Voir le procès Abdelkader
Merah par le petit bout de la lorgnette.
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
Je ne vais pas commenter l’enjeu de ce procès et son résultat
qui a été observé à la loupe grossissante et je partage les analyses dominantes
au fond tout en étant réservé sur les prétendus spécialistes et ceux qui
croient détenir la vérité, jugent les avocats et les magistrats, et savent ce
qu’il faudrait faire pour éradiquer le terrorisme tout en conservant une
législation qui n’est pas liberticide mais efficace(sic). Les conseilleurs
n’ont jamais été les payeurs. Je vais
m’attarder sur des détails qui sont essentiels pour moi et essayer de
faire connaitre un peu de l’envers du décor et du rôle de l’avocat qui défend un
terroriste. Ce n’est que ma vision par le petit bout de la lorgnette. Que les
avocats réels cités dans cet article me pardonnent mes approximations et
commentaires car rien ne remplace la présence
à l’audience, les rapports physiques, la confrontation intellectuelle,
l’ambiance générale, le décorum solennel avec les robes noires ou rouges, le public dont certains
sont au spectacle, la presse qui a des exigences et des préférences, l’émotion
qui submerge la raison…Dans un procès qui concernait l’assassinat d’un préfet
devant ladite cour d’assises anti-terroriste Me Dupont-Moretti a été mon
adversaire. Il a été loyal tout en étant ferme. On a la personnalité que l’on
s’est créée et le succès ne vient qu’à ceux qui le méritent. Avocats de parties
civiles comme ceux de la défense sont égaux. Le meilleur gagne, si le dossier
s’y prête.
Il fallait naturellement que ce procès ait lieu pour que les
victimes puissent dévisager en direct et haïr physiquement celui qui
comparaissait dans le box et d’après ce que j’ai vu dans les dessins d’audience
portait cheveux longs et barbe hirsute et avait une mine patibulaire. Il était
condamné déjà sur son apparence. Je partage naturellement l’émotion des
victimes et j’en suis solidaire sans avoir été touché à titre personnel, comme
je suis ému à chaque fois qu’il y a un attentat ou un évènement grave qui
aurait pu me concerner ou un de mes proches. Il fallait que la société tout
entière se fasse une idée de celui qui a été présenté comme celui qui a armé le
bras de l’assassin odieux -si ce n’est toi c’est donc ton frère comme
l’écrivait le doux psychologue et poète
Jean de La fontaine dans le loup et l’agneau- et essayer de comprendre pourquoi certains qui
sont nés sur notre territoire, ont été élevés dans nos écoles avec le principe
de laïcité, ont partagé notre culture,
nous ont fréquenté, ont profité de notre état de droit, de notre
démocratie, de notre solidarité, nous détestent au point de vouloir nous
tuer, discréditent nos valeurs, combattent nos principes, et sont
prêts à tout perdre et à accomplir le
pire en devenant des barbares ,en prenant la vie au hasard d’innocents dont des
enfants, au nom d’une religion en s’inféodant à des terroristes lointains et
désincarnés, bourreaux professionnels ? Cette question reste quasi sans
réponse mais elle est pourtant pour moi, LA question fondamentale. Certes je ne
suis pas un rebelle cela se sent et se saurait et j’incline plus vers l’ordre
public, le respect de l’autre et le combat démocratique, tout ceci étant
certainement ringard et sans importance aucune. Je me fonds dans le collectif
en essayant d’apporter ma pierre à la construction d’une société qui rassemble
et qui est plus juste surtout pour ceux qui ne sont pas nés avec une cuillère
dans la bouche et n’ont ni tous les codes ni la connaissance des filières qui
gagnent. Mais je m’interroge : qu’avons-nous fait à ces terroristes ?
Avons-nous seulement tenté de les priver d’un élément essentiel pour eux, de
leur identité, de leur personnalité, en les rejetant, en les discriminant, et
les dédaignant, en les cantonnant dans ce qu’ils croient être leur ghetto, en
ne leur donnant pas les mêmes chances qu’à d’autres ce qui expliquerait qu’ils
nous méprisent ? Je réponds non ce qui est peut-être une explication courte,
mais je ne suis pas partisan de la repentance en général, de la culpabilité
collective même si la France n‘a pas tout bien fait dans l’histoire mais comme
pour la révolution elle est un bloc : on la prend comme elle est avec sa
grandeur et ses défauts, et on peut s’y investir pour en améliorer le fonctionnement
et introduire plus de justice sociale, plus de fraternité, plus de tolérance,
plus de rapports humains. Mais on n’essaie pas de la détruire, de la toucher au
cœur, de créer des haines entre communautés, de l’abaisser. Que faudrait-il
changer pour que les terroristes ou assimilés de toute délinquance soient satisfaits,
qu’il n’y ait plus d’Abdelkader et de Mohamed Merah. Mais surtout est-ce à nous
de changer ? Dans le pays des droits de l’homme et de la démocratie même
imparfaite et j’exagère volontairement, exemple rare dans le monde surtout sur
la terre d’islam, faut-il céder au chantage à la violence de quelques individus
voire quelques centaines, ce qui serait une défaite impensable en rase campagne
de la pensée, des libertés et de nos valeurs ? Bien sûr que non, et nous
devons faire face. No pasaràn disaient les républicains espagnols…
Revenons à nos moutons, et je ne parle pas du troupeau Merah
mais de la cour d’assises anti-terroriste spécialement composée qui pendant
cinq semaines a essayé de garder la tête froide et de ne pas céder à la
pression. Pour moi le petit bout de la
lorgnette était de vouloir faire le procès de Mohamed qui ne sera jamais jugé,
à travers son frère Abdelkader et sa mère. On comprend la frustration des
familles de victimes qui auraient voulu que l’assassin encore vivant réponde de
ses crimes, voire les explique et les justifie selon lui. Cela aurait été un
tollé. Mais que peut- on attendre d’un barbare ? Sûrement pas qu’il
s’excuse, qu’il regrette, qu’il indique comment il s’est procuré des armes et
des munitions, pourquoi il a choisi pour mourir tel ou tel sur leur foi
apparente ou leur uniforme ou leur innocence, ou en suivant son inspiration
maudite et le hasard ? En un mot qu’il « collabore » avec
cynisme à sa propre condamnation. Cela
aurait été insupportable à entendre et les polémiques qui ont émaillées le
procès d’Abdelkader auraient franchi toutes les bornes et auraient créé des
fossés incomblables entre tous. Tant mieux si Mohamed l’arrogant d’après les
descriptions n’a pas comparu puisque les forces de l’ordre qui ont porté
l’assaut ont fait leur travail. Il nous manquera des réponses à des questions
légitimes mais l’on n’est pas obligé d’aller tout au bout de l’horreur pour
avoir une conviction et détester celui qui est passé à l’acte. Je vais
certainement choquer certains en écrivant ce qui précède mais il faut être
réaliste et ne pas se lamenter pour rien il y a d’autres motifs pour être en
colère. Quand c’est impossible ayons la certitude que nous avons raison et
privilégions la conciliation entre les victimes toutes plus honorables les unes
que les autres, la société qui a besoin d’être soudée dans l’affrontement et
les menaces protéiformes, et nos valeurs de paix.
Le petit bout de la lorgnette c’est aussi de se réjouir que
M. Abdelkader Merah ait été condamné à juste titre au maximum avec une peine de
sûreté pour sa participation à une association de terroristes et de féliciter
les juges, mais de les critiquer parce qu’ils ont prononcé -également à
juste titre selon moi mais je suis un petit juriste en droit pénal-, un
acquittement pour les poursuites de complicité d’assassinat. Me Dupont-Moretti
seul contre tous on l’a vu et certainement à rebours de l’opinion a encore
frappé, et je l’en félicite, car le droit ne doit pas céder à l’émotion même si
celle-ci est constamment présente et doit être prise en compte naturellement.
Le plus important dans ce drame qui est jugé c’est
la culpabilité avérée d’Abdelkader
Merah l’idolâtre, le penseur avéré , celui qui a réfléchi au meilleur
moyen de faire le mal, qui a organisé et fourni les moyens, a armé le bras qui
a tué à savoir son propre frère d’ailleurs (merci l’amour entre eux) et l’a
laissé se sacrifier .Je ne sais pas s’il peut se regarder tranquillement dans
la glace de la prison ou en parler avec
sa mère qui vient lui rendre visite au parloir, et sauf s’ils étaient
tous les deux d’accord ce qui ne ressort pas des audiences? C’est Abdelkader le
plus dangereux car Mohamed qui se pavanait au volant de bolides puissants n’a
pas été décrit comme un cerveau exceptionnel mais plutôt comme une petite
frappe délinquante sans envergure.
Le petit bout de la lorgnette encore c’est de braquer les
projecteurs sur le kamikaze sans foi ni loi, sur l’exécutant, sur l’opérateur
pas fou bien sûr ce serait trop facile mais drogué à la haine et indifférent à
l’autre -son frère en humanité - qu’il voit comme le reflet de son échec. Ce
qui compte c’est de s’interroger sur les commanditaires, tenter de comprendre
leurs réflexions, leurs répulsions, leurs envies et leurs haines ce qui va de
pair, pour essayer d’anticiper leurs actions coupables et stopper ou minimiser
les attentats autant que faire se peut.
J’attendais ce procès impatiemment car il devait permettre de
répondre à des questions de fond, notamment sur la justice anti-terroriste qui
existe dans notre état de droit depuis
1986 et qui va avoir encore beaucoup de travail, alors que l’état d’urgence a
été intégré dans le droit commun avec quelques réserves et inquiétudes justifiées dans les principes pour les
libertés individuelles comme publiques, mais si on ne prenait pas des mesures de protection collective
préventive, et si l’on ne fournissait
pas des armes légales à ceux qui luttent contre le terrorisme et à ceux qui
jugent, que ne dirait- on au prochain
attentat !
Ce procès ne m’a pas plu car les attaques personnelles et les
menaces contre Me Dupont-Moretti ont été honteuses. On me dira que c’est encore le petit bout de
la lorgnette et surtout de la solidarité corporatiste, mais non. Personne -sauf
les rares confrères qui sont présents à la barre dans les procès qui défraient
la chronique - ne peut connaitre la solitude de l’avocat qui défend un monstre
aux yeux des victimes et de l’opinion qui voudraient qu’un exemple ait lieu,
que l’on ne fasse pas du juridisme et que l’on ne s’embarrasse pas des grands
principes, puisqu’il est coupable « forcément coupable » comme aurait
pu l’écrire Marguerite Duras, qui voyait du sublime dans le tragique ou le
sordide. C’est le petit bout de la
lorgnette de confondre l’avocat avec son client. Entendre un avocat partie
civile ce qui est admettons le une tâche fondamentale mais peu risquée -sauf
erreur de ma part car je n’étais pas à l’audience, je n’ai rien entendu et je
me réfère aux commentaires ou compte rendus lus dans la presse parfois partiale
ou incomplète sauf exception et je parle d’expérience- insulter l’avocat de la
défense qui a le poids du procès outre l’hostilité générale en lui disant qu’il
est le déshonneur du barreau m’a laissé médusé et en colère. Un avocat ne peut
tenir ce genre de propos car il n’a plus de distance avec son client et il le
surpasse dans la détestation qui ne devrait concerner que l’accusé qui lui
incarne en l’espèce le mal absolu ce qu’admet son avocat d’ailleurs sauf erreur
de ma part. Il faut beaucoup de talent et de courage à l’avocat de la défense
pour faire respecter les grands principes du droit, celui de la preuve que
l’accusation doit établir, du doute qui profite à l’accusé et chasser du
prétoire l’opinion publique cette « catin » comme l’avait dit il y a
longtemps le célèbre avocat Me Moro-Giafferi. L’avocat qui a insulté Me
Dupont-Moretti devrait lire les maximes de La Rochefoucauld de 1664 sur la
vanité et l’honneur, et surtout la bible de la défense à savoir l’ouvrage de Me
Albert Naud « les défendre tous ». Chaque avocat a ses raisons
d’accepter une défense qui sont des motifs personnels et qui relèvent de sa
seule conscience. On n’est pas obligé de l’approuver mais on n’a ni le droit ni
la supériorité de l’accabler. Rappelons-nous Voltaire : « je ne
partage pas vos idées mais je me ferai tuer pour que vous puissiez les
exprimer ». Me tuer est excessif car je n’ai pas ce courage, et pour
quelle cause se tue-t-on dans nos sociétés consuméristes ? même si je suis
tolérant pas plus que la moyenne cependant et que la liberté d’expression
surtout à la barre est l’apanage des grands.
On devrait remercier Me Dupont-Moretti d’avoir développé
devant la cour une véritable défense sur les faits en débats, plutôt que d’avoir adopté une posture ou une
défense de rupture comme Me Jacques Vergès (qui se qualifiait de salaud
« lumineux » titre qu’aucun avocat
ne lui a contesté quand il défendait sous les huées en 1987 le bourreau nazi Klaus Barbie pour crime contre l’humanité) et d’avoir
plaidé l’acquittement ce qui a obligé l’avocate générale -qui représente la
société- à être très offensive et rigoureuse en droit pour démontrer un faisceau d’éléments à charge
et ainsi obliger la cour à motiver point par point sa condamnation( j’avoue
n’avoir pas lu l’arrêt). Il n’y a ainsi pas eu de débats sur la légitimité de
la cour, sur sa nécessité. Et pour l’avenir les terroristes qui comparaitront
sauront à quoi s’en tenir. Ce n’a pas toujours été le cas dans notre
histoire.
Je me permets un souvenir personnel qui rejoint le procès
Merah sauf pour les motivations des accusés qui défendaient la France, puisque j’ai
été le jeune collaborateur de Me Tixier-Vignancour de 1973 à 1981, pendant mon
stage ; il fut mon seul patron au palais. Je n’ai pas hérité de son
talent, hélas.
Devant la cour de sûreté de l’Etat qui a jugé entre 1963 et 1981
des accusés notamment pour des faits en relation avec les évènements d’Algérie (des
algériens étaient considérés comme des terroristes et les partisans de
l’Algérie française avec l’OAS se considéraient comme des patriotes), le lieutenant- colonel Bastien-Thiry, décoré de
la légion d’honneur, poursuivi pour avoir organisé un attentat contre le
général de Gaulle était défendu par Me Jean-Louis
Tixier-Vignancour et Me jacques Isorni
(qui avait défendu juste après la fin de la guerre le maréchal Pétain ).La
défense était incarnée par des ténors du barreau. Le pouvoir exécutif leur
était hostile et ils s’étaient fait huer au parlement. On n’a jamais aimé les
terroristes ou présumés tels, ni les avocats qui les défendent, ce qui se
comprend. Au cours d’une audience Me Isorni s’attaqua à l’indépendance des juges et
à la légitimité de la cour : il fut inculpé sur le champ pour outrages et il comparut
en flagrant délit. Me Tixier-Vignancour le défendit. Me Isorni écopa de trois
oui trois ans, de suspension. La défense est parfois à risques par les temps
troublés ce qui est notre cas actuel.
Par sa défense au procès Merah Me Dupont -Moretti a confirmé
ses lettres de noblesse -qu’elle avait déjà dans des affaires passées- à notre
justice anti-terroriste. Ce n’était certainement pas son objectif ? mais
ainsi l’état de droit a été renforcé et les terroristes n’ont pas gagné :
nous avons conservé notre liberté de juger. A défaut notre justice serait
l’exécutrice des basses bien que compréhensibles œuvres du pouvoir, ce que
personne ne tolérerait car la fin ne justifie jamais les moyens y compris pour
l’Etat. C’est le chancelier Séguier premier président de la cour d’appel de
Paris qui déclarait jadis que « la cour rend des arrêts pas des
services ».
On a reproché à Me Dupont-Moretti d’avoir cité la phrase de
Camus : « entre la justice et ma mère je choisis ma mère ».
C’était pendant la guerre ou les évènements d’Algérie, (d’où mon aparté sur la
cour de sûreté de l’Etat plus haut) et Me Dupont -Moretti n’a certainement pas voulu
comparer Camus et Merah ? Ils n’évoluent pas dans la même catégorie
humaine et philosophique ! Mais que pouvait- on attendre du témoignage de
la mère d’Abdelkader et Mohamed Merah ? Qu’elle les accable, qu’elle
accuse ses fils ou l’un pour sauver l’autre ? Le jugement de Salomon n’est
pas possible dans une justice républicaine de surcroît. Et l’autocritique comme
au temps des maoïstes ou des khmers rouges est passée de mode. Regrette-t-on ces
grands moments d’humanité ?
Le petit bout de la lorgnette enfin est que tout le monde est
mécontent ce qui est bon signe. Les parties civiles qui ont eu une défense médiatique
très lacrymale sont des victimes à vie ce qu’il faut respecter et sont déçues
car M. Merah avec ce verdict sortira de prison dans quelques-longues- années.
Qui sera-t-il ? Aura -t- il des remords ? Sera-t-il prêt à une vraie
reconversion passant par une intégration dans notre société ?
Dédommagera-t-il les parties civiles ? Elles veulent que l’acquittement
soit effacé et que M. Merah soit condamné à la peine perpétuelle avec mesure de
sûreté maximum.
La défense avec l’autre accusé et M. Merah défendu par Me
Dupont-Moretti qui a fait une cure de silence médiatique, très bonne tactique
au demeurant qui a exaspéré ses adversaires au passage, est aussi déçue car la
cour n’a pas fait droit à tous les arguments de droit qui ont été avancés et a
retenu à charge des faits et leurs conséquences qu’elle contestait. Enfin
l’accusation représentée par Mme l’avocate générale n’est pas d’accord avec
l’arrêt et elle a interjeté appel. Puisque tout le monde proteste du résultat
peut-on en déduire que la justice a été bien rendue ?
Il y aura donc un nouveau procès. En attendant Abdelkader est
détenu. C’est une bonne nouvelle.
Mais il faut quand même que je critique Me Dupont-Moretti. Il
aurait déclaré à la barre que des crachats sur sa robe valaient la légion
d’honneur qu’il a d’ailleurs refusé. Il a tort. Personnellement je ne suis pas
assez talentueux, effronté et important pour refuser la légion d’honneur que l’on
a bien voulu m’accorder pour des mérites liés à la justice mais pas seulement.
On peut briller ailleurs qu’au prétoire, et une décoration n’est pas le signe
d’un talent avéré. Si c’était le cas la bataille pour l’obtenir serait rude.
Quant au crachat il ne souille que celui qui le projette : c’est l’argument
ultime des médiocres.
J’espère qu’en appel la sérénité régnera, l’enjeu restant
fondamental.