L’état de droit coupable
présumé ?
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
Les plus attentifs
remarqueront que j’ai écrit l’état avec une petit é. C’est exprès. Face à la
délinquance, aux terrorismes, aux menaces de toutes natures, aux objections
concernant les migrants par la Cour de justice de l’Union Européenne à
Luxembourg (CJUE) et celles de la Cour Européenne des droits de l’homme de
Strasbourg (CEDH) on entend monter un cri unanime : que fait l’Etat ?
avec un grand E. Il applique le droit existant et met en place les conditions
pour que les libertés demeurent et soient effectives. Ainsi que les
devoirs.
On sait que l’Etat c’est nous les citoyens qui
avons démocratiquement délégué à des élus le soin de nous gouverner, d’utiliser
les fonctions régaliennes comme l’armée et les forces de l’ordre, outre la
justice et tout ce qui sert à la redistribution par l’impôt, les taxes, les
aides. L’Etat qui est l’ensemble des services publics et qui gouverne par des
politiques qui dirigent les fonctionnaires notamment et dépense l’argent public
n’a pas de droits propres sauf en des matières précises et délimitées.
Il est sous
le contrôle des tribunaux dont des décisions commencent à agacer ou étonner car
la justice n’est pas faite pour créer un nouvel ordre social idéal en
théorie et pour bâtir une société telle que des élites auto-éclairées la voudraient.
Mais pour appliquer le droit qui émane de la volonté populaire. En général le citoyen préfère la victime
à l’assassin ou au trafiquant et respecte plus la loi que celui qui la viole ou
la déclare liberticide au nom de ses convictions ou d’un prétendu état de
nécessité. Racine décrivait les hommes tels qu’ils sont : Corneille
tels qu’ils devraient être. Le réalisme est préférable.
Nous sommes
dans un état de droit. A ne pas confondre avec le gouvernement des juges. L’Etat
n’existe que pour permettre le fonctionnement des institutions, exercer les pouvoirs
de contraintes dont la violence légitime, et conforter la démocratie avec la séparation
des pouvoirs chère à Montesquieu même si le Général de Gaulle en 1958 a voulu
que la magistrature reste une autorité et ne soit pas un pouvoir. Ce qui rend
les juges furieux. L’Etat veille à la répartition des compétences avec ses
préfets et avec les communes et entités locales multiples. L’Etat doit donner
l’impulsion pour libérer les énergies économiques et sociales notamment et pour
réduire les inégalités et les discriminations donc œuvrer pour le progrès
et l’avenir. Par exemple réindustrialiser. Ou nous défendre contre toute agression
partout. On ne peut vivre en ayant peur et en baissant les bras car
il serait trop tard.
Outre la nécessité
de maintenir notre niveau mondial comme puissance et de faire en sorte que
notre spécificité française de nature universelle ne soit pas absorbée
progressivement par des cultures ou des comportements qui ne correspondent pas
à nos traditions et valeurs républicaines et qui ne soit pas vidée de sa
substance à l’intérieur de nos frontières par ceux à qui on a tendu la main, vigilance permanente
qui devient ingrate chacun s’en aperçoit.
L’Etat ne doit pas encourager des individus ou
groupements par inaction ou faiblesse ou le syndrome de ne pas faire de vagues,
à l’importation de conflits extérieurs et ne pas créer de fait des espaces où
certains pensent que leurs libertés ou idées sont supérieures aux droits de la
collectivité et aux devoirs de tous les citoyens et de ceux qui sont sur notre
territoire. L’Etat ne peut renoncer. Ou reculer car plus on est faible plus on
est menacé et frappé. La société a évolué vers la violence et les
contestations. L’Etat doit se remettre en question. Et tout faire pour bétonner
la nation.
L’état de
droit est fondamental. Il a été théorisé par le juriste Hans Helsen
début XXème siècle. C’est un Etat dans lequel les textes juridiques sont hiérarchisés
de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée et contrôlée. Mais pas
annihilée. Il repose sur trois piliers : le respect de la hiérarchie des normes
(traités internationaux, Constitution, lois, décrets, règlements, arrêtés… et
les décisions judiciaires). Avec la séparation des pouvoirs et l’égalité des
citoyens devant la loi. C’est la prééminence du droit sur le politique par équilibre
subtil qui ne doit pas être rompu en faveur de l’un ou l’autre. On ne
peut tolérer que des quidams s’affranchissent de toutes règles communes. Mais
qui profitent des dispositions de la loi quand cela les arrange. Sinon on va
mourir de notre état de droit organisé pour ne choquer personne ni la
commission de Bruxelles ce qui devient de l’utopie et parce que la loi devient une
option. Une démocratie peut disparaitre pour moins que cela. L’abus de
droit individuel peut tuer. Les croyances individuelles ne peuvent l’emporter.
L’Etat n’a
pas de droits spécifiques ou personnels qui lui permettraient de choisir arbitrairement
nos modes de vies. L’Etat c’est nous. S’il ne fait rien il est critiqué et
s’il agit d’initiative et que cela tourne mal il est vilipendé. Les
citoyens-électeurs existent et doivent être consultés. Paradoxalement même
aussi ceux qui ne vont pas voter car cela ne servirait à rien puisque selon eux
tous les politiques seraient des voyous, sauf ceux dont ils sont militants.
Cependant ils vont défiler dans les rues pour s’exprimer !
Ceux qui votent
pour des extrêmes exigent des solutions immédiates qui n’ont aucune chance de
marcher ! Comme accueillir toute la misère du monde au nom du cœur ou au
contraire avec la même affirmation mais dans un sens contraire, la renvoyer. Or
les pays de départ ne délivrent pas des laissez- passers consulaires et les juridictions
internationales nous interdisent toute vraie mesure sauf à revoir nos traités
et changer nos lois. Faire que le droit européen soit subsidiaire et le droit
national prioritaire. Ce qui est possible mais n’est pas pour demain. La
république a besoin de résultats consensuels et d’une réglementation forte compatible
avec notre état de droit. Avec des politiques courageux sans électoralisme.
L’Etat doit
être impitoyable avec ceux et celles qui veulent mettre à mal notre modèle
civilisationnel. Et nous devons conserver notre état de droit. D’abord parce
qu’il n’est pas question d’utiliser les moyens et méthodes de nos ennemis.
Ensuite parce que depuis des siècles nos valeurs se sont imposées et sont un réflexe
de fierté et de grandeur pour nous. « France mère des arts, des armes
et des lois » a écrit Joachim Du Bellay.
La réforme
de l’Etat ne se fait pas. Balzac a en avait déjà parlé dans la comédie humaine.
L’ancien ministre M. Allègre voulait dégraisser le mammouth. M. Jouyet ancien récent
ministre vient de battre sa coulpe sur les pesanteurs de la bureaucratie
[« Est-ce bien nécessaire M. le ministre ? » Albin Michel 2023].
L’appareil d’Etat est bloqué. Conservons notre état de droit qui est
innocent. Nous avons les dirigeants que nous nous sommes donnés. L’intérêt
général mérite bien un engagement ardent et réfléchi de tous.