C’est quoi une liberté
fondamentale ?
Par
Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
Dans les
ordonnances du 30 août 2017 dites Macron qui modifient le code du travail pas
suffisamment pour les uns qui considèrent qu’il y a encore trop d’obligations
pour l’employeur, et de trop pour les autres qui voient une casse sociale , - ce qui prouve que les ordonnances
innovent et sont équilibrées puisque personne n’est content !-, il y a des
dispositions qui n’ont pas été encore commentées car elles n’intéressent pas
directement les syndicats qui défendent surtout leur pré -carré et leur
influence sur le gouvernement, mais qui concernent le salarié qui défend ses intérêts
devant le conseil de prud’homme ce qui relève de l’initiative personnelle. On
ne va pas ameuter les foules pour cela. Parmi différentes mesures Il y a
une notion qui vient d’être mise en avant et par une jurisprudence récente et
par les ordonnances Macron : celle de liberté fondamentale.
Un arrêt de
la Cour de cassation chambre sociale en date du 21 septembre 2017 . N°16-20.270
a posé des principes sur l’existence ou
non d’une liberté fondamentale en droit du travail qui permettrait au juge
d’ordonner la poursuite d’un contrat de travail. Les faits sont les
suivants : un salarié qui avait été mis à la disposition d’une société par
contrats d’intérim donc des CDD, a saisi le conseil de prud’homme en référé-et
non au fond- pour faire juger que ses contrats doivent être requalifiés en CDI
et obtenir la poursuite dudit contrat. La demande de requalification de CDD
successifs en CDI avec toutes ses conséquences surtout financières est un grand
classique du contentieux (article L.1251-40 du code du travail) devant le
conseil de prud’homme qui les juge directement au fond, devant le bureau de
jugement (article L.1251-41) sans passer par la case bureau de conciliation
devenu bureau de conciliation et d’orientation (B.C.O.) depuis la nouvelle
procédure (M.Macron étant ministre). Le conseil doit statuer dans le mois, ce
qui en pratique dans les conseils de prud’homme très encombrés n’est pas
possible matériellement parlant, ou en raison de demandes de renvoi des avocats
dont le dossier n’est pas en état d’être plaidé : il faut attendre quelques
mois. Et dans cette attente soit le contrat se termine par l’échéance, soit il
n’est pas encore terminé, ce qui entraine des droits différents. L’article
L.1251-41 alinéa deux prévoit « que si le conseil de prud’homme fait droit à
la demande du salarié il lui accorde à charge de l’entreprise utilisatrice une
indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire », sous réserve
des règles concernant la rupture des CDI s’il y a eu ou non licenciement. Si la
rupture est considérée comme étant sans cause réelle ou sérieuse ou abusive, le
salarié a droit à des dommages intérêts selon son préjudice qu’il doit
dorénavant prouver selon une jurisprudence récente de la cour de cassation. La
réparation n’est pas automatique. Le barême des indemnisations -fort décrié par
les syndicats-mis en place par les ordonnances Macron du 31 août 2017 pour les
procédures à venir fixe un plancher et un plafond, ce que les employeurs
approuvent.
La première question était de savoir si en référé
le juge pouvait ordonner la poursuite du contrat et sur quel fondement
juridique ?.La cour de cassation a dit oui. Le salarié peut saisir le juge
des référés prud’hommal-qui est une procédure très rapide, on n’attend pas des
semaines voire des mois avant d’avoir une décision-, qui statue vu l’urgence,
et l’absence apparente de contestations sérieuses , en vertu de l’article
R.1455-6 du code du travail qui lui donne pouvoir pour faire cesser un trouble
manifestement illicite, ou un dommage imminent. Il peut d’ailleurs condamner
par provision même en cas de contestation sérieuse. La cour de cassation avait affirmé
le principe par un arrêt du 8 Mars
2017 n°15-18.560, en s’appuyant sur les
articles L.1245-2 et R.1455-6 du
code du travail ; et sur l’article
6-1 de la convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’article
L .1121-1 du code du travail dispose : « Nul ne peut apporter
aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions
qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché ». On est dans le domaine des libertés
« fondamentales » du salarié : vie privée, familiale et
personnelle ; liberté d’expression et religieuse ; liberté
syndicale ; libertés publiques comme le droit de manifester, la protection
des données…
La deuxième
question était donc de savoir si le droit à l’emploi, avancé par le demandeur
pour obtenir une requalification doit être considéré comme une liberté
fondamentale ? La cour de cassation a répondu non bien que ce droit soit
inscrit dans la Constitution. Elle a considéré que cette liberté n’était pas
fondamentale, mais un simple droit à réparation qui se résout par des
dommages-intérêts mais pas par la poursuite du contrat, car elle entre en
concurrence avec d’autres droits comme celui de la liberté d’entreprendre avec
laquelle elle doit se concilier. La discussion est ouverte.
Pour savoir ce qu’est une liberté
fondamentale, il va falloir se référer à la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789 ; aux préambules de la constitution de 1946 et de
celle de la Vème république de 1958 ; des conventions internationales
contraignantes comme la déclaration universelle de l’Onu de 1948 ; la
convention européenne des droits de
l’homme de Strasbourg de 1950 ; les pactes de 1966 sur les droits
économiques et sociaux ; sur la charte des droits fondamentaux de l’union
européenne…
Cet arrêt du
21 septembre 2017 rejoint les nouvelles dispositions du 31 août 2017 de
M.Macron.
L’article
L.1235-3 nouveau du code du travail indique en effet que l’article L.1235-3
n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché
d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article ».Ledit
deuxième alinéa indique : « les nullités mentionnées à l’alinéa
précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté
fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel, … à un licenciement
discriminatoire… à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle
entre hommes et femmes… en cas de dénonciation de crimes et délits.. à
l’exercice d’un mandat par un salarié protégé… ainsi qu’aux protections dont
bénéficient certains salariés.. ».
Il est donc
urgent de préciser ce que l’on entend par liberté fondamentale. En droit les
libertés fondamentales ou droits fondamentaux représentent l’ensemble des
droits subjectifs essentiels pour l’individu, assurés dans un état de droit et
une démocratie. Il n’y a pas de définition juridique qui fait l’unanimité.
C’est une notion abstraite qui peut être relative selon chaque individu. Le
Conseil d’Etat défenseur des libertés publiques, et la Conseil constitutionnel
ont créé une jurisprudence concrète à ce sujet. Rappelons qu’en vertu de
l’article 66 de la constitution c’est l’autorité judiciaire qui est la gardienne
des libertés individuelles. Notre société est devenue individualiste et
consumériste. Chaque citoyen pense qu’il a surtout des droits et que la moindre
de ses revendications n’est que l’application d’une liberté fondamentale, pour
lui. Que les devoirs c’est pour les autres et que l’Etat est responsable du
collectif et doit tout assumer. Les tribunaux, cours d’appel, cour de cassation
, conseil d’Etat vont donc devoir apprécier au cas par cas et bâtir un contenu
identique caractérisant une liberté fondamentale, cette notion étant
revendiquée dans tous les contentieux. Mais c’est aussi cela la France qui se
renforce sur des valeurs communes appuyées sur le bloc de constitutionnalité
donc la volonté du peuple français. La cour de cassation vient d’ouvrir un
débat de fond.
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