Je ne suis pas un héros
Par Christian FREMAUX avocat honoraire.
« Je ne suis pas un héros, il ne faut pas croire ce que
disent les journaux » chantait Daniel Balavoine un petit jeune en blouson : il
n’était qu’un chanteur populaire qui faisait rêver certains et surtout
certaines. Il est mort dans un banal accident d’hélicoptère, certes en Afrique
sur le rallye paris-dakar mais sans exploit particulier. On l’aimait surtout
quand il a piqué sa colère face à F.Mitterrand lors d’une émission de télévision.
Mais c’est le passé.
Les héros se font rares ou ils sont fugaces sur le moment de
l’émotion. On n’a pas reconnu le titre
de mort au champ d’honneur au colonel Beltrame lors de l’attentat de Trèbes en
mars 2018, et on salue les soldats qui tombent au combat au Sahel quelques
minutes le temps de leur rendre un hommage, les décorer, leur dire merci,
rappeler qu’ils se battent pour nos libertés et la démocratie puis on passe à
autre chose. L’actualité comme l’opinion change très vite en oubliant.
En ce moment on applaudit -à juste titre-tous les soirs à 20
heures tous ceux et toutes celles qui combattent le coronavirus, sans qui il y
aurait encore plus de morts et de drames. Pourvu que ça dure comme disait Laetitia
la mère de Napoléon pas le virus mais les applaudissements, qui avait tendance
comme moi à croire que le bien n’est pas naturel et que l’homme doit être guidé
pour son amélioration. J’espère qu’en
outre ils seront récompensés pécuniairement et dans leurs carrières
professionnelles. Il serait décevant qu’ils n’aient été que des héros
intermittents.
Personnellement je
serai un « quasi héros » - que l’on évoque parfois pour ceux qui sont dans le
même cas que moi - puisque le président m’a remercié dans son discours car je
reste confiné à mon domicile, et ainsi je sauve des vies en n’encombrant pas l’hôpital,
ce dont je me réjouis. Je plaisante bien sûr et la notion d’héros à tendance à
se galvauder.
Mais c’est quoi être un héros et pourquoi certains n’en sont
pas ? Les mots ont un sens et l’exagération ne sied pas en l’occurrence.
Un héros c’est une personne qui se distingue par sa bravoure
ses mérites exceptionnels, qui a accompli des faits extraordinaires, qui s’est
distingué face au danger, par un courage qui sort de l’ordinaire. Le héros peut
être mythique ou légendaire. Il a des qualités physiques et morales. Il se bat
pour des valeurs. L’héroïne est de la même trempe. Racine les a versifiées.
Antigone résiste à Créon. C’est Ulysse
qui rejoint tardivement pénélope (pas celle de M.Fillon) ou selon Homère
Achille, malgré son talon fragile.
Dans la vie de tous les jours qu’en est-il ? Chacun a son idée sur ce qu’est et qui est un
héros ou une héroïne. Pour un individu le fait d’accomplir son métier où il y a
des risques certains, dans des conditions non prévues, inimaginables,
stressantes est-il suffisant pour devenir un héros, alors que le légitime droit
de retrait existe dans la loi ? Mais il est pour le moins téméraire et
sait se sacrifier faire preuve d’abnégation.
C’est remarquable.
Je pose néanmoins une question politiquement
incorrecte : accomplir son devoir doit- il être récompensé et est-on
moins ou pas courageux quand on se protège pour ne pas faire prendre de risques
aux autres ? Chacun juge son propre
comportement à l’aune de ses valeurs profondes et relatives.
Qui peut critiquer et décider ou décréter qui est ou non un
héros, en tous les cas pas celui qui est au chaud chez lui ? Dans les circonstances
actuelles soutenons et admirons ceux qui font plus que leur devoir et qui
méritent une considération pérenne.
Il y a aussi des anti-héros, des méchants, qui sont
sympathiques ou qui suscitent une certaine admiration. On ne donnera pas de nom
ou d’exemple pour ne vexer personne, car il ne s’agit pas de faire l’apologie
de celui qui vit pour lui, est égoïste, et s’en tire toujours au mieux. Il peut
être héros malgré lui comme Gaston Lagaffe.
A-t-on besoin de héros qualifiés comme tels et
correspondants à des critères objectifs dans la vie quotidienne ? oui car il
faut des exemples, des miroirs, des modèles pour se comparer et donc progresser
individuellement et pour la société. Je vais nommer des catégories
professionnelles mais aussi en oublier, comme le sont les pompiers, les forces
de l’ordre, les soldats, les soignants de toutes natures et tous ceux et celles
qui font fonctionner le pays dans leurs domaines respectifs. Voire ceux qui
voudraient bien participer mais à qui on a interdit d’agir. S’ils n’existaient pas on croirait que tout
est un dû, on ne s’interrogerait sur rien puisque cela serait normal, on
n’imaginerait même pas que le mal existe puisque on ne l’aurait jamais rencontré,
et la vie des autres, de ceux qui l’exposent n’aurait ni sens ni prix. Une
société est donc la somme de ce que chacun à son niveau fait, représente,
incarne et crée. Il ne peut y avoir de plus importants que d’autres, des moins
égaux ou des sur- estimés. Tout ceci vaudrait et encore quand il y a péril,
quand les difficultés graves existent, quand il faut les affronter voire sauver
sa peau.
Mais que se passe- t
-il quand tout est revenu à un rythme de croisière, sans danger imminent et
réel, où on se bat pour les problèmes quotidiens de l’existence, où chacun
défend ses intérêts matériels et trouve que l’autre exagère dans ses
revendications et qu’il ne vaut pas ce qu’il réclame ou qu’il profite ? Que vont devenir nos principes humanistes
face à la réalité et les héros que nous avons qualifiés ainsi dans
l’enthousiasme, et la nécessité surtout soyons francs ?
Il n’y aura pas de miracles. La personnalité qui est
exceptionnelle par sa dimension personnelle, le restera. D’autres émergeront en
raison des circonstances, mais tout ceci ne sera pas suffisant. Certes des
poursuites seront déclenchées, car il faut sinon des coupables au moins des
responsables qui ne peuvent pas être moi, ou nous les petits, les sans grades.
On ne peut faire passer en jugement le virus, et la justice des hommes sait
condamner ceux qui ont fauté surtout les élites prétendues et les soi- disant
sachants.
La nature nous dépasse. Il faut être humbles et ne pas faire
croire que l’on peut la dominer pour tout et en permanence. Il faudra en
priorité que chacun d’entre nous fasse un ou des efforts pour ne pas exiger
plus ou qu’il n’y ait plus aucun risque.
On vient de comprendre que la vie est fragile, et que
collectivement nous sommes faibles quelques soient nos institutions ( très
solides) , notre niveau technologique (de pointe) ou de la connaissance de
l’homme (toujours à améliorer) ,notre argent (qui ne peut pas tout), notre
prétendue puissance (relative selon les menaces). Et notre propension à
déléguer l’essentiel à d’autres pays dans le cadre d’une coopération économique
que l’on a cru heureuse. On vient d’en voir les limites.
Il va falloir
abandonner un peu de nos prétentions ,ne plus vivre avec l’égo pour horizon et
ses libertés individuelles comme
objectifs, ne plus tirer sur la corde qui se casse facilement, et développer
une solidarité réelle, participative c’est -à -dire non confiée à des experts
ou à des communicants ; croire en la démocratie représentative au plus près des
particuliers et entreprises dans les
territoires, demander à l’Etat de ne pas
se mêler de tout et de se contenter de ce qu’il doit savoir faire : préserver
l’essentiel à savoir la protection
globale et la cohésion nationale ; prévoir le pire ; assurer les fonctions
régaliennes, et faire confiance aux citoyens.
On n’attend pas un héros ou un père la victoire. On
n’a pas besoin de mea culpa mais d’un chef pour organiser et bâtir les
fortifications, même en temps de paix. Car on sait que la ligne Maginot se
contourne, que l’ennemi joue de l’effet de surprise, et qu’un territoire a
encore une signification. Nous sommes des adultes qui ont une conscience et de
l’expérience. On est assez lucide pour
savoir qu’une guerre se gagne sur tous les fronts les plus exposés comme ceux
qui sont à l’arrière, avec des citoyens qui ont besoin de croire en la parole publique
et gardent l’espoir en participant modestement à leur manière. Et qu’une
société ne vit que dans l’union et la tolérance de tous
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