L’ACTUALITE DU PREMIER SEMESTRE 2016
VUE…
Par Christian FREMAUX 2ème promotion 1991,président
d’honneur de l’ANA-INHESJ.
Avertissement :
cet article a été rédigé pour L’AUDITEUR le bulletin de liaison de
l’association nationale des auditeurs de l’INHESJ et paraîtra en septembre 2016.
L’actualité
est si abondante qu’il faut faire des impasses et des choix arbitraires pour
essayer de rendre compte du climat général, social, culturel ou politique, des faits divers tragiques, des réflexions
sur notre société, et tirer quelques
leçons de ce qui arrive. Je sais que je serai insuffisant et partial, et
je prie les éminents auditeurs de l’ANA, eux spécialistes des questions que
j’aborde, de me pardonner. Je leur rappelle que les colonnes de cette revue
leur sont grandes ouvertes pour qu’ils publient des articles de fond ou
d’humeur sur tout sujet qui se rapporte aux préoccupations de l’institut :
la sécurité au sens large et la justice.
Nous avons
été submergés par les inondations, qui sont aussi des problèmes de sécurité,
car la nature est toujours plus forte que l’homme, et les experts avaient signalé depuis longtemps
l’hypothèse de crues dangereuses. Certes les responsables, élus, techniciens,
ingénieurs, météorologues et l’ETAT avaient
fait des répétitions de coordination des secours ; d’évacuation des
populations ; de l’accueil des sinistrés… mais ce risque majeur l’est
demeuré. Il y a eu des victimes, et des dégâts considérables-qui durent- et il
va falloir réparer, et redonner espoir à ceux qui ont tout perdu. La solidarité
joue à plein ce qui est une donnée essentielle
en matière de sécurité, comme
pour les victimes d’attentats ou de crimes atroces, ou pour tout accident de la
vie .C’est le rôle de l’ETAT de l’assurer -et je ne doute pas que le gouvernement
s’y consacre- et s’il doit revoir son périmètre d’actions, se resserrer sur ses
missions régaliennes nous n’échapperons
pas à un débat dont la prochaine campagne présidentielle et législative devra
donner lieu à une nécessaire clarification et modification de son rôle. L’ETAT
providence n’est plus ; l’ETAT qui fait tout et dont on attend tout est
épuisé ; L’ETAT qui prend des décisions de sa hauteur est discuté, chacun
veut participer à ce qu’il estime le concerner. Mais l’autorité, celle qui ne
se confond pas avec l’autoritarisme, mais celle qui fait fonctionner les
institutions et assure la cohésion de l’ensemble et réunit les contraires, doit
être renforcée et réellement exercée
avec fermeté, après débat
contradictoire car elle est légitime dans
une démocratie où chacun a le droit de
s’exprimer et de revendiquer, mais pas celui de nuire aux autres, ou être une
minorité qui prétend détenir la vérité et
vouloir faire le bonheur de la majorité silencieuse qui respecte le
verdict des urnes(quoiqu’elle pense), sans en avoir reçu un mandat
indiscutable. Confisquer l’intérêt général au profit d’intérêts
particuliers n’est un progrès pour
personne et crée un climat de défiance généralisée et de tension entre catégories
sociales et professionnelles qui va à l’encontre de l’union dont nous avons
besoin. Il faut en effet ne jamais oublier que nous sommes dans un état
d’urgence pour des raisons que chacun connait, et les morts du Bataclan comme
ceux de Charlie hebdo, ou les deux policiers de MAGNANVILLE nous rappellent chaque jour les menaces qui
pèsent sur chacun d’entre nous .Pour tenter d’apaiser les esprits et le climat,
le président de la république a rappelé la parole de l’ancien secrétaire
général du parti communiste, Maurice THOREZ : « il faut savoir
terminer une grève » et le 1er ministre a appelé à la
responsabilité de la CGT en particulier .Défendre les travailleurs c’est
bien mais respecter la nation et l’intérêt collectif c’est mieux !
Ce qui me
chagrine ce sont les divers mouvements
dits spontanés, pseudo révolutionnaires (SIC) qui veulent changer la vie
des autres à partir de leurs rejets, de leurs croyances ou utopies en s’opposant
par la violence s’il le faut, en croyant être des vigies du bien ou des lumières qui éclairent le peuple. Ce sont
en réalité des lumignons .Par exemple, les zadistes-pour zones à défendre (contre
qui et quoi ?)-, ou les militants de nuit debout qui squattent l’espace
public sans aucune poursuite de personne a priori, narguent l’état de droit et
font douter l’ensemble des citoyens qui eux respectent les lois et croient
au système représentatif et aux corps intermédiaires même s’il faut en
revoir les modalités. Les casseurs en profitent : on les voit à la
télévision attaquer policiers et
gendarmes qui font ce qu’ils peuvent, en respectant les consignes de leurs
ministres de se défendre avec modération
et de ne pas faire y compris involontairement
de victimes, eux-mêmes ayant des dizaines voire des centaines de blessés
parfois grièvement. Il faut désormais sécuriser les manifestations, seraient-elles
statiques ou tournant en rond- ce qui d’ailleurs me parait être de la
responsabilité première des
organisateurs. On s’interroge : tout ceci aura-t-il une fin , et
une fin telle qu’on la souhaite : que la loi soit respectée, que les
délinquants soient jugés et punis, et que le dialogue démocratique reprenne et
aboutisse surtout. On le sait, nos forces de l’ordre sont républicaines et
elles accomplissent leur devoir délicat avec réflexion et prudence. Mais les images parlent
d’elles mêmes : elles ont un droit légitime à se protéger et à agir. L’affiche de la C.G.T. qui stigmatise les prétendues « violences
policières » – que M.MARTINEZ approuve sans émotion- ne mérite pas qu’on
la trouve simplement scandaleuse ou inacceptable, ces termes étant galvaudés
car trop utilisés. Mais elle est symptomatique de l’état d’esprit de certains
syndicalistes qui confondent lutte musclée au service d’une politique, avec la
volonté de ne pas participer au progrès social par le compromis et le
gagnant-gagnant. Comme l’écrit Raphael ENTHOVEN [philosophie magazine n°96
février 2016] : « le vivre ensemble est un slogan
creux censé incarner la paix sociale. Mais gare à ceux qui refusent de s’y
plier .Il leur sera rappelé que c’est la force qui fait le trait d’union et non
l’inverse ».Pour M .ENTHOVEN le vivre-ensemble est le pire du bien. Tout
ne peut, et ne doit pas être un rapport de force sinon l’escalade est sans fin.
De même certains étudiants de
l’UNEF qui ne veulent pas avoir à travailler comme papa ou plutôt comme papy, et
ont comme horizon intellectuel l’octroi d’un CDI ! alors qu’il serait plus enthousiasmant qu’ils
se lancent dans la création d’entreprise, finiront par devenir des apparatchiks politiques après
avoir dénoncé la violence de l’ETAT
et l’emploi du fameux article 49-3 de la
Constitution, ce qui serait une atteinte à un vrai débat démocratique. A quoi
servent donc la Constitution et un gouvernement composé d’élus, avec des
parlementaires, même si on ne partage pas leur politique? L’Etat semble
débordé et renoncer facilement et c’est une des raisons du climat morose
au-delà de l’amélioration économique que
l’on nous annonce-on veut y croire- mais qui n’a pas encore atteint le
portefeuille du particulier.
Il ne s’agit
pas de faire du maintien de l’ordre un objectif en soi ce qui n’aurait aucun
sens comme la répression sans prévention n’aboutit à rien. On a bien compris
que notre société avait évolué, que nos
valeurs républicaines traditionnelles avaient ni le même écho ni la même portée
sur une partie de la population, que l’on avait changé d’époque et que
l’urgence était la norme avec des résultats immédiats, et que les solutions du
passé étaient obsolètes. Il faut s’y résoudre : notre modèle social,
universel a « craqué » et il
faut en inventer un autre tout en gardant notre socle, nos principes et nos
institutions même s’il faut les moderniser vers plus de dialogue horizontal et de consensus après discussions
contradictoires limitées dans le temps car il faut savoir trancher. Vouloir une
VI ème république sans la définir et sans en préciser le contenu ne sert à rien
car la démocratie à la grecque ancienne ne peut exister : l’agora ne peut
contenir 66 millions de citoyens qui prendront en commun la solution qui
conviendra à tous. Et s’il faut une nouvelle nuit du 4 août pour abolir les
privilèges que l’on vise tout le monde, politiques, syndicats, élus divers,
salariés aux régimes spéciaux…en renouvelant les élites dans tous les domaines
sans en faire non plus une posture. Des anciens avec de l’expérience peuvent
continuer à être utiles ! En 68 il
y avait eu une révolte contre la société de consommation. Pierre VIANSSON-PONTE
en titre du Monde écrivait : « la France s’ennuie ». En mai
c’était l’explosion, et en juin les étudiants passaient leurs examens. Nous
sommes en 2016 dans le cadre de la mondialisation qui existe, que l’on le
veuille ou non, et nous devons bâtir une société nouvelle dans un cadre où les
menaces de l’extérieur comme de l’intérieur existent, où la sécurité de tous
est une préoccupation majeure, l’état d’urgence n’étant pas éternel, et où
personne n’a la solution miracle pour satisfaire toutes les revendications
légitimes ou non, et contradictoires. Il va donc falloir définir le possible dans
un cadre budgétaire contraint, et la démocratie dite participative a ses
limites. THOMAS MORE lord chancelier d’Angleterre au milieu de 16ème
siècle a théorisé l’utopie, mais il a mal fini. Pierre DAC a
écrit : « si tous ceux qui croient avoir raison n’avaient pas
tort, la vérité ne serait pas loin ». N’attendons pas tout de l’ETAT qui
est désargenté et essayons de nous ressaisir collectivement en mesurant nos
exigences et abandonnons les prétendues « luttes » (vocabulaire
du 19ème siècle) pour aller vers des formes moins
nuisibles des actions entreprises pour ceux qui subissent ,des débats plus
sereins tout en défendant ses intérêts ce qui est naturel. Laissons l’ETAT se
consacrer à ses fonctions régaliennes ,
fixer le cadre, définir les objectifs à moyen ou long terme, et assurer la
cohésion sociale, sans remettre en cause les institutions ou les décisions
prises démocratiquement. Des minorités ne peuvent pas imposer leurs visions des
dossiers .Dans quelques mois les élections permettront de définir les réformes
indispensables et les faire valider par le suffrage universel. Il ne s’agira
pas de réenchanter le rêve devenu cauchemar parfois. Par un mandat clair donné
aux dirigeants, il faudra redresser le
pays et lui donner de l’espoir en le faisant entrer dans la modernité de ce
siècle pour que chacun retrouve une chance de réussir ou de vivre avec dignité.
A chacun de nous d’être responsable et de ne pas se perdre dans un vote de
rejet ou des projets qui ne rassemblent pas…La sécurité et la justice qui sont
intimement liées dans le processus pénal seront au centre des débats :
qu’acceptons-nous comme limitation-raisonnée- de nos libertés au profit de la
sécurité générale notamment dans la lutte contre le terrorisme et la
délinquance sous toutes ses formes ? Quel rôle voulons nous pour les
magistrats, protecteurs des libertés individuelles de par la
Constitution : doivent ils être plus indépendants avec comme corollaire
une responsabilité personnelle possible ? Quelle est la place de la
Justice dans l’état de droit ?...
TERRORISME ET JUSTICE EN GENERAL
La Belgique
a été frappée à son tour au cœur de sa capitale BRUXELLES siège de l’UNION
EUROPEENNE ce qui est aussi un symbole, avec une trentaine de morts et des
centaines de blessés. Personne, aucun pays n’est à l’abri de tels attentats
.Selon Mathieu GUIDERE islamologue et spécialiste du monde arabe et musulman,
l’arrestation de SALAH ABDESLAM a sûrement précipité les opérations qui étaient
prévues de longue date. La France s’est émue, mais cela n’a pas empêché le
projet de déchéance de nationalité de ne
pas être soumis au vote du congrès .Ce qui n’a pas permis au passage de
« constitutionnaliser » l’état d’urgence pour lui donner une assise
légale plus solide et donner des armes de droit aux forces de l’ordre et de
renseignement, ainsi qu’aux magistrats qui appliquent la loi. C’est un acte manqué !
Certains d’ailleurs estimaient que « l’état d’urgence -mesure d’exception-doit
rester dans le domaine de la loi comme
la déchéance de nationalité doit rester dans le code civil. Les banaliser n’est
pas un progrès pour la démocratie »
[M. Olivier BEAUD professeur à Paris II Panthéon- Assas. Le MONDE du
2 /12/15]. Ce n’est pas mon avis mais je ne suis qu’un modeste
avocat…honoraire.
Le droit est
un moyen cependant , par exemple pour la
ligue des droits de l’homme qui avait saisi le juge des référés du CONSEIL D’ETAT
pour solliciter la suspension de l’état d’urgence ou « ordonner au
président de la république d’y mettre fin ». On mesure l’impartialité réelle de ladite ligue et son insolence à
donner des injonctions au président de la république. Le CONSEIL d’ETAT n’a pas
fait droit à la demande de suspension en rappelant que c’est la loi qui a
décidé de la prorogation ; concernant l’injonction au président, le juge
des référés a estimé que le péril imminent justifiant l’état d’urgence n’avait pas disparu compte
tenu de la menace terroriste et du risque d’attentats. Le CONSEIL D’ETAT a donc
rejeté la requête de la ligue des droits de l’homme qui n’a pas de
responsabilité concrète en matière de sécurité, selon moi, en jugeant qu’il n’y
avait pas d’atteinte grave et manifestement illégale d’une liberté
fondamentale. Le bon sens a rejoint le droit, il faut s’en réjouir. Certes le
bilan de l’état d’urgence en février 2016 est mitigé [LE MONDE 26 février 2016
page 9].Sur 3397 perquisitions à l’époque, il y a eu 5 procédures pénales
ouvertes par le parquet anti-terroriste de PARIS. On a découvert 587 armes dont
42 de guerre, et 254 affaires de stupéfiants. Le bilan s’est aggravé à fin juin
2016. Au-delà des chiffres le signal est fort. On a compris que rien ne serait
oublié et que tous les criminels potentiels sont dans le « viseur ».
Pour
respecter l’état de droit que ce gouvernement a comme marqueur affiché, le
ministre de l’intérieur a abrogé de sa propre initiative plusieurs dizaines
d’assignations à résidence. Cela n’a pas empêché des assignés
de déposer plainte (pénale) contre M . Bernard CAZENEUVE et son délégataire « pour atteinte à la
liberté individuelle ». L’avocat que je suis aime que l’on saisisse la
justice pour faire reconnaitre ses droits : mais le citoyen qui est en moi
considère qu’il faut savoir s’empêcher c’est-à-dire ne pas se laisser conduire
par ses pulsions et passer inconsidérément
à l’acte, comme le disait Albert CAMUS,
face à des périls graves. Concernant le terrorisme il s’agit de déceler
les moindres menaces et d’identifier les attentats en préparation. Comment
faire ? ALAIN BAUER et XAVIER RAUFER tous deux éminents criminologues ont
donné des pistes ; [LE FIGARO du 20 novembre 2015 débats page 20] : « la
dimension criminelle est prépondérante dans ce déchainement terroriste. (la
réponse) est le décèlement précoce des dangers et des menaces… le
renseignement est à la fois collecte, la
plus ouverte possible, analyse la plus précise possible. Tant que la phase deux
restera aussi faible, la chaine anti-terroriste sera fragile ». Avec
l’arrestation de SALAH ABDESLAM , Alain BAUER rappelait l’importance du
renseignement humain [la revanche de la
POLICE DE PAPA le FIGARO du 21/3 /2016 page 18]. Il écrit : « la
revanche de la police de papa montre
clairement qu’il est indispensable désormais de savoir REEQUILIBRER le
renseignement humain pour lui redonner sa place. Si l’imam Youtube reste un
danger puissant il va falloir se résigner à admettre que ce n’est pas
l’inspecteur Google seul qui réussira à protéger les citoyens ».
Le
gouvernement a réfléchi à des pouvoirs de police renforcés dans le cadre d’une
réforme de la procédure pénale. La polémique a aussitôt éclaté .Le garde des
sceaux M.URVOAS a expliqué le projet au Sénat le 29/3/2016 en insistant sur la
cohérence de notre dispositif anti-terroriste. Parmi les mesures en discussion
on trouve les perquisitions de nuit et
les fouilles de véhicules facilitées ; les règles de la légitime défense
très encadrées devraient être élargies ; l’utilisation de l’arme justifiée
quand elle correspond à une absolue nécessité (jurisprudence de la chambre criminelle
d’ailleurs) à l’encontre de criminels. TRACFIN va devenir pro-actif dans la
lutte contre le blanchiment. Les réactions de ceux qui veulent protéger à juste
titre les libertés individuelles et que l’on ne profite pas des menaces pour
favoriser l’ETAT et ses services n’ont pas tardé. Les avocats sont globalement
contre, comme des magistrats et des défenseurs des libertés. Mais le
gouvernement affirme n’avoir pas l’intention de modifier la philosophie de la
procédure pénale. Son projet conserve la garantie des droits de la défense, en
l’accentuant : le débat sera désormais contradictoire pour les enquêtes
préliminaires qui durent plus d’un an : l’avocat pourra intervenir et
déposer des recours… Attendons le texte définitif pour juger.
Les
magistrats de l’ordre judiciaire ont peu apprécié le projet de réforme pénale
non pas sur le fond, mais parce qu’ ils ont le sentiment que l’on veut les
éloigner de ce qui est le cœur de leur métier et de leur responsabilité en
matière pénale . Le premier président de la cour de cassation M.LOUVEL s’est demandé « pourquoi
l’autorité judiciaire est-elle écartée ? » au profit de
l’administration , des préfets en particulier ? M.Pascal GASTINEAU
président de l’association française des magistrats instructeurs estime que le
texte « est la chronique de la mort annoncée du juge
d’instruction ».Selon lui ce seront désormais les parquets (les procureurs qui ont un lien
avec le pouvoir exécutif rappelons-le) qui auront compétence en matière de sonorisation, captation
d’images ou perquisitions de nuit en ce qui concerne le terrorisme, la
criminalité et la délinquance organisée. Or ces deux incriminations concernent
80% des affaires que traitent les juges d’instruction. M.GASTINEAU
rappelle que la Cour Européenne des
droits de l’homme à STRASBOURG a
contesté le statut de « magistrats indépendants » des procureurs.
M.CAZENEUVE et Mme TAUBIRA ont contesté cette analyse [LE MONDE du 8/1/2016
page 13].On ne peut douter que les intérêts des uns et des autres seront
préservés, car tout le monde défend le bien commun avec la meilleure efficacité
dans le respect du citoyen et au service de la société .Mais il y a une
question de principe. Les magistrats judiciaires ont la charge de la protection
des libertés individuelles. Personne ne met en doute les compétences et
l’éthique des juges administratifs ni leur liberté : ils ont annulé des
dispositions prises par le préfet de police et contrôlent les actes
administratifs, le CONSEIL d’ETAT ayant dans ses fonctions celle de conseil
juridique du gouvernement. Nous avons besoin d’une justice forte, reconnue
comme un arbitre impartial, surtout par ces temps de difficultés dans tous les domaines, indépendante de tout groupe
de pression et ne recevant pas d’instructions (ce qui est déjà le cas) ou de recommandations
, qui ne peut pas se confondre avec l’administration au sens large, donc au
pouvoir exécutif, ce que les citoyens dénoncent ,eux qui veulent être rassurés
se sachant justiciables potentiels, on ne connait pas son avenir.
La justice
en général est en faillite je parle des juridictions bien sûr. Le ministre de
la justice a eu le courage de le dire et il a raison. M.URVOAS essaie avec
détermination de donner les moyens à nos magistrats pour agir avec fermeté, individualisation,
efficacité et rapidité si possible. Je n’évoque pas ici les problèmes des justices civile, sociale,
commerciale qui intéressent plus le justiciable, que la justice pénale avec le
terrorisme qui fait la une des médias. Le sort du « criminel » est
certes intéressant mais ce sont les victimes qui comptent .On se focalise avec
justesse, mais c’est un peu réducteur de notre société, sur la sécurité donc
l’aspect pénal de la justice et avec le terrorisme sur les prisons où certains se radicalisent, et sur le suivi
des délinquants qui ont purgé leur peines pour les empêcher de récidiver ou de
passer à un autre type d’actions. L’exemple de LAROSSI ABBALA qui a tué au
couteau, seul, le couple de policiers de MAGNANVILLE, ce qui a entrainé une
vague d’indignations et pointé du doigt les risques personnels que supportaient
policiers et gendarmes, est frappant puisqu’il a échappé aux radars policiers,
était sous écoute téléphonique, et qu’il a pu malgré cette surveillance tuer en
toute tranquillité. Il va donc falloir prendre des mesures plus contraignantes
ce qui est aussi un problème de budget .Le garde des sceaux, maintenant et plus
tard devra être un sacré bon avocat pour contraindre le gouvernement à avoir
une réflexion d’ensemble sur la place de la justice dans notre société et la nécessité
d’en avoir les moyens.
Devra
s’ajouter au débat le rôle de l‘autorité
en général, de l’ETAT d’abord, mais aussi dans toutes les institutions, je
pense à l’école, à l’université… basée sur des valeurs de fond, et sur
l’utilité des décisions légitimement prises pour éviter recul ou dérobade.
Je vise la décision de l’exécutif qui a
contredit le préfet de police qui avait interdit la manifestation du 24
juin : cela fait désordre. Tout cela rejoint l’impératif moral, le juste
ou le bien [lire Michael SANDEL professeur à HARVARD sur la justice].
DES HOMMES ET DES MOYENS EN PLUS
Les
professionnels de la sécurité privée-très sollicités pendant l’EURO de
football- vont s’impliquer et ils se forment pour renforcer les forces de
l’ordre en matière de terrorisme. Notre ami Claude TARLET président de l’USP
explique que son organisation s’est rapprochée de la D.G.S.I.pour mettre en
place un réseau de référents permettant de faire remonter les signaux faibles.
Ces professionnels vont suivre un module de « sensibilisation et de
prévention du terrorisme ».On prévoit 30 000 recrutements. Le
ministre de l’intérieur a précisé que la menace pesait sur l’ensemble du
territoire national, et pas seulement sur Paris ou la région parisienne, que
chacun avait droit où qu’il soit à être protégé. Les brigades anti-criminalité
(BAC) et les pelotons de surveillance et
d’intervention de la gendarmerie (PSIG) demeurent les fers de lance en
attendant l’arrivée de la BRI, du RAID et du GIGN. Tous auront un armement plus puissant et des équipements lourds. Le
service central de renseignement territorial (SCRT ex renseignements
généraux) s’active en province à la recherche des personnes en voie
de radicalisation. Il dispose de moyens pointus
d’interception et ses personnels sont
en contacts étroits avec les services zonaux de recherches et d’appui. Le
renseignement territorial composé de 200 gendarmes va implanter des binômes d’agents en civil au cœur des 75 brigades
territoriales pour endiguer la « gangrène djihadiste »[LE FIGARO C.CORNEVIN
26/2/2016 page 13].Certes l’état islamique attirerait des jeunes en raison du
prétendu « déclin »du modèle occidental ou de ce qui serait la perte
de sens des sociétés modernes et
démocratiques .Des penseurs essaient de justifier l’impensable. M.Scott ATRAN
anthropologue et chercheur à OXFORD et au CNRS estime que le message de DAECH
est porteur d’une utopie : « un changement total, une
construction morale religieuse et métaphysique pour parvenir à un monde
nouveau , joyeux »[LE FIGARO 3 Mai
2016 page 13].C’est peut être vrai sur le plan de l’annonce, et des apparences mais notre société serait
toujours aussi joyeuse malgré ses difficultés,
s’il n’y avait pas de terroristes , de fanatiques divers, d’idéologues
qui n’ont pas retenu les leçons du passé et de criminels patentés sans foi ni
loi. L’opinion de M. ATRAN se discute et pour ma part je crois que ce sont des
prétextes et que DAECH n’a que l’ambition de prendre le pouvoir et d’appliquer
ses règles d’un autre-très ancien –siècle
qui vont à l’encontre de l’ humanisme. C’est tout et encore plus grave,
et nous oblige à trouver un sens à notre combat. Il ne faut donc pas désespérer ni renoncer
même si la lutte sera longue. Nous n’avons pas perdu la guerre des idées ni sur le terrain. Si DAECH revendique les attentats commis sur notre
territoire par des individus isolés (que l’on surnomme trop facilement des
loups solitaires ce qui doit se vérifier) c’est aussi peut être parce que sur
place il stagne : que son pari de créer un Etat islamique pur et dur- sur un sol délimité, avec des
infrastructures pérennes, qui permet d’attirer ceux qui sont en quête d’un
autre sens et qui considèrent que tous
ceux qui ne pensent pas comme eux sont des traîtres, des apostats, ou moins que rien ,des chiens à abattre
(pauvres bêtes ! ) donc des ennemis
à éliminer par tous moyens y compris les plus vils, les plus barbares- n’est
pas gagné. Espérons le. Il appartient aux Etats qui sont visés, à la France en particulier de réfléchir aux
questions de sécurité, à l’économie, à la justice sociale mais aussi aux
valeurs qui fondent une démocratie, à ce qui galvanise les citoyens et donne un
sens à leurs actions voire à leurs sacrifices, au partage, aux destins en
commun, au rejet de la violence quelqu’en soit la cause, à la tolérance avec la
laîcité qui nous caractérise, et au respect de l’autre. Le terrorisme ne
s’arrêtera pas par un coup de baguette magique ou par une loi plus performante
qu’une autre même si on doit réagir ou parce que l’on aura persuadé les
méchants terroristes que leur cause n’est pas juste. Il va falloir vivre avec
les menaces, voire les attentats, et affronter un risque dont on ne connait ni le moment, ni la
forme, ni l’intensité, et gagner les batailles les unes après les autres sans
céder sur les principes. La cohésion et la solidarité sont donc fondamentales
.C’est évidemment facile à écrire car
les conseilleurs ne sont pas les payeurs, et c’est une mission cruciale pour ceux qui ont la charge concrète de
trouver les solutions qui méritent un consensus général, sans clivage et
polémiques de bas étage, en fournissant sans barguigner les moyens. L’égo et
les petites ambitions des uns et des autres sont secondaires comme les petits
arrangements politiques pour conserver ou conquérir le pouvoir, et ne
grandissent personne. Le mal ne se combat pas par un surcroît de lois
répressives même si elles sont nécessaires. Mais par un effort d’éducation et
d’intégration de cultures différentes qui sont compatibles avec notre corpus de
valeurs. Cela signifie que nous avons tous des devoirs et une part de
responsabilité pour tenter de bâtir une société plus fraternelle, ouverte. La sécurité est
l’affaire de tous.
SANS VOULOIR CONCLURE
Le choc est
tel que nous ne savons plus à qui rendre hommage en premier sachant que l’on ne
peut distinguer entre les victimes : aux morts du massacre d’ORLANDO ? à nos deux policiers de MAGNANVILLE
sauvagement assassinés sous les yeux de leur enfant pour ce qu’ils
étaient : les représentants de la loi ? à Mme JO COX députée
travailliste tuée pour ses idées, en
Angleterre berceau des libertés ? On a du mal à imaginer qu’il y ait tant
de haine et de détestation des autres
qui permettent de gommer l’individu
par la violence et de le
considérer comme quantité négligeable en lui prenant la vie. C’est pourtant la
réalité et je crains que cette violence
dénoncée de toute part soit devenue consubstantielle à notre société
contemporaine. Plus on explique ce qu’est le bien ou de ne pas faire le mal c’est plus facile à
comprendre, la tolérance et le respect
de l’autre , moins ce message est entendu. Les hooligans ont sévi à MARSEILLE
pour un simple match de football ; les casseurs ont profité des manifestations
contre une loi, pour dévaster ce qu’ils considèrent être les symboles de ce
qu’ils exècrent (mais qu’aiment-ils et que veulent –ils ?).Des
minorités agissantes défient la république et désignent les forces de l’ordre comme des
provocateurs en estimant que « casser du flic » c’est normal. On
tombe des nues.
M.TREVIDIC
l’ancien juge anti-terroriste qui semble se
morfondre au TGI de LILLE et qui a écrit un livre qui a été primé, s’est
exprimé sur BFM le 17 juin 2016 à 19h10 en rappelant que M.Larossi ABBALA (le
tueur des policiers de MAGNANVILLE) qu’il avait mis en examen , l’avait
inquiété car il n’avait pas trouvé la clef pour commencer un dialogue. Cela ne
rassure pas surtout s’il y a d’autres ABBALA dans la nature.
Notre ami
ALAIN BAUER explique bien le chemin habituel de la petite délinquance à la
criminalité puis le passage au djihad et à l’acte terroriste. Une fois que l’on
connait le processus la question est comment faire en préservant notre état de
droit, les libertés individuelles et publiques, sachant que l’état d’urgence
est provisoire par définition ?. Où faut-il placer le curseur pour qu’il y
ait équilibre entre des exigences qui paraissent contradictoires ? .Le
juge TREVIDIC a évoqué l’insuffisance du quantum des peines et la manière de
suivre un délinquant qui a été condamné. Avant qu’il ne sorte il faut s’en
préoccuper en amont, et éviter qu’il ne se radicalise en prison. M.TREVIDIC
estime que la cour d’assises spéciale devrait jouer un rôle plus grand, et que
correctionnaliser n’est pas suffisant. Selon lui le personnel pénitentiaire qui
est entré dans la collectivité du renseignement
devrait être plus mobilisé .M.TREVIDIC a confirmé que la menace était
élevée, ce que tous les responsables savent, et que les terroristes étaient en
avance car leur imagination débordait et ils n’avaient aucun empêchement moral…L’ancien
juge G .FENECH devenu député veut de son côté durcir les peines. [le
FIGARO 17 juin 2016 page 8] .La police veut tout simplement que la justice
passe.
Tous ces
drames ont un point commun celui de savoir dans quel monde nous voulons vivre,
quelle société équitable nous voulons fonder ou refonder, et quel sens faut-il lui donner ? Je
pense- mais c’est un modeste avis qui ne concerne que moi- qu’il faut revenir à
notre identité, à nos valeurs, à la nation qui est le creuset de tous les
citoyens qui partagent des valeurs en
commun, font des efforts, et n’ont pas l’œil fixé sur la hauteur de PIB même si
celui-ci détermine beaucoup de possibilités, en demandant toujours plus de droits
personnels. La démocratie n’est pas la faiblesse . Démontrons le en
restant dans ce qui fait la force de nos institutions : la république avec ses valeurs dont la sécurité qui nous permet de vivre, et
la justice qui nous permet de faire
reconnaitre nos droits y compris contre l’ETAT, et l’état de droit.
Le
philosophe YVES MICHAUD vient de publier un essai décoiffant « contre la
bienveillance »chez STOCK. Il écrit que nous vivons l’âge de la plainte , et que les bons sentiments qui encerclent la
politique sont repris par les médias mais sont des faux-semblants. Il
conclut : « les individus sont encouragés à s’ériger en victimes…
Le renoncement à la politique compassionnelle permettrait de mener une vraie
politique de justice fiscale, éducative ou sociale qui n’a rien à voir avec la
prise en compte des revendications catégorielles ». Qu’il soit entendu.