mercredi 8 novembre 2017

Voir le procès Abdelkader Merah par le petit bout de la lorgnette.

Voir le procès Abdelkader Merah par le petit bout de la lorgnette.
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local.
Je ne vais pas commenter l’enjeu de ce procès et son résultat qui a été observé à la loupe grossissante et je partage les analyses dominantes au fond tout en étant réservé sur les prétendus spécialistes et ceux qui croient détenir la vérité, jugent les avocats et les magistrats, et savent ce qu’il faudrait faire pour éradiquer le terrorisme tout en conservant une législation qui n’est pas liberticide mais efficace(sic). Les conseilleurs n’ont jamais été les payeurs.  Je vais m’attarder sur des détails qui sont essentiels pour moi et essayer de faire connaitre un peu de l’envers du décor et du rôle de l’avocat qui défend un terroriste. Ce n’est que ma vision par le petit bout de la lorgnette. Que les avocats réels cités dans cet article me pardonnent mes approximations et commentaires car rien ne remplace la présence  à l’audience, les rapports physiques, la confrontation intellectuelle, l’ambiance générale, le décorum solennel avec les robes  noires ou rouges, le public dont certains sont au spectacle, la presse qui a des exigences et des préférences, l’émotion qui submerge la raison…Dans un procès qui concernait l’assassinat d’un préfet devant ladite cour d’assises anti-terroriste Me Dupont-Moretti a été mon adversaire. Il a été loyal tout en étant ferme. On a la personnalité que l’on s’est créée et le succès ne vient qu’à ceux qui le méritent. Avocats de parties civiles comme ceux de la défense sont égaux. Le meilleur gagne, si le dossier s’y prête.
Il fallait naturellement que ce procès ait lieu pour que les victimes puissent dévisager en direct et haïr physiquement celui qui comparaissait dans le box et d’après ce que j’ai vu dans les dessins d’audience portait cheveux longs et barbe hirsute et avait une mine patibulaire. Il était condamné déjà sur son apparence. Je partage naturellement l’émotion des victimes et j’en suis solidaire sans avoir été touché à titre personnel, comme je suis ému à chaque fois qu’il y a un attentat ou un évènement grave qui aurait pu me concerner ou un de mes proches. Il fallait que la société tout entière se fasse une idée de celui qui a été présenté comme celui qui a armé le bras de l’assassin odieux -si ce n’est toi c’est donc ton frère comme l’écrivait le doux  psychologue et poète Jean de La fontaine dans le loup et l’agneau-  et  essayer de comprendre pourquoi certains qui sont nés sur notre territoire, ont été élevés dans nos écoles avec le principe de laïcité, ont partagé notre culture,  nous ont fréquenté, ont profité de notre état de droit, de notre démocratie, de notre solidarité, nous détestent au point de vouloir nous tuer,  discréditent  nos valeurs, combattent nos principes, et sont prêts à tout  perdre et à accomplir le pire en devenant des barbares ,en prenant la vie au hasard d’innocents dont des enfants, au nom d’une religion en s’inféodant à des terroristes lointains et désincarnés, bourreaux professionnels ? Cette question reste quasi sans réponse mais elle est pourtant pour moi, LA question fondamentale. Certes je ne suis pas un rebelle cela se sent et se saurait et j’incline plus vers l’ordre public, le respect de l’autre et le combat démocratique, tout ceci étant certainement ringard et sans importance aucune. Je me fonds dans le collectif en essayant d’apporter ma pierre à la construction d’une société qui rassemble et qui est plus juste surtout pour ceux qui ne sont pas nés avec une cuillère dans la bouche et n’ont ni tous les codes ni la connaissance des filières qui gagnent. Mais je m’interroge : qu’avons-nous fait à ces terroristes ? Avons-nous seulement tenté de les priver d’un élément essentiel pour eux, de leur identité, de leur personnalité, en les rejetant, en les discriminant, et les dédaignant, en les cantonnant dans ce qu’ils croient être leur ghetto, en ne leur donnant pas les mêmes chances qu’à d’autres ce qui expliquerait qu’ils nous méprisent ? Je réponds non ce qui est peut-être une explication courte, mais je ne suis pas partisan de la repentance en général, de la culpabilité collective même si la France n‘a pas tout bien fait dans l’histoire mais comme pour la révolution elle est un bloc : on la prend comme elle est avec sa grandeur et ses défauts, et on peut s’y investir pour en améliorer le fonctionnement et introduire plus de justice sociale, plus de fraternité, plus de tolérance, plus de rapports humains. Mais on n’essaie pas de la détruire, de la toucher au cœur, de créer des haines entre communautés, de l’abaisser. Que faudrait-il changer pour que les terroristes ou assimilés de toute délinquance soient satisfaits, qu’il n’y ait plus d’Abdelkader et de Mohamed Merah. Mais surtout est-ce à nous de changer ? Dans le pays des droits de l’homme et de la démocratie même imparfaite et j’exagère volontairement, exemple rare dans le monde surtout sur la terre d’islam, faut-il céder au chantage à la violence de quelques individus voire quelques centaines, ce qui serait une défaite impensable en rase campagne de la pensée, des libertés et de nos valeurs ? Bien sûr que non, et nous devons faire face. No pasaràn disaient les républicains espagnols…
Revenons à nos moutons, et je ne parle pas du troupeau Merah mais de la cour d’assises anti-terroriste spécialement composée qui pendant cinq semaines a essayé de garder la tête froide et de ne pas céder à la pression.  Pour moi le petit bout de la lorgnette était de vouloir faire le procès de Mohamed qui ne sera jamais jugé, à travers son frère Abdelkader et sa mère. On comprend la frustration des familles de victimes qui auraient voulu que l’assassin encore vivant réponde de ses crimes, voire les explique et les justifie selon lui. Cela aurait été un tollé. Mais que peut- on attendre d’un barbare ? Sûrement pas qu’il s’excuse, qu’il regrette, qu’il indique comment il s’est procuré des armes et des munitions, pourquoi il a choisi pour mourir tel ou tel sur leur foi apparente ou leur uniforme ou leur innocence, ou en suivant son inspiration maudite et le hasard ? En un mot qu’il « collabore » avec cynisme à sa propre condamnation.  Cela aurait été insupportable à entendre et les polémiques qui ont émaillées le procès d’Abdelkader auraient franchi toutes les bornes et auraient créé des fossés incomblables entre tous. Tant mieux si Mohamed l’arrogant d’après les descriptions n’a pas comparu puisque les forces de l’ordre qui ont porté l’assaut ont fait leur travail. Il nous manquera des réponses à des questions légitimes mais l’on n’est pas obligé d’aller tout au bout de l’horreur pour avoir une conviction et détester celui qui est passé à l’acte. Je vais certainement choquer certains en écrivant ce qui précède mais il faut être réaliste et ne pas se lamenter pour rien il y a d’autres motifs pour être en colère. Quand c’est impossible ayons la certitude que nous avons raison et privilégions la conciliation entre les victimes toutes plus honorables les unes que les autres, la société qui a besoin d’être soudée dans l’affrontement et les menaces protéiformes, et nos valeurs de paix.
Le petit bout de la lorgnette c’est aussi de se réjouir que M. Abdelkader Merah ait été condamné à juste titre au maximum avec une peine de sûreté pour sa participation à une association de terroristes et de féliciter les juges, mais de les critiquer parce qu’ils ont prononcé -également à juste titre selon moi mais je suis un petit juriste en droit pénal-, un acquittement pour les poursuites de complicité d’assassinat. Me Dupont-Moretti seul contre tous on l’a vu et certainement à rebours de l’opinion a encore frappé, et je l’en félicite, car le droit ne doit pas céder à l’émotion même si celle-ci est constamment présente et doit être prise en compte naturellement.
Le plus important dans ce drame qui est jugé  c’est  la culpabilité avérée d’Abdelkader  Merah l’idolâtre, le penseur avéré , celui qui a réfléchi au meilleur moyen de faire le mal, qui a organisé et fourni les moyens, a armé le bras qui a tué à savoir son propre frère d’ailleurs (merci l’amour entre eux) et l’a laissé se sacrifier .Je ne sais pas s’il peut se regarder tranquillement dans la glace de la  prison ou en parler avec sa mère  qui vient lui rendre visite au parloir, et sauf s’ils étaient tous les deux d’accord ce qui ne ressort pas des audiences? C’est Abdelkader le plus dangereux car Mohamed qui se pavanait au volant de bolides puissants n’a pas été décrit comme un cerveau exceptionnel mais plutôt comme une petite frappe délinquante sans envergure.
Le petit bout de la lorgnette encore c’est de braquer les projecteurs sur le kamikaze sans foi ni loi, sur l’exécutant, sur l’opérateur pas fou bien sûr ce serait trop facile mais drogué à la haine et indifférent à l’autre -son frère en humanité - qu’il voit comme le reflet de son échec. Ce qui compte c’est de s’interroger sur les commanditaires, tenter de comprendre leurs réflexions, leurs répulsions, leurs envies et leurs haines ce qui va de pair, pour essayer d’anticiper leurs actions coupables et stopper ou minimiser les attentats autant que faire se peut.
J’attendais ce procès impatiemment car il devait permettre de répondre à des questions de fond, notamment sur la justice anti-terroriste qui existe  dans notre état de droit depuis 1986 et qui va avoir encore beaucoup de travail, alors que l’état d’urgence a été intégré dans le droit commun avec quelques réserves et inquiétudes  justifiées dans les principes pour les libertés individuelles comme publiques, mais si on ne prenait pas  des mesures de protection collective préventive, et si  l’on ne fournissait pas des armes légales à ceux qui luttent contre le terrorisme et à ceux qui jugent,  que ne dirait- on au prochain attentat !
Ce procès ne m’a pas plu car les attaques personnelles et les menaces contre Me Dupont-Moretti ont été honteuses.  On me dira que c’est encore le petit bout de la lorgnette et surtout de la solidarité corporatiste, mais non. Personne -sauf les rares confrères qui sont présents à la barre dans les procès qui défraient la chronique - ne peut connaitre la solitude de l’avocat qui défend un monstre aux yeux des victimes et de l’opinion qui voudraient qu’un exemple ait lieu, que l’on ne fasse pas du juridisme et que l’on ne s’embarrasse pas des grands principes, puisqu’il est coupable « forcément coupable » comme aurait pu l’écrire Marguerite Duras, qui voyait du sublime dans le tragique ou le sordide.  C’est le petit bout de la lorgnette de confondre l’avocat avec son client. Entendre un avocat partie civile ce qui est admettons le une tâche fondamentale mais peu risquée -sauf erreur de ma part car je n’étais pas à l’audience, je n’ai rien entendu et je me réfère aux commentaires ou compte rendus lus dans la presse parfois partiale ou incomplète sauf exception et je parle d’expérience- insulter l’avocat de la défense qui a le poids du procès outre l’hostilité générale en lui disant qu’il est le déshonneur du barreau m’a laissé médusé et en colère. Un avocat ne peut tenir ce genre de propos car il n’a plus de distance avec son client et il le surpasse dans la détestation qui ne devrait concerner que l’accusé qui lui incarne en l’espèce le mal absolu ce qu’admet son avocat d’ailleurs sauf erreur de ma part. Il faut beaucoup de talent et de courage à l’avocat de la défense pour faire respecter les grands principes du droit, celui de la preuve que l’accusation doit établir, du doute qui profite à l’accusé et chasser du prétoire l’opinion publique cette « catin » comme l’avait dit il y a longtemps le célèbre avocat Me Moro-Giafferi. L’avocat qui a insulté Me Dupont-Moretti devrait lire les maximes de La Rochefoucauld de 1664 sur la vanité et l’honneur, et surtout la bible de la défense à savoir l’ouvrage de Me Albert Naud « les défendre tous ». Chaque avocat a ses raisons d’accepter une défense qui sont des motifs personnels et qui relèvent de sa seule conscience. On n’est pas obligé de l’approuver mais on n’a ni le droit ni la supériorité de l’accabler. Rappelons-nous Voltaire : « je ne partage pas vos idées mais je me ferai tuer pour que vous puissiez les exprimer ». Me tuer est excessif car je n’ai pas ce courage, et pour quelle cause se tue-t-on dans nos sociétés consuméristes ? même si je suis tolérant pas plus que la moyenne cependant et que la liberté d’expression surtout à la barre est l’apanage des grands.
On devrait remercier Me Dupont-Moretti d’avoir développé devant la cour une véritable défense sur les faits en débats,  plutôt que d’avoir adopté une posture ou une défense de rupture comme Me Jacques Vergès (qui se qualifiait de salaud « lumineux » titre qu’aucun avocat  ne lui a contesté quand il défendait sous les huées en 1987  le bourreau nazi Klaus Barbie  pour crime contre l’humanité) et d’avoir plaidé l’acquittement ce qui a obligé l’avocate générale -qui représente la société- à être très offensive et rigoureuse en droit  pour démontrer un faisceau d’éléments à charge et ainsi obliger la cour à motiver point par point sa condamnation( j’avoue n’avoir pas lu l’arrêt). Il n’y a ainsi pas eu de débats sur la légitimité de la cour, sur sa nécessité. Et pour l’avenir les terroristes qui comparaitront sauront à quoi s’en tenir. Ce n’a pas toujours été le cas dans notre histoire.   
Je me permets un souvenir personnel qui rejoint le procès Merah sauf pour les motivations des accusés qui défendaient la France, puisque j’ai été le jeune collaborateur de Me Tixier-Vignancour de 1973 à 1981, pendant mon stage ; il fut mon seul patron au palais. Je n’ai pas hérité de son talent, hélas.
Devant la cour de sûreté de l’Etat qui a jugé entre 1963 et 1981   des accusés  notamment pour des faits  en relation avec les évènements d’Algérie (des algériens étaient considérés comme des terroristes et les partisans de l’Algérie française avec l’OAS se considéraient comme des patriotes), le  lieutenant- colonel Bastien-Thiry, décoré de la légion d’honneur, poursuivi pour avoir organisé un attentat contre le général de Gaulle  était défendu par Me Jean-Louis Tixier-Vignancour et Me jacques  Isorni (qui avait défendu juste après la fin de la guerre le maréchal Pétain ).La défense était incarnée par des ténors du barreau. Le pouvoir exécutif leur était hostile et ils s’étaient fait huer au parlement. On n’a jamais aimé les terroristes ou présumés tels, ni les avocats qui les défendent, ce qui se comprend. Au cours d’une audience Me Isorni s’attaqua à l’indépendance des juges et à la légitimité de la cour : il fut inculpé sur le champ pour outrages et il comparut en flagrant délit. Me Tixier-Vignancour le défendit. Me Isorni écopa de trois oui trois ans, de suspension. La défense est parfois à risques par les temps troublés ce qui est notre cas actuel. 
Par sa défense au procès Merah Me Dupont -Moretti a confirmé ses lettres de noblesse -qu’elle avait déjà dans des affaires passées- à notre justice anti-terroriste. Ce n’était certainement pas son objectif ? mais ainsi l’état de droit a été renforcé et les terroristes n’ont pas gagné : nous avons conservé notre liberté de juger. A défaut notre justice serait l’exécutrice des basses bien que compréhensibles œuvres du pouvoir, ce que personne ne tolérerait car la fin ne justifie jamais les moyens y compris pour l’Etat. C’est le chancelier Séguier premier président de la cour d’appel de Paris qui déclarait jadis que « la cour rend des arrêts pas des services ».  
On a reproché à Me Dupont-Moretti d’avoir cité la phrase de Camus : « entre la justice et ma mère je choisis ma mère ». C’était pendant la guerre ou les évènements d’Algérie, (d’où mon aparté sur la cour de sûreté de l’Etat plus haut) et Me Dupont -Moretti n’a certainement pas voulu comparer Camus et Merah ? Ils n’évoluent pas dans la même catégorie humaine et philosophique ! Mais que pouvait- on attendre du témoignage de la mère d’Abdelkader et Mohamed Merah ? Qu’elle les accable, qu’elle accuse ses fils ou l’un pour sauver l’autre ? Le jugement de Salomon n’est pas possible dans une justice républicaine de surcroît. Et l’autocritique comme au temps des maoïstes ou des khmers rouges est passée de mode. Regrette-t-on ces grands moments d’humanité ?
Le petit bout de la lorgnette enfin est que tout le monde est mécontent ce qui est bon signe. Les parties civiles qui ont eu une défense médiatique très lacrymale sont des victimes à vie ce qu’il faut respecter et sont déçues car M. Merah avec ce verdict sortira de prison dans quelques-longues- années. Qui sera-t-il ? Aura -t- il des remords ? Sera-t-il prêt à une vraie reconversion passant par une intégration dans notre société ? Dédommagera-t-il les parties civiles ? Elles veulent que l’acquittement soit effacé et que M. Merah soit condamné à la peine perpétuelle avec mesure de sûreté maximum.
La défense avec l’autre accusé et M. Merah défendu par Me Dupont-Moretti qui a fait une cure de silence médiatique, très bonne tactique au demeurant qui a exaspéré ses adversaires au passage, est aussi déçue car la cour n’a pas fait droit à tous les arguments de droit qui ont été avancés et a retenu à charge des faits et leurs conséquences qu’elle contestait. Enfin l’accusation représentée par Mme l’avocate générale n’est pas d’accord avec l’arrêt et elle a interjeté appel. Puisque tout le monde proteste du résultat peut-on en déduire que la justice a été bien rendue ?
Il y aura donc un nouveau procès. En attendant Abdelkader est détenu. C’est une bonne nouvelle.
Mais il faut quand même que je critique Me Dupont-Moretti. Il aurait déclaré à la barre que des crachats sur sa robe valaient la légion d’honneur qu’il a d’ailleurs refusé. Il a tort. Personnellement je ne suis pas assez talentueux, effronté et important pour refuser la légion d’honneur que l’on a bien voulu m’accorder pour des mérites liés à la justice mais pas seulement. On peut briller ailleurs qu’au prétoire, et une décoration n’est pas le signe d’un talent avéré. Si c’était le cas la bataille pour l’obtenir serait rude. Quant au crachat il ne souille que celui qui le projette : c’est l’argument ultime des médiocres.

J’espère qu’en appel la sérénité régnera, l’enjeu restant fondamental. 

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