Et si on
faisait du droit ?
Par Christian
Fremaux avocat honoraire et élu local.
Si l’on met
de côté l’aspect moral de ce que l’on appelle l’affaire Fillon car chacun peut
penser ce qu’il veut des conditions légales d’emploi et de rémunération de Mme Fillon
il faut s’attacher à l’autre volet du dossier celui qui concerne le droit..En
effet qui peut juger à part son patron ? N’ y -a -t -il pas du travail au noir,
des revenus en espèces et pas déclarés, quelques triches avec les notes de
frais, enfin tout ce qui fait le « charme de l’existence » et qui ne
nous parait pas être une fraude car les montants sont minimes .Certains sont
maximalistes et je ne sais pas jusqu’où il faut aller. M.Bayrou dont le
parcours sous des airs vertueux s’apparente à de l’opportunisme, est hypocrite car
il a été député, ministre et a vécu de ses mandats, sauf erreur. Il est aussi sinueux
–est-ce-bien moral de tromper ou d’abuser les électeurs -? une fois à droite
en acceptant l’aide de M.Juppé pour conquérir la mairie de Pau ,puis une fois à
gaucheen appelant à voter contre M.Sarkozy, puis désormais pour lui-même, et accuse M.Fillon d’être sous domination des
puissances d’argent pour avoir eu une société de conseil qui recevait des honoraires, conseillait une compagnie
d’assurance et des chefs d’entreprise riches. Tous les consultants professions libérales, hommes d’affaire
–y compris ceux qui sont comme M. Hollande , M.Montebourg, M.DSK et d’autres tous avocats - doivent se
retourner et bondir de leurs profonds fauteuils. Je ne parle même pas de
M.Macron conseil en fusion- acquisition de la banque Rothschild. L’argument de
M.Bayrou est nul et médiocre et peut être devrait il se regarder dans la glace
lui qui est un professionnel de la politique qui pourrait détailler son
patrimoine, composé a priori d’une maison, d’un tracteur et de bêtes ? Que
celui qui n’a jamais péché jette la première pierre, sur celui qui profite de
quelques occasions, légales de préférence bien sûr. Il serait
naturellement hautement souhaitable qu’un
candidat à une fonction publique très importante, même pas celle de président
de la république, prouve qu’il est sans tache -qu’il n’a pas hérité de fortune
ou de biens suspects par exemple- et que
son parcours a été immaculé par des fréquentations exemplaires n’attendant aucun
retour pendant des années. Il faudrait organiser les primaires de la vertu !
Car avant d’être candidat à la présidentielle il a fallu exister pendant des
dizaines d’années, aller de victoires en défaites, beaucoup investir politiquement donc dépenser, vivre professionnellement;
assurer son avenir et celui de sa famille comme tout quidam. Faudrait- il n’avoir
comme candidat qu’un « pauvre »,célibataire, sans enfant , sans animaux,
sans logement, sans voiture avec fonction , sans diplôme qui lui permet d’avoir
de confortables revenus, sans expérience parlementaire, étatique, de hauts
fonctionnaires ou d’entreprise, sans
rien connaitre du pouvoir ou des pouvoirs qu’il doit dominer. Cela n’excuse
évidemment pas tout dérapage ou abus mais dès l’instant que
c’est légal et que seules les conditions d’application sont moralement
contestables-et encore faut il le démontrer -il faut savoir ce que l’on veut ? Imagine-
t- on que l’on aura des candidats députés ou sénateurs qui répondront à un zéro
faute et à un examen d’innocence dans tous les domaines, ou a l’absence de tout reproche possible, y compris
sur les mœurs, l’origine, la religion, les idées : on ouvre la boite de
pandore si tel est le cas .La démocratie est un régime fragile et d’équilibre où l’éthique est au centre des
débats mais où l’exagération et la démagogie devraient être bannis. Que l’on se
rappelle que dans les pays où il y a une police de la pensée ou un ministère du
vice et de la vertu, ou des interdictions diverses, c’est le totalitarisme qui
règne et les libertés de tous sont en
cause. Je ne veux pas de big brother en France, ni de journalistes qui lavent
plus blanc que blanc, en étant à l’abri de toutes poursuites avec l’exigence de transparence qui conduit au
lynchage ou à la lapidation
et à la dénonciation publique .La moralité est à géométrie variable et elle est très personnelle. Ce que d’aucuns
estiment être le mal , est le bien pour l’autre ou l’acceptable. On ne vicie
pas une élection démocratique majeure à partir d’arguments filandreux qui ne
correspondent d’ailleurs pas au droit qu’il va bien falloir aborder. Et on ne
doit pas instrumentaliser la justice pour éliminer un candidat qui représente
l’espoir de millions de français. L’erreur de M.Fillon et il s’en est excusé-même
si cela peut sembler court- mais il ne va pas se pendre en direct à la
télévision alors qu’il sait avoir
respecté la loi- est d’avoir cru que puisqu’il avait le droit d’employer ses
proches (hautement diplômés ) le niveau de rémunération – certes élevé par
rapport aux normes des travailleurs actuels- était de sa responsabilité,
d’autant plus qu’il ne dépensait pas toute l’enveloppe qu’il recevait comme les
autres parlementaires. Bien sur chacun d’entre nous souhaiterait pouvoir
employer son fils ou sa fille comme stagiaire en étant très bien payé ou sa femme
comme collaboratrice avec un salaire conséquent. Certains peuvent le faire (par
exemple dans leur entreprise) mais ce n’est pas une raison pour accabler
M.Fillon . La comparaison n’est pas un
délit et regretter ce qui est légal non plus. En revanche si la loi est injuste
et conduit à des excès il faut la changer , et peut être ne pas demander
aux parlementaires d’être juges et parties. La cour des comptes qui vient encore
de dénoncer diverses anomalies d’utilisation légale de l’argent public, pourrait être compétente à ce sujet ?
Sortons donc du feuilleton (la méthode du canard enchainé consistant à publier du
« nouveau » chaque semaine est- elle morale, alors que la justice devrait
tout avoir ?) de l’indignation , de l’émotion , de pseudos révélations qui
n’ont qu’un but, empêcher M.Fillon d’être candidat à l’élection présidentielle
et examinons le droit qui est neutre,
avec des règles objectives pour tous, sauf si des juges l’interprètent
dans un sens orienté ce que je ne peux imaginer ! même s’il ne faut jamais
être naïf. Faisons maintenant du droit.
Je suis
conseiller prud’homme depuis des années dans la section encadrement et je juge
fréquemment des conséquences d’un licenciement c'est-à-dire la fin d’un contrat
de travail de droit privé, ce qui est le cas pour Mme Fillon même si elle a été
payée par des fonds publics. Puisqu’il n’y a pas de convention collective nationale du travail à l’assemblée
c’est le droit du travail qui s’applique : le salarié en fin de contrat (
un CDI par exemple ) sauf faute grave ou lourde a droit à des indemnités de
préavis, congés payés, ancienneté qui sont variables en fonction du salaire.
Plus celui-ci est élevé plus le total est lourd .C’est un calcul
mathématique fait par l’employeur en l’espèce l’assemblée nationale. Il n’y a
pas de triche, c’est le droit. Quand il
y a un procès et que le conseil de prud’homme
juge qu’il n’y a pas de cause réelle et sérieuse il accorde en plus des
dommages intérêts qui peuvent être conséquents, (tous les employeurs le
déplorent) même si le salarié a retrouvé un travail dès le lendemain de son
licenciement y compris avec un nouveau travail mieux payé. C’est la jurisprudence
de la cour de cassation. Que Mme Fillon ait reçu des indemnités de licenciement
est la simple application du droit. Les journalistes qui bénéficient en matière
de travail d’un statut favorable, et dérogatoire avec une clause de conscience (article
L.7112-15 du code du travail) qui leur permet de démissionner en touchant des
indemnités devraient être plus justes et modestes en rappelant ces faits. Que
par ailleurs Mme Fillon ait « cumulé »parait –il quelques mois
deux emplois est une question d’organisation, car le travail intellectuel et de
conseil n’est pas la mine ou la chaine et de nombreuses personnalités comme des
ministres y compris actuels le sont à
100% jour et nuit et y ajoutent leur
présence dans leur circonscription dans la semaine et le week-end. Qui le leur
reproche ? Imposer la durée maximale de 48 heures par semaine ne correspond à rien dans certaines
activités. Seul M.Hamon qui propose les 32 heures et le revenu universel
pourrait émettre cette critique. Je plaisante bien sûr s’il est permis de sourire tant les
reproches contre M.Fillon sont détachés de toute réalité.
Après un
moment de sidération où M.Fillon a été sonné par l’attaque brutale du canard enchainé et la curée médiatique, ce que l’on comprend
,et a répondu évasivement car il ne comprenait pas le
procès en sorcellerie qui lui était intenté et la distinction entre le
légal et la décence c’est-à-dire le
niveau des salaires versés dans un pays qui souffre du manque de travail et de
salaires trop bas pour la plupart des travailleurs –travailleuses comme le
disait Arlette Laguiller, ainsi que le rapport ambigu que les français ont avec
l’argent des autres , M.Hollande ayant décrété que l’ennemi c’est la finance !,
il a réagi et ne s’est pas résigné car il
a estimé que l’attaque était injuste.Il a décidé par ses brillants avocats de s’intéresser à la compétence du
parquet financier national qui avait été plus rapide que l’éclair à s’autosaisir
à partir d’une simple publication de
presse, sans plainte de qui conque, sans que l’assemblée nationale ne réagisse,
sans que le fisc prétende que les impôts sur salaires n’avaient pas été payés
ou qu’on suggère que les organismes
sociaux avaient été floués .Il est possible que l’assemblée ou son bureau
auraient dû être préalablement saisis pour une enquête interne, une décision de
déposer plainte pour emploi fictif, et qu’ensuite et seulement ensuite le
parquet national financier soit saisi et
ouvre une enquête ? Ce serait un cas de nullité de l’enquête .On peut
envisager aussi que le délit de détournement de fonds publics ne s’applique
pas à un parlementaire, comme certains professeurs de droit pénal le
soutiennent .On entend des détracteurs dirent que puisque M.Fillon commence à « ergoter » en droit , sur la
procédure et les éléments constitutifs des délits visés , c’est qu’il est coupable ! Et la présomption
d’innocence ? C’est un comble car chaque individu dans notre état de droit pour
un litige banal, peut contester devant
les juridictions compétentes les incriminations qui lui sont faites et obtenir
satisfaction : il ne suffit pas de prétendre, d’accuser, de fournir des
éléments orientés pour avoir raison et de se laisser condamner pour faire
profil bas. L’accusation doit prouver les délits c’est une règle de droit pénal
de base, et le justiciable n’est pas là pour faire plaisir aux juges, même
s’ils les respectent cela va sans dire. Le combat judiciaire commence donc et sauf éléments que je ne connais pas
–puisque comme beaucoup je commente sans avoir accès au dossier et je ne suis
informé que par les déclarations des uns et des autres- Je ne pense pas que M.Fillon puisse être mis en examen avant
l’élection présidentielle. D’abord il serait anti- démocrate de saisir maintenant dans le contexte
électoral un juge d’instruction qui se précipiterait pour mettre en examen
M.Fillon pour l’éliminer d’office car il tiendrait sa parole ! Ce serait
suspect et une véritable immixtion de l’autorité judiciaire dans un scrutin majeur
démocratique. D’autant plus qu’il n’ y a aucune urgence puisque les faits sont
anciens, voire prescrits, n’ont jamais été contestés par aucune autorité à ce
jour, posent des problèmes de droit puisque la légalité a été respectée.
M.Fillon pourrait exercer des recours en appel et en cassation on ne peut lui
retirer les droits de la défense . Ensuite je crois qu’il doit y avoir un
classement sans suite puisqu’il ne suffit pas non plus de « démontrer »
, comment d’ailleurs ? qu’il n’y a eu aucun travail tangible de Mme
Fillon ; seul son employeur le sait et peut s’en plaindre puisqu’il est le donneur d’ordre
et peut le prouver, et un travail auprès de
M.Fillon qui est un homme politique par
son épouse et ses enfants ne se mesure pas comme pour un salarié classique. On
l’a assez dit, surtout ses
collègues parlementaires-y compris de
gauche- qui ont utilisé la même méthode et les mêmes opportunités. S’il faut
changer la loi faisons le mais que les parlementaires ne soient pas juges et
parties. Qu’un corps, indépendant des assemblées vérifie les contrats , la réalité
du travail et lève toute incertitude. Je ne doute pas que M.FILLON élu
président s’attachera à cette réforme qui rassurera les français.
Se pose
aussi le problème des médias. J’ai entendu sur BFM mardi 7 février mon excellent et talentueux confrère Dupond Moretti –qui
n’est pas l’avocat de la famille Fillon- rappeler des évidences en droit,
accuser des journalistes du Monde d’avoir reçu des PV de l’enquête pénale et
s’interroger pour savoir qui les leur
avait remis ; les enquêteurs, le parquet , un fantôme, qui ?
sachant qu’à ce stade de la procédure les avocats de M.Fillon ne possèdent pas
de copies pénales. Certes les journalistes bénéficient de la protection des
sources et peuvent attaquer ou dénoncer ce qu’ils veulent selon leurs opinions ou convictions en nouveaux justiciers ou
procureurs que certains sont devenus, en toute impunité. Mais ils doivent être
aussi irréprochables puisqu’ils font la leçon aux autres. Le parquet ouvrira
peut être une information pour violation du secret de l’enquête et savoir d’où
vient la fuite. Tout ceci ne crédibilise pas l’accusation.
Si on
raisonne en droit il n’y a rien à voir ni à attendre. M.Fillon est le candidat légitime
de la droite républicaine qui triomphera
en mai , je l’espère.
Cessons la
chasse à l’homme qui devient indécente et retrouvons notre sérénité. Nous avons
besoin d’un vrai débat d’idées, d’explications –je récuse le terme promesses
qui ne sont pas souvent tenues ou alors pour notre malheur-pour bâtir une
France qui gagne pour tous, pour sortir de cette défiance généralisée , pour
unir tous ceux qui veulent s’en sortir, faire la grandeur de la France et lui rendre sa fierté , et ne pas
laisser à nos enfants des dettes encore plus importantes. Abordons donc la
politique, du choix entre les hommes et les programmes pour notre avenir commun
qui n’est pas fictif. Seule cette exigence démocratique compte. Profitons en
pour parler de la justice, de sa place , de ses moyens, pour qu’elle devienne
insoupçonnable. Mais qu’elle ne soit pas
dans l’histoire, à partir d’un dossier monté de toutes pièces bancal et inconsistant
en droit ,celle qui aura fait manquer son destin aux français. Son aura ne
sortirait pas grandie. J’ai confiance
dans les juges qui sont républicains et
ont le sens de leur responsabilité. Il sera temps après l’élection si c’est
nécessaire, de revenir sur des règles
devenues obsolètes et qui ne sont plus
acceptées. Mais que la morale pèse de ce qu’elle représente : une théorie
de l’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le
bien. Ce n’est pas un bulletin de vote stricto sensu, sinon on a des surprises.
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