Passer le bac ? à mon âge
j’échouerai !
Par Christian Fremaux
avocat honoraire et élu local.
Je viens de
lire dans la presse du 17 juin 2019 les sujets proposés aux élèves qui passent
le bac et je constate qu’en philosophie c’est difficile. Je me réjouis que nos
jeunes réfléchissent de manière générale sur les valeurs, les concepts, et
sortent intellectuellement de la machine électronique, des algorithmes , de
l’intelligence artificielle et du business
. L’avenir leur appartient et ils
doivent s’échapper de la lutte matérielle ou plutôt l’alimenter par
l’humanisme. Nous avons besoin d’une nouvelle génération qui s’engage partout
en ayant en tête que l’homme est l’alpha et l’oméga, que la vie n’est pas faite
que de statistiques et de courbes (sauf celles des femmes si je puis dire
sans que les féministes me poursuivent),
qu’il n’y a pas que l’avantage matériel comme
but ultime, et que la vie en société repose aussi sur de l’éthique, des règles
collectives librement acceptées, de la tolérance, de la discussion plutôt que
de la violence, et de la recherche d’une finalité commune. Bien sûr c’est
facile à dire quand comme moi on est arrivé non pas à la fin du parcours car je
reste optimiste sur ce point, mais qu’on en a vu beaucoup, que l’on a connu
échecs et quelques réussites, que l’on s’est fait une sorte de philosophie
personnelle de la vie et de la nature humaine avec son côté sombre aussi, que l’on est moins agressif ou ardent et que
l’on relativise. Quand on a 20 ans on en veut toujours plus, on bataille, on
clive, on polémique, on pense avoir
raison, on trouve les vieux ringards, les parents dépassés, et on fonce car on
y croit. Cependant c’est Paul Nizan qui
disait : « J’avais 20 ans. Je
ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de
ruine un jeune homme, l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée
parmi les grandes personnes…». En justice devant la cour d’assises quand il y a
un crime passionnel on dit qu’on a toujours 20 ans.
Parmi les
sujets proposés à nos apprentis philosophes - je n’en menais pas large quand
j’ai été à leur place -certains m’ont intéressé car ils vont conditionner les
comportements dans les futures années.
On leur a demandé : « reconnaître ses devoirs est -ce renoncer à sa
liberté » ? ou « les lois peuvent -elles faire notre
bonheur » ? ou encore « la morale est-elle la meilleure
des politiques ? ». Je me garderai bien de répondre directement à ces
questions, car je n’ai pas la culture qui est ce qui reste quand on a tout
oublié de nos garçons et filles qui ont bûché toute l’année et peuvent citer
les grands auteurs à l’appui de leur raisonnement. Je ne suis personne pour
donner des conseils et produire un corrigé qui fasse autorité. Simplement après
45 ans de barreau , de nombreux mandats
municipaux, et de vie personnelle et professionnelle où j’ai croisé beaucoup de
gens de toute confession, des quidams,
des engagés, des politiques, des importants par leurs fonctions, des modestes y compris exerçant des postes à
responsabilités, des bandits, des escrocs intellectuels, des utopiques… j’ai quelques idées de base pour tenter de
vivre dans l’union sans avoir une
logique binaire et croire que
tout est blanc ou noir, voire simple ou imaginer que les faits qui sont têtus
doivent se plier à la théorie.
La vie en
société repose sur le rassemblement des bonnes volontés, de l’enthousiasme, de
l’effort, de la reconnaissance du mérite, de l’exemplarité, de la certitude de participer à un destin commun, et de savoir
limiter ses exigences. Il ne peut y avoir de réussite collective sans quelques
sacrifices, et même si l’idéal de perfection reste à atteindre la grandeur de l’individu est d’essayer et
d’apporter sa pierre à l’édifice. Notre société est actuellement fracturée, et
ceux qui ont été au pouvoir ou l’ont approché depuis des dizaines d’années,
ont la responsabilité de l’échec. J’y prends ma part.
On déplore l’individualisme forcené et on se demande comment y remédier alors que
l’on a voté de bonne foi des lois qui peuvent le renforcer et on continue pour donner toujours plus de droits pour
éviter du prétendu racisme ou de la discrimination que l’on voit partout, à des
minorités agissantes ou à des groupes de pression de toute nature (religieuse
ou diverse) ou dans une idéologie
quelconque telle l’écologie plus
politique que verte dont on ne sait pas comment les intégrer pour que la
majorité silencieuse de la nation les accepte. Cela conduit au règne des droits
personnels et au communautarisme, à la dictature de l’émotion et à la mise au ban par les bien-pensants
auto-déclarés si on n’est pas d’accord avec des affirmations non démontrées et
des pétitions de principe. Au nom de la liberté et de l’égalité on interdit la
contradiction et on s’offusque que l’on puisse résister à ce qui serait le
progrès, comme si toute mesure nouvelle était un progrès donc tendait vers le
bien. L’individu n’accepte plus que l’on ne satisfasse pas immédiatement ce
qu’il veut , son caprice, son ambition personnelle ( on le voit en bioéthique)
sans se demander si son désir ne va pas à l’encontre de la construction de
notre société qui vient de loin avec ses valeurs, ses traditions, ses lois, ses
coutumes. On ne parle que de droits de l’homme dits désormais droits humains
pour ne pas oublier la femme, parité oblige ! en niant les obligations du citoyen qui sont des devoirs. Je ne sais
pas comme on l’a demandé à nos futurs bacheliers s’il
faut « reconnaître » ses devoirs : ils sont c’est tout et
il faut les exercer. Les devoirs ne sont pas une matière inactive, théorique
que l’on connait sans plus, le pendant des droits qui eux sont positifs et
doivent être appliqués pour exister. Le devoir est une obligation particulière
et concrète ce à quoi on est tenu par respect d’un texte, d’une loi, de la raison
ou de la morale , de sa profession ,de ses responsabilités. Comme l’a écrit
Platon dans le dialogue entre Socrate et
Criton sur la justice et l’injustice, le
devoir d’obeïssance aux lois de la cité interdit par la raison à Socrate de s’évader puisque il a été mis en
prison . On lui conseille de fuir avec des arguments pertinents. Il résiste et
affirme : « peu importe l’opinion publique…la seule question qui
vaille est celle de savoir s’il serait juste ou non de s’enfuir (alors
qu’il y a eu une décision de justice)». On connait la réponse : on ne se résoud pas à l’injustice par une autre
injustice . Socrate ne s’évada pas et avala la ciguë. On parle peu des devoirs à notre époque , à
peine pour aller voter et éviter de l’abstention massive ce qui met notre
démocratie en danger. On ne peut vivre avec des mouvements de foules
permanents, une contestation de la représentation par du vide, de l’opposition
du peuple et des prétendues élites, et du dégagisme dans tous les domaines.
Liberté
et devoir sont -ils antinomiques ?
La liberté
c’est l’absence de contraintes alors que le devoir s’impose à nous, avec une
obligation d’agir. Reconnaître c’est
identifier ou distinguer ou admettre. Nos devoirs sont connus, on nous les a
enseignés ou transmis par nos parents,
et on ne peut les ignorer dans la république. Reconnaître ses devoirs , c’est
avant tout les accepter en ce qu’ils sont et en leurs dimensions, et considérer qu’ils sont à égales valeurs
avec nos droits. Les uns ne vont pas sans les autres, sinon c’est le
déséquilibre qui conduit au désordre. Ce n’est en rien amoindrir voire effacer
notre liberté car il ne peut y avoir
l’existence de libertés individuelles comme publiques que dans un état
de droit où il y a des règles à suivre obligatoirement qu’on le veuille ou non.
Et des contraintes collectives. Si l’on prend la sécurité première des libertés
dit -on , avec le terrorisme, n’est-il pas naturel de limiter même à la marge
nos droits dans l’intérêt de tous ; d’accepter de respecter des règles
votées démocratiquement par le parlement
pour que d’éventuelles victimes – des morts ou blessés -soient épargnées. Etre un sujet libre exige d’être aussi un
citoyen lucide et responsable soucieux du collectif. La liberté s’arrête là où
commence celle des autres. A défaut c’est le chaos dont il faut tirer un ordre
public juste pour éviter l’état sauvage ou la loi du plus fort. On ne renonce
donc pas à la liberté en respectant son ou ses devoirs. On la renforce. C’est
le sens de l’engagement volontaire.
En matière
de lois nous ne sommes plus dans un choix personnel. Selon les principes de Montesquieu et de la
séparation des pouvoirs, ce sont nos parlementaires, assemblée nationale et
sénat, qui fabriquent la loi qui est l’ émanation de la volonté générale et de
la majorité du peuple, en théorie. J’écris en théorie car la loi est la
résultante de ce que le président de la république élu a promis pendant sa
campagne électorale et que les parlementaires élus à sa suite ont proposé comme programme. Mais
on s’aperçoit désormais qu’appliquer ses promesses pose problème, y compris
parfois dans la majorité. On voit que le
président élu a un socle électoral très faible de l’ordre du quart des
électeurs qui ont adhéré au premier tour, et est élu au deuxième tour par des
coalitions hétéroclites qui font surtout barrage à un candidat. La loi devient
donc la conséquence de cette fausse union, et il s’agit de textes de compromis
où il faut fâcher le moins de citoyens possible. On assiste à l’élaboration de
lois nécessaires mais curieuses après débats
comme par exemple la loi anticasseur votée récemment que l’on a qualifié de
« liberticide » pas moins. La
droite républicaine- qui faisait illusion avant le résultat désastreux des européennes- n’a pas vraiment soutenu le texte qu’elle
avait elle- même initiée, et la majorité au pouvoir n’a pas fait le plein de
ses voix sur ce texte qui touchait aux libertés fondamentales, dans l’intérêt
de la sécurité. Et c’est le président Macron qui a saisi lui- même le conseil
constitutionnel qui a annulé la disposition phare, celle de permettre aux
préfets d’empêcher à titre préventif un
individu de manifester. La loi n’est plus ce qu’elle était ou devrait être
surtout quand on fait des lois sur mesure pour accéder aux desiderata de petites
parties de la population ( par exemple pour des lois bioéthiques ou le port du
voile pour les mères accompagnatrices des écoliers). La loi est devenue particulière visant un
groupe déterminé et n’est plus l’expression de la volonté générale. C’est un
moyen parmi d’autres- comme celui de donner mauvaise conscience- d’imposer des
règles de vie à ceux qui ne comprendraient
pas ce qu’est le « progrès » ou qui ne veulent pas que le pays
se transforme malgré eux ou contre eux. L’Etat est désormais le médium orienté du
vivre- ensemble, de la liberté d’expression que l’on limite ou sanctionne si
elle n’est pas politiquement correcte pour ne heurter personne, et il devient
le garant des droits individuels. La liberté n’est plus un encouragement , elle
devient un obstacle car on veut créer une nouvelle société exempte de haine, de
discrimination , d’injustices réelles ou supposées, sans affrontements où tout
le monde respecte l’autre. Cela part d’un bon sentiment collectif mais je ne
crois pas que ce soit par la loi que l’on transforme les mentalités et je pense
qu’il faut d’abord convaincre le citoyen lui qui a besoin d’espace et ne peut
se contenter de punitions même vertueuses. L’Etat qui n’est plus providence et
dont il faut revoir le périmètre est fait pour permettre l’expression de tous,
pour construire un environnement favorable et apaisé, pour choisir entre les
contraires , et pour laisser les initiatives prospérer. Pas pour substituer des
libertés à d’autres au moyen de la loi qui doit préciser aussi et surtout les
devoirs. C’est aussi cela la démocratie.
Les lois ne
sont pas faites pour faire notre bonheur ou satisfaire un petit nombre, mais
pour organiser la société, la structurer,
délimiter les droits et fixer les devoirs, permettre aux libertés de
vivre, ne pas mélanger les intérêts particuliers et l’intérêt général, en un
mot pour conforter un état de droit ce qui n’est pas un supplément de droits
pour l’Etat, dans le cadre de la
république qui doit apporter la paix , la concorde et la cohésion. C’est Saint-Just qui pourtant a aidé à couper
des têtes, qui déclarait que le bonheur est une idée neuve en Europe. Le
bonheur est une idée personnelle et relative, et ce n’est pas à l’Etat de le
décréter et à la loi encore moins. En outre
des lois opportunistes, bavardes, rédigées à la hâte pour satisfaire une
minorité peuvent créer des conflits que la justice devra arbitrer et qui
peuvent révolter le peuple. On ne touche aux lois qu’avec une main tremblante
et on ne les écrit qu’après en avoir vérifié l’impact et ses conséquences dans
un consensus réel.
La politique
étant ce qu’elle est dans le grand chambardement actuel, où tout le monde veut
s’exprimer et donner son avis même s’il est illégitime, nul ou peu argumenté, devient aléatoire et
surtout communicative. Faut -il dire la vérité
sur l’état du pays, ses caisses à sec,
les avantages de certains, l’abandon des autres, les menaces… Les
rapports sont connus, les experts ont
tout dit mais le politique (de tous bords) doit-il prendre le risque de
l’avouer s’il veut être réélu, ou éviter des manifestations de plus en plus
violentes, ou revendiquer la vérité mais
quelle est -elle sachant qu’il n’y en a pas qu’une ? Chacun a ses connaissances et certitudes qu’il estime justes
avec sa morale, et ce que les uns
acceptent les autres sont contre. La meilleure des politiques est celle qui à
partir de faits établis contradictoirement donc un diagnostic partagé,
privilégie la majorité, qui défend l’intérêt général et qui corrige les
injustices et les inégalités. Vaste programme, et on se demande en sortant des
choix partisans qui a la stature et la
légitimité pour ce faire, et comment on
pourra le mettre en oeuvre. Si la
politique recouvre la morale il faut être prudent , car comment définir un
contenu commun et des valeurs consensuelles ? La morale est un ensemble de
principes, de jugements, de règles ou de conduites relatives au bien et au mal,
et qui dépendent de la conscience individuelle comme collective. Barbey
d’Aurevilly a écrit dans les demoiselles
de bien- Filâtre que du point de vue des
faits le bien et le mal sont une question de latitude. Ce que l’on admet ici
est considéré comme inacceptable là- bas. Il en est de même pour l’homme. La « morale »
est à utiliser avec parcimonie et donner des leçons n’est pas de bonne
politique. La meilleure politique qui soit est celle qui donne des résultats
mesurables, sonnants et trébuchants en matière économique, sociale et de
justice. Si de surcroît elle est irriguée par des grands principes d’essence supérieure, des
valeurs et de la hauteur , c’est parfait.
Je demande à
ceux qui viennent de passer le bac de pardonner mes insuffisances et mes
affirmations, et aux professeurs de ne pas me noter. Je ne voudrai pas entamer
ma retraite par une humiliation pour avoir été
mauvais et pour le moins hors sujet !. L’âge ne fait rien à
l’affaire « tous les jeunes blancs- becs prennent les vieux mecs pour des
cons… » comme le chantait Georges Brassens.