Faut-il respecter la loi ?
Par Christian Fremaux avocat honoraire
On vit une
période formidable où on ne pardonne rien aux autres tandis qu’on est d’une
indulgence infinie pour soi. Alors que la pandémie fait des ravages, que
l’économie résiste à coup de milliards magiques, que ceux qui veulent ouvrir
leurs commerces en sont écartés, que les jeunes pensent qu’ils sont sacrifiés
au profit de la génération ainée, le microcosme s’agite pour peu me semble- t
-il. Il s’agit du non-respect d’une directive sanitaire, de la loi donc, de
l’interdiction de manger en rond à plus de 6 sans masque bien sûr. On recherche
activement qui a profité de repas de luxe concoctés par un chef étoilé tenus
dans ce qu’il appelle non pas un restaurant clandestin mais son club privé
à savoir son appartement, ce qu’il estime être légal. Mais on traque des
délinquants. On suppute une fraude et on estime le cuisinier trop habile sur le
plan administratif. On espère pour s’en indigner ramener dans les filets un gros
poisson - un ministre si possible - pour montrer au bon peuple qu’il n’y a pas
de plus égaux que d’autres et qu’à défaut de lieux ouverts au public manger
doit rester un acte citoyen. Qu’ils s’agissent de gargotes ou d’endroits huppés
la loi doit être observée. Dans tous les autres domaines aussi. Naturellement
je n’approuve pas les comportements irresponsables qu’ils soient illégaux ou
immoraux. Mais il faut d’abord prouver la culpabilité, qu’il y a une
infraction et que la loi a été détournée ou violée. La rumeur ne suffit pas. Je
déteste une société de délation et la chasse aux sorcières. La démocratie
mérite mieux.
S’affranchir de la loi est-ce tendance
?
Faites ce
que je dis, pas ce que je fais. Mon sujet est l’insouciance légale qui peut
conduire à des drames et la mise de côté de ce qui est la représentation d’un
ordre démocratique et à l’anarchie, la chienlit disait le Général. Crise
sanitaire ou non, des joyeux drilles de Marseille ont organisé leur
carnaval avec des milliers de participants, hilares et débâillonnés. Les
soignants épuisés des hôpitaux n’ont pas ri de ce spectacle navrant. Des
étudiants déprimés et frustrés de ne plus pouvoir faire la fête - partie
intégrante du diplôme universitaire sans doute ? - retrouvent des potes
sur les quais pour boire une bière, le masque dans le dos. Cela me rappelle
Stéphane Mallarmé : « la chair est triste hélas et j’ai lu tous les
livres… ». Les étudiants n’ont plus que des tablettes et des
ordinateurs ! Des récalcitrants
refusent de se faire vacciner au nom de l’atteinte à leur liberté.
Pourtant la Cour Européenne de Strasbourg vient de juger que la vaccination
obligatoire était compatible avec les droits de l’homme. Qui a le mauvais goût de respecter désormais
la loi même si elle ne leur convient pas, sinon les citoyens de base qui
paient leurs impôts, votent, ne sont pas des prétendus rebelles ou plutôt des
tigres de papier et qui croient en l’intérêt général ?
La
loi pour quoi faire
Pour des
motifs aussi variés qu’absurdes ou personnels la loi est subsidiaire. On décrète
qu’elle ne sert à rien ou qu’elle interdit de trop. Voire qu’elle a des effets
non prévus dangereux ou intolérables. Le subjectif prime. On préfère la
désobéissance civile (ex. les zadistes). On crée une règle spécifique (ex. les
décisions baroques des maires écologistes). On exige par la violence, qu’on
impute aux autorités (ex. les gilets jaunes). On privilégie l’émotion et
l’humain à la raison (ex. le cultivateur de la vallée de la Roya qui aide les
migrants irréguliers, ce que le conseil constitutionnel a validé). Ou tout
simplement parce qu’on juge bien pour soi ou pour les autres de ne pas suivre
la loi, sans motif avéré et acceptable, et que tout ce qui empêche doit être
jeté aux orties. C’est simple. La loi ne sert plus l’intérêt collectif : elle ignore par prudence ou favorise des
intérêts particuliers. Elle est considérée ou non selon le bon vouloir de toute
personne. Et certains s’en dispensent. Des élites de toute nature y compris
politiques approuvent et théorisent le rejet.
Qu’est devenue la loi ?
La loi qui
est l’expression de la volonté générale est devenue secondaire. Les parlementaires qui la fabriquent
continuent à se disputer sur les mots, sa portée, essaient de n’oublier
personne sans discriminer ou blesser certains. Et en évitant de poser les
questions qui fâchent en utilisant implicitement la vieille formule de B.Brecht :
« quand le peuple vote contre le gouvernement, on dissout le peuple ».
J’exagère bien sûr, on tire au sort quelques quidams qui vont déterminer la
politique et les projets de loi de l’exécutif, donc la vie quotidienne des
citoyens. On n’est plus ou de loin dans les critères classiques de la loi qui
doit caractériser un consensus sur un sujet donné pour l’instant et le futur,
avec des principes de hauteur, qui est issu de la majorité du peuple, qui
concrétise une norme, un idéal et qui est impérative. Elle n’est pas un cadre
pour des dérogations. Selon Périclès au V -ème siècle avant J.C :
« la loi est toute délibération en vertu de laquelle le peuple assemblé
décrète ce qu’on doit faire de bien ou non ; ce que le pouvoir qui
commande dans un Etat ordonne, après en avoir délibéré ». La loi permet les rapports entre les gens
et facilite la vie en société. On comprend qu’elle doit être contraignante en
droit. Elle est cependant à géométrie
variable.
Des
interprétations.
En suivant les
débats du parlement à la télévision où les députés sont rarement d’accord avec
les sénateurs ou l’inverse chacun sait que la loi est un texte de compromis. Les
discussions dans les médias semblent ensuite démontrer que les journalistes ou les
experts auto-proclamés en savent plus que tout le monde. Puis les intellectuels
dits éclairés y vont de leurs commentaires d’autant plus féroces qu’ils n’ont
ni légitimité ni responsabilité. Enfin
il y a les sondages : le commun des mortels délivre son avis sinon son
oracle. Tout ce processus est la démocratie moderne dite participative. La loi a pris une signification différente
selon les interrogés. S’y ajoute l’interprétation légitime des juges dont c’est
le métier, qui étudient l’esprit de la loi votée, les circulaires d’application
rédigées par l’administration, puis le texte tel qu’il a été promulgué. Et on
arrive à de la jurisprudence parfois contraire entre les décisions ou à ce que
les juges comblent des vides juridiques. La loi peut avoir une force injuste
mais dura lex sed lex. Et un poursuivi ne peut être réhabilité en victime par
un choix personnel de celui qui doit appliquer la loi, serait -il empreint
d’une pseudo justification juridique, ou d’humanité qui reste de l’honneur d’un
juge. La loi doit être
respectée et est la seule marque de confiance que le citoyen a à sa
disposition. Elle n’est pas une option. C’est une obligation dans l’intérêt de
tous, du peuple et plus au profit des petits que des grands.
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