux ou obstacles liés à nos mauvaises
habitudes , à nos traditions surannées syndicales ou politiques -tout ce qu’a
fait le gouvernement précédent doit être défait par exemple- qui affaiblissent
le pays, disparaissent au plus vite, et qu’un élan soit propulsé, qu’un
signal soit donné à tous :
retroussons nos manches, bousculons les conservatismes, réformons le plus
possible en dépensant moins, car il y a toujours quelqu’un qui paie, et
redevenons sérieux sans se disperser dans des combats minoritaires, des sujets
de société qui montent les uns contre les autres, et retrouvons notre identité
et nos valeurs républicaines. Quittons l’ancien régime , faisons du neuf et
« sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques» comme
l’écrivait le poète révolutionnaire André Chenier, avant qu’il ne passe à la guillotine. Notre pays est
confronté à des menaces très graves extérieures comme intérieures, notre
sécurité doit être la priorité, dans un cadre européen qui protège mais qui
doit être lui aussi réformé. Notre marché du travail doit être dépoussiéré et le mot est faible et la valeur
travail même modernisée, confirmée. Les droits dits acquis devenus obsolètes, voire
inégalitaires doivent être rénovés dans l’avenir si ce n’est
supprimés tout en préservant les garanties de ceux qui en profitent puisque c’est le contrat qu’ils ont passé avec la
nation. L’Etat doit se recentrer , gérer l’essentiel , créer le cadre qui
permet de libérer les initiatives, faciliter la solidarité et la redistribution
et ne plus se mêler de tout. La fonction publique d'Etat comme territoriale doit être revue dans ses
missions et sa dimension. Enfin car tout commence par l’éducation , il convient de se ressaisir et transmettre
les valeurs de base, celles qui parlent du récit national dont nous devons être
fiers, celui qui a permis d’assimiler tous ceux qui avaient le même but, et se
reconnaissaient dans une communauté de destin…..Et la liste des priorités n’est
pas exhaustive !
Jules Romains l’inoubliable auteur du docteur Knock posait un regard critique sur la médecine
et l’Etat et lui faisait interroger son
patient : « est-ce que ça vous chatouille ou ça vous
grattouille ? » , ce qui lui permettait de critiquer les charlatans
et les vendeurs d’espoirs.
Les
ordonnances que souhaite prendre le président de la république lui permettront , je l’espère, d’être un moyen moderne de gouverner , car on ne peut
plus attendre. La guérison doit se faire immédiatement sinon nous mourons
tous guéris, mais ce sera trop tard.