Justice et politique.
Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu
local.
Une nouvelle
polémique est née comme si la crise des gilets jaunes ne suffisait pas à
entretenir les querelles !Le bureau du sénat a décidé à la majorité de
ses membres-donc pas à l’unanimité ce qui est significatif- de transmettre le
dossier de son enquête concernant MM.Benalla et. Crase au procureur de la
république ce que personne ne discute, mais en y incluant le secrétaire général
de l’Elysée, le directeur de cabinet du président de la république et le
général commandant la sécurité de l’Elysée ce qui fait « tache »
c’est vrai mais qui n’est pas une bombe atomique chacun d’entre nous devant
répondre de ses actes, et l’Elysée ne conférant aucune immunité par
principe. C’est parce que trois hauts
fonctionnaires seront contraints de donner des explications à des juges sans
leur mentir de préférence que l’on s’offusque, que l’on invoque des grands
principes et des arguments exagérés
comme l’atteinte aux institutions, que
l’on crie que le sénat s’est transformé en « tribunal politique », (on
se croirait au temps de Mao ou des khmers rouges, ou chez les soviets) et que
l’on dénonce le sénat comme un odieux repaire
de dangereux activistes qui auraient
confondu le droit et les basses manœuvres politiciennes, ce qui serait une
déviation grave des usages républicains qui
veulent que le sénat contrôle c’est tout- mais ça c’est de la politique
à l’ancienne- et que la courtoisie traditionnelle évite de mettre en cause tous
ceux qui gravitent autour du président et qui profiteraient par ricochet, par
capillarité de l’immunité pénale du président pendant son mandat. Pas
moins ! On serait dans un quasi coup
d’Etat juridique du sénat avec l’instrumentalisation
de la justice pour déstabiliser le pouvoir. De qui se moque -t -on ? Les politiques
ont une curieuse conception de la justice puisque selon eux la simple autorité judiciaire ne serait pas
capable de distinguer le bon grain de l’ivraie, et faire son métier
c’est-à-dire appliquer le droit voté par nos chers parlementaires, respecter la
présomption d’innocence, convoquer comme témoins ou témoins assistés ceux qui
sont soupçonnés d’une éventuelle infraction , ne pas les mettre en examen tout de suite sans avoir
examiné le droit, les faits, puis ce qu’ont fait les intéressés, et ne pas
poursuivre ou rendre des non- lieux s’il le faut. De quoi ont peur les
politiques qui s’étouffent d’indignation de la décision du sénat ? Que les
trois hauts fonctionnaires disent leur vérité qui ne correspondrait pas à ce
qu’on attend d’eux ? Qu’ils se défendent pour eux mêmes sans protéger le
président ou son entourage ? Que l’on découvre divers autres manquements
dans ce long et lamentable feuilleton Benalla qui de sa petite place aura
réussi à mettre la pagaille au plus haut niveau ? Que l’on se dirige vers
le président qui avait dit-imprudemment « qu’ils viennent me
chercher » ce qui est fait…Ceux qui accablent le sénat devraient se
réjouir : les soupçons qui pèsent sur ceux qui ont fréquenté M.Benalla
pourraient être levés du moins on
l’espère pour eux, par les juges
d’instruction qui instruisent à charge
et à décharge, et les trois hauts
fonctionnaires ressortiraient de cette épreuve plus blancs que blancs. Il
n’y a donc aucun risque que l’autorité judiciaire soit saisie ! C’est le
contraire qui aurait été louche. On a pu constater en direct à la télévision en
écoutant les auditions au sénat qu’au moins la langue de bois servait à ne pas tout dire, que chacun avait
sa vérité, ses nuances et pouvait édulcorer les faits. Chaque téléspectateur
s’est déjà fait une opinion. C’est un simple sentiment mais il est profond. On
comprend parfaitement le dilemme de ces hauts fonctionnaires dont la carrière
exemplaire jusqu’à présent ne peut cependant les exonérer par avance de tout
manquement ou faute, nul n’étant parfait et chacun pouvant déraper dans des
circonstances particulières pour avoir voulu faire selon sa conscience et les
nécessités, accomplir son devoir et être loyal , et qui veulent être à la
hauteur de leurs fonctions éminentes auprès du président. Mais à force de dire qu’ils n’ont rien fait de
répréhensible, qu’ils ne protègent personne, qu’ils sont innocents, qu’ils n’ont ni menti ni dissimulé,
alors que tout le monde s’interroge sur
les conditions d’existence à l’Elysée de M.Benalla, avec divers avantages exorbitants administratifs ou autres qui
n’ont pas pu échapper à l’œil vigilant d’un secrétaire général, d’un préfet, ou
d’un général, cela fait beaucoup de
doutes et le citoyen de base est perplexe. Naturellement seuls les intéressés connaissent la réalité et détailleront méticuleusement ce
qu’ils ont fait ou non (on peut être
coupable par omission).Je ne suis pas sûr non plus que les juges arriveront à connaitre la vérité d’autant plus que chacun veut entendre sa
vérité et que celle-ci
est souvent subjective et peut
dépendre d’intérêts dits supérieurs. Ne soyons pas naïfs on connait les défauts
et qualités de l’être humain même s’il exerce de hautes responsabilités, les
contraintes d’Etat diverses qui parfois
ne sont pas acceptables, et les justifications crédibles… ou non. Il n’appartient évidemment pas au sénat de se
transformer en quasi juridiction et de
qualifier d’éventuelles infractions. Son devoir est à partir des éléments qu’il a recueillis, de
signaler au parquet selon le texte de
l’article 40 du code de procédure pénale ce qui peut apparaître comme une
violation de la loi . Le pouvoir en place devrait se réconforter puisque le
parquet - le procureur de la république - est placé sous l’autorité du garde
des sceaux ministre de la justice qui est membre du gouvernement nommé … par
M.Macron . Je crois pouvoir affirmer même s’il
n’y a plus d’instructions individuelles que le parquet ne va pas faire
de zèle et qu’il laissera les juges d’instruction faire leur travail en toute
indépendance tout en veillant aux grains. Il faut surtout cesser de soupçonner aussi les
juges d’être partiaux, d’être
parfois « rouges » ce qui est vrai d’une infime minorité
,de vouloir « se faire » les politiques, donc d’être partisans et fausser le jeu de la
démocratie. Ce furent les critiques en 2017 pendant la campagne électorale présidentielle où un candidat fut mis en
cause. Mais s’il n’y avait pas de faits avérés ou à vérifier, s’il n’y avait
pas de soupçons , si tout le monde respectait la loi sans l’interpréter ou se
servir des vides juridiques ou de pratiques anciennes que l’on n’accepte plus
actuellement , la justice n’aurait pas à se prononcer parfois dans la
précipitation on l’a vu en 2017, ce qui a influé sur le destin d’un candidat et
n’a pas renforcé l’image d’impartialité de certains juges. On doit avoir
confiance dans la justice qui est l’arbitre de nos conflits dans un état de
droit qui protège nos libertés individuelles ou publiques, à qui on
demande de trancher les conflits de
toute nature qu’ils soient d’ordre philosophique, d’expression ,humaniste , et
surtout de sanctionner ceux qui n’ont pas respecté la loi qu’ils soient
puissants ou misérables. Bien sûr on y croit parce que l’on sait que les juges
sont libres et non partisans (même si certains en doutent), qu’ils rendent des jugements et non des
services, qu’ils appliquent le droit et
ne font pas de morale ni de politique. Qu’ils ne peuvent non plus être rendus
responsables des conséquences de leurs décisions même si ils y pensent et en
tiennent compte , irresponsabilité sauf faute caractérisée que d’ailleurs
l’opinion a du mal à admettre.
Les
politiques qui hurlent contre la décision du sénat sont donc inconséquents et
vont aggraver le malaise. Le sénat est
dans son rôle d’autant plus que son président est de par la constitution le 2ème
personnage de l’Etat appelé à suppléer le président de la république en cas
d’empêchement de celui-ci. Si le sénat n’avait pas signalé les déclarations des trois hauts
fonctionnaires qui n’ont pas paru « en béton » ce qui ne ne veut pas
dire délictuelles, l’opinion aurait conclu que comme d’habitude les politiques
se protègent entre eux, que même l’opposition
est complice à charge de revanche. Que c’était de la magouille d’entre
soi, et que les citoyens sont tenus à l’écart et ne sont pas informés de ces pratiques qui ne les regarderaient
pas ?.Ce qui n’est pas dans l’air du temps et est anti-démocratique. Cette
non-décision peu courageuse aurait dégradé encore plus le climat sociétal qui
veut que l’on se méfie des représentants du peuple qui sont tous soupçonnés
d’avoir des avantages matériels et des privilèges y compris judiciaires inadmissibles dans le
contexte actuel, et que la bataille
politique est une apparence : tous les élus seraient « pourris »,
« combinards » et ne voient que leurs intérêts. Cette critique
récurrente est grave pour la démocratie surtout si le politique en rajoute une
couche pour faire douter de l’honnêteté intellectuelle des sénateurs. Ce n’est
pas faire un « coup politique »
comme l’a dit M.Ferrand président de l’assemblée nationale qui est lui- même à l’enquête d’un juge d’instruction
sauf erreur de ma part, que de saisir la justice. C’est une règle légale et
républicaine. La commission de l’assemblée nationale qui avait ouvert une
enquête sur les mêmes faits a auditionné
les mêmes protagonistes et a préféré arrêter ses investigations sans faire de
rapport, ce qui fut un dépôt de
bilan en pleine tourmente. Cela a pu
entrainer des questions légitimes que le
sénat a entendu. Quand le sénat contrôle
en exerçant sa mission constitutionnelle et qu’il constate des faits ou des
comportements qui lui paraissent ne pas être réguliers, il fait son devoir en
les signalant à la justice qui va faire son métier prévu par la constitution. On peut maudire son juge qui a rendu une
décision qui ne nous plait pas, mais on ne peut le soupçonner par avance. Le
débat est ancien. Dès qu’un politique ou assimilé est accroché par la justice
il crie au complot , aux juges partiaux et rappelle qu’il ne doit des comptes
qu’à ses électeurs. L’opposition
applaudit , vante les juges et leur indépendance , demande l’application de la loi dans sa
fermeté jusqu’à … ce qu’un des siens soit poursuivi ! Quand verra- t -on
un consensus silencieux quand une affaire similaire arrivera et que les
politiques de tout bord confondu seront
ravis que la justice intervienne… à leur place et qu’ils n’aient pas à s’en
mêler. Grandissons et laissons faire
l’autorité judiciaire qui a des yeux pour lire, des oreilles pour
entendre , et qui se fait une opinion
provisoire en fonction des arguments échangés dans le débat public. La justice
a besoin de confidentialité et de sérénité
pour délivrer un avis sérieux motivé en fait comme en droit . En
attendant que nos politiques règlent les problèmes économiques, sociaux et de
sécurité plutôt que de défendre un ou quelques individus même illustres ou
chargés de fonctions essentielles (les cimetières sont remplis de gens
indispensables), la séparation des pouvoirs en sortira renforcée.
La majorité
Lrem n’a pas à s’affoler on ne touchera pas au président élu. Il n’y a pas de
drame à ce que des hauts fonctionnaires se justifient devant un juge comme n’importe quel quidam.
Ils ne sont ni au- dessus ni au- dessous des lois. Le principe d’égalité joue
comme pour un particulier, un artisan ,un maire, un avocat ou un chirurgien
voire un gilet jaune, avec la présomption d’innocence et tous les droits de la
défense qui pourront s’exercer en toute transparence. On devrait se féliciter
que le sénat qui est une partie du pouvoir législatif, demande à ce que l’autorité (et non le
pouvoir) judiciaire dise le droit , même si cela concerne des collaborateurs du
pouvoir exécutif. Le diplôme de l’ena ou de saint- Cyr pour le général permet
d’accéder à des postes uniques et hautement symboliques. Il ne confère pas en
plus la science infuse, la certitude d’avoir raison , celle d’être cru sur
parole, et de n’avoir à rendre compte à personne, donc d’avoir une impunité de
fait et de droit .Ce serait des privilèges que la nuit du 4 août 1789 n’aurait pas abrogé ! On peut mentir devant la justice ou se taire
c’est la loi car on n’a pas à s’accuser soi-même. Mais quand on prête un
serment notamment devant une assemblée parlementaire qui incarne le peuple qui
a le droit de savoir on doit tout dire même ce qui peut ne pas plaire au prince ou à ses affidés
qui en rajoutent, et de dire la vérité pour
sauver l’honneur surtout quand on a un devoir d’exemplarité de par ses
fonctions. La justice et la politique
sont compatibles c’est le moins que l’on puisse attendre dans un état de droit
et dans une démocratie actuellement chahutée pour la rendre plus juste, plus
égalitaire, avec notre corpus juridique qui s’appuie sur la déclaration des
droits de l’homme et qui ne distingue pas
en faisant des exceptions selon les fonctions exercées. Dura lex sed
lex.
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