dimanche 19 avril 2020

du civisme selon notre bon vouloir


                Du civisme selon notre bon vouloir.
                 Par Christian FREMAUX avocat honoraire
« Confinée, confinée, est-ce que j’ai une gueule de confinée » aurait peut- être dit Arletty si elle était encore en activité en se promenant sur la passerelle au- dessus du canal saint martin à paris allant vers l’hôtel du nord, alors qu’elle serait contrôlée par un agent de police à vélo dans le cadre des mesures sanitaires actuelles ? Le cinéma permet tous les rapprochements même les plus improbables. 
Tout le monde a une bonne raison pour sortir de son domicile et s’exposer au coronavirus qui ne distingue pas ceux qui sont de bonne foi et les autres. Dans un sketch célèbre, Coluche accompagné de sa femme et de son chien est dans sa voiture et peste coincé dans les embouteillages. Il dit avec son langage direct : « mais où ils vont tous ces cons-là ? Nous on se le demande avec ma femme, car nous on va chez sa mère ! ». Le confinement me donne l’occasion de parler de civisme et de déplorer de façon  générale que nous manquions du sens de la responsabilité, c’est -à -dire de ce que l’on doit aux autres.  J’espère que l’épreuve que nous subissons nous conduira à être dans tous les domaines et notamment celui de la démocratie et de la solidarité, moins désabusé, moins cynique, moins égoïste : on peut rêver. Il faut y croire. 
Selon les dernières statistiques, il y aurait eu 11 millions de contrôles pour vérifier les attestations de déplacement dérogatoire qui auraient entrainé près de 800.000 infractions constatées pour l’instant à 3 semaines du 11 mai ce qui est beaucoup dans un pays d’environ 47 millions de majeurs électeurs, et des centaines de gardes à vue (on parle de 1700 !) pour ceux ou celles qui ont franchi la ligne rouge ou que le comportement a été outrageant voire violent. Les tribunaux ont été saisis et déjà des peines de prison ferme ont été prononcées. C’est un début, mais ne continuons pas le combat pour paraphraser mai 68.
Il faudra dresser quand on aura envie de rire, le bêtisier des excuses proférées avec impudence pour prétendre que l’on est en règle : c’est à pleurer et par moment surréaliste. Il faut aussi préciser pour être juste que parfois l’agent verbalisateur a eu une interprétation très personnelle voire ridicule des consignes. Les juges trancheront.
Je n’accuse pas ce n’est pas ma tendance et je suis avocat, mais comme citoyen je constate que des habitants de certains quartiers mettent moins de bonne volonté que d’autres pour respecter la règle du confinement  sous des prétextes vaguement sociaux, de manque d’espace chez eux, ou culturels au sens large pour ne stigmatiser aucune croyance voire tout simplement parce qu’ils n’acceptent par principe aucune autorité serait- elle sanitaire pour les préserver eux ou leur famille et que tout contrôle est considéré comme une agression et une discrimination qui méritent des représailles. C’est un débat récurrent sur la sécurité qui se poursuit et qu’il faudra bien régler un jour, sauf à baisser les bras définitivement, laisser faire, donner toujours plus, et prier pour ceux qui croient que rien n’arrivera, ni émeutes, ni revendications ni désordres, avec la disparition des trafics ! Puisque on dit que rien ne sera comme avant, faisons- en sorte que cela ne soit pas qu’une parole verbale.   
Tout ceci est un problème de civisme, ce vieux mot qui n’a pas encore pénétré le nouveau monde - qui est mal en point ce jour - promis par notre jeune président qui se bat dans la tourmente comme il peut soyons honnêtes, surtout que l’Etat a montré des carences et que les médecins et divers experts ne sont pas unanimes sur les solutions à choisir. 
Selon ceux que je critique, la loi est faite  seulement pour les autres « puisque elle a été élaborée et votée par des élites que je déteste, les parlementaires que je ne reconnais pas et pour qui je ne me suis pas déplacé pour mettre mon bulletin de vote dans l’urne  et que je soupçonne de n’en faire qu’à leur profit, en nous méprisant sans nous donner nos chances » (sic selon moi). Pour ceux qui ne veulent faire aucun acte civique l’Etat est en faute :il n’a fourni ni masques, ni gel, et il n’y a aucune raison individuelle de respecter un confinement arbitraire dont l’efficacité n’est pas prouvée. D’autant plus que les médicaments seraient pour des privilégiés les riches ou les proches du docteur Raoult… On n’est donc pas civique pour des raisons que l’on estime justes et vraies bien que théoriques et non prouvées bien sûr.  Le soupçon fait office de certitudes et de prétexte pour être rebelles. On a les exploits que l’on peut !  
Pour les  délinquants occasionnels (parfois avec casier judiciaire quand même) se croyant  légalistes et dans leur bon droit  , ils ajoutent que les avocats quand ils reprendront le chemin de leurs cabinets et des palais de justice, plaideront avec des arguments de droit que je ne développe pas, la nullité des poursuites, l’illégalité du confinement, l’absence de bases légales pour limiter des libertés individuelles, la violation des libertés publiques constitutionnelles fondamentales, et que les ministres comme le premier d’entre eux seront poursuivis. D’autant plus que l’on a relâché des prisons par anticipation 10.000 condamnés…
Ce qu’on retient de cette absence de civisme-qui est une tendance lourde de notre société- c’est que beaucoup de gens doutent de la parole publique et ce n’est pas nouveau. Ces citoyens qui ne savent pas bien ce que cette conquête sociale veut dire, considèrent que le civisme est une notion à option au choix, qui n’est valable que si elle leur rapporte personnellement un avantage. C’est donc un droit individuel et pas un devoir au bénéfice de l’intérêt collectif.
Or la loi et les mesures contraignantes qui en découlent souvent sont l’émanation de la volonté générale, ont des motifs sérieux et servent à tout le monde. Je ne prétends que tout est parfait, que nos parlementaires ont la science infuse, que le pouvoir exécutif ne commet ni erreurs ni fautes, ou qu’il fait des choix merveilleux où il n’y a que des gagnants, y compris pour ceux qui attendent tout sans faire le moindre effort ne serait-ce que moral, ou qui ont des stratégies particulières. Je ne suis pas naïf et je connais un peu les jeux du pouvoir et de la politique sans oublier l’appétit de la finance mondialisée.   
Mais la société ce qu’on appelle la communauté nationale va au-delà des obligations structurelles et à court terme. La nation ne se résume pas à faire confronter ou cohabiter les individus et les groupes ; à créer volontairement des inégalités ; à poursuivre tel ou tel par principe ; à écarter tel autre ; à favoriser certains ; à faire exploiter le plus grand nombre au profit d’une minorité ; à comploter pour tout et rien ; à provoquer la division … Je crois au contraire en l’union des différences au service d’un destin commun, dans notre démocratie, notre état de droit, nos institutions, nos élections libres, notre parlement, notre justice, sous l’œil attentif et critique des médias donc de l’opinion publique qui est prompte à s’enflammer puis de passer aussi vite à autre chose. Les idoles sont déboulonnées à peine écloses.  Certes il y des manques et des insuffisances car nous ne sommes que des hommes et des femmes avec nos qualités et nos défauts. Dieu s’il existe a été remplacé par ceux qu’il a créés.
 Mais comparons-nous avec les autres peuples sur la planète, voyons comment nous 5ème puissance du monde nous réagissons : les USA pays le plus riche du globe est celui qui est le plus atteint par le coronavirus. La Chine d’où vient la maladie, a mis les genoux à terre. Les autres pays européens et la Russie essaient de limiter les dégâts. Je ne veux pas évoquer le sort dramatique de nos frères africains, et celui de ceux très nombreux qui en plus sont en guerre ou soumis à des violences internes et qui ajoutent de la souffrance à leurs malheurs. 
Et on se plaint du confinement certes désagréable mais il y a pire comme punition.  On fait le scandalisé, on tord du nez alors qu’on évoque le tracking un repérage électronique permanent à l’étude dont il va falloir bien baliser l’utilisation si c’est décidé et que on (mais qui est « on » ?) sait tout de nous par les informations confidentielles voire intimes que nous diffusons volontairement sur les réseaux sociaux, avec le suivi par les g.p.s , nos cartes bancaires, la sécurité sociale, les impôts… On crie au flicage et à un manque de liberté parce qu’il faut remplir une malheureuse feuille de papier, un papelard où il suffit de cocher une case et d’être sincère voire vraisemblable ! Mais être civique c’est aussi faciliter l’action de l’Etat qui est une entité abstraite, mais qui est chacun de nous tout simplement, et c’est naturel et simple comme de dire bonjour sans s’approcher pour se toucher la main ou s’embrasser. On n’en meurt pas, on n’est pas marqué à vie.
Le civisme c’est le respect du citoyen pour la collectivité dans laquelle il vit et de ses conventions dont la loi, qu’elle satisfasse ou pas. Ce n’est pas du simple savoir- vivre ou de la civilité qui relèvent du respect d’autrui dans le cadre de rapports privés. Le civisme c’est de la citoyenneté. Expliquons par un contre- exemple d’actualité classique (au-delà de la polémique sur le 1er tour récent en France des municipales) : ne pas aller voter, s’abstenir alors que dans le monde les citoyens se battent physiquement pour avoir le droit concret de voter c’est de l’incivisme, qui est d’ailleurs sanctionné dans des pays démocratiques !  Et après on hurle que c’est un scandale si le 2è tour des municipales ne peut avoir lieu ! Sic transit gloria mundi.
Dans sa réflexion sur le rapport critique à l’Etat le philosophe américain John Rawls (1921-2002) dans ses ouvrages sur « la théorie de la justice » et « la justice comme équité » rappelle l’histoire de la désobéissance civile (que certains en France appliquent comme les zadistes de notre- dame- des landes). Il croit en un système de coopération : « ceux qui s’engagent dans la coopération sociale choisissent ensemble par un acte collectif, les principes qui doivent fixer les droits et les devoirs de base, ce qui détermine la répartition des avantages sociaux ». On ignore contingences et inégalités.  C’est une situation idéale. Un égale un.
Le civisme est une valeur fondamentale de la république, comme la fraternité que le conseil constitutionnel vient de porter au panthéon des principes fondamentaux. 
Alors soyons civique cela ne coûte rien. Confinons-nous, protégeons les autres, et attendons le déconfinement avec les seniors dont je suis car j’ai le droit d’exister librement même avec un contrat de vie à durée relativement déterminée.
Le civisme ne peut être selon notre bon vouloir. Comme il y a des intermittents du spectacle qui voudraient bien travailler tous les jours pour nous cultiver et nous distraire, il ne peut y avoir des intermittents de la citoyenneté, qui n’usent du civisme que lorsque cela les arrange.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire