jeudi 5 octobre 2017

C’est quoi une liberté fondamentale ?

C’est quoi une liberté fondamentale ?
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
Dans les ordonnances du 30 août 2017 dites Macron qui modifient le code du travail pas suffisamment pour les uns qui considèrent qu’il y a encore trop d’obligations pour l’employeur, et de trop pour les autres qui voient une casse sociale  , - ce qui prouve que les ordonnances innovent et sont équilibrées puisque personne n’est content !-, il y a des dispositions qui n’ont pas été encore  commentées car elles n’intéressent pas directement les syndicats qui défendent surtout leur pré -carré et leur influence sur le gouvernement, mais  qui  concernent le salarié qui défend ses intérêts devant le conseil de prud’homme ce qui relève de l’initiative personnelle. On ne va pas ameuter les foules pour cela. Parmi différentes mesures   Il y a une notion qui vient d’être mise en avant et par une jurisprudence récente et par les ordonnances Macron : celle de liberté fondamentale.
Un arrêt de la Cour de cassation chambre sociale en date du 21 septembre 2017 . N°16-20.270 a posé des principes sur l’existence  ou non d’une liberté fondamentale en droit du travail qui permettrait au juge d’ordonner la poursuite d’un contrat de travail. Les faits sont les suivants : un salarié qui avait été mis à la disposition d’une société par contrats d’intérim donc des CDD, a saisi le conseil de prud’homme en référé-et non au fond- pour faire juger que ses contrats doivent être requalifiés en CDI et obtenir la poursuite dudit contrat. La demande de requalification de CDD successifs en CDI avec toutes ses conséquences surtout financières est un grand classique du contentieux (article L.1251-40 du code du travail) devant le conseil de prud’homme qui les juge directement au fond, devant le bureau de jugement (article L.1251-41) sans passer par la case bureau de conciliation devenu bureau de conciliation et d’orientation (B.C.O.) depuis la nouvelle procédure (M.Macron étant ministre). Le conseil doit statuer dans le mois, ce qui en pratique dans les conseils de prud’homme très encombrés n’est pas possible matériellement parlant, ou en raison de demandes de renvoi des avocats dont le dossier n’est pas en état d’être plaidé : il faut attendre quelques mois. Et dans cette attente soit le contrat se termine par l’échéance, soit il n’est pas encore terminé, ce qui entraine des droits différents. L’article L.1251-41 alinéa deux prévoit «   que si le conseil de prud’homme fait droit à la demande du salarié il lui accorde à charge de l’entreprise utilisatrice une indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire », sous réserve des règles concernant la rupture des CDI s’il y a eu ou non licenciement. Si la rupture est considérée comme étant sans cause réelle ou sérieuse ou abusive, le salarié a droit à des dommages intérêts selon son préjudice qu’il doit dorénavant prouver selon une jurisprudence récente de la cour de cassation. La réparation n’est pas automatique. Le barême des indemnisations -fort décrié par les syndicats-mis en place par les ordonnances Macron du 31 août 2017 pour les procédures à venir fixe un plancher et un plafond, ce que les employeurs approuvent.
 La  première question était de savoir si en référé le juge pouvait ordonner la poursuite du contrat et sur quel fondement juridique ?.La cour de cassation a dit oui. Le salarié peut saisir le juge des référés prud’hommal-qui est une procédure très rapide, on n’attend pas des semaines voire des mois avant d’avoir une décision-, qui statue vu l’urgence, et l’absence apparente de contestations sérieuses , en vertu de l’article R.1455-6 du code du travail qui lui donne pouvoir pour faire cesser un trouble manifestement illicite, ou un dommage imminent. Il peut d’ailleurs condamner par provision même en cas de contestation sérieuse. La cour de cassation avait affirmé le principe  par un  arrêt du 8 Mars 2017 n°15-18.560,  en s’appuyant sur les articles L.1245-2 et  R.1455-6 du code du travail  ; et sur  l’article 6-1 de la convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’article L .1121-1 du code du travail dispose : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». On est dans le domaine des libertés « fondamentales » du salarié : vie privée, familiale et personnelle ; liberté d’expression et religieuse ; liberté syndicale ; libertés publiques comme le droit de manifester, la protection des données…
La deuxième question était donc de savoir si le droit à l’emploi, avancé par le demandeur pour obtenir une requalification doit être considéré comme une liberté fondamentale ? La cour de cassation a répondu non bien que ce droit soit inscrit dans la Constitution. Elle a considéré que cette liberté n’était pas fondamentale, mais un simple droit à réparation qui se résout par des dommages-intérêts mais pas par la poursuite du contrat, car elle entre en concurrence avec d’autres droits comme celui de la liberté d’entreprendre avec laquelle elle doit se concilier. La discussion est ouverte.
 Pour savoir ce qu’est une liberté fondamentale, il va falloir se référer à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; aux préambules de la constitution de 1946 et de celle de la Vème république de 1958 ; des conventions internationales contraignantes comme la déclaration universelle de l’Onu de 1948 ; la convention européenne  des droits de l’homme de Strasbourg de 1950 ; les pactes de 1966 sur les droits économiques et sociaux ; sur la charte des droits fondamentaux de l’union européenne…
Cet arrêt du 21 septembre 2017 rejoint les nouvelles dispositions du 31 août 2017 de M.Macron.
L’article L.1235-3 nouveau du code du travail indique en effet que l’article L.1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article ».Ledit deuxième alinéa indique : «  les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel, … à un licenciement discriminatoire… à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes… en cas de dénonciation de crimes et délits.. à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé… ainsi qu’aux protections dont bénéficient certains salariés.. ».

Il est donc urgent de préciser ce que l’on entend par liberté fondamentale. En droit les libertés fondamentales ou droits fondamentaux représentent l’ensemble des droits subjectifs essentiels pour l’individu, assurés dans un état de droit et une démocratie. Il n’y a pas de définition juridique qui fait l’unanimité. C’est une notion abstraite qui peut être relative selon chaque individu. Le Conseil d’Etat défenseur des libertés publiques, et la Conseil constitutionnel ont créé une jurisprudence concrète à ce sujet. Rappelons qu’en vertu de l’article 66 de la constitution c’est l’autorité judiciaire qui est la gardienne des libertés individuelles. Notre société est devenue individualiste et consumériste. Chaque citoyen pense qu’il a surtout des droits et que la moindre de ses revendications n’est que l’application d’une liberté fondamentale, pour lui. Que les devoirs c’est pour les autres et que l’Etat est responsable du collectif et doit tout assumer. Les tribunaux, cours d’appel, cour de cassation , conseil d’Etat vont donc devoir apprécier au cas par cas et bâtir un contenu identique caractérisant une liberté fondamentale, cette notion étant revendiquée dans tous les contentieux. Mais c’est aussi cela la France qui se renforce sur des valeurs communes appuyées sur le bloc de constitutionnalité donc la volonté du peuple français. La cour de cassation vient d’ouvrir un débat de fond.

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