Après le 2ème tour, la désobéissance
civile ?
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
J'ai écrit ces modestes réflexions peu avant le 1er tour des
législatives qui seraient celles de tous les dangers. Pourtant la Vème république a déjà connu des crises
sévères, des cohabitations et des coalitions au pouvoir. Elle a survécu. Les
citoyens seront- ils plus responsables que certains de leurs dirigeants
aveuglés par la haine et leurs idéologies ? Dans tous
les camps.
On a pris l'habitude ce qui n'est pas une approbation
d'entendre des militants affirmer qu'ils ne se conforment pas à la loi qui est
liberticide ou contraire à leurs convictions, au nom de principes supérieurs à
tout fondement républicain qui constitue l'état de droit. Ils désobéissent et
demandent l'impunité. Outre qu'on change immédiatement la loi ou la politique !
Ils agissent par la violence dite
défensive qui serait légitime face à celle de l'Etat. Or l'Etat n'a pas de
droits spécifiques. C'est nous l'Etat, l'ensemble des millions de citoyens qui
ont délégué leur pouvoir de souverain, respectent les institutions et les corps
représentatifs, qui votent et paient impôts et taxes. Et qui veulent la
tranquillité quoiqu'ils pensent. On appelle cela de la démocratie qui est une
valeur rare dans le monde.
Chacun a le droit de réagir avec son raisonnement, ses
émotions, sa sensibilité, ses certitudes, ses peurs y compris si elles sont
irrationnelles. Dans l'absolu on peut considérer que la loi élaborée et votée
après débats dans l'intérêt général est faite pour les autres, au service des
puissants, des dominateurs, et qu'il faut l'écarter. Les tribunaux ont cette
fonction pas le coup de force. Ni l'avis d'élites prétendument éclairées. On
connait tous un exemple de ce qui nous parait injuste. Mais il doit nous dépasser
et toucher à l'intérêt public s'il faut ne pas appliquer le règlement commun.
Comme en copropriété.
François Mitterrand avait évoqué la force injuste de la loi.
En 2018 le conseil constitutionnel a érigé la fraternité au même niveau
constitutionnel que la liberté et l'égalité. Chacun admet que lorsque la loi
devient obsolète ou a des effets pervers il faut l'abroger ou la modifier. Mais
il faut respecter la règle du jeu collectif. Car quand les bornes sont
franchies il n'y a plus de limites. Si l'émotion et le ressenti dominent la
raison tout est permis.
C'est le philosophe du Massachussetts David Henry Thoreau
mort en 1862 qui a pratiqué puis théorisé la doctrine de la désobéissance civile.
John Rawls décédé en 2002 a réfléchi sur la Justice sociale : il a défendu une
société basée sur une justice redistributive qui réduirait les inégalités. Il a
prôné des actes non violents, publics et politiques. Or le concept de désobéissance
civile est de nos jours mis à toutes les sauces. On peut résumer vulgairement
et partialement cette posture par : "je suis ému, je suis choqué, je
détiens la vérité, cette décision est injuste.
Je suis donc libre de m'affranchir de toute contrainte collective et de
décider ce que je veux dans l'intérêt des autres. Ma conscience est la seule
boussole possible. Je veux faire progresser la société".
La question est : qui décide de l'intérêt public ? Ou du
danger contre la République et les libertés ? Et sur quels critères objectifs ?
La subjectivité peut- elle l'emporter ? Quelles sont les valeurs dites
supérieures et non écrites qui permettent de mettre au ban les valeurs
républicaines faisant consensus. Certes
l'humanité que personne ne représente est essentielle. Et la nature doit être
protégée. Mais personne n'a le monopole du bien. La vie en société est un
compromis permanent.
On entend des hauts fonctionnaires, des enseignants et aussi
malheureusement des magistrats qui bien qu'indépendants sont tenus au devoir de
réserve et de neutralité puisqu'ils jugent au nom du peuple français, tenir des
propos étonnants et graves. Ils n'appliqueront pas les directives gouvernementales
d'un pouvoir issu des urnes mais qui serait extrême et qui ne conviendrait pas à
ce qu'ils souhaitent. Ils l'estiment dangereux. Ils parlent des extrêmes de
droite naturellement mais comme ils sont présumés de bonne foi, on peut aussi supposer
de gauche ? Ils peuvent démissionner par avance ou non - personne n'est à
l'abri d'une bonne surprise - ce qui serait à leurs honneurs. Se soumettre ou
se démettre disait Gambetta à Mac-Mahon. Sinon ils vont devoir respecter le scrutin
quelques en soient les résultats. On ne peut éliminer des millions d'électeurs
qui auraient fait un mauvais choix et recommencer le match.
Je ne doute pas que
ces vigies auto-désignées morales de l'Etat payées par le contribuable
connaissent leurs devoirs. On ne peut ajouter au chaos politique actuel et peut
être futur de la désobéissance civile par ceux et celles qui sont les
exécutants de l'Etat profond, qui doivent assurer la stabilité des institutions
et les faire fonctionner avec objectivité. On leur fait confiance. D'autant plus que le Président de la République
a des pouvoirs pour contrer toute déviance ou tentation autoritaire bien que
l'article 20 de la constitution dispose que le gouvernement détermine et
conduit la politique de la Nation. Sous le contrôle des tribunaux. Pas de la
rue ou d'entraves diverses.
Appeler publiquement à la désobéissance civile est dangereux
et sera contre- productif. Pour des serviteurs de l'Etat c'est inadmissible
même s'ils sont citoyens par ailleurs avec leurs opinions. La théorie légale des baïonnettes
intelligentes permet à un fonctionnaire de ne pas exécuter un ordre
manifestement illégal. Mais qui qualifiera de manifestement inapplicable telle
consigne ou politique publique décidées par des élus du suffrage universel ? Les magistrats. Ce qui avec le conseil constitutionnel
étendant largement sa compétence et ses interprétations des textes ou des
grands principes du droit avec le concours des cours suprêmes et des
juridictions européennes formerait un gouvernement des juges. Le peuple est -il
d'accord ? Attendons l'après 2ème tour.