mercredi 10 mai 2017

Une ordonnance M. le président ?

Une ordonnance M. le président ?
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
Chaque français  qui est un bien  portant en mauvaise santé qui s’ignore sait ce qu’est une ordonnance délivrée par son médecin ce qui lui permet ensuite de se faire rembourser par la sécurité sociale et sa mutuelle. Ce sujet a été à l’ordre du jour de la campagne présidentielle. Les électeurs n’ont pas aimé notamment  la potion amère que le docteur Fillon voulait imposer pour  purger et  guérir le malade ou l’huile de foie de morue typiquement française que le front national voulait lui faire boire et ils ont finalement préféré faire confiance à un jeune thérapeute qui a prétendu avoir  des solutions homéopathiques, celles qui ne tuent pas immédiatement  et sont efficaces dans la durée,  plus dans l’air du temps  et plus douces à avaler . M.Macron , triomphalement élu président de la république,  a proposé de gouverner par ordonnances, car le cas de la France est grave,  pour porter remèdes  au plus vite compte tenu de l’urgence , avant de devoir opérer à chaud. Qui est donc mal portant et que signifie gouverner par ordonnances ? .C’est le texte de la constitution de 1958 celui de la Vème république que d’aucuns veulent jeter aux orties (autre ponction qui soigne) qui permet de répondre.
Tout le monde connait la loi  qui est âprement discutée par nos éminents parlementaires, qui s’invectivent au parlement, ergotent sur les détails , y passent des heures jusqu’à ce qu’un premier ministre excédé utilise l’article 49-3 de la constitution qui permet de faire adopter le texte à l’arraché. Circulez ,  il n’y a plus rien à voir. La loi travail dite El khomry  a ainsi amusé la galerie pendant des mois. Mais  « dura lex sed lex ». La loi est la base de notre démocratie et la justification du salaire de nos députés et sénateurs, car ce n’est pas un  emploi fictif  que de fabriquer un texte qui va régir les rapports entre les citoyens, fixer les règles, même s’il  faut ensuite écrire des décrets d’application, des circulaires  explicatives, et attendre que les tribunaux l’interprètent avec leur jurisprudence.  La mise en œuvre effective de la loi prend donc un temps certain.
L’article 34 de la constitution dispose : « la loi fixe les règles  concernant … les droits civiques, les libertés publiques et fondamentales…détermine les principes fondamentaux notamment pour la défense nationale, la libre administration des collectivités territoriales, le régime de la propriété,  le droit du travail et syndical, la sécurité sociale… », enfin tout ce qui est essentiel au fonctionnement du pays. Ce sont les parlementaires qui proposent un sujet (proposition de loi) ou c’est le gouvernement pour appliquer son programme et faire valider ses promesses (projet de loi).La loi doit faire l’objet d’une navette entre l’assemblée nationale et le sénat qui dure plus ou moins longtemps, l’assemblée nationale ayant le dernier mot, puis peut être soumise à la censure du conseil constitutionnel saisi par au moins 60 parlementaires et enfin être promulguée au journal officiel. C’est donc un parcours du combattant et on se rappelle l’année dernière les manifestations, grèves, débats à dormir la nuit debout, négociations sans fin et surtout sans accord final, polémiques aussi diverses  que stériles , pour aboutir à une loi vidée de sa substance. On n’avance ainsi pas quand la politique catégorielle  des partis fait de l’obstruction au parlement, aidée par la rue,  aux dépens de l’intérêt général. M.Macron qui est jeune donc pressé comme l’a écrit Paul Morand, qui s’est usé au parlement quand il était ministre et essayait avec constance de  convaincre et ses amis et ses frondeurs, outre l’opposition qui était dans son rôle tout en partageant certains arguments du ministre ! ne veut pas retomber dans ces travers qui alimentent surtout les médias et ceux qui n’exercent pas de responsabilités,  mais nous rendent ridicules devant le monde entier qui regarde médusé nos débats et nuisent aux français,  a donc décidé de faire vite voter les mesures qu’il a préconisées pendant la campagne électorale, celles qui doivent débloquer le pays et lui permettre de redémarrer selon lui , tout en restant attaché aux prérogatives du  parlement qu’il entend recadrer  cependant un peu, car la démocratie l’exige. S’il passe par la loi classique il lui faut une majorité absolue et que le mouvement la république en marche gagne les élections avec ses candidats triés sur le volet d'internet-ce qui est inédit-, ce qui n’est écrit nulle part pour l’instant, les républicains espérant être majoritaires pour prétendre à  une cohabitation avec un premier ministre issu de leur rang ou pour au moins imposer leurs idées.  M.Macron a donc décidé de passer par une autre méthode de droit , celle des ordonnances, ce qui est parfaitement légal, et a déjà été utilisé par d’autres présidents. Même si on entend déjà la voix outrée de certains- les mêmes qu’avant le 7 mai d’autant plus qu’ils ont été battus- et le silence vigilant de tous ceux qui  veillent à l’état de droit et au respect des libertés publiques et de la démocratie. De quoi s’agit-il ?
L’article 38 de la constitution dispose : « le gouvernement peut pour l’exécution de son programme  demander au parlement l’autorisation de prendre par ordonnances , pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Il faut donc réunir une majorité au parlement qui va voter ladite autorisation qui n’est pas éternelle, rassurons les plus craintifs . D’où l’obligation pour le président d’avoir une majorité à lui, ou d’en trouver une  d’idées ou de conjonction d’intérêts. Les élections législatives de juin sont donc déterminantes  et les extrêmes ne devront pas perturber le jeu : c’est de la responsabilité des électeurs qui devront faire preuve de raison et pragmatisme en votant pour les candidats  les plus susceptibles de participer à un redressement et une politique utile,  et pas se faire plaisir en éparpillant leurs votes s’ils sont cohérents avec l’élection de M.Macron et  de ses principes ,s’ils veulent la réussite de la France .Les ordonnances sont  ensuite prises par le gouvernement en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat ( plus haute juridiction administrative faut –il le rappeler). Selon l’article 13 de la constitution elles sont signées par le président de la république puis publiées et non promulguées. Elles entrent immédiatement en vigueur.
Gouverner par ordonnances c’est vouloir que les maux ou obstacles liés à nos mauvaises habitudes , à nos traditions surannées syndicales ou politiques -tout ce qu’a fait le gouvernement précédent doit être défait par exemple- qui affaiblissent le pays, disparaissent au plus vite, et qu’un élan soit propulsé, qu’un signal  soit donné à tous : retroussons nos manches, bousculons les conservatismes, réformons le plus possible en dépensant moins, car il y a toujours quelqu’un qui paie, et redevenons sérieux sans se disperser dans des combats minoritaires, des sujets de société qui montent les uns contre les autres, et retrouvons notre identité et nos valeurs républicaines. Quittons l’ancien régime , faisons du neuf et «  sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques»  comme l’écrivait le poète révolutionnaire André Chenier, avant qu’il  ne passe à la guillotine. Notre pays est confronté à des menaces très graves extérieures comme intérieures, notre sécurité doit être la priorité, dans un cadre européen qui protège mais qui doit être lui aussi réformé. Notre marché du travail doit être  dépoussiéré et le mot est faible et la valeur travail même modernisée, confirmée. Les droits  dits acquis devenus obsolètes, voire inégalitaires  doivent  être rénovés dans l’avenir si ce n’est supprimés  tout en préservant les garanties de ceux qui en profitent puisque c’est le contrat qu’ils ont passé avec la nation. L’Etat doit se recentrer , gérer l’essentiel , créer le cadre qui permet de libérer les initiatives, faciliter la solidarité et la redistribution et ne plus se mêler de tout. La fonction publique d'Etat comme territoriale doit être revue dans ses missions et sa dimension. Enfin car tout commence par l’éducation , il convient de se ressaisir et transmettre les valeurs de base, celles qui parlent du récit national dont nous devons être fiers, celui qui a permis d’assimiler tous ceux qui avaient le même but, et se reconnaissaient dans une communauté de destin…..Et la liste des priorités n’est pas exhaustive !
Jules Romains l’inoubliable auteur du docteur Knock posait un regard critique sur la médecine et l’Etat  et  lui faisait interroger son patient : «  est-ce que ça vous chatouille ou ça vous grattouille ? » , ce qui lui permettait de critiquer les charlatans et les vendeurs d’espoirs.
Les ordonnances que souhaite prendre le président de la république lui permettront  , je l’espère, d’être un  moyen moderne de gouverner , car on ne peut plus attendre. La guérison doit se faire immédiatement sinon nous mourons tous  guéris, mais ce sera trop tard.



  

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