jeudi 7 avril 2016

T'AS PAS CENT BALLES

« T’as pas cent balles( ou 1 euro) : chronique de la faillite  de la  Justice ».
Par Christian FREMAUX, avocat honoraire, conseiller prud’homme et élu local.
M.URVOAS nouveau garde des sceaux, ministre de la justice , après avoir audité diverses juridictions et entendu des responsables et des praticiens de la justice  vient d’ énoncer une vérité simple, incontestable et dramatique : ladite justice est en faillite : il n’y a plus de thunes comme disent certains jeunes, pour la faire fonctionner correctement  et pour qu’elle remplisse ses missions qui ressortissent au domaine régalien de l’Etat comme la sécurité, la défense  ou la monnaie. C’est grave docteur ! mais le diagnostic est exact. Les juridictions et donc les magistrats saisis de litiges de toute nature, plus ou moins importants, n’ont plus de sous ne serait-ce que pour acheter du papier, des stylos ou des gommes, téléphoner , photocopier, imprimer les jugements ,envoyer des télécopies ou des courriels, et manquent de personnel pour les aider et rendre les décisions rendues légales et exécutoires. Ils ne peuvent plus non plus payer les experts qu’ils ont missionné et comme ceux-ci ne sont pas des bénévoles des dossiers vont rester en plan. Le service public de la justice a coulé . Ce sera comme d’habitude la faute de personne car la lente agonie a commencé il y a des années. Quand c’est un artisan, un commerçant ou un chef d’entreprise qui fait faillite, quelque soit la raison, on le liquide, ou il y a un repreneur,  et on le poursuit souvent en l’envoyant devant…. Le tribunal compétent. En matière de comptes publics et de gestion politique  il y a des «  responsables qui ne sont pas coupables » selon la célèbre formule de Mme DUFOIX quand elle était ministre de la santé pendant le scandale du sang contaminé, et l’échec étant collectif c’est l’irresponsabilité générale : sauf cas extrême un politique n’est pas poursuivi  pour gestion calamiteuse ou insuffisante voire nocive: il quitte le gouvernement, retrouve d’autres fonctions, et parfois se fait réélire.
La justice est pourtant une institution essentielle dans notre société contemporaine où le droit (« fabriqué » par nos excellents parlementaires qui réagissent souvent en fonction de l’émotion) est partout et doit fixer des limites en régulant les comportements ; où la mondialisation oblige à garantir des règles pour tous sauf à devenir la loi de la jungle ; où l’ubérisation de pratiquement tous les domaines d’activité  tire tous les prix vers le bas ( ce qui en ma qualité de consommateur  me réjouit mais me désespère comme professionnel), entraîne une certaine insécurité juridique (car trop d’informations générales  émanant de sites  émis par les start-up peut tuer l’information spécifique du professionnel ayant pignon sur rue et expérience, et adaptée au cas concret) et où le besoin d’arbitres impartiaux est impératif ; où le contribuable exige que ses litiges personnels (familiaux : de propriété ;de voisinage ; de consommation , d’achats et de ventes divers; de travail ; de ses rapports avec sa commune ou les services publics…) soient tranchés au plus vite voire l’urgence pour lui qui doit passer en priorité et si possible, au moindre coût ; où le citoyen s’indigne si le délinquant qui pourrit sa vie, ou le criminel qui lui fait peur et enfin le terroriste qu’il exècre, n’est pas « pendu »sur l’heure et si de surcroît il considère que la justice pénale est laxiste avec ceux qui dévient de la vie normale. C’est humain comme réaction , sauf que tout ceci a forcément un coût. Ceux qui ne paient pas d’impôts ou très peu (soit environ 50% des français), ne se posent pas la question du financement de la justice qui selon eux doit être gratuite, ce qui est d’ailleurs le cas outre les honoraires d’avocat (qui ne défendent pas gratis)  ou les tarifs des huissiers ou notaires (collecteurs de frais pour l’Etat) ou experts qui doivent vivre de leur métier et faire fonctionner leurs entreprises, sauf à tomber en faillite !
Chaque avocat a du s’expliquer devant ses clients de la lenteur de la justice pour rendre son jugement ; des renvois d’audience qui parfois profitent aux justiciables de mauvaise foi ; de péripéties judiciaires que l’on a pas pu anticiper…Il y a souvent deux mécontents quand le jugement ou l’arrêt de la cour d’appel est rendu : celui qui gagne mais jamais assez d’autant plus qu’il a du payer son avocat ; et  celui qui perd, ce qui est pour lui injuste et qu’il a du aussi payer son avocat et les frais !
Le citoyen s’intéresse surtout à la justice pénale, celle qui condamne à de la prison, de l’inéligibilité, à des amendes. Chaque citoyen est un juge en puissance devant sa télévision , au café du commerce ou en lisant son journal. Les procureurs d’occasion  dans leurs canapés qui ne connaissent rien du dossier au fond, mais ont la vérité partielle voire partiale des médias, sont légion et d’autant plus exigeants que le fonctionnement de la justice leur échappe sauf s’ils y  ont comparu pour un accident de la circulation, une conduite en état d’ivresse, des coups, des injures , un peu de shit pour les plus jeunes… On veut croire que les puissants sont traités comme les misérables, même s’il y a un léger doute à ce sujet. On a du mal à distinguer le rôle des juges dit du siège (qui sont indépendants ,inamovibles, et souverains dans leurs appréciations) , des membres du parquet (procureurs et substituts) dont on sait qu’ils sont nommés par la chancellerie c'est-à-dire le ministre de la justice donc le pouvoir exécutif. On subodore que ces juges sont à la « botte »  du politique, ce qui est injurieux à leur égard et globalement faux, sauf quelques cas individuels qui ne les honorent pas.  A ce sujet il y a un grand débat de fond : alors qu’ils sont tous formés dans la même école de la magistrature à BORDEAUX, faut-il séparer les juges du siège, magistrats sans contestation, des membres du parquet dont la COUR EUROPÉENNE des droits de l’homme de STRASBOURG considère qu’ils ne doivent pas être qualifiés de magistrats, et interdire de passer d’un statut à l’autre. Vaste débat aurait dit le général de GAULLE qui rappelons le, est  à l’origine du malaise actuel, avec l’évolution du droit international et  la volonté nouvelle  des citoyens. C’est lui qui dans la Constitution de la Vème république en 1958 pour asseoir son emprise sur la gouvernance, a créé une simple autorité judiciaire, et non un pouvoir : le général considérait que seul le pouvoir exécutif était légitime, et que les juges en  particulier n’avaient qu’à se cantonner à dire le droit en appliquant ou interprétant la loi votée par les parlementaires : et surtout de ne pas être un contre pouvoir ou devenir un « gouvernement des juges », comme dans d’autres pays anglo-saxons.
Mais la justice pénale a des besoins criants de fonds pour augmenter le nombre de magistrats ou démultiplier les audiences avec un juge unique : elle a besoin de greffiers et de personnel administratif pour préparer les dossiers et faciliter la tâche du juge englué  dans des contentieux qui pourraient être confiés à d’autres structures (médiation ?) ,dans des missions  chronophages de gestion , de statistiques, de gestion de  locaux, de matériels divers ; de représentants pour l’exécution des peines ou de moyens de substitution à l’enfermement ; et pour les cas les plus graves de places de prison sachant qu’il y a 68000 détenus pour environ 57000 places disponibles, et encore sans les conditions de dignité élémentaires. Je ne parle évidemment pas de prison dites trois étoiles car j’ai conscience que la victime par exemple ou le citoyen honnête, ne comprennent pas cette prétendue sollicitude pour le coupable avéré .Ils choisissent à juste titre le camp des victimes. La sanction est nécessaire et elle doit être exemplaire, la punition n’est pas un gros mot. Mais notre société n’obéît pas aux jeux du cirque où CESAR baissait le pouce pour le gladiateur qui avait succombé. Nous nous glorifions de notre état de droit et de nos valeurs républicaines que nous voulons universelles . Il faut donc être logique, et construire des prisons  modernes (peu de maires en acceptent sur leur territoire et on comprend pourquoi) – ce qui coûte cher, et il y a des priorités ailleurs, peut être en privatisant certains services ?, ne serait –ce que pour protéger les surveillants de prison exposés tous les jours à l’agressivité de certains détenus, et aussi pour organiser la libération –qui viendra un jour- des détenus et ainsi tenter de limiter la récidive .Ce qui indigne le citoyen , c’est l’erreur d’un magistrat qui fait libérer un détenu ou un éventuel coupable parce qu’un délai a été oublié ou qu’il n’y avait plus de papier pour la télécopie voire  parce qu’il a estimé à tort que la personne concernée ne présentait plus de danger. Mais ces fautes individuelles -on peut réfléchir pour ces cas extrêmes et rares à la mise en cause individuelle de la responsabilité du magistrat, comme un salarié que l’on licencie pour faute grave ou lourde ?, tout en préservant l’ indépendance de jugement des juges sinon on ouvre la boite de PANDORE- ne doivent pas cacher l’ensemble  des magistrats qui font leur métier en appliquant la loi (si celle –ci est mauvaise il faut la reprocher aux parlementaires) en accomplissant leur devoir avec rectitude, honnêteté intellectuelle ( même si comme citoyens ils ont le droit d’avoir des opinions partisanes et défendre leurs intérêts avec des syndicats, sans pour autant construire le mur des cons).
Mais la justice pénale représente un très petit pourcentage du fonctionnement  global de la justice qui s’intéresse  surtout aux affaires civiles, commerciales, sociales,  donc à notre vie de tous les jours. Tout justiciable se plaint des délais très longs (avec la loi TRAVAIL présentée par Mme EL KHOMRI on s’est rappelé au fonctionnement du conseil de prud’homme qui « terrorise »tout employeur surtout petit ou moyen ):s’y ajoute la complexité de la procédure contradictoire qui est pourtant une garantie fondamentale ; on dénonce son incertitude avec une jurisprudence fluctuante qui est source d’insécurité juridique ; on déplore la difficulté pour faire exécuter les décisions et récupérer ses sous ou son bien  notamment en matière de loyers impayés dans les logements : ( en matière pénale il y a des dizaines  de milliers de jugements ordonnant la prison , non appliqués ou transformés en des sanctions plus souples, ce que la loi permet) ;on estime ainsi que la justice est devenue une sorte de loterie judiciaire, ce qui n’est pas acceptable…
Le ministre de la justice a donc eu raison de dénoncer la réalité. Le budget alloué à la justice est ridicule alors qu’elle a un rôle central dans la chaîne de la sécurité : à quoi ça sert que la police et la gendarmerie, et nos services de renseignement se «  décarcassent », si les présumés innocents selon la loi, mais virtuels coupables sont jugés des années après ; ou n’accomplissent pas la peine prononcée au nom du peuple français ? Le citoyen ne le supporte pas.
De même, et toute personne qui a eu à saisir la  justice le sait, il est indispensable que nos litiges divers grands comme petits, ou plus personnels  par exemple pour les divorces, les gardes d’enfants, les pensions alimentaires….soient jugés au plus vite, car on a besoin d’être fixés et s’organiser en conséquence quitte à maudire le juge qui ne nous a pas compris dans « sa tour d’ivoire ».
Mais tout ceci a un coût. Même en doublant le budget actuel de la justice, on part de si bas que cela sera toujours insuffisant. Il faut le faire bien sûr et donner à nos 9000 magistrats environ (sur 66 millions de sujets français et autant de sujets de mécontentement comme le disait HENRI ROCHEFORT du journal LA LANTERNE au 19 ème siècle) les moyens de travailler vite et bien. Mais cela nécessite un préalable et de trouver un consensus sur la réponse aux questions suivantes ; que demandons nous à nos juges ? Quelle doit être la place de la justice dans nos institutions : voulons nous ou non un pouvoir judiciaire, avec des garanties et la responsabilité des juges ? Devons nous les élire et/ou nommer un Super Procureur de la nation ou de la république qui soit totalement indépendant des autres pouvoirs et nous diriger vers un système accusatoire ? quid du juge d’instruction ?Devons nous revoir la philosophie du code pénal de 1810 de NAPOLÉON, même si elle a été révisée et corrigée au fil des années et des événements ,en fonction de l’évolution de la société , de nos besoins, de l’ordre public que nous désirons avec la protection des libertés individuelles et publiques , ce qui est compatible .Quelle place avec droits et devoirs pour nos mineurs dont certains sont plus dangereux que des « grands » de 18 ans et plus  ? Et nos aînés comment les aider ? Devons nous revoir notre modèle social issu de la Libération et nos grands principes sont –ils gravés dans le marbre à vie ? En un mot est-il possible de réformer sans drame en France y compris la Justice ? Donc payer la reconstruction.
Chacun a soif de justice mais il veut que ce soit l’autre qui fasse l’effort. Nous n’échapperons pas à une évolution drastique et certainement pénible pour nos habitudes. Il faut juger plus rapidement avec  les mêmes garanties de rigueur et de recours, mais en dépensant moins ou plus efficacement. On doit donc résoudre la quadrature du cercle. Il n’est pas scandaleux de réfléchir à des partenariats public- privé ; on peut imaginer que des contentieux de masse soient confiés à d’autres que les magistrats qui ne conserveraient que l’essentiel et ce qui concerne les intérêts vitaux du pays par la fixation des grands principes de droit .Pourquoi ne pas reprendre l’idée  de faire payer, de façon symbolique, l’accès à la justice. ? Personne de bonne foi ne peut croire que la justice n’a pas un prix de revient et des frais fixes. On paie bien une prime aux assurances de protection juridique ! Naturellement les conditions de l’aide juridictionnelle doivent être complètement revues : un avocat ne peut être efficace  en étant payé au minimum, même s’il est consciencieux et compétent : il a un cabinet à faire tourner. Et le client doit être certain qu’il sera bien défendu quelque soit sa situation financière. Si les parlementaires, voulant bien faire, votaient des lois obligeant juges comme avocats, à être prêts dans des délais courts, il faudrait s’y faire, à condition que les conditions matérielles suivent.
Nous n’avons donc pas le choix. La justice est un monument en péril et faute de confortement, elle va se déliter progressivement  et s’effondrer sur elle-même, droite dans ses bottes… Il y a déjà sur la marché des propositions, ou l’existence de justice « privée », d’arbitrage , de lieux -souvent payants - de règlement des litiges. Seuls ceux qui ont les moyens financiers peuvent se permettre de les saisir. C’est… injuste et inégalitaire. Nous devons donc tous, quelques soient nos choix partisans, militer pour trouver un consensus sur les mesures à prendre, les budgéter, et faire l’effort financier, ce qui ne plaira à personne. Il faut associer à la réflexion tous les professionnels concernés et les potentiels justiciables pour ne pas parler de consommateurs de justice ce que l’on peut être un jour ou l’autre dans notre vie qui s’allonge.
Avant d’être une organisation matérielle qui rend des jugements, et départage des parties ou sanctionne au nom de l’intérêt général, la Justice est une valeur, comme la liberté, l’égalité et la fraternité .Le citoyen a besoin de croire en ce qui le dépasse pour se surpasser aux côtés des considérations matérielles, qui  sont fondamentales. Le vivre- ensemble –dont je ne comprends pas exactement le contenu et la portée  quand certains s’en éloignent volontairement voire le combattent de façon violente- se nourrit de symboles qui grandissent. Remettons la justice sur son socle pour qu’elle domine notre société. C’est un élément d’apaisement dans notre société qui en a besoin. Si le progrès selon certains (par exemple les lycéens et étudiants contre la loi travail)  consiste dans le conservatisme alors notre société reculera. Et on aura la justice que l’on méritera : inexistante ou discréditée et inaudible.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire