Moi ça
va (Coluche).
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
Gavroche le
symbole de la liberté avant de mourir sur les barricades chante : « je
suis tombé par terre c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau c’est
la faute à Rousseau ». Je veux parler de fautes potentielles donc de
responsabilités à propos de la mort en plein mois d’août du père Maire
provoquée volontairement (selon l’auteur !) par celui qu’il hébergeait à
la demande de la justice, catholique rwandais déjà incendiaire non expulsé pour
des raisons dites juridiques que l’on a du mal à admettre. Personne ne veut
croire que ce drame n’est pas la conséquence au moins de légèretés ou d’erreurs
d’appréciation naturellement de bonne foi de professionnels fussent-ils
magistrats ou experts. La discussion sur l’abolition du discernement totale ou
partielle des meurtriers va reprendre. Par ailleurs on se rappelle évidemment pendant
le mois d’août 2016 de l’assassinat du prêtre Jacques Hamel à Saint -Etienne du
Rouvray par deux fanatiques musulmans. Bis repetita, la violence extrême n’a
pas de camp et comparaison apparente n’est pas raison. Plaignons ceux qui ont
succombé alors qu’ils apportaient la tolérance et l’amour.
Comme il
fallait s’y attendre les réactions écrites d’avance ont eu lieu. Le garde des
sceaux a défendu ses ouailles et a rappelé que la loi avait été appliquée, que
le présumé innocent -c’est son statut de droit à ce stade de la procédure-avait
accompli 10 mois de prison préventive, mais que ne s’agissant pas d’un crime de
sang les juges, experts psychiatres et autres chargés du dossier de l’incendie
volontaire avaient estimé que la libération provisoire pouvait avoir lieu en
attendant le procès lointain sur sa culpabilité. Chacun jugera la pertinence de
cette libération. Elle souligne au
passage combien la justice est lente, dépourvue de moyens humains et techniques
et est incapable de prononcer des sanctions qui ont un sens rapidement ou des
décisions qui tranchent vite les litiges ce qui est un des éléments de la considération
envers elle et en l’état de droit. Pourtant c’est possible de choisir une
vitesse supersonique comme on l’a vu avec le parquet national financier
lors de l’élection présidentielle de 2017.Seuls quelques dossiers qui défraient
la chronique mériteraient cette urgence : pourquoi ne pas le prévoir ? Les
grandes réformes qui sont comme l’arlésienne ne règlent pas les problèmes au
quotidien mais il faut les faire et pas se contenter de les annoncer comme
un perroquet depuis des années ! Le bénéficiaire de la mesure de liberté qui
est un acte de confiance a remercié en tuant le prêtre ! Le ministre a
critiqué ceux qui se jetaient sur le malheur pour l’instrumentaliser et essayer
d’en tirer un minuscule profit politique. En effet des membres de l’opposition,
comme c’était prévisible, se sont indignés de la libération du tueur et
estiment que des dysfonctionnements ont forcément eu lieu. Ils veulent les têtes
des responsables alors même qu’ils n’ont pas accès au dossier et que l’enquête
est encore sur les plages de l’été malgré la covid-19.
Critiquer la
justice est légitime, et il est normal que les parlementaires dont le rôle est
de contrôler l’exécutif veillent scrupuleusement et s’expriment. Mais il n’est
pas utile de rajouter de la polémique au drame. Et il faut être prudent car si l’opposition
revient aux affaires elle aura à gérer les mêmes sortes de dossiers, car la
nature humaine est ce qu’elle est, et en matière d’horreurs l’histoire nous a appris que l’homme avait une imagination sans limites. Soyons donc modérés dans
nos certitudes et ayons des critiques positives. L’avenir n’est écrit nulle part
et MM. Mmes les assassins ne demandent pas la permission de tuer et ne se
renseignent pas sur la sanction pénale avant d’agir ! Que ceux qui
contestent fassent des propositions concrètes, avancent des solutions
préventives applicables, et disent comment on empêche le crime. Le peuple serait
ainsi rassuré et on ne parlerait pas dans le vide. La formule du
« responsable mais pas coupable » est révolue depuis longtemps. On doit
collectivement pouvoir assumer et surtout reconnaitre les manquements s’ils existent,
pour les faire disparaitre dans l’intérêt général.
Dans un
sketch devenu culte Coluche disait : « moi ça va, ne changez
rien ». Il affirmait avoir toujours de bonnes raisons d’agir et dénonçait
l’égoïsme ou l’incompétence des autres. Les politiques devraient faire œuvre de
pédagogie à chaque fois qu’il y a un évènement sensible qui émeut l’opinion
plutôt qu’essayer de mettre ceux qui sont leurs adversaires dans la difficulté,
mais à la condition de bien connaitre eux- mêmes le sujet. La lutte pour la
conquête du pouvoir ne passe pas simplement par la dénonciation de l’incurie de
ceux qui pensent différemment. En matière de justice il faut être modeste car
les grandes déclarations enflammées et guidées par l’émotion ne riment à rien.
Le citoyen n’est pas dupe : il veut simplement des résultats et vivre en
paix dans la sûreté. Je ne crois pas d’ailleurs que l’électeur se détermine par
des affirmations martiales : il attend un programme complet, réalisable,
efficace. Il est las des promesses qui se heurtent à la réalité de la vie dont
il n’exige pas le changement pour faire son bonheur mais l’amélioration.
En matière
de justice il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante et chercher le
consensus. On ne peut choisir de laisser les délinquants en liberté faute de
place en prison contre les victimes qui attendent avec impatience que justice
passe. On ne peut créer à l’infini pour faire plaisir aux minorités agissantes
de nouveaux droits individuels sans tenir compte de l’intérêt collectif de la
société qui doit pouvoir se défendre et des libertés légitimes de la majorité
des citoyens qui attendent la protection de l’Etat. Le débat entre le tout
répressif et la prévention nécessaire est faussé et inutile : il faut
naturellement les deux.
Moi ça va
parce que professionnellement je crois maitriser les arcanes de la procédure
pénale malgré mes lacunes et que je ne suis pas concerné directement par un
drame. Je connais les fonctions et
pouvoirs du juge des libertés et de la détention, du juge d’instruction, du juge
de l’application des peines, ceux des conseillers en cours d’appel chargés de
ces dossiers, le contrôle judiciaire et les substituts à l’enfermement, et
naturellement le rôle essentiel des experts en matière de crime. On a vu dans
l’actualité récente des dysfonctionnements suite à des rapports d’experts
psychiatres en particulier qui portaient à conflits sur des cas individuels de
meurtriers. Mais n’oublions pas que c’est le juge chargé du dossier qui a la
décision finale de renvoi ou non devant la juridiction compétente en respectant
ce que dit la loi en matière de responsabilité personnelle de celui qui a
commis l’irréparable. Le citoyen ne connait pas cet enchevêtrement
d’obligations légales.
« Laisse
Madeleine je ne m’énerve pas j’explique aux gens » ajoutait Coluche. C’est
là que le bât blesse. Au lieu de débats stériles et souvent excessifs sinon médiocres qui n’apportent rien à la
connaissance de la justice ,à ses méandres, à ses principes dans un état de
droit, et à son fonctionnement voulu par nos institutions et nos lois, il
serait préférable que la chancellerie désigne des professionnels (par exemple
un trio avec un magistrat, un avocat, un
expert) capables d’expliquer au cas par
cas la procédure, qui décide quoi et
comment , sous quels contrôles et par qui , après quels avis d’experts…et le
rôle des avocats parties civiles s’il y a lieu.
Les médias joueraient leur rôle d’information et ne se contenteraient
pas de relayer ce qui est le plus sanglant en cherchant à découvrir « la
vérité » par leurs propres enquêtes voire à pointer telle ou telle
responsabilité. Il faut donc expliquer sans relâche. La justice ne doit pas
être entrainée dans des querelles subalternes.
Souvent la
polémique résulte de l’ignorance et on croit que le quidam ne peut pas comprendre
ce qui est complexe. Mais en démocratie il n’y a pas de plus égaux en
intelligence que d’autres sans compter le bon sens, et chacun à son niveau doit répondre de ses
fautes involontaires -à son insu de son plein gré-qui ont entrainé un dommage.
C’est l’égalité pour tous et l’honneur de ceux qui ont les pouvoirs. Ils ont
hélas l’opportunité de se tromper. Nul n’est parfait. La société a le devoir de
le savoir et d’en tirer des conséquences. Ce n’est évidemment pas la poursuite
du bouc-émissaire surtout dans des dossiers terribles où rien n’est jamais sûr
surtout l’être humain avec sa face sombre.
L’assassin
du missionnaire Maire a déjà été examiné par des experts pour l’incendie de la
cathédrale de Nantes et ils ont conclu qu’il n’était pas dangereux. D’autres
experts vont l’examiner pour son nouveau geste criminel sanguinaire : que
diront-ils ? Responsable avec conscience, ou non ?
Si quelqu’un
a la solution qui évite les crimes ou la haine et qui permet la punition des
coupables sans que la société ne se venge ou se divise et conserve ses
principes humanistes et républicains ce qui sont nos valeurs universelles,
qu’il écrive directement au ministre.