Et si c’était vrai
Par
Christian Fremaux avocat honoraire
Seuls les
masochistes aiment travailler plus longtemps pour gagner autant voire moins. On
peut supposer que si on fait une réforme c’est qu’il y a un ou quelques motifs
valables ? Il faudrait être fou pour un gouvernement de mettre beaucoup
de monde ulcéré dans la rue, uniquement
pour enrichir des riches, contrarier les
salariés privilégiés, ou pour montrer qu’on est les meilleurs de la classe
européenne, ou qu’on ne se soucie pas du peuple que sont les électeurs. Ceux
qui peuvent vous dégager au prochain scrutin. Nos politiques de gauche comme de
droite ne sont pas naïfs. S’agissant de conserver leurs sièges.
Il semble
que l’on s’accorde du bout des lèvres pour admettre que le système de retraite
va être en déficit et qu’il faut trouver des solutions financières. En
urgence selon l’exécutif et sans se presser selon les oppositions. En partant
du même rapport celui du COR le conseil d’orientation des retraites que chacun
lit avec ses lunettes pour en tirer des conclusions opposées. Mais on n’est
plus dans le cadre strict d’une réforme des retraites puisque tous les acteurs
sont d’accord pour préserver le système par répartition qui est solidaire. Tout
ce qui est capitalisation sonne mal. Et qu’il ne faut pas baisser le
niveau des pensions. En réalité le débat s’engage dans un autre contexte que
celui qui est purement comptable.
Le covid
notamment qui a révélé le télétravail et l’évolution des esprits et de la
société ont montré que désormais on s’interrogeait sur le sens de la vie, de la
sienne en particulier, et de la valeur travail. Celui-ci aliénerait alors que
d’autres pensent qu’il émancipe. Que l’effort est positif
collectivement et que l’espérance de vie en bonne santé s’accroit. Chacun tire
des conséquences. Faut-il produire toujours plus alors
qu’il y a à portée de main des superdividendes qui ne demandent qu’à être taxés
? L’équilibre vie personnelle-vie professionnelle ne doit-il pas être revu en
faveur de l’individu qui a droit à la paresse en partant à 60 ans en pleine
forme, dans une nature menacée par le réchauffement climatique qui est le
problème crucial ? En travaillant moins de 35 heures par semaine on partagerait
le gâteau qui ne grandit pas certes mais on crée des cotisations et le déficit
disparait ?
Il ne peut avoir de réponse unique à ces
questions car deux perceptions de la vie s’affrontent. Mais cela ne veut pas
dire qu’il ne faut entamer aucune réforme car l’immobilisme ou le retour
vers le futur conduirait à la régression. On entend divers arguments qui sont
en fait des réquisitoires et des mises en cause de principe. Parfois ad
hominem. Indignes dans une démocratie.
Et dans un Etat de droit républicain avec des valeurs notamment le questionnement
public, la raison et la tolérance. On ne s’étonne plus des invectives dans
la rue mais au parlement c’est inexcusable. Le bruit et la fureur ne sont pas
du niveau attendu de ceux et celles qui me représentent même si je n'ai pas
voté pour tel ou telle.
Je n’aime
pas entendre le vocabulaire outrancier des syndicalistes qui représentent moins
de 10% des salariés et qui affirment d’un coup de menton « on va gagner,
le gouvernement va retirer son projet car il est injuste ». Notion
vague et générale surtout si elle concerne les régimes spéciaux, autonomes et
dérogatoires actuels ! Ou qui jugent que l’exécutif est par nature menteur et va
devoir en passer par leurs propositions. Car ils ne croient pas à son affichage
de corriger des inégalités. Telles qu’elles viennent d’apparaitre au grand
jour.
Mais et si MM. Martinez et Berger se
trompaient ? Et si leurs analyses
n’étaient pas en phase avec la réalité économique et financière ?
Et si on suivait leurs volontés et qu’on entre dans le mur en klaxonnant ?
Les prétendus gagnants deviendraient alors les perdants. Les syndicats auraient
obtenu une victoire à la Pyrrhus. Le peuple en son entier paierait. Un
syndicaliste n’a aucune responsabilité ni en droit ni électorale. Les chefs
populistes restent en place. Ils ne rendent des comptes qu’à leurs
adhérents !
Il va de soi
que je ne remets pas en cause la nécessité d’avoir des corps intermédiaires
pour qu’il y ait un vrai dialogue social. Mais celui-ci ne peut être un
ultimatum : vous cédez ou on bloque
tout.Il est inutile de se renvoyer les responsabilités : « on
met le bazar car vous ne nous entendez pas. ». Personne n’est dupe ou
sourd. Le dialogue n’est pas un combat par K.O. Sinon le débat public est
inutile. Et la démocratie doit trouver des compromis concrets.
Et si le
gouvernement n’avait pas tout faux, que les déficits réels sont préoccupants,
qu’il faut trouver des solutions vite en fonction de la pyramide des âges
qui n’est pas favorable ? Et que pour préserver les générations futures
il faille progressivement augmenter l’âge légal de départ ce qui est
la moins mauvaise des solutions. Sauf une autre excellente et réaliste non formulée
qui rééquilibre les comptes pour le futur. Sans impôts ou prélèvements divers. En
accentuant les facilités et les réductions justes pour la pénibilité, les
femmes qui ont élevé des enfants, les seniors, et en faveur de ceux et celles
que la vie n’a pas ménagé. La solidarité est là.
Il va de soi
que le gouvernement comme les syndicats n’a pas la science infuse et que son
projet peut et doit être amendé au fur et
mesure que l’on s’aperçoit qu’il y a des cas particuliers. C’est le rôle
du parlement avec moins de 1000,00 députés et sénateurs. Qu’il y ait un débat
grotesque sur le nombre de millions de marcheurs dans la rue selon les
syndicats et l’estimation de la police ne m’intéresse pas. Sauf à conclure que
le projet fait peur. Comme on ne gouverne pas contre le peuple
il faudra peut- être en revenir à des élections. On a connu cela dans le
passé. En général le résultat n’est pas celui qu’on attend et les syndicats qui
penchent plutôt d’un côté de l’hémicycle risquent d’être surpris. Il est
parfois contreproductif d’être excessif. Le citoyen de base comprend les
enjeux. Il n’aime pas le désordre et la démagogie. Ni d’être accusé des
pires maux. La démocratie n’est pas univoque il faut accepter de vivre avec ceux dont on ne partage pas les
idées. Qui sont nos égaux.
Le citoyen
fait roi dans son individualité doit réapprendre ce qu’est l’intérêt général. Ne
rien faire est facile comme l’ont montré les rois fainéants, les mérovingiens
bien sûr pas nos contemporains. Il y a de vraies tragédies comme le séisme
en Turquie-Syrie, la guerre en Ukraine, en Arménie et ailleurs. Nous sommes en France dans un psychodrame. On
ne peut discuter à vie d’autant plus qu’on ne parle pas de la même chose. Tranchons
donc vite et passons à d’autres sujets comme l’immigration, la délinquance et
encore le niveau de vie qui mettront presque les mêmes dans la rue. Avec les
bien -pensants le cœur en bandoulière.
Et si
c’était vrai que la réforme des retraites doit avoir lieu.