Le citoyen présumé hors-la- loi civique
?
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
La campagne
électorale n’est pas encore vraiment commencée que déjà les noms d’oiseau fusent
et que le langage s’est débridé y compris au parlement pendant les débats sur
le passe vaccinal. Certains se réjouissent que les futurs électeurs comprennent
bien ce qui se dit, d’autres jouent aux vierges offusquées et pensent qu’un
chef de l’Etat ne devrait pas dire ça ou doit s’exprimer de façon plus châtiée.
Peut-être que M. Macron est un émule du pas encore maréchal Cambronne qui avait répondu
merde aux anglais ? Chacun apprécie selon ses critères personnels
car le fond et les vrais problèmes de notre société ne sont toujours pas
abordés. On s’enlise dans le sanitaire et le chef de l’Etat a crûment indiqué que
ceux qui refusaient de se faire vacciner n’étaient pas responsables donc ne méritaient
plus la qualité de citoyens.
Mais peut
-on perdre le titre de citoyen si on n’applique pas une loi qui n’existe pas-
l’obligation vaccinale - un quasi écrit implicite qui contiendrait cachée une recommandation
non contraignante et une interdiction de fait pour des libertés fondamentales
comme celles d’aller et venir où l’on veut, participer à la vie sociale,
dire ce qu’on pense et refuser d’obéir aux injonctions de l’exécutif qui croit
bien faire ? Est-on irresponsable aux yeux du plus grand nombre si on refuse au
nom de ses convictions de ne pas répondre à un appel gouvernemental concernant
la sécurité collective, et devient-on un hors- la- loi putatif avec perte de citoyenneté ?
Les tribunaux vont devoir trancher et peut-être contre les décisions du gouvernement :
ce sera un match autorité judiciaire contre pouvoir exécutif donc une
confrontation des légitimités au plus haut niveau de l’Etat au nom des
libertés. La réponse juridique semble devoir être négative quoique le droit qui
n’est pas une science exacte réserve des surprises comme les jugements et
arrêts qui souvent dépendent de la conjoncture et de l’appréciation des juges.
La loi est l’expression objective de la volonté générale discutée et votée par
les représentants du peuple et on ne lui fait pas dire ce qui n’existe pas dans
le texte sauf interprétation jurisprudentielle. La morale s’applique à des cas
individuels et est subjective. Parfois loi et morale se confondent. On peut en
discuter sans fin.
Le citoyen est la reconnaissance pour un
individu d’appartenir à une communauté nationale, à un Etat avec ses droits et devoirs.
La citoyenneté s’exprime au travers le civisme avec le vote, la civilité envers
les autres ce qui est le respect et pas la violence, et la solidarité surtout
quand il y a des difficultés de toute nature ce qui est le cas actuellement. Le
citoyen demande à l’Etat de lui garantir ses droits, en compensation de devoirs
que l’individu accomplit librement. Être citoyen est un droit naturel et
on ne peut perdre ses droits civiques que pour des motifs graves prononcés par
un tribunal. Il n’y a pas de bons et de mauvais citoyens car personne n’a le
monopole du bien et du mal et peut juger ce que le citoyen doit observer ou
non. Il peut y avoir des irresponsables ce qui n’est pas nouveau mais on ne
peut interdire de vivre ou priver de leur qualité de citoyens ceux qui ne respectent
pas les dispositions sanitaires, fument ou se droguent, boivent, roulent en
voiture très vite, ou prennent des risques divers. La surenchère n’aurait plus
de fin et bien que l’on soit en période exceptionnelle, il faut essayer
d’apaiser plutôt que de crisper. Les normes comportementales dans une
démocratie n’existent pas encore. Ce n’est qu’en Afghanistan qu’il y a un ministère
de la répression du vice et de la promotion de la vertu ! Si on va sur cette
pente on va glisser très bas et on créera une liste à la Prévert qui n‘apportera
rien, sera dangereuse et déchirera encore plus le lien social. On doit
convaincre et aider ceux qui ne font rien pour se protéger eux-mêmes et qui
considèrent qu’ils ne doivent suivre que leur loi, ovni sui generis. L’égoïsme
ne passera pas.
Selon le
principe de légalité base de notre droit il ne peut y avoir d’infraction sans
texte formel et si la loi n’interdit pas on ne peut être coupable. L’article 5
de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que : « tout
ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être
contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ». Il appartient au citoyen de prendre ses
responsabilités. Mais il faut nuancer sur le droit à faire ce que l’on
veut sans tenir compte des autres, car existent des délits avec ou sans un acte
positif ou une omission comme la mise en danger de la vie d’autrui, la non
-assistance à personne en danger, voire la non -dénonciation de crime ou de
délit… C’est au juge de vérifier les faits et de les qualifier pénalement ou
pas. Malgré la présomption d’innocence tous les citoyens-justiciables
possibles peuvent être des coupables présumés.
La jurisprudence
a créé aussi une notion qui étonne. L’abus de droit permet de sanctionner tout utilisation
d’un droit ou une clause abusive qui dépasse les limites de l’usage raisonnable
de ce droit. Cette construction prétorienne répond à l’intérêt général.
La liberté
des uns s’arrête là où commence celle des autres a écrit John Stuart Mill. Un
citoyen conscient de ses devoirs met dans la balance ce qui l’avantage ou ne
lui nuit pas, et ce qui protège les autres. Ce n’est pas un problème de droit
et de sanction ou de menace de déclassement civique. L’article 4 de la déclaration
des droits de l’homme et du citoyen précise : « l’exercice des droits
naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres
membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». C’est
l’évidence humaine. On veut tous vivre en bonne santé.
Albert Camus
a écrit qu’un homme doit « s’empêcher ». Chaque citoyen quel que soit
sa croyance doit participer à la bonne santé collective et à l’éradication de
l’ennemi le virus selon sa manière, action qui ne peut être obligatoire car qui
détient la vérité ? Personne, ni nos énarques ou politiques ni même les
professeurs de médecine qui peinent devant ce qu’ils ne maitrisent pas. Mais
pas non plus le quidam qui prétend en savoir plus que des spécialistes et qui
n’a pas de responsabilités de droit ou d’élections. Appliquons donc le principe
de précaution ce que tous les citoyens devraient approuver.
Sur le débat
entre ce qui est interdit ou autorisé, Winston Churchill a eu la formule
suivante : « En Angleterre tout est permis sauf ce qui est
interdit. En Allemagne tout est interdit sauf ce qui est permis. En France tout
est permis même ce qui est interdit. En Urss tout est interdit même ce qui est
permis ».