L’Etat c’est nous.
Par
Christian Fremaux avocat honoraire.
Parmi les
multiples sujets de mécontentements puisque tout va mal, il y en a un qui fait
l’unanimité contre lui : L’Etat devenu ex-providence qui n’a ni moyens ni objectifs
est à modifier en profondeur en instaurant éventuellement dans la foulée une
nouvelle république (mais je préfère la Vème même dépoussiérée) selon des
éclairés sans dire de quoi il s’agit en pratique, mais soyons fermes et ouverts
verbalement puisque c’est gratuit de le dire. Oui mais pourquoi et/ou comment
le réhabiliter car sans Etat on vit dans une maison sans fondations :
c’est risqué. Avec un Etat fort on crie à la quasi dictature ; et avec un
Etat mou c’est la sinistrose. On a bien compris que l’Etat ne pouvait tout faire.
Puisque personne n’est satisfait tous les secteurs sont à revoir, des banlieues
à la justice, de la violence à la délinquance, de l’économie au social, et de
tout ce qui compte dans la vie quotidienne…
Vaste programme. On voit que notre Etat actuel qui prend l’eau tente ce
qu’il peut, et manœuvre au jour le jour pour annihiler voire enrayer le
virus, qu’il combat le dos au mur puisque notre système de santé - que l’on
croyait l’un des plus solides au monde et généreux avec la terre entière -a
montré ses limites. Nous avons financiarisé la France au lieu de
l’industrialiser et de créer des structures de proximité publiques comme
privées sur tous les territoires y compris ruraux que méprisent les
progressistes auto-proclamés, les bien- pensants au chaud mais intransigeants et
radicalisés qui affirment que le seul salut est dans les villes et les
métropoles, dans la mixité sociale, l’électricité et la lutte contre le
réchauffement climatique. Ce sont des choix mais je ne suis pas sûr qu’ils
règlent les problèmes plus larges et rassurent le citoyen lambda qui a besoin
là où il vit de protection physique, matérielle et de son art de vivre avec ses
habitudes et son passé. On a cru que
l’on faisait moderne et que l’avenir était dans la nouveauté à tout crin et la
libération des entraves. L’Etat à travers ses parlementaires qui votent les
lois a suivi passivement en réglant l’urgence pour éviter les vagues qui ont eu
lieu malgré tout !
Nous avons
suivi allègrement la pente savonneuse.
Nous avons préféré les grands espaces à
vocation concurrentielle en Europe (ex. nos 13 régions administratives), les
structures mondialisées, les concepts innovants ou ébouriffants c’est selon,
les valeurs tendances -la start up nation- à ce qui était les fondements du
pays, tant matériels, qu’intellectuels et de recherche, et surtout humains. Et
on a construit des pistes cyclables. Cela nous a changé du plan Rueff-Armand de
1960 détaillant dans un rapport visionnaire comment adapter la société en
engageant des réformes structurelles. Je n’ai pas la nostalgie. Ce n’était pas
mieux avant pour les éternels oubliés de la croissance, mais on a cru en des
chimères collectivement, par un changement de paradigme peu à peu dû aux
exigences des citoyens qui voulaient bien vivre tout de suite et ne pensaient
pas que des menaces réelles sauf le terrorisme existaient avec toute crise
imprévisible. L’Etat a accompagné en esquivant les vraies difficultés et les
futurs élus de bonne foi ont promis. Mais comme pour le Titanic on a heurté des
obstacles comme en 2008 notamment et en 2020 un autre qui peut le faire couler.
Finalement L’Etat est un tigre de papier avec de beaux restes. Un minuscule ennemi
invisible qui mute effrontément nous jette à terre comme tous les autres
pays c’est la seule consolation. Mais on ne sait plus bien quel est le
rôle exact de l’Etat, sa dimension et ses pouvoirs réels, en raison des
empilements institutionnels et administratifs. Il n’est plus qu’un instrument
alimenté et dirigé par des hommes et des femmes, sans vision propre de
l’intérêt supérieur et sans être au- dessus de la mêlée. Il peut donc se
tromper et être faible.
Y avait-il
un pilote dans l’avion ?
Je tends
l’oreille pour essayer de capter des informations sérieuses et réconfortantes
et de l’espoir dans la cacophonie ambiante mais je n’entends ni excuses ni
regrets. Ceux qui tenaient le haut du pavé depuis des années et ont pris les
décisions ne font pas leur mea culpa et quelques- uns ont fait un rétablissement
spectaculaire digne du cirque Bouglione, un double-salto arrière ou un demi
-tour idéologique qui force l’admiration. Je n’ai jamais vu et entendu sur les
médias autant de sachants péremptoires et de mesdames Irma. Ils ont dû être
piqués par le virus de l’oubli, de l’immodestie et de la parole
irrésistible. On vient de se prendre la porte en pleine
figure en apprenant que le prestigieux institut Pasteur ne produirait pas un vaccin
tricolore. Le drapeau ne flotte plus au- dessus de la marmite pharmaceutique.
Obélix serait anéanti. Au secours docteur ils continuent d’être fous et sont incompétents
ou insuffisants. Qui est responsable de la situation ?
Un peu
d’auto-critique ?
Si on en est
arrivé là est-ce de ma faute en qualité de citoyen de base qui vote à chaque
élection ne serait -ce que pour moi quand j’ai été candidat aux élections
municipales de ma petite commune rurale de 600 habitants dans l’Oise où on
est à portée d’engueulade. J’ai approuvé les grandes politiques, même si
parfois entre 1981 et 1995 j’étais circonspect et plutôt dans la minorité.
J’avais été étudiant en Mai 68 en droit à Paris X-Nanterre mais je m’en suis
sorti et j’ai été surpris mais ravi que M. Cohn -Bendit fasse une carrière
exemplaire et longue de donneur de leçons au milieu de la bourgeoisie parisienne
et parlementaire européenne. J’ai soutenu l’Etat, j’en ai profité comme tout le
monde, j’ai regretté les assistés permanents et que l’on donne des droits sans
contreparties voire sans cotisations à tous ceux qui tendent la main ce qui est
humain. On m’a montré du doigt car j’étais égoïste bien que j’aie payé plus que
ma part d’impôts et taxes ! en m’accusant d’être renfermé sur moi- même.
Comme chez Mao ou chez les khmers rouges j’avoue ma honte ! Mais
aujourd’hui qu’est devenu l’Etat et pourquoi continue-t-on à me
culpabiliser en me donnant des injonctions comme un enfant ?
Une grande puissance un peu fatiguée.
Nous ne
sommes vraiment prêts et performants dans aucun domaine si j’entends les
martyrisés et victimes permanentes, tout est polémique et suspect et la crise
sanitaire a montré nos lacunes. Il parait-mais j’y crois bien que je
m’inquiète de nos impuissances- que nous sommes encore la 5ème ou 6ème
puissance au monde et nous avons la bombe atomique. Nos classements
internationaux pour l’éducation ou la santé nous incitent cependant à
douter ? On sauve à juste titre les
libertés au sahel et ailleurs et je m’en réjouis. Nos soldats meurent pour nous
protéger et nous éviter la haine et le terrorisme et je les salue. Et pourtant nous n’arrivons pas à ce que nos
hôpitaux travaillent dans la sérénité. Nos entreprises les petites et moyennes
celles que l’on ne peut délocaliser et qui sont dirigées par des travailleurs
qui ont économisé toute leur vie pour vivre simplement car ils ne
s’enrichissent pas à la bourse ou par le capitalisme, doivent être soutenues sans
être acculées à la faillite ce qui serait une injustice majeure. L’Etat
« quoiqu’il en coûte » va devoir faire preuve d’imagination et de diplomatie
pour ne pas laisser la dette aux générations futures. N’étant pas sorti de la cuisse d’un dieu qui
aurait fait l’Ena je ne sais pas comment cela va se passer : effacer l
’ardoise comme le conseillent les plus hardis d’autant plus qu’ils n’ont aucune
responsabilité, ou trouver un moyen de rembourser à long terme avec l’aide de
la BCE ou autre organisme puisqu’il s’agit d’un problème mondial. C’est le
moment pour la mondialisation qui a eu des succès mais aussi qui a
entrainé beaucoup d’échecs de montrer son utilité pratique.
En attendant
on espère, voire on exige tout de notre Etat, celui que l’on voulait être rétréci
aux urgences et aux acquêts, au minimum (lire Guy Sorman) pendant les années 1980-90
de M. Reagan et de Mme Thatcher ce qui est la base du libéralisme qui n’est pas
un gros mot pour ma part. Car comment mépriser les libertés qui ne sont pas incompatibles
avec l’égalité ? On a confondu l’Etat avec l’état de droit, c’est -à -dire
la hiérarchie des normes et le fait que la puissance publique se soumette au
droit, sans privilèges ou impunités, ce qui avec les poursuites engagées contre
les autorités politiques et publiques en général en raison de la crise du covid
permet de revenir à l’essentiel. Sans tomber dans le gouvernement des juges
français comme européens, ce qui est un autre débat en cours sur notre
souveraineté. Des associations ont attaqué l’Etat pour carences fautives qui a
été condamné le 3 février dernier par le tribunal administratif de Paris
pour n’avoir pas pris des mesures suffisantes pour lutter contre le
réchauffement climatique. C’est le dossier « affaire du siècle », la
justice contre l’Etat ce qui n’est pas nouveau.
Des
occasions manquées.
Quand il était ministre de l’éducation
nationale, de la recherche et de la technologie ( ce qui était bien vu comme
anticipation déjà en 1997) M. Claude Allègre
voulait dégraisser le mammouth. Ce fut un tollé. On ne l’a pas osé alors qu’on aurait
dû raser aussi tous les autres troupeaux. On n’a rien fait pour alléger la
bureaucratie ou l’administration qui veille mais qui empêche aussi, et donner
de l’agilité selon le mot à la mode aux structures publiques en redéfinissant
le périmètre de l’Etat pour le concentrer sur ses fonctions régaliennes et indispensables
pour le pays. En confiant au secteur privé des tâches d’organisation et de
production ce qui ne veut pas dire que la puissance publique s’efface. On en
paie le prix. Les fonctionnaires ne
sont pas en cause avec leurs qualités et leur travail. C’est le refus global et
hautain de faire confiance au secteur qui n’est pas public ou parapublic, aux
collectivités locales et aux entrepreneurs qui nous plombe désormais. On n’a
pas voulu réformer l’Etat qui se mêle ainsi de tout mais mal. C’est un constat.
L’Etat et le
pouvoir exécutif semblent obéir depuis des années à ceux qui savent tout
puisqu’ils se situent eux-mêmes dans le camp du bien. L’Etat est devenu un distributeur de droits
individuels et il en est réduit à ne jamais dire franchement non ou sanctionner
de peur d’être traité d’autoritaire ou imputation suprême de discriminateur et racialiste.
Il doit se repentir pour tout et rien, et l’émotion se substitue à la
raison voire à la loi, qui n’est plus l’expression de la volonté générale mais
un compromis en faveur de minorités qu’il ne faut pas braquer, et de la
nécessité de fixer quand même des règles et des limites. Les tribunaux
légitimes - mais non élus faut-il le rappeler - doivent prendre le relais
pour trancher les problèmes de société que le politique a du mal à
résoudre. Il faut donc un autre Etat plus fort qui s’est transformé selon
l’expression heureuse et juste de M. Mathieu Laine en un Etat- nounou.
L’Etat
a perdu son doudou.
Je
n’apprécie pas que l’on me dise de manger bio sinon rien ,ou ne pas boire, fumer
ou non telle substance plutôt qu’une autre, ne pas me chauffer dans ma cheminée
à bois dans ma campagne quand il gèle ; rouler en voiture en payant
les taxes avec du carburant propre d’autant plus que je ne suis pas Bernard
Hinault et la bicyclette en ville n’est pas mon credo ; qui fréquenter au
nom de la fraternité et des bons sentiments ; aimer untel, accueillir qui
on me choisit ; m’extasier à la commande à la moindre incantation y
compris dans le domaine humain , bioéthique ou autre, ou culturel et ce qui est
essentiel ou pas et surtout sauver la planète alors que je n’ai rien fait pour
la perturber. M. Laine écrit qu’Ubu a pris le pouvoir. L’Etat n’est pas fait
pour materner mais pour rendre adultes et créer les conditions de
l’épanouissement de tous. Il semble que
l’Etat actuel ait perdu le bon sens en même temps qu’il patauge pour nous
sortir de la crise. Il a perdu son doudou qui nous permettait en nous rassurant
de faire de beaux rêves. Il l’a remplacé par des seringues pour nous vacciner
et par des interdictions, joujoux qui nous purgent mais ne nous guérissent pas.
Je suis modeste dans mes critiques car je n’ai aucune solution pratique.
Il faudra ensuite faire les comptes et je tendrai ma carte vitale avec une
attestation de tiers payant car je ne veux pas payer le traitement de cheval cagneux
et l’absence de médicaments que même une start -up française n’a pas encore
découverts.
La 1ère des réformes :
celle de l’Etat.
On peut s’y prendre
dès maintenant mais quand le moment sera vraiment venu la première des réformes
systémiques doit être en priorité celle de l’Etat dont on a besoin et qui a
tenu, et le reste suivra. Il faudra
faire la liste des fonctions régaliennes classiques et celles nouvelles vitales
dont on a besoin pour que l’Etat ne se disperse pas et qu’il soit efficace
en montrant son autorité. Pour le surplus
il faut l’alléger de tâches et de responsabilités que le secteur privé et
les collectivités territoriales peuvent réaliser, sans compter les entreprises
en qui on doit avoir confiance : gagner de l’argent n’est pas un défaut et
est un signe de compétences. Cela peut « ruisseler » -comme le dit le
Président – vers ceux qui portent aussi la chaine. La transformation publique
est vitale. Introduisons des obligations de résultats pour tous.
Il ne
s’agira pas de restaurer un ordre ancien et des débats politiques stériles.
Nous avons tous une part de responsabilité dans notre destin collectif. Pour
que le citoyen adhère, obéisse, il faut qu’il comprenne et ait confiance
dans l’Etat, dans sa parole, dans ses choix, qui ont été définis publiquement lors
des campagnes électorales et que chacun s’efforce de ne pas mettre en doute
l’élection à peine terminée. Ce qui n’enlève rien aux droits de critique
et d’expression car on peut corriger sans aller dans le mur en klaxonnant. Et
en cas de crise soudaine que le quidam soit certain qu’il y a la transparence,
la vérité et qu’on n’essaie pas de le manipuler. Le peuple n’est pas constitué
de minuscules élites auto-désignées, ou de puissants qui ne se montrent pas engoncés
dans les couches des pouvoirs, et qui ne prennent aucun risque. L’Etat est tellement
profond qu’il reste collé au sol de la mine. Il faut le faire remonter
à la surface et qu’il produise des énergies nouvelles, plus actives. La démocratie c’est un ensemble disparate qui
a besoin d’une colonne vertébrale pour tenir debout et faire exister les
citoyens qui n’ont pas besoin d’être tirés au sort pour qu’ils participent à la
discussion de sujets aléatoires. Avec des piliers solides issus de Montesquieu,
Voltaire et la déclaration des droits de l’homme à revisiter pour la rendre
accessible à tous et compatible avec tous les contraires. Sans oublier la
laïcité dont on discute âprement. Rajoutez
donc une vitamine sur votre ordonnance docteur en précisant que l’Etat c’est nous.