samedi 23 mars 2019

Justice et politique


                                   Justice et politique.
           Par Christian Fremaux avocat honoraire et élu local.
Une nouvelle polémique est née comme si la crise des gilets jaunes ne suffisait pas à entretenir les querelles  !Le bureau du sénat a décidé à la majorité de ses membres-donc pas à l’unanimité ce qui est significatif- de transmettre le dossier de son enquête concernant MM.Benalla et. Crase au procureur de la république ce que personne ne discute, mais en y incluant le secrétaire général de l’Elysée, le directeur de cabinet du président de la république et le général commandant la sécurité de l’Elysée ce qui fait « tache » c’est vrai mais qui n’est pas une bombe atomique chacun d’entre nous devant répondre de ses actes, et l’Elysée ne conférant aucune immunité par principe.  C’est parce que trois hauts fonctionnaires seront contraints de donner des explications à des juges sans leur mentir de préférence que l’on s’offusque, que l’on invoque des grands principes et des arguments  exagérés comme l’atteinte aux institutions,  que l’on crie que le sénat s’est transformé en « tribunal politique », (on se croirait au temps de Mao ou des khmers rouges, ou chez les soviets) et que l’on dénonce le sénat comme un odieux repaire  de dangereux activistes  qui auraient confondu le droit et les basses manœuvres politiciennes, ce qui serait une déviation grave des usages républicains qui  veulent que le sénat contrôle c’est tout- mais ça c’est de la politique à l’ancienne- et que la courtoisie traditionnelle évite de mettre en cause tous ceux qui gravitent autour du président et qui profiteraient par ricochet, par capillarité de l’immunité pénale du président pendant son mandat. Pas moins ! On serait dans un  quasi coup d’Etat juridique du sénat avec  l’instrumentalisation de la justice pour déstabiliser le pouvoir. De qui se moque -t -on ? Les politiques ont une curieuse conception de la justice puisque selon eux  la simple autorité judiciaire ne serait pas capable de distinguer le bon grain de l’ivraie, et faire son métier c’est-à-dire appliquer le droit voté par nos chers parlementaires, respecter la présomption d’innocence, convoquer comme témoins ou témoins assistés ceux qui sont soupçonnés d’une éventuelle infraction , ne pas  les mettre en examen tout de suite sans avoir examiné le droit, les faits, puis ce qu’ont fait les intéressés, et ne pas poursuivre ou rendre des non- lieux s’il le faut. De quoi ont peur les politiques qui s’étouffent d’indignation de la décision du sénat ? Que les trois hauts fonctionnaires disent leur vérité qui ne correspondrait pas à ce qu’on attend d’eux ? Qu’ils se défendent pour eux mêmes sans protéger le président ou son entourage ? Que l’on découvre divers autres manquements dans ce long et lamentable feuilleton Benalla qui de sa petite place aura réussi à mettre la pagaille au plus haut niveau ? Que l’on se dirige vers le président qui avait dit-imprudemment « qu’ils viennent me chercher » ce qui est fait…Ceux qui accablent le sénat devraient se réjouir : les soupçons qui pèsent sur ceux qui ont fréquenté M.Benalla pourraient  être levés du moins on l’espère pour eux,  par les juges d’instruction  qui instruisent à charge et à décharge,   et les trois hauts fonctionnaires  ressortiraient  de cette épreuve plus blancs que blancs. Il n’y a donc aucun risque que l’autorité judiciaire soit saisie ! C’est le contraire qui aurait été louche. On a pu constater en direct à la télévision en écoutant les auditions au sénat qu’au moins la langue de bois  servait à ne pas tout dire, que chacun avait sa vérité, ses nuances et pouvait  édulcorer les faits. Chaque téléspectateur s’est déjà fait une opinion. C’est un simple sentiment mais il est profond. On comprend parfaitement le dilemme de ces hauts fonctionnaires dont la carrière exemplaire jusqu’à présent ne peut cependant les exonérer par avance de tout manquement ou faute, nul n’étant parfait et chacun pouvant déraper dans des circonstances particulières pour avoir voulu faire selon sa conscience et les nécessités, accomplir son devoir et être loyal , et qui veulent être à la hauteur de leurs fonctions éminentes auprès du président. Mais à force de dire qu’ils n’ont rien fait de répréhensible, qu’ils ne protègent personne, qu’ils sont  innocents, qu’ils n’ont ni menti ni dissimulé,  alors que tout le monde s’interroge sur les conditions d’existence à l’Elysée de M.Benalla, avec divers avantages  exorbitants administratifs ou autres qui n’ont pas pu échapper à l’œil vigilant d’un secrétaire général, d’un préfet, ou d’un général, cela fait beaucoup  de doutes et le citoyen de base est perplexe. Naturellement  seuls les intéressés connaissent  la réalité et détailleront méticuleusement ce qu’ils ont fait  ou non (on peut être coupable par omission).Je ne suis pas sûr non plus  que les juges arriveront à  connaitre la vérité  d’autant plus que chacun veut entendre sa vérité  et que  celle-ci  est  souvent subjective  et  peut dépendre d’intérêts dits supérieurs. Ne soyons pas naïfs on connait les défauts et qualités de l’être humain même s’il exerce de hautes responsabilités, les contraintes  d’Etat diverses qui parfois ne sont pas acceptables, et les justifications crédibles… ou non.  Il n’appartient évidemment pas au sénat de se transformer en quasi juridiction  et de qualifier d’éventuelles infractions. Son devoir est  à partir des éléments qu’il a recueillis, de signaler au parquet  selon le texte de l’article 40 du code de procédure pénale ce qui peut apparaître comme une violation de la loi . Le pouvoir en place devrait se réconforter puisque le parquet - le procureur de la république - est placé sous l’autorité du garde des sceaux ministre de la justice qui est membre du gouvernement nommé … par M.Macron . Je crois pouvoir affirmer même s’il  n’y a plus d’instructions individuelles que le parquet ne va pas faire de zèle et qu’il laissera les juges d’instruction faire leur travail en toute indépendance tout en veillant aux grains.  Il faut surtout cesser de soupçonner aussi les juges d’être partiaux, d’être  parfois «  rouges » ce qui est vrai d’une infime minorité ,de vouloir « se faire » les politiques,  donc d’être partisans et fausser le jeu de la démocratie. Ce furent les critiques en 2017 pendant la campagne électorale   présidentielle où un candidat fut mis en cause. Mais s’il n’y avait pas de faits avérés ou à vérifier, s’il n’y avait pas de soupçons , si tout le monde respectait la loi sans l’interpréter ou se servir des vides juridiques ou de pratiques anciennes que l’on n’accepte plus actuellement , la justice n’aurait pas à se prononcer parfois dans la précipitation on l’a vu en 2017, ce qui a influé sur le destin d’un candidat et n’a pas renforcé l’image d’impartialité de certains juges. On doit avoir confiance dans la justice qui est l’arbitre de nos conflits dans un état de droit qui protège nos libertés individuelles ou publiques, à qui on demande  de trancher les conflits de toute nature qu’ils soient d’ordre philosophique, d’expression ,humaniste , et surtout de sanctionner ceux qui n’ont pas respecté la loi qu’ils soient puissants ou misérables. Bien sûr on y croit parce que l’on sait que les juges sont libres et non partisans (même si certains en doutent),  qu’ils rendent des jugements et non des services, qu’ils appliquent le droit  et ne font pas de morale ni de politique. Qu’ils ne peuvent non plus être rendus responsables des conséquences de leurs décisions même si ils y pensent et en tiennent compte , irresponsabilité sauf faute caractérisée que d’ailleurs l’opinion a du mal à admettre.
Les politiques qui hurlent contre la décision du sénat sont donc inconséquents et vont aggraver le malaise.  Le sénat est dans son rôle d’autant plus que son président est de par la constitution le 2ème personnage de l’Etat appelé à suppléer le président de la république en cas d’empêchement de celui-ci. Si le sénat n’avait pas signalé  les déclarations des trois hauts fonctionnaires qui n’ont pas paru « en béton » ce qui ne ne veut pas dire délictuelles, l’opinion aurait conclu que comme d’habitude les politiques se protègent entre eux, que même l’opposition  est complice à charge de revanche. Que c’était de la magouille d’entre soi, et que les citoyens sont tenus à l’écart et ne sont pas  informés de ces pratiques qui ne les regarderaient pas ?.Ce qui n’est pas dans l’air du temps et est anti-démocratique. Cette non-décision peu courageuse aurait dégradé encore plus le climat sociétal qui veut que l’on se méfie des représentants du peuple qui sont tous  soupçonnés  d’avoir des avantages matériels et des privilèges  y compris judiciaires inadmissibles dans le contexte actuel,  et que la bataille politique est une apparence : tous les élus seraient « pourris », « combinards »  et ne voient que leurs intérêts. Cette critique récurrente est grave pour la démocratie surtout si le politique en rajoute une couche pour faire douter de l’honnêteté intellectuelle des sénateurs. Ce n’est pas  faire un «  coup politique » comme l’a dit M.Ferrand président de l’assemblée nationale  qui est lui- même à l’enquête d’un juge d’instruction sauf erreur de ma part, que de saisir la justice. C’est une règle légale et républicaine. La commission de l’assemblée nationale qui avait ouvert une enquête sur les mêmes faits  a auditionné les mêmes protagonistes et a préféré arrêter ses investigations sans faire de rapport, ce qui fut un  dépôt de bilan  en pleine tourmente. Cela a pu entrainer des questions légitimes  que le sénat a entendu. Quand  le sénat contrôle en exerçant sa mission constitutionnelle et qu’il constate des faits ou des comportements qui lui paraissent ne pas être réguliers, il fait son devoir en les signalant à la justice qui va faire son métier prévu par la constitution.  On peut maudire son juge qui a rendu une décision qui ne nous plait pas, mais on ne peut le soupçonner par avance. Le débat est ancien. Dès qu’un politique ou assimilé est accroché par la justice il crie au complot , aux juges partiaux et rappelle qu’il ne doit des comptes qu’à ses électeurs.  L’opposition applaudit , vante les juges et leur indépendance  , demande l’application de la loi dans sa fermeté jusqu’à … ce qu’un des siens soit poursuivi ! Quand verra- t -on un consensus silencieux quand une affaire similaire arrivera et que les politiques de  tout bord confondu seront ravis que la justice intervienne… à leur place et qu’ils n’aient pas à s’en mêler. Grandissons et laissons faire  l’autorité judiciaire  qui a des yeux pour lire, des oreilles pour entendre , et qui se fait  une opinion provisoire en fonction des arguments échangés dans le débat public. La justice a besoin de confidentialité et de sérénité  pour délivrer un avis sérieux motivé en fait comme en droit . En attendant que nos politiques règlent les problèmes économiques, sociaux et de sécurité plutôt que de défendre un ou quelques individus même illustres ou chargés de fonctions essentielles (les cimetières sont remplis de gens indispensables), la séparation des pouvoirs en sortira renforcée.  
La majorité Lrem n’a pas à s’affoler on ne touchera pas au président élu. Il n’y a pas de drame à ce que des hauts fonctionnaires se justifient  devant un juge comme n’importe quel quidam. Ils ne sont ni au- dessus ni au- dessous des lois. Le principe d’égalité joue comme pour un particulier, un artisan ,un maire, un avocat ou un chirurgien voire un gilet jaune, avec la présomption d’innocence et tous les droits de la défense qui pourront s’exercer en toute transparence. On devrait se féliciter que le sénat qui est une partie du pouvoir législatif,  demande à ce que l’autorité (et non le pouvoir) judiciaire dise le droit , même si cela concerne des collaborateurs du pouvoir exécutif. Le diplôme de l’ena ou de saint- Cyr pour le général permet d’accéder à des postes uniques et hautement symboliques. Il ne confère pas en plus la science infuse, la certitude d’avoir raison , celle d’être cru sur parole, et de n’avoir à rendre compte à personne, donc d’avoir une impunité de fait et de droit .Ce serait des privilèges que la nuit du 4 août 1789 n’aurait  pas abrogé !  On peut mentir devant la justice ou se taire c’est la loi car on n’a pas à s’accuser soi-même. Mais quand on prête un serment notamment devant une assemblée parlementaire qui incarne le peuple qui a le droit de savoir on doit tout dire même ce qui  peut ne pas plaire au prince ou à ses affidés qui en rajoutent,  et de dire la vérité pour sauver l’honneur surtout quand on a un devoir d’exemplarité de par ses fonctions.  La justice et la politique sont compatibles c’est le moins que l’on puisse attendre dans un état de droit et dans une démocratie actuellement chahutée pour la rendre plus juste, plus égalitaire, avec notre corpus juridique qui s’appuie sur la déclaration des droits de l’homme et qui ne distingue pas  en faisant des exceptions selon les fonctions exercées. Dura lex sed lex.  




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