mercredi 14 avril 2021

Faut-il respecter la loi?

 

                                           Faut-il respecter la loi ?

                        Par Christian Fremaux avocat honoraire

On vit une période formidable où on ne pardonne rien aux autres tandis qu’on est d’une indulgence infinie pour soi. Alors que la pandémie fait des ravages, que l’économie résiste à coup de milliards magiques, que ceux qui veulent ouvrir leurs commerces en sont écartés, que les jeunes pensent qu’ils sont sacrifiés au profit de la génération ainée, le microcosme s’agite pour peu me semble- t -il. Il s’agit du non-respect d’une directive sanitaire, de la loi donc, de l’interdiction de manger en rond à plus de 6 sans masque bien sûr. On recherche activement qui a profité de repas de luxe concoctés par un chef étoilé tenus dans ce qu’il appelle non pas un restaurant clandestin mais son club privé à savoir son appartement, ce qu’il estime être légal. Mais on traque des délinquants. On suppute une fraude et on estime le cuisinier trop habile sur le plan administratif. On espère pour s’en indigner ramener dans les filets un gros poisson - un ministre si possible - pour montrer au bon peuple qu’il n’y a pas de plus égaux que d’autres et qu’à défaut de lieux ouverts au public manger doit rester un acte citoyen. Qu’ils s’agissent de gargotes ou d’endroits huppés la loi doit être observée. Dans tous les autres domaines aussi. Naturellement je n’approuve pas les comportements irresponsables qu’ils soient illégaux ou immoraux. Mais il faut d’abord prouver la culpabilité, qu’il y a une infraction et que la loi a été détournée ou violée. La rumeur ne suffit pas. Je déteste une société de délation et la chasse aux sorcières. La démocratie mérite mieux.  

                                S’affranchir de la loi est-ce tendance ?

Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Mon sujet est l’insouciance légale qui peut conduire à des drames et la mise de côté de ce qui est la représentation d’un ordre démocratique et à l’anarchie, la chienlit disait le Général. Crise sanitaire ou non, des joyeux drilles de Marseille ont organisé leur carnaval avec des milliers de participants, hilares et débâillonnés. Les soignants épuisés des hôpitaux n’ont pas ri de ce spectacle navrant. Des étudiants déprimés et frustrés de ne plus pouvoir faire la fête - partie intégrante du diplôme universitaire sans doute ? - retrouvent des potes sur les quais pour boire une bière, le masque dans le dos. Cela me rappelle Stéphane Mallarmé : « la chair est triste hélas et j’ai lu tous les livres… ». Les étudiants n’ont plus que des tablettes et des ordinateurs !  Des récalcitrants refusent de se faire vacciner au nom de l’atteinte à leur liberté. Pourtant la Cour Européenne de Strasbourg vient de juger que la vaccination obligatoire était compatible avec les droits de l’homme.  Qui a le mauvais goût de respecter désormais la loi même si elle ne leur convient pas, sinon les citoyens de base qui paient leurs impôts, votent, ne sont pas des prétendus rebelles ou plutôt des tigres de papier et qui croient en l’intérêt général ?

                                             La loi pour quoi faire 

Pour des motifs aussi variés qu’absurdes ou personnels la loi est subsidiaire. On décrète qu’elle ne sert à rien ou qu’elle interdit de trop. Voire qu’elle a des effets non prévus dangereux ou intolérables. Le subjectif prime. On préfère la désobéissance civile (ex. les zadistes). On crée une règle spécifique (ex. les décisions baroques des maires écologistes). On exige par la violence, qu’on impute aux autorités (ex. les gilets jaunes). On privilégie l’émotion et l’humain à la raison (ex. le cultivateur de la vallée de la Roya qui aide les migrants irréguliers, ce que le conseil constitutionnel a validé). Ou tout simplement parce qu’on juge bien pour soi ou pour les autres de ne pas suivre la loi, sans motif avéré et acceptable, et que tout ce qui empêche doit être jeté aux orties. C’est simple. La loi ne sert plus l’intérêt collectif :  elle ignore par prudence ou favorise des intérêts particuliers. Elle est considérée ou non selon le bon vouloir de toute personne. Et certains s’en dispensent. Des élites de toute nature y compris politiques approuvent et théorisent le rejet.    

                                          Qu’est devenue la loi ?

La loi qui est l’expression de la volonté générale est devenue secondaire.  Les parlementaires qui la fabriquent continuent à se disputer sur les mots, sa portée, essaient de n’oublier personne sans discriminer ou blesser certains. Et en évitant de poser les questions qui fâchent en utilisant implicitement la vieille formule de B.Brecht : « quand le peuple vote contre le gouvernement, on dissout le peuple ». J’exagère bien sûr, on tire au sort quelques quidams qui vont déterminer la politique et les projets de loi de l’exécutif, donc la vie quotidienne des citoyens. On n’est plus ou de loin dans les critères classiques de la loi qui doit caractériser un consensus sur un sujet donné pour l’instant et le futur, avec des principes de hauteur, qui est issu de la majorité du peuple, qui concrétise une norme, un idéal et qui est impérative. Elle n’est pas un cadre pour des dérogations. Selon Périclès au V -ème siècle avant J.C : « la loi est toute délibération en vertu de laquelle le peuple assemblé décrète ce qu’on doit faire de bien ou non ; ce que le pouvoir qui commande dans un Etat ordonne, après en avoir délibéré ».  La loi permet les rapports entre les gens et facilite la vie en société. On comprend qu’elle doit être contraignante en droit.  Elle est cependant à géométrie variable. 

                                            Des interprétations.   

En suivant les débats du parlement à la télévision où les députés sont rarement d’accord avec les sénateurs ou l’inverse chacun sait que la loi est un texte de compromis. Les discussions dans les médias semblent ensuite démontrer que les journalistes ou les experts auto-proclamés en savent plus que tout le monde. Puis les intellectuels dits éclairés y vont de leurs commentaires d’autant plus féroces qu’ils n’ont ni légitimité ni responsabilité.  Enfin il y a les sondages : le commun des mortels délivre son avis sinon son oracle. Tout ce processus est la démocratie moderne dite participative.  La loi a pris une signification différente selon les interrogés. S’y ajoute l’interprétation légitime des juges dont c’est le métier, qui étudient l’esprit de la loi votée, les circulaires d’application rédigées par l’administration, puis le texte tel qu’il a été promulgué. Et on arrive à de la jurisprudence parfois contraire entre les décisions ou à ce que les juges comblent des vides juridiques. La loi peut avoir une force injuste mais dura lex sed lex. Et un poursuivi ne peut être réhabilité en victime par un choix personnel de celui qui doit appliquer la loi, serait -il empreint d’une pseudo justification juridique, ou d’humanité qui reste de l’honneur d’un juge. La loi doit être respectée et est la seule marque de confiance que le citoyen a à sa disposition. Elle n’est pas une option. C’est une obligation dans l’intérêt de tous, du peuple et plus au profit des petits que des grands.     

  

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