vendredi 13 novembre 2020

L'Etat n'est-il qu'un tigre de papier?

 

                L’Etat n’est -il qu’un tigre de papier ?

                  par Christian Fremaux avocat honoraire. 

La société Bridgestone avait annoncé il y a quelques semaines qu’elle allait fermer son usine de Béthune ce qui entrainait le licenciement de centaines de salariés. Ce fut un tollé. Conformément à leur vocation et à leurs habitudes les syndicats hurlèrent au scandale – à juste titre je l’avoue car le fabricant japonais de pneus bas de gamme avait touché des aides et des subventions pour s’installer sur place- et les politiques régionaux et locaux montèrent au créneau. On allait voir ce qu’on allait voir ! Les noms d’oiseau volèrent.  Le gouvernement dépêcha un ministre qui assura qu’on ne laisserait pas faire, que Bridgestone devrait en passer par les fourches caudines de l’exécutif, et annonça comme un succès phénoménal que dans les semaines qui venaient on allait trouver une solution pour limiter la casse sociale et contraindre l’entreprise à reconvertir le site, ne serait- ce qu’en fonction de notre législation. On fut soulagé. Mais fatalitas, la sentence vient de tomber : Bridgestone persiste et signe, la fermeture aura lieu. La ministre déléguée à l’industrie a déclaré « que nous avions travaillé à un plan qui réduit le surcoût de l’usine. Bridgestone a fermé la porte. Pour nous cette décision n’est pas responsable ».  Groupe mondialisé 1, Etat et région comme commune, 0. Paroles verbales et morale humaine contre décision financière autoritaire et lointaine.  Il n’y a plus pour ceux qui restent qu’à trouver un repreneur.

 L’Etat n’a eu aucun pouvoir réel alors qu’on attendait tout de lui. Ce n’est pas la première fois. Quand il était premier ministre M.Jospin avait  dit que «  l’Etat ne peut pas tout ».  Il a payé politiquement très cher d’énoncer cette vérité, car on a cru que c’était du cynisme, un aveu d’impuissance qui se confondait avec le manque de volonté d’agir. On a vu qu’avec ses salariés les fonctionnaires, l’Etat patron ou actionnaire n’est pas performant.

Avec la 2ème vague du covid l’Etat - je veux dire le pouvoir exécutif approuvé par la majorité parlementaire - a décidé de reconfiner, en faisant par lui -même la distinction de ce qui était essentiel et de ce qui ne l’était pas. Ceux qui ne peuvent plus travailler et sont en souffrance lui en veulent d’une décision autocratique parfois incohérente prise dans la confidentialité d’un conseil de défense, qui va entrainer des conséquences personnelles, familiales, financières et économiques graves pour préserver voire sauver la santé de millions de personnes. Gouverner c’est choisir en se trompant parfois, mais il faut être modeste car s’il est facile de critiquer il l’est moins de proposer des solutions qui font plaisir et sont efficaces ou qui ne nuisent pas à certains. L’Etat est là encore mis en cause pour son impuissance supposée ou son inefficacité.

Il en est de même pour pratiquement chaque domaine et je cite celui fondamental de la sécurité : il y a encore des attentats qui nous révulsent, de la violence pour tout et partout, un climat anxiogène général.  Le cri fameux « que fait la police ? » se traduit par l’Etat est nul ou inexistant.

 Avec la crise sanitaire inédite pour les spécialistes comme pour les malades potentiels, l’Etat prend des mesures qui égratignent quelque peu nos libertés pour tenter de réduire les effets du virus que personne ne peut éradiquer, et qui sont peut- être selon les méchants plus du domaine du principe de précaution pour ceux qui décident. En effet la Cour de justice de la république est saisie ainsi que le parquet de paris et nos décideurs qui voudraient bien miraculeusement que la crise disparaisse savent que la justice peut les rattraper. On aura des responsables et coupables mais l’ennemi invisible sera toujours là.

L’Etat c’est-à-dire nous pour qui on gouverne, la haute administration qui incarne la bureaucratie ; les services publics souvent tatillons avec le particulier ; nos institutions de la Constitution de la 5 ème République telles que voulues par le général de Gaulle et qui sont contestées par certains qui veulent plus de participation à la prise de décision , de dialogue, de réactivité, enfin tout ce qui constitue notre état de droit avec nos valeurs éthiques, de civilisation et de vivre-ensemble qui fondent notre démocratie, sont -ils suffisants ? L’Etat peut-il plus s’il ne peut tout ? et faut-il en changer mais au profit de quoi ?  Comme il y a 67 millions de sélectionneurs pour l’équipe de France de foot., peut-il y avoir 67 millions d’avis autorisés pour répondre à la question ? On ne va pas tirer à pile ou face, ou au sort comme pour la convention citoyenne sur le climat pour résoudre les difficultés et définir du jour au lendemain un Etat qui fait consensus et qui résout ce qui ne va pas. Le verbe des auto-proclamés experts que l’on entend à longueur de journée et qui fatigue, ne remplace pas les actes même s’ils sont maladroits ou pas aussi efficaces qu’on l’espère.

Dans les années 1980-90 celles de M. Reagan et de Mme Thatcher et aussi avec l’arrivée au pouvoir de M. Mitterrand qui ne remit pas en cause la constitution de 1958 qu’il avait combattue, il y eut un débat sur l’Etat à l’époque providence. On réfléchissait à un Etat réduit à ses fonctions régaliennes, en donnant aux collectivités locales avec la décentralisation, aux entreprises, aux initiatives de toute nature, plus de libertés. M.Guy Sorman écrivit un best- seller : « l’Etat minimum ».  La mondialisation s’étendait. Mais la réalité s’imposa, les crises furent nombreuses et on revint progressivement  vers une conception classique – pour les français- de l’Etat tel  qu’il avait été construit au sortir de la 2ème guerre mondiale : un parapluie, un bouclier, un garant des grands principes, un dispensateur de droits, le recours suprême ,puis au fil des années celui qui garantissait les libertés individuelles et des avantages, qui redistribuait,  qui combattait les injustices réelles ou supposées,  qui créait de la richesse pour tous dans l’égalité et surtout qui réglait toutes crises et menaces. On lui demande donc tout et quand il ne fait pas, certains le trainent en justice et des juridictions le condamnent ou lui donnent des injonctions ( par exemple pour  les rodéos en motos qui continuent ou parce qu’il n’applique pas assez vite la transition énergétique). On l’aime, on le veut, on le sollicite mais on le tient pour faiblard, peut mieux faire comme on dit à l’école. Le léviathan est devenu un homme comme un autre ! même si l’individu ne s’interroge pas sur son propre comportement (ex. les règles respectées difficilement pour le confinement) et si le civisme n’est plus une vertu cardinale.

Si rien n’est parfait en France on devrait cependant être content. On voit ce qu’il en est quand l’Etat se confond avec Dieu, ou qu’il n’y a plus d’Etat ; ou quand l’Etat est dispersé entre les clans, les communautés, les tribus. Si l’Etat est totalitaire c’est big brother, et si l’Etat est issu d’une caricature de démocratie, gare aux libertés.   On exige désormais un Etat fort surtout dans les fonctions régaliennes, avec une protection externe comme interne et en même temps un Etat bienveillant, gardien des libertés, progressiste -sans définir le contenu du progressisme- et qui crée la prospérité. Donc qui a résolu la quadrature du cercle.  Les canards sauvages n’ont jamais été les enfants du bon dieu, et pour que l’Etat donne ce que l’on veut de lui il faut y mettre du sien, de la responsabilité et de la tolérance, et comme dans l’auberge espagnole venir avec ses qualités, ses devoirs, sa raison. L’Etat n’est pas un tigre de papier mais pour en faire le roi des animaux qui maintient l’ordre et le droit il faut le nourrir sainement et lui donner de l’espace. Ce sera l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 : se protéger en restant libre.        

  

mercredi 21 octobre 2020

L'état de droit est-il incompatible avec la fermeté?

 

           L’état de droit est-il incompatible avec la fermeté ?

              Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Plus jamais cela, c’est inadmissible, intolérable, inouï… Il n’y a plus assez de qualificatif et on manque de vocabulaire pour s’indigner quand un fait divers nous touche au plus profond de notre être, au plus fort de nos convictions et que nous sommes de tout cœur avec la ou les victimes comme ce professeur qui a été décapité pour avoir fait son travail et avoir suivi le programme de l’éducation nationale. Et alors même que nous sommes dans le procès de ceux qui ont permis les attentats contre Charlie Hebdo : la justice ne sert -elle à rien  même pas d’intimidation puisque  un terroriste s’est servi  il y a quelques semaines d’un couteau de boucher pour attaquer ce qu’il croyait être des journalistes, et qu’un autre dans l’escalade de l’ ignominie s’est déplacé spécialement de très loin pour venir froidement trancher la tête d’un professeur qu’il ne connaissait pas,  sans rien savoir de la réalité  de son cours, un enseignant  de ceux qui transmettent les connaissances qui ouvrent les esprits et qui nous apprennent à devenir des adultes responsables. Et tout ceci au nom de leur dieu !  au prétexte d’un prétendu blasphème sans même craindre d’être arrêté et d’être condamné à vie? La justice française : même pas peur !

Désormais il ne se passe pas un jour sans qu’un évènement- au-delà du fait divers criminel- nous perturbe qu’il soit seulement relativement mineur et porte atteinte à notre savoir vivre ensemble dans la laïcité avec la volonté de fracturer le pacte républicain (avec le voile comme affichage, dans les cantines, la non- mixité, l’impossibilité de parler de certains sujets à l’école…)   ou qu’il s’agisse d’un assassinat  de sang- froid, prémédité ,organisé et revendiqué qui nous sidère et nous prouve que  le mal ou la barbarie sont  arrivés chez nous qui nous croyions quelque peu protégés par nos lois, nos traditions, nos valeurs, notre fraternité,  notre conscience de l’homme tourné vers le bien et notre civilisation. France toujours mère des armes, des arts et des lois, terre de l’humanisme, de Voltaire, de Hugo, des droits de l’homme et du citoyen, mais on veut nous démontrer que d’un seul coup nous avons tout faux.

L’improbable peut donc survenir même si l’on est persuadé que la France est une démocratie généreuse qui accueille, intègre, regroupe dans la tolérance, accepte aussi ce qu’elle n’aime pas, cherche à convaincre du bienfait de ses choix de vie, mais n’imagine pas que la haine puisse surgir pour des motifs personnels que l’on estime infondés et hors de notre réflexion et de nos coutumes. Et l’on continue les marches blanches où se côtoient gens de cœur et  compassionnels sincères,  avec ceux qui récupèrent et croient profiter de l’occasion pour développer leur commerce électoral,  sans compter  ceux  qui  toute honte bue  sont aussi complices  intellectuellement des actes par leurs silences, leurs petits accommodements,  ou leurs explications  alambiquées souvent au nom des libertés, de l’inégalité et des contraintes sociales de ceux qui seraient victimes de la société, ou  du fourre-tout « pas d’amalgame »pour éviter de nommer ce qui ne  va pas et par qui, voire du racisme  et d’une phobie que l’on imagine chez les autres .On fait  des grands discours, on s’épanche dans les médias sans proposer la moindre solution concrète,  on dit que cela ne doit pas recommencer, et on épuise les salives et les larmes puis on rentre bonnement chez soi… jusqu’à ce qu’une dernière atrocité nous fige dans la stupeur. Là on reste  en réalité muet sous un flot de paroles , car comment caractériser et dénoncer l’horreur puisqu’il ne faut stigmatiser personne, ne pas provoquer en réaction  de la violence si on est  virulent pour critiquer ? Mais on ne peut se coucher dès qu’un ressentiment ou une objection se manifestent !  Comment protéger tout à chacun qui ne demande rien et qui n’a jamais provoqué quiconque et qui s’auto- censure pour ne pas en rajouter, comment écarter tous les dangers qui menacent tout citoyen, tout innocent qui est à la merci de n’importe qui, d’un mineur qui a dû être manipulé, d’un adulte forcément perturbé, d’un parent d’élève d’un clan, d’un groupe, d’un Etat, … comment faire pour arrêter cette escalade sanglante qui n’en finit plus ?

A chaque fois que des responsables politiques aux affaires essaient de trouver  une mesure qui va naturellement dans le sens de plus de sévérité ou de protection collective on entend toujours les mêmes qui crient au respect des libertés publiques et individuelles,  récusent par avance  des  lois qui seraient  liberticides, affirment qu’il ne faut pas cerner telle ou telle composante de notre société qui doit généreusement s’ouvrir à tous les malheureux et persécutés,  et qui prétendent que l’état de  droit s’oppose à des décisions préventives ou à des contraintes plus fortes. Et que les tribunaux annuleront tout texte qui ne respecterait pas ce que les pères fondateurs de 1789 n’ont d’ailleurs jamais écrit, mais que la jurisprudence qui n’est pas coulée dans le marbre permet de considérer comme anticonstitutionnel ou illégal. Qu’en savent-ils, allons-nous à vie refuser de rendre les coups et surtout de se prémunir contre les agressions ce qui serait de la lâcheté et la preuve de notre faiblesse ? Est-ce bien le cas ? La sécurité exclut- elle ipso facto la liberté ou des restrictions ciblées sur certains ? N’avons-nous pas le droit d’écarter ceux qui nous attaquent ?  Ne peut-on innover ?

 Comme il n’est pas utile d’hurler avec les loups ou les justes indignés ce qui n’apporte rien abordons le sujet par un biais fondamental : le droit.  Dans une guerre- car on nous l’a déclarée que l’on le veuille ou non- ne peut-on pas prendre des mesures drastiques tout en conservant un fonctionnement démocratique avec les libertés publiques sous le contrôle de nos magistrats tant judiciaires qu’administratifs ? Faut -il continuer à se disputer sur le sexe des anges, à couper les grands principes en 4, à considérer que les droits de l’homme sont compris comme nous par les autres, à penser qu’affirmer la laïcité qui est une liberté de croire ou de ne pas croire et non une interdiction sera suffisant si on l’explique mieux à ceux qui la rejettent et ne veulent pas la comprendre ou l’admettre y compris  par la discrétion dans l’espace public car la neutralité de l’Etat n’est pas le seul critère ? Faut-il fermer les yeux et de ne pas s’inquiéter des exigences de minorités qui sont des avancées incessantes dans le moindre détail de la vie quotidienne ce qui nous déstabilise ?

 On écrit état de droit avec un petit e car l’Etat est le léviathan qui n’est pas le maître. Mais on lit souvent Etat de droit avec un grand E. Il nous gouverne avec sa haute administration - le pouvoir profond - de très grande qualité qui reste quand les politiques changent, mais n’a pas de droits personnels en matière de sûreté et de valeurs notamment. L’Etat est soumis aux règles de droit comme un individu. C’est le contraire du pouvoir arbitraire mais il ne lui est pas interdit d’être fort. L’Etat de droit a été défini par le juriste autrichien Hans Kelsen au début du 20 ème siècle : c’est « un Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance se trouve limitée ». L’Etat est au service du peuple qui peut exiger et obtenir ce qu’il souhaite et vouloir vivre dans la civilisation qu’il a choisie, sans s’en faire imposer une autre. L’Etat a aussi le devoir de protéger les citoyens donc de faire voter des législations en ce sens. Il doit essayer de précéder les difficultés et ne pas réagir insuffisamment alors que les risques sont connus.  Le principe constitutionnel de précaution doit être étendu à d’autres domaines que l’environnement ou la santé : une vie humaine paisible immédiate ne vaut-elle pas au moins autant que le sort lointain de la planète ou l’absence recherchée de maladies même si tout est lié et qu’il faut s’en occuper conjointement ? La priorité est d’abord la tranquillité qui permet d’envisager plus sereinement l’avenir.

 Les élites qui doutent ou celles qui le sont de façon auto- proclamées sans aucune légitimité, les adeptes de la bien- pensance et de l’émotion qui ne s’assimilent pas au progrès et ne détiennent pas la vérité n’ont pas à interdire au nom de ce qu’elles pensent ou qu’elles croient bon, et à crier à titre préventif que ce n’est pas possible. Sinon baissons les bras et ne nous lamentons plus.

L’état de droit dont les conditions sont des élections libres, la séparation des pouvoirs ,la hiérarchie des normes,  l’égalité devant la loi, le respect des droits fondamentaux de l’individu, la laïcité qui est une spécificité française,  une justice indépendante l’ensemble formant  avec ses valeurs  qui viennent de loin avec raison et justifications ce qui est la démocratie dans une république,  permet de prendre des dispositions légales puissantes qui préservent les libertés du plus grand nombre et de prévenir les actes les plus odieux. Il motive le refus des revendications les plus incompatibles avec notre art de vivre. Il donne du réconfort et de l’espoir aux citoyens qui veulent vivre en paix et savent de quoi sera fait le futur. C’est rassurant. Comme d’habitude on criera au fascisme ou au  totalitarisme rampant car on n’a pas peur des mots en isme qui ne correspondent en rien à notre époque en France. On aime se donner des frissons et des excuses pour ne rien faire. Pas de vagues sauf la 2ème du covid !

 Mais chacun constate que nos ennemis utilisent nos armes légales et notre état de droit pour les retourner contre nous.  Soyons courageux dans notre propre intérêt. Ne renonçons pas sans combattre, essayons l’union et faisons-nous confiance. Prenons les mesures coercitives qui s’imposent, une loi pouvant toujours être annulée dans l’avenir par une autre si les conditions ont changé sans pour autant créer un état d’urgence ou d’exception sans oublier de s’appuyer sur la morale et le bon sens ce qui fait largement défaut à ceux qui voient l’abandon des libertés en tout et le pire à nos portes intérieures. Nos éminents juristes du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation sous l’œil attentif des sages du conseil constitutionnel savent faire d’autant plus qu’ils n’ont pas à se substituer aux politiques.  L'autorité n’exclut ni l’empathie ni la lucidité ni l’audace nécessaire.

 Il faut savoir ce que l’on veut et sortir de ce cercle vicieux. Je l’avoue : je préfère viser et perturber quelques individus et groupements sous le contrôle des tribunaux, que de laisser des millions de citoyens aux prises des périls qui sont avérés.  La fermeté d’ailleurs toute relative par rapport à d’autres pays ou démocraties moins scrupuleux est compatible avec l’état ou l’Etat de droit.  Reprenons le slogan de mai 68 : « soyons réalistes demandons l’impossible » et surtout agissons.  

jeudi 15 octobre 2020

avocats et magistrats même combat?

 

                Avocats et magistrats même combat ?

                    Par Christian Fremaux  avocat honoraire.

La justice a toujours été au centre des débats et il semble qu’il y ait des malentendus persistants entre avocats et magistrats. Dans un état de droit comme en France l’Etat pour lui-même n’a pas de droits spécifiques sauf en matière de protections de toute nature en cas de menaces très graves sur la collectivité et la nation et de situations d’urgence, mais il doit mettre en œuvre des mesures - validées par le parlement - pour garantir que chacun dans sa vie quotidienne puisse exercer ses libertés.  La justice doit tenir une place essentielle pour réguler et trancher les conflits, punir ceux qui méritent de l’être, et conforter nos institutions qui font fonctionner nos services publics dans le respect de la Constitution.  Car il faut bien qu’un système non partisan respectant les grands principes et évidemment la volonté du peuple à travers les parlementaires élus qui fabriquent les lois, tranche les difficultés personnelles et collectives et quand il n’y a pas de réponses certaines ou précises venant d’un texte ou de décisions précédentes, innove dans tel ou tel sens pour tenir compte de l’évolution de la société et parfois  pour répondre à des demandes inédites ou clivantes de minorités qui estiment que c’est le progrès. Chacun a d’ailleurs son idée sur le terme progrès, qui n’est pas forcément de dire oui à tout et tous, et n’est pas la panacée pour résoudre tous les problèmes et réconcilier les uns avec les autres.

 On ne peut imaginer un pays sans justice ou sans ordre public, sinon ce serait la loi du plus fort et l’anéantissement de la démocratie réelle qui déjà est contestée pour de multiples (bonnes ou mauvaises) raisons. On la critique mais on ne dit pas par quoi la remplacer ! On voit aussi ce qu’il en est dans beaucoup de pays où la justice est soit aux ordres d’un clan soit inexistante, et où les conflits se règlent les armes à la main. On constate aussi que dans de grandes démocraties la bataille pour des juges ou la justice est forte : par exemple on assiste en ce moment aux USA à un débat viril et intense entre les démocrates et les républicains pour la nomination d’un(e) juge qui siègera à vie à la cour suprême ! M.Trump a désigné sa candidate, et le sénat doit approuver son nom. Joe Biden proteste mais le président actuel est dans son droit : rien n’interdit constitutionnellement aux USA de nommer un juge alors qu’il y a campagne électorale et que M.Trump ne sera peut- être plus président après le 3 novembre.  La justice est donc souvent au centre de la politique ce dont il faut se réjouir car c’est le signe que nous sommes dans un régime de libertés, de poids et de contre -poids, de pouvoirs et de contre-pouvoirs.

La France n’est pas épargnée par ce débat récurrent. Certains pensent qu’un petit nombre de juges sont plus militants que neutres. D’autres affirment que le parquet (les procureurs) sont parfois sensibles au pouvoir politique dont ils dépendent à travers le garde des sceaux ministre de la justice.  Il faut se rappeler que dans notre pays la constitution de 1958 parle de l’autorité judiciaire – et non du pouvoir comme pour le gouvernement l’exécutif ou le parlement le législatif-. C’est le signe de vouloir cantonner les juges dans leur domaine de compétences pour qu’ils ne s’immiscent pas au-delà et qu’on n’aboutisse pas au « gouvernement » des juges, avec l’aide de la déclaration des droits de l’homme et de la cour européenne qui se trouve à Strasbourg, ce que des soupçonneux pensent déjà. 

La nomination de Me Dupond-Moretti avocat comme ministre de la justice a cristallisé de vieilles rancœurs. Le ministre fort de son expérience pénale qui l’a conduit à plaider surtout devant les cours d’assises  de France et de Navarre et qui  a beaucoup fréquenté les magistrats, a des idées précises notamment sur la séparation du parquet – la magistrature debout- et du siège- la magistrature assise- ; sur le secret professionnel et la vie privée ; sur une justice de proximité qui doit avoir des réponses rapides ce que veut le justiciable ; et sur la formation des magistrats pour essayer de les sortir de leur « tour d’ivoire ». Les magistrats n’ont évidemment pas le sentiment d’être entre soi, considèrent qu’ils participent à la vie sociale et qu’ils connaissent les problèmes des citoyens dont ils ne sont pas déconnectés. Le débat est aussi de savoir qui défend l’intérêt général : les magistrats en ont-ils le monopole ou par exemple les avocats qui sont des auxiliaires de justice participent-ils à leur manière à cette exigence nationale ?  Personnellement comme avocat honoraire ma réponse est oui. Je n’ai jamais eu l’impression de trahir la société en défendant un individu même s’il me payait.   Il n’y a pas une vérité. L’avocat défend avant tout son client comme vient de le rappeler l’illustre avocat pénaliste Me Hervé Temime dans son dernier livre « secret défense ». Mais il contribue aussi à trouver une vérité qui peut être relative car c’est celle de celui qu’il assiste. Les juges en prononçant leurs jugements et arrêts fixent la vérité judiciaire (qui est souvent un compromis entre des thèses contradictoires) à un moment mais elle n’est pas définitive et gravée dans le marbre. On voit qu’avec les progrès de la science certains condamnés sont innocentés ensuite, et que des décisions rendues dans d’autres sujets sont remises en cause.

Le ministre de la justice a mis le feu aux poudres en permettant, même si ce n’est pas lui qui a signé, des poursuites contre trois magistrats du parquet national financier, ce parquet qui a fait mettre en examen M.Fillon pendant la campagne présidentielle de 2017. Il n’était pas interdit de prendre une telle décision, mais était-elle opportune ? : chacun a jugé à l’époque.  La vie apporte parfois des retours de bâton inattendus. Personne y compris des membres du parquet n’est à l’abri d’être à son tour poursuivi et de devoir répondre de possibles fautes professionnelles ou déontologiques. L’avocat connait cela de près et la présomption d’innocence existe. Mais des magistrats furieux et quelque peu corporatistes viennent de déposer plainte contre M.Dupond-Moretti devant la cour de justice de la république qui juge les ministres (cour que M.Macron a voulu supprimer dès son arrivée mais il n’a pas trouvé une majorité au congrès pour ce faire),pour conflits d’intérêt ( alors que le ministre a été victime de l’étude discrétionnaire et secrète de ses fadettes quand il était avocat), et pour dénigrement des magistrats. Des syndicats de magistrats ne veulent pas le rencontrer ne serait- ce que pour parler des dossiers urgents qui intéressent les justiciables : cela me choque ! Comment convaincre un petit jeune ensuite d’être tolérant et civilisé ? L’exemple doit venir d’en haut.

Ce que les magistrats ne semblent pas pardonner au ministre c’est d’avoir nommé une avocate- ancienne vice-bâtonnière du barreau de paris- à la tête de l’école de la magistrature qui n’est pourtant pas une « chasse » réservée aux magistrats puisque la justice n’appartient à personne : ni aux magistrats ni aux avocats. Elle est rendue au nom du peuple français dans sa diversité. Le garde des sceaux pense qu’une formation commune avocats -magistrats serait une bonne chose. Il est en effet toujours préférable de connaitre l’autre pour éviter les clichés, les malentendus et peut-être parfois des reproches délétères. Chacun aura ensuite son rôle à jouer et se drapera dans son indépendance farouche, ses règles supérieures, sa conscience, le droit au secret pour les avocats qui titille fortement des magistrats qui sont pour la transparence … chez les autres. 
En matière de justice avocats et magistrats mènent en réalité tous le même combat : faire que les droits individuels s’exercent en même temps que les devoirs collectifs soient préservés. Une nation ne vit pas que de l’individualisme de ses membres. La solidarité s’impose par le respect de la loi même si elle ne nous plait pas ou des recommandations publiques qui sont prises dans notre intérêt quoiqu’on en pense malgré des restrictions à nos libertés ce que je regrette comme tout le monde. La crise contre l’autorité en général n’arrange rien : qu’en serait-il en cas de laisser faire - laisser aller. Les libertés sans frein ont -elles jamais arrêté une pandémie ou des terroristes ?  Il faut aussi conforter et faire vivre les valeurs républicaines qui fondent la possibilité de vivre ensemble et la certitude d’appartenir à une union de destins qui dépasse nos intérêts matériels ou philosophiques voire religieux.

La justice ne distingue pas et ne fait pas de particularismes. Elle n’est pas un tribunal médiatique. La justice n’est considérée que si elle est sereine, objective, ce qui n’empêche pas les affrontements sur les idées du bien et du mal, de la nécessité, de la sévérité ou de la compréhension, de l’opportunité ou non. Elle applique la loi qui est générale et impersonnelle après avoir entendu les avocats et leurs interprétations des faits et des textes qui reflètent l’avis de leurs clients dans leurs approches de ce qui est leurs vérités tant en matière pénale que surtout civile qui concerne la majorité des procès. Avocats et magistrats qui se doivent une confiance réciproque sont tel Janus les deux faces du même homme. Ils sont complémentaires et poursuivent le même objectif : celui de la vérité de l’homme par définition imparfait qui comme l’horizon recule au fur et à mesure que l’on avance.   

mercredi 30 septembre 2020

Ordre illégal et désobéissance civile à l’aune de l’ennemi invisible.

 

      Ordre illégal et désobéissance civile à l’aune de

                 l’ennemi invisible.

                 Par Christian Fremaux avocat honoraire.

 

On assiste depuis quelques jours à une fronde de certains élus de tous bords (à Marseille notamment), de professionnels qui souffrent comme les propriétaires de bars et restaurants, et de particuliers contre les mesures de précaution prises par le gouvernement pour lutter contre l’extension du covid-19 et pour éviter un reconfinement généralisé. Qui peut être contre ?  L’autorité-ou ce qu’il en reste- est mise en cause, ce qui est peu nouveau, et on ne veut pas respecter la loi ou les contraintes générales. Cela pose le principe du rapport à la loi. L’individu pour des raisons propres ou des intérêts personnels peut-il s’exonérer en toute bonne foi de ce qui soude le collectif mais qui ne lui plait pas à lui personnellement ?  L’Etat est-il devenu un adversaire ? Seuls les droits individuels comptent- ils ?  Je crains que les lignes qui suivent sur les théories ou les doctrines de la désobéissance en général -invoquée pour justifier les refus de se soumettre- soient d’actualité. Ce qui met en danger le pacte républicain déjà menacé dans sa cohésion. Surtout si des intellectuels ou des responsables politiques appellent à ne pas faire ce qui est demandé d’autant plus il faut l’avouer que parfois on ne voit aucune cohérence dans les décisions de l’Etat voire des contradictions internes, et surtout malheureusement avec peu de succès.

 

Dans cette période de pandémie beaucoup plus confuse que par le passé où ne planaient pas de risques pour la santé mais des menaces identifiées, s’y sont ajoutées l’anxiété et la peur car il y a des inconnues de toutes natures importantes à court et moyen terme. Même si les réactions ou revendications parfois brutales de diverses catégories sociales comme celles des individus durent depuis très longtemps on l’a vécu ces derniers mois, on a pris la mauvaise habitude par manque de courage pour ne pas faire de vagues donc à tort, de constater que certains ne respectent rien dans le courant ordinaire de la vie. Ce n’est donc pas faire un procès d’intention à quiconque de déplorer que pour toute décision publique il y a un refus de l’autorité, une répugnance à appliquer la loi, à considérer que toute disposition impérative voire toute simple recommandation, toute instruction générale sont inacceptables et abusives, à ne tolérer aucune contrainte quelconque et à croire qu’en désobéissant on est dans le camp du bien.  

Cette rébellion ou pour ne pas exagérer cette propension à discuter, protester, pinailler, douter, dire tout et son contraire, se retrouvent dans tous les domaines et chacun d’entre nous doit l’affronter : par exemple  dans la famille avec les enfants ; à l’école où les parents viennent agresser les enseignants ;  dans l’entreprise où la moindre remarque est considérée comme du harcèlement moral et de la discrimination ; en justice où les jugements rendus font polémiques ; et bien sûr dans la sphère publique quand les politiques votent des lois à la suite d’un processus démocratique. A peine élu, le responsable n’est plus légitime et il est soupçonné de prendre des mesures dangereuses voire régressives pour les droits acquis, de limiter les libertés individuelles et publiques au nom d’un objectif non avoué, et de prendre des décisions que l’on ne peut accepter.  Car seule l’opinion publique a raison, c’est -à- dire une infime partie de la minorité qui prétend savoir de source sûre et avec certitudes pour tout, ce qu’il faut faire.  Avec la crise sanitaire des sommets sont atteints avec les prétendus experts et les spécialistes du bavardage qui conduit au néant, qui réinventent le passé et avaient tout prévu.

Je ne sais pas si le « nouveau monde » voulu au moment de l’élection présidentielle mais désormais différent que l’on nous promet pour après la crise changera cet état d’esprit ou si les habitudes de l’ancien monde ressusciteront. J’espère que les vieux démons ne resurgiront pas.  Notre monde actuel est devenu un mode d’empêcher de gouverner en rond, sans avoir la moindre responsabilité et je pense à des médias en particulier, sans répondre de ses actes si on se trompe, au prétexte que la démocratie est une vérification permanente par le peuple ou ceux qui prétendent l’incarner, et qu’il est normal de s’opposer ou de dire non y compris par la violence. C’est de la vigilance active voire activiste dans le cadre d’un régime représentatif. Ce n’est pas ma conception de la gouvernance qui doit être évidemment contrôlée par les instances institutionnelles et l’application de la constitution, au nom du peuple qui n’appartient à personne même pas aux beaux esprits se disant plus éclairés que d’autres, mais comme je suis un senior qui a failli être confiné à vie, je dois être un has been. Je l’assume.

 

On a bien vu cette tendance avec les violations des mesures concernant le confinement, les millions de contrôles, les centaines de milliers d’infractions, les PV dressés et les renvois devant les tribunaux. Avec le déconfinement on constate encore plus de protestations et d’indignations sur les mesures du plan global de redressement comme on dit au tribunal de commerce pour faire repartir les activités et donc la croissance, pour déterminer qui fera les efforts, qui paiera la note finale, malgré l’explosion de la dette publique qu’il faudra un jour rembourser nous ou les générations futures que l’on veut préserver ? Chacun aura sa bonne idée. Celle qui vise surtout les autres. 

 Malgré les milliards du plan de relance venu de l’union européenne et un pognon de dingue qui est injecté, va-t-on aller sournoisement vers la solution facile de l’ancien monde d’un impôt dit du coronavirus, plutôt que d’innover et d’imaginer d’autres solutions qui toutes, soyons réalistes, demanderont des efforts.  Surtout que le processus innovant lié au déconfinement - reconfinement ciblé sera progressif et que des commerces risquent de souffrir plus tard que d’autres ce que je déplore pour les entreprises les plus fragiles mais bonnes pour le moral comme les bistrots restaurants et hôtels, marchés et spectacles. Le rétropédalage est aussi un moyen d’avancer si je peux dire, et de n’être pas contre -productif. Revenons à mon approche un brin partiale je l’avoue sur l’autorité mot qui fait geindre, et son non- respect. 

 Je voudrai me tromper et croire qu’il va y avoir un consensus, un défi commun, et un enthousiasme à tous relever les manches. Mais on assite à une vague de refus plus ou moins motivés, plus ou moins dans l’intérêt général, qui va renforcer l’esprit de désobéissance qui nous anime. Et la détestation de recevoir des ordres même élaborés démocratiquement. Guignol rosse le gendarme sous les applaudissements.  C’est le sujet de ces lignes. 

 

N’en faire que selon ses désirs est devenu un sport national, une manière de vivre et d’être, de se croire rebelles -sans risques d’ailleurs- de s’en prendre aux pouvoirs publics tout en profitant des avantages et en négligeant que l’Etat ce n’est pas moi comme le disait Louis XIV mais nous, tous les citoyens. Refuser d’obéir, de se soumettre à la loi, c’est considérer que la liberté individuelle est un principe supérieur à toute autre considération, en particulier si elle nous concerne. L’intérêt général devient secondaire.

On doit se rappeler ce que prêchait le père Henri Lacordaire (1802-1861), membre de l’Académie française et homme politique : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Examinons cependant deux concepts : l’ordre illégal et la désobéissance civile.

La 1ère catégorie de désobéissance consiste pour un militaire surtout (un fonctionnaire aussi) à ne pas exécuter un ordre qui lui parait illégal. C’est la théorie des « baïonnettes intelligentes ». L’article 122-4 du code pénal précise que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime sauf si cet acte est manifestement illégal ». La difficulté en justice est de savoir comment on interprète le « manifestement illégal » : un ordre exagéré, mal conçu, ambigu, mal formulé… ne correspondent pas forcément à la définition, ni celui qui est contraire à sa conscience. J’ai plaidé jadis quelques dossiers de ce genre quand le tribunal aux forces armées existait encore. Ce fut toujours difficile en faits, en sémantique, en morale, donc en droit. Je donne l’exemple atypique et ancien des gendarmes qui sur ordre du préfet ont mis le feu à des paillottes sur une plage corse. Ils ont été condamnés. Mais cette théorie veut dire aussi que désobéir à l’autorité est admis par la loi dans des conditions très strictes cela va de soi.

Dans le cadre de la crise du coronavirus, des mesures qui restreignent les libertés individuelles pour un temps déterminé avaient été votées dans le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire, et le confinement a été ordonné. On a déconfiné mais on peut retourner à cet état ancien selon les endroits. La menace plane, la peur rôde.  L’ordre public est légal. Les pseudos résistants à son application qui inventent des prétextes aussi farfelus que dérisoires pour circuler librement, se réunir entre copains ou famille, continuer à vivre insouciants sont dangereux pour eux -mêmes, leurs proches, et tous ceux qu’ils croisent. Cela me permet d’aborder un autre aspect de la désobéissance.

 

La 2ème catégorie de désobéissance concerne ceux qui sont persuadés de détenir la vérité, par exemple sur le réchauffement climatique ou l’environnement en général, avec la décroissance nécessaire, et qui dénoncent la main nocive de l’homme partout notamment avec les méfaits de la finance. Ils occupent des terres, ils se battent pour que tel projet soit abandonné. Ils savent tout en matière de virus et ne croient pas les spécialistes …Ils n’ont pas tout faux, mais ils n’apportent aucune vraie solution. Avoir des intuitions ou des certitudes non vérifiées et validées (voir la polémique actuelle sur les médicaments ou le vaccin) ne garantissent pas des résultats heureux. Et le pouvoir ne peut prévoir des politiques publiques sur des hypothèses. Tout chef d’entreprise le sait. On ne joue pas à la roulette russe avec la santé, ou l’économie. Comme on a les modèles et les penseurs que l’on mérite, je cite mon maître du bon sens Coluche qui définissait le capitalisme « comme l’exploitation de l’homme par l’homme, et le syndicalisme par le contraire ».

Les militants qui désobéissent en se disant pacifiques mais en n’hésitant pas à faire le coup de poing avec les forces de l’ordre, utilisent le concept de désobéissance civile pour se justifier. Elle a été décrite en 1849 par le philosophe, naturaliste et poète né en 1817 à Concord (usa) Henry David Thoreau.  En juillet 1846 il avait refusé de payer un impôt à l’Etat américain pour protester contre l’esclavage dans le sud du pays et la guerre au Mexique. Il ne va passer qu’une nuit en prison car sa tante va payer sa caution. Furieux il décide de théoriser son action sans oublier « le discours de la servitude volontaire ou le contr’un » d’Estienne de la Boétie (1530-1563) qui est une remise en cause de la légitimité des gouvernants à propos d’une révolte antifiscale - déjà - en Guyenne en 1548. Ce texte de La Boétie traduit le désarroi d’une partie de la population souvent cultivée devant la réalité de l’absolutisme. La question est : « pourquoi obéit-on ? ».

 

Avec la désobéissance civile on refuse de se soumettre à une loi ou une mesure qui nous paraissent injustes. On s’interroge : « le légal est-il juste ? » alors que l’on est en république et que l’absolutisme n’existe plus et sauf à penser que l’Etat est totalitaire.  On en appelle à la conscience personnelle, aux valeurs qui nous motivent, à la définition du bien et du mal, à l’intérêt collectif outre à l’impuissance des Etats face à des firmes mondialisées.

On connait les désobéisseurs collectifs (les anti-zadistes) qui défendent une cause et les quasi- professionnels proches des mouvements anarchistes, nihilistes ou anticapitalistes. On a pu vérifier que la violence était un moyen d’action fréquent. Dans une démocratie c’est intolérable.

 Il y a aussi des désobéisseurs individuels qui font passer l’humain avant tout comme récemment M. Cédric Herroux agriculteur installé près de la frontière franco-italienne qui aidait les migrants illégaux.  Son cas a fait progresser le droit. La cour de cassation par le biais d’une QPC a interrogé le conseil constitutionnel qui a jugé que le principe de la fraternité à but humanitaire bien sûr, faisait désormais partie de notre bloc constitutionnel comme la liberté et l’égalité de notre devise [décision du 6 juillet 2018].

Une société moderne complexe par définition qui ne sait pas répondre immédiatement à ce qui n’est jamais arrivé et est imprévisible, ou qui envisage les meilleures décisions pour l’avenir par des réformes, ne peut bien fonctionner qu’avec l’acceptation par le plus grand nombre des lois et règles votées démocratiquement. C’est de la responsabilité de chacun. Certes il n’est pas interdit d’avoir une confiance raisonnée envers nos décideurs et de conserver l’esprit critique, car nul n’est parfait et on peut se tromper. Mais la désobéissance pour avoir raison ou par principe ne peut mener qu’au désordre civique, à l’incapacité d’agir, à la chienlit aurait dit le général de gaulle. La vérité est protéiforme et seule la légitimité démocratique par l’élection permet de progresser. La désobéissance conduit à l’impasse exceptés quelques exemples historiques. 

 

lundi 21 septembre 2020

L’Etat et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?

 

L’Etat et/ou la justice sont- ils les serviteurs des particuliers ?

Par Christian Fremaux avocat honoraire.

Les années passent et se ressemblent. Désormais le pire succède au pire mais il faut agir, l’Etat est attendu.  Par moment on s’interroge et on se demande où est l’intérêt général, qui le défend, et on voudrait savoir si l’Etat est au service des particuliers/citoyens et électeurs ou s’il a une mission plus globale ?  On se rappelle l’apostrophe énervée d’un gilet jaune à M. Macron venu discuter : « vous êtes mon serviteur ! » ce qui résume l’état d’esprit ambiant et le peu de considération que l’on a envers les autorités publiques, même si on peut comprendre le désarroi de certains et leur précarité. Il en est de même en matière de justice : celle-ci doit-elle avoir pour mission principale de préserver les intérêts supérieurs de la nation, conforter les valeurs républicaines et traditionnelles du droit positif ou doit- elle faire droit uniquement à des demandes particulières puisqu’elle doit répondre aux questions qui lui sont posées quitte à remettre en cause la cohésion morale ou de conscience en créant la polémique ? En un mot à quoi sert l’Etat sous toutes ses formes : pour qui gouverne-t-il ?

 M. Jospin premier ministre avait dit que l’Etat ne peut pas tout. Il a trainé cette vérité comme un boulet car on lui a reproché de ne vouloir rien faire. Il y a quelques années assez récentes on disait que l’Etat devait être minimum, qu’il fallait revoir son périmètre pour le réduire aux fonctions régaliennes et ainsi diminuer drastiquement les dépenses publiques. Il y avait plus ou moins consensus sur cette nécessité. Mais la crise de 2008 puis celle du covid-19 notamment couplée à la crise de la sécurité (ou de l’insécurité selon les sensibilités), à l’économie qui rame, à l’anxiété qui fait douter et la demande des citoyens ont tout remis en cause.

Le même reproche d’impuissance de l’Etat à trouver des solutions concrètes et rapides revient avec les dépôts de bilan liés (ou non) à la crise sanitaire. Comment va-t-il les empêcher ? M. Tapie ministre voulait une loi qui interdise les licenciements : est-ce envisageable ?  L’Etat conseillé par des éminents et très nombreux experts épidémiologistes n’arrive pas à faire disparaitre le virus - à l’impossible invisible nul n’est tenu - ou à trouver des bonnes mesures sans confinement généralisé. On le critique sévèrement et on engage des poursuites pénales contre les ministres. On a déjà saisi les juridictions pour dénoncer les insuffisances du gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement climatique. 

Quand la société Bridgestone annonce qu’elle fermera en 2021 son usine de Béthune qui est la moins rentable du groupe selon la direction, on se tourne illico vers l’Etat. L’émotion est à son comble ce qui est légitime pour les salariés qui perdent leur travail, et les politiques emploient les qualificatifs les plus durs voire les insultes pour dénoncer des dirigeants de l’usine sans cœur et profiteurs d’argent public sans contrepartie avérée.  Le gouvernement s’écrie qu’il « fera tout » pour sauver les emplois, sans dire quoi, comment, selon quel coût et quand. On le sait bien : en matière industrielle privée l’Etat ne peut que gesticuler et aider : il ne dirige et ne décide pas, et quand il est actionnaire d’une entreprise il n’est pas compétent pour gérer.  Les travailleurs et leurs syndicats ne l’ignorent malheureusement pas : faute d’une perspective industrielle ou d’une reconversion réelle en concertation avec ceux qui font tourner la boutique le site risque de disparaitre. L’indignation médiatique a payé provisoirement : les ministres concernés sont allés sur place et un accord de méthode permettra pendant 5 mois de négocier. Mais la direction de Bridgestone n’a pas renoncé. Les pouvoirs publics n’ont pas gagné.

 L’Etat n’est ni magicien ni doté de pouvoirs de coercition contre des dirigeants d’entreprise. On se rappelle un candidat devenu président de la république perché sur le toit d’une camionnette qui avait dit qu’avec lui élu, le site ne fermerait pas. C’était ArcelorMittal à Florange en 2012. On avait promis une loi. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient disait Raymond Barre. On peut citer d’autres exemples, mais je ne veux pas faire perdre le moral à quiconque car il faut être volontariste.  La conclusion navrante est que toujours en 2020 l’Etat ne peut sauver tous les emplois et donc les particuliers et je le regrette profondément. Il doit travailler en amont et en permanence en ayant des politiques plus préventives. On ne fera croire à personne que la situation de Bridgestone n’était pas connue : je crois qu’un accord de compétitivité a été proposé aux syndicats début 2020 qui a été refusé certainement pour des bonnes raisons. C’était à ce moment qu’il fallait agir. Et il semble évident qu’il faut donner aux autorités décentralisées régions comme départements, plus de moyens en matière économique voire sociale, pour trouver des solutions locales. L’Etat a la charge de l’intérêt général mais il n’est pas interdit qu’il en confie aussi la responsabilité aux élus de terrain avec l’aide des services déconcentrés que le préfet dirige.  L’intérêt général se nourrit de la cohésion sociale, des intérêts des particuliers, et de l’humain avant peut être de la finance et l’équilibre d’une société à vocation mondiale. Une nation doit avoir un Etat fort et respecté : mais il doit faire la preuve de son efficacité au profit de tous les citoyens.  

En matière de justice le débat est récurrent sur le « pouvoir » des juges (notamment en matière pénale mais ce n’est qu’une petite partie des contentieux) et pour savoir si une décision ne fait pas droit à un particulier s’il s’agit ou non d’une décision liberticide ? Les juges ont- ils une obligation de résultats ou ont- ils - ce que j’espère et crois - une libre appréciation même si elle n’est pas favorable ? Peut- on faire de la peine à un justiciable qui mène un combat que l’Etat n’a pas abordé ?  Cela éviterait de revenir à l’éternel débat sur l’indépendance des juges ! Je cite un cas d’espèce tiré de l’actualité qui m’a ouvert des abîmes de réflexion, mais je ne suis qu’un vieux conservateur.  Je résume au mieux les faits et je m’excuse de mes raccourcis.

Un monsieur a eu deux enfants avec sa femme. Puis étant transgenre il est devenu lui-même femme ce qui a été transcrit à l’état civil conformément à une loi de 2016. Toujours marié il avait eu avec sa femme un troisième enfant en 2014 car il n’avait rien perdu de ses attributs virils. Il a voulu aller encore plus loin et que pour l’état civil de son dernier enfant l’administration l’inscrive comme mère. Il y a eu conflit d’où la saisine des juridictions.   La cour d’appel de Montpellier a quasi fait droit à sa demande en lui conférant un statut inédit : celui de « parent biologique ». La cour de cassation a été saisie et par arrêt du 16 septembre 2020 elle a cassé l’arrêt de Montpellier en renvoyant le dossier devant une autre cour d’appel, en considérant que la filiation pouvait être reconnue par la voie de l’adoption, et que dans l’intérêt supérieur de l’enfant on ne pouvait accéder à la demande. Elle a donc refusé le statut de mère à un homme devenu femme.

L’avocat du monsieur/dame et l’association qui soutenait son combat ont crié à une « violation des droits et libertés essentiels » et que la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg serait saisie au plus vite. Je ne me prononce pas sur le fond humain de ce dossier et je respecte les motivations profondes du demandeur mais je m’interroge sur l’aspect égalité humaine du jeune enfant surtout pour son avenir et ce qu’il pensera quand il sera adulte :  l’enfant n’a -t -il pas droit à avoir un père et une mère comme ses ainés, et non pas deux mères , sujet vaste par ailleurs avec des projets législatifs en cours sauf erreur ?  Plus sérieusement juridiquement ce procès pose la question des droits de la société puisque on peut tenter de remettre en cause les fondements en droit de la filiation et de l’état civil. Les droits individuels ont -ils vocation à être illimités seraient -ils en contradiction avec les tendances lourdes de la société et de la majorité silencieuse.  La cour de cassation semble avoir voulu dire que la vie privée ne peut pas prendre le dessus sur le droit existant qui concerne tout le monde.   

  La question est :  l’Etat à travers sa justice rendue au nom du peuple français peut- il faire droit à toutes les demandes quand la loi est muette, avec des requêtes infiniment rares comme spécifiques pour satisfaire l’envie irrépressible et de bonne foi d’un individu ? On sait que des militants plaident pour la disparition des termes père et mère ; veulent dégenrer les cours d’école, imposer l’écriture inclusive et se réservent d’autres nouveautés qu’ils estiment progressistes.

 L’Etat pouvoir exécutif par ses décisions propres ou à travers la justice – « simple » autorité judiciaire- doit- il être un distributeur automatique de droits nouveaux ou un justicier (masqué évidemment) si la morale ne coïncide pas avec le droit ou des besoins pragmatiques comme le maintien de l’emploi ? Doit-il confier le soin aux juges dans leur indépendance de créer des règles en évitant ainsi des débats publics dans des domaines délicats qui engagent l’avenir comme par exemple la bioéthique qui touche à la morale personnelle, à la conscience de chacun, et qui peut bouleverser notre société ? « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » a écrit Montesquieu. La justice n’est pas un laboratoire d’idées ou un substitut au peuple qui ne s’est pas exprimé sur un sujet donné.

Et l’Etat peut de moins en moins d’où l’urgence de le réformer en profondeur, de ne lui confier que ce qui est vital, qu’il garantisse l’état de droit et le fonctionnement des institutions, et assure la redistribution pour ne pas oublier les plus faibles. On doit pouvoir avoir confiance et faire participer la société civile à l’intérêt général qui n’est pas le monopole exclusif de l’Etat.  Celui-ci a le devoir de garder les intérêts collectifs supérieurs de la nation et de ne pas s’aventurer sur des chemins sinueux qui conduisent à l’inconnu. Il n’est le serviteur de personne, il doit rester le maître même si certain(e)s trouvent cette appellation connotée y compris… pour les avocats ! On progresse !

Cessons de demander tout à l’Etat ou à la justice qui d’ailleurs « rend des arrêts et non des services » comme le déclarait jadis le 1er président de la cour d’appel de paris et pair de France Antoine-jean Séguier.  

mardi 15 septembre 2020

ne cédons pas à la facilité


Ne cédons pas à la facilité.
               Par Christian Fremaux avocat honoraire.
Il fallait s’y attendre. Après la polémique sur les termes ensauvagement et celui de sentiment d’insécurité les français qui craignent d’être des victimes réelles ou potentielles pour des faits malfaisants de toute nature ont répondu à un sondage qu’ils étaient pour le rétablissement de la peine de mort. Docteur Guillotin au secours on confond 2020 et 1789. Ce n’est pas la bonne période pour les avocats pénalistes devenus ministres. Me Badinter doit être dans tous ses états, et Me Dupont-Moretti doit penser que défendre un individu aux assises est plus facile que défendre le peuple français face aux agresseurs.
Le manichéisme en matière de justice pénale n’est pas acceptable car si la répression à outrance avait stoppé les violences, les meurtres, les assassinats, et les attentats on le saurait. De même si la prévention avait porté tous ses fruits, on vivrait heureux sans récidive dans une société parfaite. Mais si tel n’est pas le cas et que l’on constate que le mal existe, que le bon sauvage de J.J. Rousseau est devenu dans la vie des gens un dangereux délinquant, ou un citoyen qui ne respecte aucune règle et qui pourrit le quotidien, il faut en tirer les conséquences. Faire l’autruche n’est pas une politique, dénier la réalité non plus, vouloir respecter à la lettre les droits de l’homme que les délinquants ignorent eux, donner des chances successives à ceux qui s’en moquent, accepter toutes les différences qui sapent les fondements de la république et qui fissurent la nation, et renoncer devant un climat délétère où chacun estime n’avoir que des droits sans devoirs, c’est s’exposer à une escalade qui ne peut rien produire de positif. Notre démocratie représentative est fragile et on sent bien qu’elle peut basculer dans le pire. Nous devons faire un effort collectif pour retrouver ce qui fait sens, nos valeurs traditionnelles, y intégrer des notions nouvelles et faire en sorte que tout le monde ait sa place, à la condition que les candidats ou ceux nés sur notre sol jouent le jeu et ne dénigrent pas ce qui existe en parlant systématiquement de racisme, de discriminations structurelles et d’inégalités voulues, exigent d’obtenir pardon pour  ce qui a été ou est à l’étranger, veulent des excuses pour ce que nos très anciens aînés ont cru devoir bien faire. On ne bâtit pas l’avenir en démolissant le passé.
Le citoyen sait qu’il n’y a pas de solutions miracles en matière d’insécurité, et que c’est l’affaire de la société en général de mettre en œuvre les moyens qui s’adaptent aux nouveaux comportements. Oui je n’hésite pas à l’écrire : c’est à la société d’adapter les outils juridiques et autres supports techniques pour faire face aux nouvelles menaces, car si l’on attend que le délinquant potentiel attiré par les profits faciles, ou en proie à ses pulsions morbides qu’aucun spécialiste médical ne décèle, décide de bon gré de rentrer dans le rang pour travailler et participer à l’effort comme tout un chacun ou devenir un homme-femme lambda, on s’égare. Il ne faut pas préparer la dernière guerre. Il faut prévoir, anticiper et avoir les réponses à ce qui peut arriver de pire ou de destructeur du lien social.  Car au- delà de l’économique et du social, les problèmes de sécurité et de justice sont des éléments du climat difficile actuel, de la défiance envers les institutions, du manque d’autorité et du fait que le citoyen réclame des actes et moins de paroles.
La peine de mort tient la corde dans les sondages. Qui s’en étonnerait tant la solution est facile. Mais pour qui et pour quoi ? Quel ministre monterait à la tribune de l’assemblée nationale pour plaider son retour ? Même pas un ancien avocat commis d’office ! Mais on comprend les motivations qui conduisent à cette réponse. Je pense aux crimes de sang qui indignent ; les violences volontaires aussi chez les jeunes sans vraies raisons et très brutales ; les attentats qui frappent à l’aveugle mais qui sont signés pour nous déstabiliser et faire tomber notre civilisation… On est là en légitime défense et la société a le droit de se défendre et de punir très sévèrement.  Ces cas très très graves sont quand même peu fréquents heureusement même s’il y en a de trop. L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales rattaché à l’Inhesj (et début 2021 à  I’Ihemi ?) les décrit et donne des explications.  Après un procès qui doit intervenir le plus rapidement possible et non des années plus tard, la sanction doit être de la prison ferme, et il faut réfléchir pour savoir si on maintient les dispositions actuelles d’exécution de la peine puis de la libération, ou non. Il ne faut jamais priver un coupable d’espoir, mais on peut en durcir les conditions ?  La société ne doit pas appliquer les méthodes des criminels. Elle ne peut donner la mort : elle doit préserver la vie.
La peine de mort ne répond pas non plus à ce qui exaspère ou qui cause des dommages de moindre importance, même si la victime veut avoir sinon vengeance au moins réparation et que le responsable soit sanctionné.  Ainsi le squatteur qui « vole » une propriété, ce qui révulse tous les propriétaires qui se sont sacrifiés pour acheter leur bien. Ne faudrait-il pas une loi plus efficace ?  Ou celui qui fait des rodéos motorisés dans les rues : qu’il soit condamné à les nettoyer ! Pour la plupart des infractions importantes je ne crois pas que les juges soient laxistes. Ils appliquent la loi que nos parlementaires votent : ceux-ci ont décidé qu’à moins d’1 an de prison prononcée il fallait trouver une alternative à l’enfermement. Si les citoyens ne sont plus d’accord, qu’ils fassent changer la loi et /ou ne votent pas pour des candidats qui ont d’autres raisonnements que les leurs.  Le responsable n’est pas toujours l’autre. Le citoyen-électeur doit user de ses armes. Ne cédons ni à la fatalité ni à la facilité.
Il ne peut y avoir des boucs émissaires. La France a un passé, une histoire qui se construit tous les jours et des élus verts ont le droit de ne pas aimer le tour de France cycliste ou l’arbre de nöel. Mais on a aussi le droit d’être en désaccord avec eux, de ne pas voir le mal partout , de ne pas vouloir de la société qu’ils prônent , d’être conservateur et libéral puisque l’Etat ne peut pas tout, ce qui ne veut pas dire ringard, et de penser que la France vient de loin , que la république qui a fêté l’anniversaire des 150 ans de la 3ème a des valeurs solides toujours modernes  qu’il faut conforter, et que le consensus est préférable  dans la vie quotidienne à de prétendus progrès qui sont dans la tête de certains exaltés.  
La démocratie participative que beaucoup réclament s’en portera mieux. Les effets d’annonces ne concernent que ceux qui y croient. En matière de justice soyons fermes en donnant à nos magistrats les textes et solutions pratiques dont ils ont besoin. Sans pour autant réchauffer un débat qui n’a pas de sens, sachant que l’on ne prend pas un marteau pour écraser un virus serait- il le covid-19.
Et rappelons-nous la formule de John Kennedy : « ne te demande pas ce que ton pays peut pour toi. Demande- toi ce que tu peux faire pour ton pays ».    

vendredi 4 septembre 2020

le sentiment d'insécurité:bis repetita.


Le sentiment d’insécurité : bis repetita.
par christian fremaux avocat honoraire.

Je me souviens. En 1989 M.Pierre Joxe était ministre de l’intérieur et les problèmes d’insécurité avaient explosé. On discutait déjà du sexe des anges ce qui a perdu Byzance, pour savoir si ce qu’on appelait les faits divers à l’époque étaient surestimés, si c’était une réalité ou un simple sentiment c’est-à-dire une appréciation subjective souvent exagérée et ne reposant sur aucune certitude. A l’image de l’Ihedn (institut national des hautes études de défense nationale) qui existait depuis des années et qui permettait à des experts militaires comme civils de la défense nationale de réfléchir sur les menaces, d’analyser avec tous les moyens de l’Etat, de proposer des solutions aux pouvoirs publics, et de pouvoir réagir vite s’il le fallait, M.Joxe créa l’Ihesi institut  des hautes études de la sécurité intérieure ( à vocation nationale) et il y ajouta l’observatoire national  de la délinquance et des réponses pénales (ondrp) comme outil statistique, que M.Alain Bauer pilota avec maestria. Connaissant le mot de Churchill : « je ne crois pas aux statistiques sauf celles que j’ai moi -même falsifiées ».
La première promotion eut lieu en 1990 : après sélection nationale sur dossier puis entretien individuel elle regroupait une centaine d’auditeurs admis parmi la haute fonction publique, les hauts gradés de la gendarmerie et de la police nationale, le corps préfectoral… enfin tous ceux qui concouraient à la sécurité publique, avec des magistrats, quelques parlementaires et des membres de la société civile. C’est le ministre de l’intérieur qui validait les candidats choisis par arrêté publié au journal officiel.  Comme avocat je fus retenu dans la 2ème promotion de 1991. Un des intérêts majeurs de cet institut est qu’il mettait en contact des responsables publics comme privés qui auparavant ne se parlaient pas, ignoraient l’état d’esprit et les contraintes des autres, leurs fonctionnements, et permettait ainsi de nouer un dialogue positif permettant d’agir concrètement avec plus d’efficacité.
 Tout en continuant à exercer leurs activités professionnelles, les auditeurs recevaient une formation pluridisciplinaire au plus haut niveau, participaient à des groupes de travail et rendaient des rapports circonstanciés et documentés, faisaient des visites sur site ( je me rappelle avoir passé quelques jours dans la vallée de la Sambre, avec toutes ses friches industrielles ,le chômage, la délinquance…) et se déplaçaient à l’étranger pour comparer. L’institut avait de nombreux chercheurs de toutes disciplines, s’intéressaient aux matières liées à la délinquance, au terrorisme, aux menaces nouvelles qui émergeaient, organisait des colloques aux thèmes pointus, faisait venir les responsables en fonction de la sécurité et de la magistrature pour qu’ils parlent de leurs expériences de terrain, et alimentait les pouvoirs publics de ses conclusions.
 Le sentiment d’insécurité fut disséqué, vérifié, étudié scientifiquement. Je peux citer entre autres multiples études, le travail de M. Sébastien Roché qui continue à faire autorité.
L’Ondrp outre ses analyses des infractions en général catégories par catégories, avait commencé à faire aussi des enquêtes de victimation qui consistent à demander aux victimes quelles infractions elles ont subi, dans quelles circonstances, avec quels impacts matériels ou psychologiques et un rapport volumineux était rendu au ministre solennellement chaque année.  Alain Bauer est devenu professeur de criminologie et est un expert mondialement connu, invité dans les médias et ayant l’oreille de nos gouvernants.
L’Ihesi prit une dimension considérable au fil des années, se transforma en Inhes (institut national des hautes études de sécurité) puis ajouta le J pour justice car on avait pris conscience que sécurité et justice étaient liées. L’institut devenu établissement public administratif fut placé sous l’égide du 1 er ministre pour en faire un outil transversal interministériel. IL est encore l’Inhesj institut national des hautes études de sécurité et justice. J’écris encore car M.Edouard Philippe premier ministre a décidé fin 2019 de le supprimer  comme d’autres organismes publics ayant moins de cent personnes , pour de bonnes raisons  selon lui  mais je pense essentiellement budgétaires car la sécurité et la justice restent en pointe de l’actualité. Il serait désastreux de se priver d’un tel outil de gestion des crises, du management de la sécurité, de l’étude de la violence et de la délinquance, des menaces terroristes et sanitaires, de la cybercriminalité, de la protection des entreprises et des données personnelles, de l’immixtion des réseaux sociaux … Bref on a besoin d’un tel institut.
J’ai fait ce rappel historique pour montrer qu’on dispose déjà de nombreux rapports, que l’on a circonscrit les problèmes, et que désormais on sait que l’on ne pourra jamais empêcher un crime et que l’homme commette le mal, ni des violences y compris dans la famille ce qui est désolant puisque on croit y découvrir l’amour et la bienveillance. Et si on déplore la délinquance, les incivilités, le manque absolu de respect et de civisme, l’émergence de difficultés qui ressurgissent avec des idéologies ou des religions radicales, on a des solutions à condition qu’il y ait une volonté politique qui s’appuie sur un consensus citoyen et sur les valeurs de la république. C’est bien de s’indigner ; c’est bon de ne vouloir stigmatiser personne. Je suis pour l’humanisme mais à la condition que les coupables y mettent du leur, que la société se ressaisisse, que les citoyens qui dérapent tentent de « s’empêcher » comme le disait le père d’Albert Camus, que le civisme refleurisse, et que l’on soit tous d’accord pour faire gagner tout le monde dans la société apaisée et réunie sans séparatisme et sans vouloir imposer des règles ou des coutumes qui ne correspondent ni à notre identité ni à notre corpus de droit ou de valeurs universelles.  Ce qui n’enlève rien aux débats publics, aux contestations, aux réclamations pour plus de partage ou de redistribution. Mais la sécurité et la justice ne doivent pas permettre des polémiques et l’accusation de laxisme ou au contraire de tout répressif donc de mesures liberticides, n’a pas lieu d’être. Il faut trouver le bon équilibre, celui qui protège, celui qui rassure.    
L’ Ihedn  a sauvé son existence tout en devant se restructurer : je m’en réjouis comme ancien auditeur. L’Inhesj est repris à partir de janvier 2021 par le ministère de l’intérieur, sans qu’on n’en connaisse encore exactement les modalités pratiques en détail et les compétences en matière de formation que conserve le ministère de la justice. Mais la sécurité ou l’insécurité comme on veut font de nouveau parler d’elles avec vigueur.  C’est un retour vers le futur.  
Cet été 2020 fut terrible en matière de délits et crimes, sans compter les incivilités, le non- port du masque et les attaques très graves contre les représentants de la puissance publique devenus des cibles qu’ils soient maires, policiers et gendarmes, pompiers, médecins en y ajoutant conducteurs de bus … Je ne peux tout décrire M. l’ancien avocat général Philippe Bilger ayant rappelé avec talent et modération sur son blog en disant qui faisait quoi où et quand. On a donc les informations. La crise de l’autorité a pris une ampleur inégalée. Des jeunes -ou des moins jeunes-que l’on ne définit pas mais que l’on reconnaitra se sont distingués en matière de violence extrême et de provocation ou de batailles rangées avec armes de guerre sur fond de trafics naturellement et pas pour réclamer du travail ; des récidivistes ont agi, dont un odieusement sur une jeune fille qu’il a violée et tuée. Le procès de l' attentat contre Charlie hebdo  s’est ouvert avec la souffrance enfouie des victimes, ce qui a mis l’accent sur les dangers réels et potentiels et révélé que la menace terroriste était toujours présente. Par ailleurs on sait que des territoires sont en danger, perdus pour l’état de droit comme l’a signalé M.Benssousan en 2002 et  ce que M.Ch.Guilluy a confirmé. L’universitaire Gilles Kepel a dit pourquoi.  Donc l’habitant lambda qui y habite s’inquiète car il vit les désordres. Ce n’est pas un simple sentiment.
 M.Darmanin ministre de l’intérieur incarne le glaive de l’Etat et les devoirs collectifs. Il est dans le réel quotidien. Il  a parlé d’ensauvagement de la société ce qui est un cran bien au- dessus des sauvageons de M.Chevènement et peut égaler les racailles de M.Sarkozy. Le ministre de la justice Me Dupond-Moretti ténor du barreau soucieux des droits individuels et conscient à juste titre que la société n’a pas besoin d’être encore plus électrisée a contesté cette appréciation en disant que l’insécurité était plutôt de l’ordre du fantasme, que la France n’était pas à feu et à sang (il a raison sur ce plan heureusement) et que tout fait criminel, délictueux ou autre serait puni au plus vite. On s’en réjouit si on donne aux magistrats les moyens de se prononcer peu après les faits prouvés par les forces de l’ordre. Plus il y a de greffiers et de juges mieux c’est : on a la justice que l’on se paie. Elle participe à effacer au moins le sentiment d’impunité.
 Mais un fantasme qui s’appuie sur des faits avérés est- ce encore un fantasme qui relève de l’imaginaire et de l’inconscient ? Et serait-ce le cas on doit combattre aussi ledit fantasme qui crée des polémiques et de l’incertitude voire de la peur irraisonnée. C’est un devoir du gouvernement tout entier, et aussi des citoyens puisque la sécurité est l’affaire de tous, avec désormais l’appui de la sécurité privée et des polices municipales, voire l’intelligence artificielle en matière de technologie. On ne rêve plus d’une société parfaite : on doit agir.   
Il ne faut pas avoir peur des mots.  Peu importe celui qui les emploie, leur origine n’est pas en cause. Ne pas nommer précisément c’est se condamner aux malentendus et à l’erreur. Jean-jacques Rousseau voulait écarter les faits qui ne correspondaient pas à sa pensée philosophique et contrariaient son argumentation pure ! L’individu de base, père de famille qui travaille, paie impôts et taxes, élève ses enfants selon ses valeurs familiales, use parfois de mots durs un brin excessifs. Il n’habite pas Saint -germain-des prés et n’a pas lu Michel Foucault. Il ne disserte pas sur la prison et la nécessaire punition. Il n’a pas l’impression qu’il encourage le désordre ou la chienlit ou la casse ou qu’il développe l’instinct de rébellion ou de désobéissance. Il a plutôt le sentiment qu’il sécurise ceux qu’il aime. 
 On a donc entendu revenir le vieux débat qui date de 1989 et qui paraissait être clos sur le sentiment d’insécurité. C’est désormais la notion de sécurité globale qui s’est imposée avec des causes protéiformes. Le sentiment d’insécurité est une vieille lune.  Naturellement ce n’est pas la sémantique qui compte, mais les actes pris par les pouvoirs publics pour ralentir ou plutôt stopper la montée de la violence et les infractions qui sont commises à toute occasion y compris pour de prétendus bons motifs ou surtout de moins bons voire de prétextes fumeux il faut l’admettre : ainsi quand le PSG perd on casse les champs Elysées. S’il gagne aussi car on est content ou pas assez quoiqu’il arrive et il faut se défouler après le confinement.
 Il faut cesser aussi de faire passer l’émotion avant toute raison et vérification contradictoire des faits. Le sentiment de faiblesse résulte de ce qu’on inflige un rappel à la loi pour l’agression d’un élu par exemple. Le sentiment d’insécurité vient du fait que ceux qui n’ont été victimes de rien (ou pas encore pour les plus pessimistes) voient ce qu’il est arrivé aux victimes réelles et en sont solidaires. On a la justice que l’on se choisit. Il appartient à nos parlementaires de voter des lois et des punitions à la hauteur de l’ambiance et des risques de 2020 et du comportement de certains dont des mineurs qui ne veulent pas se plier à la règle commune avec l’influence ce qui se passe à l’extérieur sur des théâtres de guerre ou de division raciale.  Il n’y a pas de présomption ou de sentiment de culpabilité en matière d’insécurité. Il y a des coupables avérés ou non. On a le droit d’être sentimental ou empathique qui est de la grandeur de l’humain, et de croire que le responsable c’est toujours l’autre. Mais on a le devoir d’être réaliste. Dura lex sed lex, sinon il faut changer la loi.
 Aux politiques de choisir et de prendre leurs responsabilités. Le citoyen ne veut pas arbitrer entre le laxisme et le tout répressif avec la tolérance zéro comme à New-York. Il veut simplement des résultats, que les ministres s’accordent. La sécurité exige des certitudes et pas des discussions sans fin. Que nos deux excellents ministres se parlent et trouvent des solutions qui satisfassent le citoyen, puisqu’après tout les politiques sont nommés pour servir le peuple et pas leur égo. 
C’est difficile d’être citoyen cela s’apprend, de ne pas jalouser celui qui a réussi, et c’est facile de rejeter l’autre qui serait la source de son échec.  On souhaite n’obéir qu’à son instinct et son plaisir, d’être en marge tout en se réclamant de ce qui l’arrange. Chacun a son échelle de ce qui est grave ou non, de celui qui doit faire l’objet d’une sanction ou non.  Le sentiment d’insécurité n’existe pas pour une victime. Alors cessons de discuter pour rien, de perdre son temps. Les ministres de l’intérieur et de la justice sont dans leurs rôles avec leurs tempéraments personnels. Ce qui compte pour les administrés c’est que la sécurité réelle, potentielle ou virtuelle existe en pratique ; que la violence soit éradiquée autant qu’il soit possible ; que les coupables reconnus subissent une peine qu’ils vont exécuter, pour préparer leur réinsertion bien sûr ; et que la république protège tous les citoyens.
Pour trancher cette querelle de vocabulaire qui cache une approche différenciée de fond et des problématiques, des décisions jusqu’à l’enfermement pour les cas les plus graves, et des mesures pour les autres, on ne va pas créer une commission bidule ou un institut : il existe déjà ! Il est à l’école militaire à paris. Les deux ministres bras -dessus bras -dessous n’ont plus qu’à l’interroger, car il n’est pas utile de réinventer l’eau tiède. C’est mon sentiment que je partage.