Courage fuyons les
responsabilités !
Par
Christian Fremaux avocat honoraire du barreau des confinés.
Le
confinement soudain a donné lieu à des difficultés imprévues mais on s’y est
conformé car on avait peur de la maladie soyons francs. Les plus opportuns
ou prudents des habitants des grandes villes ont pris la fuite en province là
où ils pensaient que le virus ne passerait pas et que le confinement serait un
moment le moins désagréable possible à passer.
Ce fut un choix révélateur en conscience et responsabilités, il n’y a
pas à le critiquer. Chacun voit son devoir où il le situe.
Mais pour le
déconfinement cela va être la foire d’empoigne, chaque profession demandant à
l’Etat -par ailleurs accablé de tous les maux pour ses insuffisances,
manquements divers, hésitations, mensonges parfois- de prendre des mesures
spécifiques car toute profession est un cas particulier. Même ceux qui avaient
choisi de vivre dans le secteur privé, sans aide de l’Etat, crient au secours à
juste titre car on leur a imposé de ne plus travailler, et ils ne veulent pas
mourir économiquement après avoir échappé au virus. A défaut ils attaqueront en justice, je ne
sais pas précisément qui mais ils le feront.
N’ayant
aucun talent pour la divination je ne peux dessiner avec précisions ce que sera
le monde d’après qu’on nous annonce avec de grands principes généraux et
humanistes ce dont je me réjouis, mais je crains qu’ils soient en partie
illusoires face à l’urgence de la réalité car chacun va vouloir tirer parti de
ce qui est arrivé. Qui pour voir ses salaires progresser (on a applaudi chaque
soir des héros du quotidien) ;qui
pour travailler autrement (le télétravail chez soi) ; qui pour d’autres
façons de vivre et de se déplacer ou voyager ; qui pour rénover les gouvernances et les pratiques dans l’entreprise (on va
réentendre les leaders syndicaux) ;qui pour relocaliser des industries à
condition que les coûts de fabrication n’explosent pas ; qui pour mettre
en avant les territoires et la ruralité avec les agriculteurs qui ont assuré
notre alimentation et ce qui est constant pendant la période ; qui pour
une nouvelle répartition vraiment décentralisée des pouvoirs ; qui pour
revoir le rôle de l’Etat qui devra être réduit à ses fonctions essentielles
avec une chaine de commandement plus réactive ;et qui pour son bon
plaisir, pour la culture et le droit de
ne pas être matérialiste … La liste des réformes à faire est longue pour
revenir au passé où nous étions heureux sans le savoir que l’on critiquait avec
le luxe et l’impudence des enfants gâtés, mais en mieux bien sûr, en plus
moderne et tendance en préservant l’avenir des générations futures et en
n’excluant ni la transition énergétique, ni un autre mode de croissance ni
d’autres valeurs qui se sont révélées avec la crise. Bon courage à ceux qui
vont s’y coller pour trouver les solutions avec de beaux débats que je pressens
parfois surréalistes car je n’imagine pas le contraire avec tous ceux qui
savent toujours tout, après.
D’autant plus que les problèmes courants
demeurent : la sécurité et le terrorisme, les menaces, l’Europe et les
autres pays avec qui il faut coopérer et composer, les catastrophes naturelles,
le chômage, la création de richesses pour la solidarité et la redistribution,
le séparatisme ou plutôt le bouillon de certaines banlieues avec la religion et
les trafics sans oublier l’aspect social et économique et le respect de la loi,
les violences graves pour tous les
prétextes, l’insatisfaction générale parfois sans vraie raison et la polémique
pour tout sujet, et chacun y ajoutera ses priorités. Il faudra affronter en
même temps tous les problèmes sans recourir à une prétendue union nationale car
comment concilier les extrêmes, et les opinions différentes doivent subsister pour
que les électeurs tranchent et choisissent un cap une politique présumée
gagnante et juste. Il sera mieux d’obtenir
néanmoins un minimum de consensus sur les décisions publiques à prendre
pour redresser la barre du bateau devenu ivre, son capitaine n’ayant pas été atteint
par le virus mais son équipage si, commandant naviguant à vue au nord vers
l’inaccessible étoile.
Je me
demande quelle réforme emblématique de fond le gouvernement va pouvoir annoncer
et introduire pour créer un choc positif qui enthousiasme et entraine des
perspectives pour tous, celle des retraites (que je n’aimais pas au moins pour
les avocats je vois midi à la porte de mon bureau) me paraissant impensable car
il faut d’abord qu’un maximum d’individus retravaillent. Et celle de la réforme
des allocations- chômage ou des économies sur les dépenses publiques pouvant conduire
à des émeutes pour inopportunité. Comme aussi la réforme constitutionnelle
prévoyant la limitation des mandats et la suppression du nombre de
parlementaires, outre celle de la cour de justice de la république qui vient
d’être saisie par des plaignants et autres dispositions qui nous paraissaient
raisonnables, jadis c’est-à-dire il y a encore quelques semaines. M.Macron doit se mordre les doigts de n’avoir
pas trouvé l’année dernière une majorité des 3/5 ème au congrès !
Tout est
évidemment possible même l’improbable. Les promesses électorales n’engageant
que ceux qui y croient, je ne m’inquiète pas. Le pouvoir saura phosphorer pour
montrer qu’il contrôle la situation et nous vendre ce qu’il appelle le progrès
qui pourrait d’ailleurs être partiellement un retour en arrière sur ce qui a
fait ses preuves, est connu, admis et
proche des individus, avec une mondialisation qui est, qu’on ne peut
faire disparaitre d’un coup de plume ou ignorer, mais qu’il faut limiter,
et une nation à recomposer en trouvant les valeurs qui font consentement et des sous, encore des sous
sans augmenter les impôts. Vaste
programme. Nous allons devoir nous
réinventer a dit le président : oui chef, mais lui et les élites
administratives ou scientifiques ou auto-proclamées qui ont pris un coup sur
leurs prétentions, aussi et d’abord. J’ai changé disent souvent les politiques
qui reviennent ou veulent revenir au pouvoir et modifient en réalité leur stratégie.
N’est- pas qui veut Julio Iglesias qui chantait « non je n’ai pas
changé »!.
Mais je subodore un peu ce que va être la vie
proche, quand nous aurons maîtrisé les conséquences du virus si tel est le
cas puisque on ne sait rien sur sa disparition ou non, et qu’il faudra que
la machine reparte après les vacances sur les plages car on l’a « bien
mérité » et c’est une question existentielle à la JP Sartre. Outre les
désastres avérés il y aura des victimes collatérales, celles déjà justes à
l’équilibre avant la crise, ou qui vivaient sur quelques mois, ou qui avaient
besoin d’une croissance constante et des institutions fortes qui
fonctionnaient. Il va falloir injecter un « pognon de dingue »
selon une des formules de notre président, mais cette perspective de milliards
d’euros de dettes ne semble pas le plus important : je m’incline devant
ceux qui devinent avec certitudes bien que chacun, moi comme les autres a un
budget contraint et constate que
lorsqu’on emprunte on doit rembourser, et que quand la caisse est vide on ne peut
fabriquer de fausse monnaie : on réduit le train de vie, mais comment
faire pour ceux qui n’avaient déjà pas l’essentiel ? Les choix décidés
avant d’être votés vont faire l’objet de débats intenses, de protestations, de
pinaillages, de prétextes. L’opposition doit-elle être systématiquement contre
tout ce qui est pour et pour tout ce qui
est contre comme le disait Pierre Dac ? Prenons des exemples :
s’abstenir de voter est -ce être responsable ? Refuser d’approuver une
mesure car elle ne va pas assez loin est-ce responsable ? Faire de
la politique politicienne en s’opposant pour ne pas mêler sa voix à celle
de l’adversaire est-ce être responsable ? Ne rien proposer en critiquant
ce qui est prévu est-ce responsable ?
Peut-on se laver les mains -en dehors des gestes barrières- et soutenir
ensuite qu’on est responsables ? Ponce Pilate n’est pas le héros préféré
dans le monde.
Tout ceci va être un problème de responsabilités
pour tous, majorité politique comme opposition, corps représentatifs multiples,
contre-pouvoirs avec les médias, patrons comme salariés, fonctionnaires ou
membres du secteur privé et professions libérales, comme élus locaux, départementaux,
régionaux, et les décideurs publics déconcentrés sous l’autorité des préfets. J’ajoute
de responsabilité pas seulement morale, mais en droit. La justice va avoir un travail considérable
pour juger de ce qui s’est passé pendant cette période exceptionnelle pour revenir
à l’état de droit classique et aux grands principes, pour conforter notre
démocratie et nos valeurs républicaines.
On annonce des enquêtes parlementaires et administratives de tous côtés
et de multiples actions judiciaires civiles et administratives et plaintes
pénales. Cela fera au moins la joie des avocats – ceux qui auront survécu à la
fermeture des tribunaux, à leur propre grève et celle préalable des transports,
aux gilets jaunes…- et qui n’ont pas
plaidé depuis des mois.
Mais moi je
me défile, pas pour tout mais pour le plus visible et ce que recherchent les
puissants. On ne peut pas toujours être
courageux. Je suis content de n’être responsable qu’a minima et de presque de
rien sauf de moi et de mes proches ce qui est déjà beaucoup. Je ne me suis pas représenté aux élections
municipales de mars dernier après 37 ans de mandat municipal. Je n’aurai pas à
gérer la reprise des écoles, véritable prise de risques dans les communes et
pour les parents qui n’ont pas confiance. Je ne suis pas haut fonctionnaire qui
pense se réfugier derrière la hiérarchie et qui a respecté les ordres et les process,
ou membre du corps médical qui exerce un art et pas une science exacte et dont
les sommités donnent des conseils au gouvernement sans en avoir à subir
politiquement ou judiciairement les conséquences. Je ne bénéficie d’aucune immunité pénale comme
celle de droit qui découle du statut constitutionnel du chef de l’Etat. A mon grand regret- mais aujourd’hui je m’en
félicite- je n’ai jamais été ministre voire un parlementaire de ceux qui votent
les lois qui entrainent diverses conséquences juridiques notamment comme un
état d’urgence même sanitaire. Il n’y a
pas d’auto- protection collective et on ne peut se retrancher derrière le
groupe pour s’exonérer de tout.
Je n’aurai
pas comme les magistrats, les juges professionnels qui ont été aussi confinés,
à arbitrer au plus vite car il y a du retard à juger le stock déjà plaidé outre les cas
nouveaux des multiples contentieux -qui parfois mettent en jeu des intérêts
personnels y compris la liberté ou la survie individuelles ou économique ou la
tranquillité de vivre dans la paix tout simplement - liés à la fermeture de
tout, à la cohabitation d’une législation temporaire et exceptionnelle avec nos
règles habituelles, nos normes, nos bases constitutionnelles, nos libertés
fondamentales, bref ce qui touche à l’état de droit et peut être par une jurisprudence
nouvelle coronavirienne bouleverser nos grands principes et nous faire changer
de société. Et qui doivent aussi veiller aux victimes et ne pas dispenser ceux
qui dirigent de rendre des comptes. Mission essentielle pour la cohésion de la
société, sachant que pour un individu lambda son cas est aussi précieux,
quelques soient sa nature et son importance pour les autres. L’égalité en droit
et en chances n’a pas de limites.
Certes
j’exerce de façon bénévole les fonctions de conseiller prud’homme, et je devrai
me prononcer sur les litiges du droit du travail en cours et ceux qui ne vont pas manquer de
surgir .Mais ce droit devenu vital qui régit les règles dans
l’entreprise entre salariés et
employeurs entre autres, qui fixe les conditions de sécurité et de travail, qui
détermine des aspects financiers importants, est souvent
bousculé par les majorités politiques qui se succèdent (par exemple en
1981 avec M.Mitterrand ou les ordonnances dites Macron de 2017) et il est
le reflet d’une époque, au -delà de grands principes de justice sociale et des
droits acquis. Je ne me déroberai pas avec mes collègues car je ne néglige pas mon
devoir modeste et l’équité m’est connue. Et la cour d’appel peut ensuite
modifier nos appréciations. Ma responsabilité est relative mais réelle même si
elle peut provoquer des mécontentements selon les décisions rendues.
N’étant plus
un petit chef d’entreprise puisque mon cabinet d’avocats est désormais géré par
des jeunes, je n’aurai pas à y venir mètre en main pour recomposer les bureaux,
le secrétariat et les couloirs. J’avais l’habitude d’acheter des codes mais pas
du gel ou des protections. L’avocat qui porte sa robe noire mettra t- il un
masque noir pour l’harmonie des couleurs, comme zorro ? Dans l’entreprise la jurisprudence la plus récente
parlait d’obligation de sécurité de moyens renforcée surtout en matière de
prévention : à l’impossible nul n’est tenu !
Je n’aurai
pas à évoquer en cas de poursuites contre des élus les maires en particulier, la
loi dite Fauchon du 10 juillet 2000 qui s’est prononcée sur les délits
intentionnels en stipulant : le
délit ne sera constitué que « s’il y a eu une violation manifestement
délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité ». Il faut prouver
une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité
que [le poursuivi] ne pouvait ignorer. Ce texte protège déjà les élus, et je ne
doute pas que des parlementaires vont faire voter une loi spécifique pour
la période liée à l’état d’urgence sanitaire.
Je n’arrive
pas à imaginer tous les cas possibles pour que la responsabilité d’un décideur
soit engagée qui est un des problèmes à résoudre vite pour que les initiatives
se développent. Etre mis en cause ne veut pas dire être condamné, mais
l’épreuve est cruelle, injuste et décourage certains. On est dans le cadre
juridique non pas d’une obligation de résultats, mais dans celle d’une obligation
de moyens : on fait ce que l’on peut en respectant les consignes officielles
avec ce dont on dispose en matériel comme en personnel. Cela rassure.
Le plus
raisonnable est donc de fuir les responsabilités et attendre une époque plus
favorable. Je plaisante bien sûr mais j’en appelle par avance à la modération,
à la tolérance, aux circonstances atténuantes si tout n’a pas été parfait, à
l’excuse d’imprévisibilité et absolutoire en raison de l’absence de réponses
sûres et définitives par ceux qui sont au pouvoir voire à la force majeure liée
à l’ennemi invisible. Le risque 0
n’existe pas, et en ne faisant rien on n’est pas certain non plus de n’être pas
critiqué voire poursuivi. Le principe de précaution peut aboutir à des drames. L’inaction est parfois un délit. La société
donne toujours une deuxième chance à ceux qui ont fauté souvent volontairement,
ou on les libère de prison par anticipation pour de bonnes raisons. Cela se discute.
Ce qui ne se
discute pas c’est de chipoter la confiance à ceux qui sont sur le terrain qui
trouvent des solutions même bancales voire hasardeuses avec les moyens dont ils
disposent, et qui font tout pour le bien des autres parfois en s’exposant
eux-mêmes. Alors soutenons- les.
La responsabilité
est l’apanage de tous et un devoir collectif. Regardons-nous dans la glace sans
indulgence et interrogeons-nous sur ce que nous faisons en nous prenant en
mains, et ce que nous pouvons apporter à la collectivité, ne serait -ce qu’en
ne dénigrant pas ceux qui cherchent et font.
Ce n’est pas toujours l’autre qui a tort. On n’a pas que des droits, on
doit participer à son niveau à l’effort collectif. Cela ne veut pas dire que
l’on pardonne toute faute et que l’on ne sanctionne personne. Assumer ses responsabilités signifie être un
homme/une femme dans le plein exercice de sa conscience et de sa liberté de
citoyen.