« T’as pas cent balles( ou 1
euro) : chronique de la faillite de
la Justice ».
Par Christian FREMAUX, avocat
honoraire, conseiller prud’homme et élu local.
M.URVOAS nouveau garde des sceaux,
ministre de la justice , après avoir audité diverses juridictions et entendu
des responsables et des praticiens de la justice vient d’ énoncer une vérité simple,
incontestable et dramatique : ladite justice est en faillite : il n’y
a plus de thunes comme disent certains jeunes, pour la faire fonctionner correctement
et pour qu’elle remplisse ses missions
qui ressortissent au domaine régalien de l’Etat comme la sécurité, la
défense ou la monnaie. C’est grave
docteur ! mais le diagnostic est exact. Les juridictions et donc les
magistrats saisis de litiges de toute nature, plus ou moins importants, n’ont
plus de sous ne serait-ce que pour acheter du papier, des stylos ou des gommes,
téléphoner , photocopier, imprimer les jugements ,envoyer des télécopies ou des
courriels, et manquent de personnel pour les aider et rendre les décisions
rendues légales et exécutoires. Ils ne peuvent plus non plus payer les experts
qu’ils ont missionné et comme ceux-ci ne sont pas des bénévoles des dossiers
vont rester en plan. Le service public de la justice a coulé . Ce sera comme
d’habitude la faute de personne car la lente agonie a commencé il y a des
années. Quand c’est un artisan, un commerçant ou un chef d’entreprise qui fait
faillite, quelque soit la raison, on le liquide, ou il y a un repreneur, et on le poursuit souvent en l’envoyant
devant…. Le tribunal compétent. En matière de comptes publics et de gestion
politique il y a des «
responsables qui ne sont pas coupables » selon la célèbre formule de Mme
DUFOIX quand elle était ministre de la santé pendant le scandale du sang
contaminé, et l’échec étant collectif c’est l’irresponsabilité générale :
sauf cas extrême un politique n’est pas poursuivi pour gestion
calamiteuse ou insuffisante voire nocive: il quitte le gouvernement, retrouve
d’autres fonctions, et parfois se fait réélire.
La justice
est pourtant une institution essentielle dans notre société contemporaine où le
droit (« fabriqué » par nos excellents parlementaires qui réagissent
souvent en fonction de l’émotion) est partout et doit fixer des limites en régulant
les comportements ; où la mondialisation oblige à garantir des règles pour
tous sauf à devenir la loi de la jungle ; où l’ubérisation de pratiquement
tous les domaines d’activité tire tous
les prix vers le bas ( ce qui en ma qualité de consommateur me réjouit mais me désespère comme
professionnel), entraîne une certaine insécurité juridique (car trop
d’informations générales émanant de
sites émis par les start-up peut tuer
l’information spécifique du professionnel ayant pignon sur rue et expérience,
et adaptée au cas concret) et où le besoin d’arbitres impartiaux est impératif ;
où le contribuable exige que ses litiges personnels (familiaux : de
propriété ;de voisinage ; de consommation , d’achats et de
ventes divers; de travail ; de ses rapports avec sa commune ou les
services publics…) soient tranchés au plus vite voire l’urgence pour lui qui
doit passer en priorité et si possible, au moindre coût ; où le citoyen
s’indigne si le délinquant qui pourrit sa vie, ou le criminel qui lui fait peur
et enfin le terroriste qu’il exècre, n’est pas « pendu »sur l’heure
et si de surcroît il considère que la justice pénale est laxiste avec ceux qui
dévient de la vie normale. C’est humain comme réaction , sauf que tout ceci a
forcément un coût. Ceux qui ne paient pas d’impôts ou très peu (soit environ
50% des français), ne se posent pas la question du financement de la justice
qui selon eux doit être gratuite, ce qui est d’ailleurs le cas outre les
honoraires d’avocat (qui ne défendent pas gratis) ou les tarifs des huissiers ou notaires (collecteurs
de frais pour l’Etat) ou experts qui doivent vivre de leur métier et faire
fonctionner leurs entreprises, sauf à tomber en faillite !
Chaque
avocat a du s’expliquer devant ses clients de la lenteur de la justice pour rendre
son jugement ; des renvois d’audience qui parfois profitent aux
justiciables de mauvaise foi ; de péripéties judiciaires que l’on a pas pu
anticiper…Il y a souvent deux mécontents quand le jugement ou l’arrêt de la
cour d’appel est rendu : celui qui gagne mais jamais assez d’autant plus
qu’il a du payer son avocat ; et
celui qui perd, ce qui est pour lui injuste et qu’il a du aussi payer
son avocat et les frais !
Le citoyen
s’intéresse surtout à la justice pénale, celle qui condamne à de la prison, de
l’inéligibilité, à des amendes. Chaque citoyen est un juge en puissance devant
sa télévision , au café du commerce ou en lisant son journal. Les procureurs d’occasion dans leurs canapés qui ne connaissent rien du
dossier au fond, mais ont la vérité partielle voire partiale des médias, sont
légion et d’autant plus exigeants que le fonctionnement de la justice leur
échappe sauf s’ils y ont comparu pour un
accident de la circulation, une conduite en état d’ivresse, des coups, des
injures , un peu de shit pour les plus jeunes… On veut croire que les puissants
sont traités comme les misérables, même s’il y a un léger doute à ce sujet. On
a du mal à distinguer le rôle des juges dit du siège (qui sont indépendants ,inamovibles,
et souverains dans leurs appréciations) , des membres du parquet (procureurs et
substituts) dont on sait qu’ils sont nommés par la chancellerie c'est-à-dire le
ministre de la justice donc le pouvoir exécutif. On subodore que ces juges sont
à la « botte » du politique, ce qui est injurieux à leur égard
et globalement faux, sauf quelques cas individuels qui ne les honorent pas. A ce sujet il y a un grand débat de
fond : alors qu’ils sont tous formés dans la même école de la magistrature
à BORDEAUX, faut-il séparer les juges du siège, magistrats sans contestation,
des membres du parquet dont la COUR EUROPÉENNE des droits de l’homme de
STRASBOURG considère qu’ils ne doivent pas être qualifiés de magistrats, et
interdire de passer d’un statut à l’autre. Vaste débat aurait dit le général de
GAULLE qui rappelons le, est à l’origine
du malaise actuel, avec l’évolution du droit international et la volonté nouvelle des citoyens. C’est lui qui dans la
Constitution de la Vème république en 1958 pour asseoir son emprise sur la
gouvernance, a créé une simple autorité judiciaire, et non un pouvoir : le
général considérait que seul le pouvoir exécutif était légitime, et que les
juges en particulier n’avaient qu’à se
cantonner à dire le droit en appliquant ou interprétant la loi votée par les
parlementaires : et surtout de ne pas être un contre pouvoir ou devenir
un « gouvernement des juges », comme dans d’autres pays
anglo-saxons.
Mais la
justice pénale a des besoins criants de fonds pour augmenter le nombre de
magistrats ou démultiplier les audiences avec un juge unique : elle a
besoin de greffiers et de personnel administratif pour préparer les dossiers et
faciliter la tâche du juge englué dans
des contentieux qui pourraient être confiés à d’autres structures
(médiation ?) ,dans des missions chronophages de gestion , de statistiques, de
gestion de locaux, de matériels
divers ; de représentants pour l’exécution des peines ou de moyens de substitution
à l’enfermement ; et pour les cas les plus graves de places de prison sachant
qu’il y a 68000 détenus pour environ 57000 places disponibles, et encore sans
les conditions de dignité élémentaires. Je ne parle évidemment pas de prison
dites trois étoiles car j’ai conscience que la victime par exemple ou le
citoyen honnête, ne comprennent pas cette prétendue sollicitude pour le
coupable avéré .Ils choisissent à juste titre le camp des victimes. La sanction
est nécessaire et elle doit être exemplaire, la punition n’est pas un gros mot.
Mais notre société n’obéît pas aux jeux du cirque où CESAR baissait le pouce
pour le gladiateur qui avait succombé. Nous nous glorifions de notre état de
droit et de nos valeurs républicaines que nous voulons universelles . Il
faut donc être logique, et construire des prisons modernes (peu de maires en acceptent sur leur
territoire et on comprend pourquoi) – ce qui coûte cher, et il y a des
priorités ailleurs, peut être en privatisant certains services ?, ne
serait –ce que pour protéger les surveillants de prison exposés tous les jours
à l’agressivité de certains détenus, et aussi pour organiser la libération –qui
viendra un jour- des détenus et ainsi tenter de limiter la récidive .Ce qui
indigne le citoyen , c’est l’erreur d’un magistrat qui fait libérer un détenu
ou un éventuel coupable parce qu’un délai a été oublié ou qu’il n’y avait plus
de papier pour la télécopie voire parce
qu’il a estimé à tort que la personne concernée ne présentait plus de danger.
Mais ces fautes individuelles -on peut réfléchir pour ces cas extrêmes et rares
à la mise en cause individuelle de la responsabilité du magistrat, comme un
salarié que l’on licencie pour faute grave ou lourde ?, tout en préservant
l’ indépendance de jugement des juges sinon on ouvre la boite de PANDORE- ne
doivent pas cacher l’ensemble des
magistrats qui font leur métier en appliquant la loi (si celle –ci est mauvaise
il faut la reprocher aux parlementaires) en accomplissant leur devoir avec
rectitude, honnêteté intellectuelle ( même si comme citoyens ils ont le droit
d’avoir des opinions partisanes et défendre leurs intérêts avec des syndicats,
sans pour autant construire le mur des cons).
Mais la
justice pénale représente un très petit pourcentage du fonctionnement global de la justice qui s’intéresse surtout aux affaires civiles, commerciales,
sociales, donc à notre vie de tous les
jours. Tout justiciable se plaint des délais très longs (avec la loi TRAVAIL
présentée par Mme EL KHOMRI on s’est rappelé au fonctionnement du conseil de
prud’homme qui « terrorise »tout employeur surtout petit ou
moyen ):s’y ajoute la complexité de la procédure contradictoire qui est
pourtant une garantie fondamentale ; on dénonce son incertitude avec une
jurisprudence fluctuante qui est source d’insécurité juridique ; on
déplore la difficulté pour faire exécuter les décisions et récupérer ses sous
ou son bien notamment en matière de
loyers impayés dans les logements : ( en matière pénale il y a des
dizaines de milliers de jugements
ordonnant la prison , non appliqués ou transformés en des sanctions plus
souples, ce que la loi permet) ;on estime ainsi que la justice est devenue
une sorte de loterie judiciaire, ce qui n’est pas acceptable…
Le ministre
de la justice a donc eu raison de dénoncer la réalité. Le budget alloué à la
justice est ridicule alors qu’elle a un rôle central dans la chaîne de la
sécurité : à quoi ça sert que la police et la gendarmerie, et nos services
de renseignement se « décarcassent », si les présumés innocents
selon la loi, mais virtuels coupables sont jugés des années après ; ou
n’accomplissent pas la peine prononcée au nom du peuple français ? Le
citoyen ne le supporte pas.
De même, et
toute personne qui a eu à saisir la
justice le sait, il est indispensable que nos litiges divers grands
comme petits, ou plus personnels par
exemple pour les divorces, les gardes d’enfants, les pensions alimentaires….soient
jugés au plus vite, car on a besoin d’être fixés et s’organiser en conséquence
quitte à maudire le juge qui ne nous a pas compris dans « sa tour
d’ivoire ».
Mais tout
ceci a un coût. Même en doublant le budget actuel de la justice, on part de si
bas que cela sera toujours insuffisant. Il faut le faire bien sûr et donner à
nos 9000 magistrats environ (sur 66 millions de sujets français et autant de sujets
de mécontentement comme le disait HENRI ROCHEFORT du journal LA LANTERNE au 19
ème siècle) les moyens de travailler vite et bien. Mais cela nécessite un
préalable et de trouver un consensus sur la réponse aux questions suivantes ;
que demandons nous à nos juges ? Quelle doit être la place de la justice
dans nos institutions : voulons nous ou non un pouvoir judiciaire, avec
des garanties et la responsabilité des juges ? Devons nous les élire et/ou
nommer un Super Procureur de la nation ou de la république qui soit totalement
indépendant des autres pouvoirs et nous diriger vers un système accusatoire ?
quid du juge d’instruction ?Devons nous revoir la philosophie du code
pénal de 1810 de NAPOLÉON, même si elle a été révisée et corrigée au fil des
années et des événements ,en fonction de l’évolution de la société , de nos besoins, de l’ordre public que nous désirons avec la protection des libertés
individuelles et publiques , ce qui est compatible .Quelle place avec
droits et devoirs pour nos mineurs dont certains sont plus dangereux que des
« grands » de 18 ans et plus ? Et nos aînés comment les
aider ? Devons nous revoir notre modèle social issu de la Libération et
nos grands principes sont –ils gravés dans le marbre à vie ? En un mot
est-il possible de réformer sans drame en France y compris la Justice ?
Donc payer la reconstruction.
Chacun a
soif de justice mais il veut que ce soit l’autre qui fasse l’effort. Nous
n’échapperons pas à une évolution drastique et certainement pénible pour nos
habitudes. Il faut juger plus rapidement avec les mêmes garanties de rigueur et de recours,
mais en dépensant moins ou plus efficacement. On doit donc résoudre la
quadrature du cercle. Il n’est pas scandaleux de réfléchir à des partenariats
public- privé ; on peut imaginer que des contentieux de masse soient
confiés à d’autres que les magistrats qui ne conserveraient que l’essentiel et
ce qui concerne les intérêts vitaux du pays par la fixation des grands
principes de droit .Pourquoi ne pas reprendre l’idée de faire payer, de façon symbolique, l’accès
à la justice. ? Personne de bonne foi ne peut croire que la justice n’a
pas un prix de revient et des frais fixes. On paie bien une prime aux assurances
de protection juridique ! Naturellement les conditions de l’aide juridictionnelle
doivent être complètement revues : un avocat ne peut être efficace en étant payé au minimum, même s’il est
consciencieux et compétent : il a un cabinet à faire tourner. Et le client
doit être certain qu’il sera bien défendu quelque soit sa situation financière.
Si les parlementaires, voulant bien faire, votaient des lois obligeant juges
comme avocats, à être prêts dans des délais courts, il faudrait s’y faire, à
condition que les conditions matérielles suivent.
Nous n’avons
donc pas le choix. La justice est un monument en péril et faute de
confortement, elle va se déliter progressivement et s’effondrer sur
elle-même, droite dans ses bottes… Il y a déjà sur la marché des propositions,
ou l’existence de justice « privée », d’arbitrage , de lieux -souvent
payants - de règlement des litiges. Seuls ceux qui ont les moyens financiers
peuvent se permettre de les saisir. C’est… injuste et inégalitaire. Nous devons
donc tous, quelques soient nos choix partisans, militer pour trouver un
consensus sur les mesures à prendre, les budgéter, et faire l’effort financier,
ce qui ne plaira à personne. Il faut associer à la réflexion tous les
professionnels concernés et les potentiels justiciables pour ne pas parler de
consommateurs de justice ce que l’on peut être un jour ou l’autre dans notre
vie qui s’allonge.
Avant d’être
une organisation matérielle qui rend des jugements, et départage des parties ou
sanctionne au nom de l’intérêt général, la Justice est une valeur, comme la
liberté, l’égalité et la fraternité .Le citoyen a besoin de croire en ce qui le
dépasse pour se surpasser aux côtés des considérations matérielles, qui sont fondamentales. Le vivre- ensemble –dont
je ne comprends pas exactement le contenu et la portée quand certains s’en éloignent volontairement
voire le combattent de façon violente- se nourrit de symboles qui grandissent.
Remettons la justice sur son socle pour qu’elle domine notre société. C’est un
élément d’apaisement dans notre société qui en a besoin. Si le progrès selon
certains (par exemple les lycéens et étudiants contre la loi travail) consiste dans le conservatisme alors notre
société reculera. Et on aura la justice que l’on méritera : inexistante ou
discréditée et inaudible.
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