L’universel de la laïcité
doit-il devenir relatif ?
Par
Christian Fremaux avocat honoraire
La ministre Marlène
Schiappa a lancé à juste titre mais avec un peu de retard on ne sait pourquoi
après le vote de la loi sur le séparatisme, un grand débat public sur la
laïcité qui est une liberté. Je m’en réjouis car cette valeur fondamentale de
notre république à vocation universelle est interprétée dans tous les sens et
donc critiquée voire haïe. Certains qui
croient au ciel estiment que c’est le droit absolu d’exprimer leur foi et de
l’exercer dans l’espace public par des signes extérieurs y compris immobiliers
et la liberté débridée de pouvoir vivre leur religion, ou pour ceux qui se refèrent à la possibilité d’user d’une croyance sociale anti-tout quelconque y compris
les plus dangereuses de vivre en marge de la société. D’autres qui n'adhèrent pas en une transcendance sauf celle de l’homme qui s’affronte au temporel
pensent que ce qui appartient à César ne doit pas être partagé et que rien
d’immanent ne peut s’interposer avec la vie en collectivité et les règles
républicaines qui sont l’incarnation de la démocratie et qui sont supérieures
par raison à ce que l’on appelle les lois de nature, réfléchies et rédigées par
personne. Chacun doit conserver l’expression de sa conscience par devers lui.
Des
embrouilles qui désespèrent
On se dispute à ce sujet et les polémiques qui
sont vives entrainent des comportements inadmissibles et parfois sont un
prétexte pour de la violence. Il va falloir expliquer et expliquer encore
que ce qui est bon pour la liberté de conscience concerne tout
le monde, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, hommes comme femmes, noirs
jaunes ou blancs. L’humanité est en jeu, et pour être modestes visons local
d’abord puis nous exporterons. Si depuis des dizaines d’années y compris après
les indépendances nous avons pratiqué la laïcité elle ne nous appartient pas. Le
lointain prédécesseur de M. Erdogan, Mustapha Kemal Atatürk 1er
président de la république turque en 1923 l’avait instaurée dans son pays. Tous
les espoirs sont donc permis. Universel
s’oppose à particulier, et l’universalisme versus relativisme est un
oxymore comme un absolu limité. Nous devons agir vite, éduquer et surtout
convaincre. A l’intérieur comme à l’extérieur puisqu’il est admis que des
difficultés sémantiques se traduisant en actions néfastes nous viennent de
l’étranger, des campus américains notamment.
Les non-
croyants sauf en l’harmonie et la tranquillité.
La plupart des citoyens qui doutent ou ne se
sentent pas concernés par un débat théologique ou immatériel en respectant les
convictions de chacun - ce qui me parait être une grande majorité - pensent que
les sentiments de la sphère privée ne doivent pas s’immiscer dans la sphère publique.
Ils sont irrités voire révulsés par des revendications et accusations
exagérées, injustes, car ils veulent une vie paisible pour essayer de régler au
mieux leurs problèmes quotidiens déjà lourds. On n’a pas besoin d’un climat
permanent d’affrontement ou de suspicion. Les Principes constitutionnels
notamment sont les piliers de la république et les lois sont faites pour être respectées.
Si la loi ne suffit pas il faut la changer, démocratiquement, avec prudence
sans partir dans l’exagération, car il ne faut jamais réagir à chaud. Mais
la république n’a pas à s’adapter à toutes les particularités et demandes. La laïcité
ne peut pas se diviser en stricte observance ou en régime plus libéral dit
ouvert (je ne sais pas à quoi d’ailleurs ?) fait d’exceptions pour être moderne
et ne discriminer personne. A défaut le caractère d’universel n’a plus de sens.
Les jeunes et...les vieux aussi !
La ministre
veut s’adresser prioritairement aux jeunes, mais les plus anciens ont aussi
besoin de cours de rattrapage car ils ont connu une période où l’on croyait que
le débat sur la place des religions dans l’Etat était clos, qu’après la loi de
1905 et les violents affrontements (contre le clergé mais pas la foi chrétienne
soyons francs) chacun avait circonscrit son domaine de compétences et
d’influences et qu’il n’y avait plus lieu de se souvenir et de se soucier que
la France avait été la fille ainée de l’église (catholique). On s’est trompé et
l’actualité nous le crie pour des raisons que chacun connait et constate, et
désormais il faut faire face. Et trouver des solutions pour que la « paix »
revienne, que chacun différent de l’autre retrouve sa sérénité et ne s’estime
pas victime éternelle. Et participe à la réussite- j’allais écrire à la relance
post pandémie -pour tous pour que nous fassions nation et non pas une
juxtaposition de communautés. Un pour tous et tous pour un hurlaient d’Artagnan
et les mousquetaires. Est-ce une référence encore acceptable de nos jours pour
tous les énervés sectaires ? Alexandre Dumas un des héros du roman
national devrait faire l’unanimité chez les jeunes comme les plus
anciens ?
La laïcité
pour les « nuls ».
Le président
Macron dans la langue de Shakespeare- ce qui est un exploit pour un gaulois-a
tenté d’expliquer à la télévision américaine ce qu’était la laïcité,
notre pratique qui n’a pas d’effets secondaires
sur les droits individuels, puisque aux USA notre humanisme, nos
principes, notre mode de vie sont vivement combattus non par des boys du pays
profond, mais par des étudiants -les élites locales ?-qui se disent
intellectuels et qui considèrent que c’est du racisme, de l’inégalité, de la
discrimination, du post colonialisme : n’en jetez plus la cour est pleine
alors que l’histoire de France n’a rien
à voir avec celle des USA et leur combat pour pouvoir voter, et l’égalité des
droits en général. Martin Luther King et sa lutte dans une grande démocratie
n’est pas l’un des révolutionnaires de 1789 qui avaient une vision large de la société
et de l’humanité, des droits et des devoirs, sans immixtion de la religion
(sauf l’être suprême de Robespierre !), parfois avec un côté sombre et
sanglant ce que personne n’excuse. L’universel des droits de l’homme semble
pour certains illuminés des campus ne pas avoir franchi l’atlantique, alors qu’ils
devraient se rappeler de Lafayette, de la constitution laïque de 1786, et de la
démocratie en Amérique selon Tocqueville. Mais la France avec son histoire
contemporaine n’est pas l’Amérique avec souvent par ses dirigeants ses
références à Dieu.
Comparaison
n’est pas raison
Des étudiants américains qui se disent être
des « wokes » (des réveillés) ont ressuscité de vieilles antiennes notamment
du professeur français Jacques Derrida apôtre de la déconstruction mort en
2004, et voient du mal partout : toutes les minorités
particulièrement de couleur non blanche sont des victimes, sont encore dominées,
ne sont pas égales en droit, et notre devise qui y ajoute la liberté et la
fraternité n’est qu’une joyeuse farce d’hypocrisie et de soumission. On incite
ainsi de loin à la révolte et en France des groupuscules agissants
représentatifs de personne et/ou des croyants hétérogènes qui se sentent exclus
pour diverses raisons dont celles tenant à la colonisation, suivent les mots
d’ordre venant de nulle part légitime considérant que la laïcité n’est qu’un
prétexte et en réalité qu’une interdiction, des brimades, de l’autoritarisme,
et empêche la liberté de conscience de s’exercer. Il faut donc la refuser
voire l’abattre pour imposer ce qui serait le nirvana sans elle ? Il ne faut même pas essayer de comprendre ce
qu’est cette valeur qui peut être un piège ? C’est un contre sens complet et confondant de
bêtise. J’espère que le président Macron a su faire passer avec son talent son
message mesuré, et que celui-ci sera
compris en interne jusqu’au très profond de nos territoires et traduit en
termes compréhensibles pour nos indignés franco-français qui ont une culture
sélective et parfois obscurantiste sans être méchant puisqu’ils fréquentent nos
écoles, nos universités, profitent de notre système et de nos institutions , de
nos politiques de paix et de la main tendue, du dialogue permanent public et sont dans le monde
économique, donc peuvent librement participer au succès de la France.
La
laïcité pour quoi faire ?
La laïcité
c’est une liberté, l’émancipation qui permet de vivre au milieu des autres, en
se complétant, sans imposer quoi que ce soit à personne. L’Etat est le garant de
la liberté de conscience. Il ne subventionne aucun culte, il reste neutre, mais
n’interdit rien. La laïcité ne doit pas être binaire en désignant les bons et
les méchants, les progressistes et les conservateurs. Tous ont une place au sein
de la république. L’universel permet de dépassionner et dépersonnaliser le
débat d’idées. Il ne peut être relatif car tout ne se vaut pas. Il doit
conduire au consensuel.
Dans son
ouvrage « Le crépuscule de l’universel « (Ed.Cerf 2020),madame
Chantal Delsol écrit : « peut- être avons-nous été
trop loin dans l’enthousiasme… en considérant qu’il s’agissait d’un utopie
universelle » .Faisons comme le voulait le slogan de mai 68 :
« soyons réalistes, demandons l’impossible ». Il faut y croire sinon
ce sera l’aventure.
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