Le
peuple contre le peuple
Par Christian Fremaux avocat honoraire
On connait
la théorie de Ernst Kantorowicz sur les deux corps du roi. Elle n’est plus
d’actualité pour personne sauf peut- être pour Charles III d’Angleterre qui a
une famille dont on parle. Il a un corps comme un simple mortel mon égal et
celui qu’il incarne comme roi représentant de dieu sur terre dans la
monarchie qui se perpétue, donc comme surnaturel et immortel. En France seuls
les académiciens sont des immortels. La distinction pourrait en être de même en
république où le peuple tel Janus a deux visages et au moins deux corps. Et est
le souverain unique en se divisant.
Dans le cadre du projet sur la retraite je ne
suis ni pour ni contre bien au contraire. Je veux une réforme forcément juste
où il n’y aura que des gagnants. On s’aperçoit que le peuple a une double
légitimité et un choix de société à faire. Comment voulons- nous
vieillir ? Usés sans le droit à la paresse ou jeune relativement mais en
pleine forme pour profiter de la vie le plus longtemps possible. L’espérance de
vie qui augmente doit -elle entrainer plus de travail et de
cotisations ? Plus on vit plus on coûte. Bien que les déficits soient
programmés. On peut discuter. Mais pas de façon binaire ou violente. Ce qui
obligerait nos successeurs les générations futures pour qui tout le monde se
bat à travailler encore plus pour payer nos pensions. Alors qu’il y a une
interrogation sur le sens de la vie et de la valeur travail.
La réponse
est évidente. On veut tous les avantages mon capitaine : des déficits
comblés en prenant l’argent chez les autres mais pas fournir plus d’efforts
alors qu’il y a une grande peur pour l’avenir avec toutes les crises et
guerres. Tout en conservant nos acquis voire en les améliorant. Est- ce
raisonnable sans réformer ? Les autres européens qui nous regardent et qui
ont pour la plupart franchi l’âge minimum de 65 ans pour quitter leurs
fonctions ne comprennent pas ce psychodrame. Les irréductibles gaulois sont-
ils plus malins que les autres ?
On voit marcher
le corps du peuple dans la rue pour s’opposer à l’âge de la retraite à 64
ans pour tous ceux qui n’ont pas un régime spécial ou autonome ou des dérogations
. La grève est un droit constitutionnel pas supérieur à celui de
travailler ou de circuler librement. Je
ne doute pas que certains métiers cassent plus que d’autres et
qu’il soit normal que ceux qui ont commencé avant 20 ans ne cotisent
pas plus longtemps que les autres. Les français préfèreraient l’égalité à la
liberté. Personnellement je n’aime pas l’égalitarisme qui rabaisse car je crois
au mérite. Certains nient les difficultés budgétaires avérées que les autres devront
effacer. Sans qu’il soit nécessaire de se battre sur les chiffres que chacun
interprète. On n’est même pas d’accord sur le constat. Sans commentaire pour
ceux qui paient impôts et taxes et qui se lèvent de bonne heure.
On voit en même
temps défiler le corps du peuple au parlement où les élus le sont par la volonté
populaire. La même que pour ceux qui trainent les pieds sur le bitume. Le
peuple est représenté par des députés notamment qui ont été choisis à tort ou à
raison c’est subjectif, et par le président de la république élu au
suffrage universel, même si l’abstention a été forte. Ceux qui ne vont pas
voter ont tort et ne peuvent se rattraper par un scrutin piétonnier. Il est
curieux d’entendre une représentante du peuple une députée EELV dire que le
palais Bourbon est une ZAD, une zone à
défendre donc l’épicentre de la désobéissance civile. Si les députés qui fabriquent
la loi la contestent c’est grave ! On entend des parlementaires dire qu’il
faut résister on ne sait pas bien à qui d’ailleurs qui aurait « attaqué ».
Le pouvoir exécutif est le reflet de l’élection du président de la république
qui comme la justice agit au nom du peuple français. Mais
quel peuple ? Posons que chacun est
de bonne foi et veut le bonheur pour tous.
La Constitution devient à géométrie variable.
L’opposition a le droit d’amendement qui peut conduire à de l’obstruction et la
possibilité de censure, et assure la présidence de la commission essentielle
des finances. Mais si le gouvernement applique l’article 49.3 comme tous ses
prédécesseurs y compris de gauche, ou limite les débats à 50 jours ce qui est
autorisé par le texte suprême cela devient liberticide avec un passage dit en
force, mieux quasi dictatorial. On ne peut débattre cependant à vie. Cela
fait des mois que les échanges ont lieu dans les médias, dans les
manifestations, dans les grèves. Le peuple est un orateur volubile. Il faut
trancher dans un sens ou un autre. On n’a pas besoin de vainqueur. Les
victoires à la Pyrrhus conduisent souvent à des impasses. Puis il faut passer à un autre sujet
sensible. Il n’en manque pas les circonstances et le peuple sont
imaginatifs.
La
démocratie est le gouvernement du peuple par et pour le peuple. Du moins tant
que l’on accepte la démocratie libérale que le professeur Fukuyama croyait
définitivement triomphante après la chute du mur de Berlin. Il a admis s’être
trompé. Les régimes autoritaires pour ne pas dire plus reviennent. Des peuples
choisissent l’illibéralisme qui porte beaucoup d’interdictions et rogne
les libertés. Le populisme des extrêmes commande.
La
démocratie est en danger surtout si le peuple s’en prend à lui-même, crée des
clans, des catégories, des communautés et a des intérêts divergents.
Être
populaire est un phénomène passager comme la mode. L’impopularité oblige à être
innovant, juste et efficace, car on aurait dit-on 100 jours pour agir. Et après
on dort ? Être populaire est donc mission impossible. Le peuple -donc moi -
est versatile on le sait ce qui n’est pas une tare, mais aussi enthousiaste. Il se
tire une balle dans le pied en n’étant pas réaliste même si l’addition à payer
est douloureuse. Le statu quo entraine la régression. On recule pour mieux ou
pire sauter. On ne peut pas pour chaque sujet être en « nervous
breakdown » comme Audiard le faisait dire dans les Tontons flingueurs.
La
démocratie doit concilier les contraires. Et démontrer l’art du compromis. Je
ne sais pas quel est le meilleur système de retraite mais je devine ce qui peut
advenir. La république est garante de l’Etat de droit objet non identifié
dans beaucoup de pays sur la planète. Préservons nos institutions. La
démocratie libérale vacille et semble devoir être révisée de fond en comble. Le
peuple ne peut donner le signal de l’hallali .Détruire sans savoir quoi
mettre à la place. Il doit participer à la reconstruction pour plus de
libertés et de cohésion, avec la liberté d’expression. Et la redistribution. Il ne faudrait pas que le populisme devienne sectaire
et impératif et que ce soient les plus criards qui imposent leurs vues.
Attention
danger. Que le peuple ne soit pas contre la démocratie.
Merci maître
RépondreSupprimerComme toujours vos analyses me font passer un agréable moment. Bravo pour les références de Janus aux tontons flingueurs. Je trouve les commentateurs bien silencieux sur le coût des régimes spéciaux..
Merci Christian pour ta. plaidoirie si juste. Mais quid de la justice aujourd’hui phagocytée par ceux qui ne peuvent pas s’en réclamer Amitiés Alain K
RépondreSupprimermerci cher Alain , toujours heureux de voir que tu restes réactif.. La justice est à la peine. C'est un monument en péril!
RépondreSupprimerAmitiés.Christian.