Du
civisme selon notre bon vouloir.
Par Christian FREMAUX avocat
honoraire
« Confinée,
confinée, est-ce que j’ai une gueule de confinée » aurait peut- être dit
Arletty si elle était encore en activité en se promenant sur la passerelle au-
dessus du canal saint martin à paris allant vers l’hôtel du nord, alors qu’elle
serait contrôlée par un agent de police à vélo dans le cadre des mesures
sanitaires actuelles ? Le cinéma permet tous les rapprochements même les
plus improbables.
Tout le
monde a une bonne raison pour sortir de son domicile et s’exposer au
coronavirus qui ne distingue pas ceux qui sont de bonne foi et les autres. Dans
un sketch célèbre, Coluche accompagné de sa femme et de son chien est dans sa
voiture et peste coincé dans les embouteillages. Il dit avec son langage
direct : « mais où ils vont tous ces cons-là ? Nous on se
le demande avec ma femme, car nous on va chez sa mère ! ». Le confinement
me donne l’occasion de parler de civisme et de déplorer de façon générale que nous manquions du sens de la
responsabilité, c’est -à -dire de ce que l’on doit aux autres. J’espère que l’épreuve que nous subissons
nous conduira à être dans tous les domaines et notamment celui de la démocratie
et de la solidarité, moins désabusé, moins cynique, moins égoïste : on
peut rêver. Il faut y croire.
Selon les
dernières statistiques, il y aurait eu 11 millions de contrôles pour vérifier
les attestations de déplacement dérogatoire qui auraient entrainé près de
800.000 infractions constatées pour l’instant à 3 semaines du 11 mai ce qui est
beaucoup dans un pays d’environ 47 millions de majeurs électeurs, et des
centaines de gardes à vue (on parle de 1700 !) pour ceux ou celles qui ont
franchi la ligne rouge ou que le comportement a été outrageant voire violent.
Les tribunaux ont été saisis et déjà des peines de prison ferme ont été
prononcées. C’est un début, mais ne continuons pas le combat pour paraphraser
mai 68.
Il faudra
dresser quand on aura envie de rire, le bêtisier des excuses proférées avec
impudence pour prétendre que l’on est en règle : c’est à pleurer et par
moment surréaliste. Il faut aussi préciser pour être juste que parfois l’agent
verbalisateur a eu une interprétation très personnelle voire ridicule des
consignes. Les juges trancheront.
Je n’accuse
pas ce n’est pas ma tendance et je suis avocat, mais comme citoyen je constate
que des habitants de certains quartiers mettent moins de bonne volonté que
d’autres pour respecter la règle du confinement sous des prétextes
vaguement sociaux, de manque d’espace chez eux, ou culturels au sens large pour
ne stigmatiser aucune croyance voire tout simplement parce qu’ils n’acceptent
par principe aucune autorité serait- elle sanitaire pour les préserver eux ou
leur famille et que tout contrôle est considéré comme une agression et une
discrimination qui méritent des représailles. C’est un débat récurrent sur la sécurité
qui se poursuit et qu’il faudra bien régler un jour, sauf à baisser les bras
définitivement, laisser faire, donner toujours plus, et prier pour ceux qui
croient que rien n’arrivera, ni émeutes, ni revendications ni désordres, avec la
disparition des trafics ! Puisque on dit que rien ne sera comme avant,
faisons- en sorte que cela ne soit pas qu’une parole verbale.
Tout ceci
est un problème de civisme, ce vieux mot qui n’a pas encore pénétré le nouveau
monde - qui est mal en point ce jour - promis par notre jeune président qui se
bat dans la tourmente comme il peut soyons honnêtes, surtout que l’Etat a
montré des carences et que les médecins et divers experts ne sont pas unanimes
sur les solutions à choisir.
Selon ceux
que je critique, la loi est faite seulement pour les autres « puisque elle
a été élaborée et votée par des élites que je déteste, les parlementaires que
je ne reconnais pas et pour qui je ne me suis pas déplacé pour mettre mon
bulletin de vote dans l’urne et que je
soupçonne de n’en faire qu’à leur profit, en nous méprisant sans nous donner
nos chances » (sic selon moi). Pour ceux qui ne veulent faire aucun acte
civique l’Etat est en faute :il n’a fourni ni masques, ni gel, et il
n’y a aucune raison individuelle de respecter un confinement arbitraire dont
l’efficacité n’est pas prouvée. D’autant plus que les médicaments seraient pour
des privilégiés les riches ou les proches du docteur Raoult… On n’est donc pas
civique pour des raisons que l’on estime justes et vraies bien que théoriques
et non prouvées bien sûr. Le soupçon
fait office de certitudes et de prétexte pour être rebelles. On a les exploits
que l’on peut !
Pour les délinquants occasionnels (parfois avec casier
judiciaire quand même) se croyant légalistes
et dans leur bon droit , ils ajoutent
que les avocats quand ils reprendront le chemin de leurs cabinets et des palais
de justice, plaideront avec des arguments de droit que je ne développe pas, la
nullité des poursuites, l’illégalité du confinement, l’absence de bases légales
pour limiter des libertés individuelles, la violation des libertés publiques
constitutionnelles fondamentales, et que les ministres comme le premier d’entre
eux seront poursuivis. D’autant plus que l’on a relâché des prisons par anticipation
10.000 condamnés…
Ce qu’on
retient de cette absence de civisme-qui est une tendance lourde de notre
société- c’est que beaucoup de gens doutent de la parole publique et ce n’est
pas nouveau. Ces citoyens qui ne savent pas bien ce que cette conquête sociale veut
dire, considèrent que le civisme est une notion à option au choix, qui n’est
valable que si elle leur rapporte personnellement un avantage. C’est donc un
droit individuel et pas un devoir au bénéfice de l’intérêt collectif.
Or la loi et
les mesures contraignantes qui en découlent souvent sont l’émanation de la
volonté générale, ont des motifs sérieux et servent à tout le monde. Je ne
prétends que tout est parfait, que nos parlementaires ont la science infuse,
que le pouvoir exécutif ne commet ni erreurs ni fautes, ou qu’il fait des choix
merveilleux où il n’y a que des gagnants, y compris pour ceux qui attendent
tout sans faire le moindre effort ne serait-ce que moral, ou qui ont des stratégies
particulières. Je ne suis pas naïf et je connais un peu les jeux du pouvoir et
de la politique sans oublier l’appétit de la finance mondialisée.
Mais la
société ce qu’on appelle la communauté nationale va au-delà des obligations
structurelles et à court terme. La nation ne se résume pas à faire confronter
ou cohabiter les individus et les groupes ; à créer volontairement des
inégalités ; à poursuivre tel ou tel par principe ; à écarter tel
autre ; à favoriser certains ; à faire exploiter le plus grand nombre
au profit d’une minorité ; à comploter pour tout et rien ; à
provoquer la division … Je crois au contraire en l’union des différences au
service d’un destin commun, dans notre démocratie, notre état de droit, nos
institutions, nos élections libres, notre parlement, notre justice, sous l’œil attentif
et critique des médias donc de l’opinion publique qui est prompte à s’enflammer
puis de passer aussi vite à autre chose. Les idoles sont déboulonnées à peine
écloses. Certes il y des manques et des insuffisances
car nous ne sommes que des hommes et des femmes avec nos qualités et nos défauts.
Dieu s’il existe a été remplacé par ceux qu’il a créés.
Mais comparons-nous avec les autres peuples
sur la planète, voyons comment nous 5ème puissance du monde nous
réagissons : les USA pays le plus riche du globe est celui qui est le plus
atteint par le coronavirus. La Chine d’où vient la maladie, a mis les genoux à
terre. Les autres pays européens et la Russie essaient de limiter les dégâts.
Je ne veux pas évoquer le sort dramatique de nos frères africains, et celui de
ceux très nombreux qui en plus sont en guerre ou soumis à des violences
internes et qui ajoutent de la souffrance à leurs malheurs.
Et on se
plaint du confinement certes désagréable mais il y a pire comme punition. On fait le scandalisé, on tord du nez alors
qu’on évoque le tracking un repérage électronique permanent à l’étude dont il
va falloir bien baliser l’utilisation si c’est décidé et que on (mais qui est
« on » ?) sait tout de nous par les informations confidentielles
voire intimes que nous diffusons volontairement sur les réseaux sociaux, avec
le suivi par les g.p.s , nos cartes bancaires, la sécurité sociale, les impôts…
On crie au flicage et à un manque de liberté parce qu’il faut remplir une
malheureuse feuille de papier, un papelard où il suffit de cocher une case et
d’être sincère voire vraisemblable ! Mais être civique c’est aussi
faciliter l’action de l’Etat qui est une entité abstraite, mais qui est chacun
de nous tout simplement, et c’est naturel et simple comme de dire bonjour sans
s’approcher pour se toucher la main ou s’embrasser. On n’en meurt pas, on n’est
pas marqué à vie.
Le civisme
c’est le respect du citoyen pour la collectivité dans laquelle il vit et de ses
conventions dont la loi, qu’elle satisfasse ou pas. Ce n’est pas du simple
savoir- vivre ou de la civilité qui relèvent du respect d’autrui dans le cadre
de rapports privés. Le civisme c’est de la citoyenneté. Expliquons par un contre-
exemple d’actualité classique (au-delà de la polémique sur le 1er
tour récent en France des municipales) : ne pas aller voter, s’abstenir alors
que dans le monde les citoyens se battent physiquement pour avoir le droit
concret de voter c’est de l’incivisme, qui est d’ailleurs sanctionné dans des
pays démocratiques ! Et après on
hurle que c’est un scandale si le 2è tour des municipales ne peut avoir
lieu ! Sic transit gloria mundi.
Dans sa
réflexion sur le rapport critique à l’Etat le philosophe américain John Rawls
(1921-2002) dans ses ouvrages sur « la théorie de la justice » et « la
justice comme équité » rappelle l’histoire de la désobéissance civile (que
certains en France appliquent comme les zadistes de notre- dame- des landes). Il
croit en un système de coopération : « ceux qui s’engagent dans
la coopération sociale choisissent ensemble par un acte collectif, les
principes qui doivent fixer les droits et les devoirs de base, ce qui détermine
la répartition des avantages sociaux ». On ignore contingences et
inégalités. C’est une situation idéale. Un
égale un.
Le civisme
est une valeur fondamentale de la république, comme la fraternité que le
conseil constitutionnel vient de porter au panthéon des principes
fondamentaux.
Alors soyons
civique cela ne coûte rien. Confinons-nous, protégeons les autres, et attendons
le déconfinement avec les seniors dont je suis car j’ai le droit d’exister
librement même avec un contrat de vie à durée relativement déterminée.
Le civisme
ne peut être selon notre bon vouloir. Comme il y a des intermittents du
spectacle qui voudraient bien travailler tous les jours pour nous cultiver et
nous distraire, il ne peut y avoir des intermittents de la citoyenneté, qui
n’usent du civisme que lorsque cela les arrange.
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