Vive la justice égale… pour
tous.
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
La journée
du lundi 1er mars 2021 aura marqué la justice d’une pierre blanche.
La justice pénale naturellement des mineurs aux adultes qui ne traite pourtant qu’une
très petite partie du contentieux. La justice civile celle qui concerne tous les individus dans leur vie personnelle, ou
prud’homale devenue essentielle, ou commerciale pour les entreprises, ou administrative dans
nos relations avec les autorités publiques occupe la majorité des décisions mais elle intéresse
moins ou pas du tout car ce qu’aime le quidam quelque peu voyeur et revanchard c’est
la chute des puissants rattrapés et
traités comme des voyous, les assassins qui intriguent plutôt que les victimes qui ont
le tort d’être là au mauvais moment, et la punition
pour les autres car à titre individuel on est sans reproche.
Le débat sur
le sentiment d’insécurité, l’ensauvagement ou non de la société est dépassé.
Chacun peut se faire une opinion en constatant les faits divers chaque jour un
peu partout sur le territoire et pas seulement dans des quartiers perdus de
la république, les rixes entre bandes
(Coluche avait un sketch « on est une bande de jeunes on se fend la
gueule…»), les agressions diverses et l’usage de mortier contre les forces de
l’ordre, pompiers ou médecins qui sont en légitime défense- ce que la justice
devrait plus approuver- les règlements
de comptes à l’arme lourde en plein jour,
la violence endémique, et je ne parle pas du plus grave le
terrorisme et des conséquences du
séparatisme de toute nature sur fond de croyances et de trafics. On attend que
les juges qui participent à la sécurité globale s’approprient cette évolution
des mœurs et soient plus tranchants avec la délinquance du quotidien. Il faut
sortir du débat sur le sexe des anges, les excuses sociologiques ou diverses le
racisme prétendu systémique, sur les fautes présumées tirées du passé de la
France dont les contemporains ne sont pas responsables, ou les discriminations
réelles ou supposées à tous les coins de rue. On peut rester humain et
compatissant tout en rétablissant l’autorité à tous les niveaux y compris dans
les familles et à l’école, sous le contrôle des tribunaux. C’est mon sujet d’ailleurs : je veux
parler des magistrats, procureurs comme juges du siège qui font l’objet de
polémiques qui ne devraient pas avoir lieu, car s’il n’y a plus de justice
efficace et considérée l’état de droit est détruit et notre démocratie déjà
affaiblie va aller très mal.
Pour
les mineurs.
Le lundi 1er
mars le Garde des Sceaux a annoncé une réforme essentielle : celle du code
de la justice pénale des mineurs. L’ordonnance de 1945 a été revue déjà en
septembre 2019 mais il fallait aller plus loin puisqu’il n’est pas contesté que les
comportements de petits jeunes mais vrais délinquants posent de graves
problèmes en pourrissant la vie des honnêtes gens, et que l’on hésite tout le temps entre la répression qui ne peut être une solution
définitive et unique même si elle est indispensable, et l’éducation avec la
victimisation qui est fondamentale mais se heurte parfois aux plus déterminés à
continuer sur le mauvais chemin. Le ministre qui n’a pas un tempérament de
laxiste mais qui est gardien des principes et des libertés, veut une réponse au
plus près des faits par la justice sur la culpabilité ou non ce qui devrait
satisfaire ceux qui se plaignent d’une réponse pénale tardive ; puis
laisser un peu de temps pour examiner les mesures à prendre pour éviter si
c’est possible la case prison qui n’arrange rien ; enfin de prononcer
la peine s’il y a lieu, ce process étant enfermé dans un délai court
de quelques mois. C’est un vrai progrès et les juges auront de nouvelles armes
légales pour agir. Le parlement va examiner le projet et écrire les textes en
fixant une date la plus proche possible d’entrée en vigueur. Les mineurs
délinquants sont enfin pris à leur juste mesure de nuisance. L’apostrophe
insolente « justice même pas peur » doit disparaitre.
Pour
les adultes.
Le lundi 1er
mars fut aussi la condamnation d’un ancien chef de l’Etat à de la prison
ferme avec un aménagement possible. C’est une première désolante sous la
Vème république dont on aurait pu se passer et qui ne va pas resserrer le
lien de confiance entre les électeurs -citoyens et les futurs élus ou ceux déjà
aux affaires. Je ne connais rien au
dossier sauf ce que la presse en dit et je ne vais pas faire comme ceux
que je dénonce membres auto -proclamés du tribunal médiatique, compétents pour
tout sujet et commentant un jugement sans l’avoir lu et compris. Mais comme j’ai entendu des commentaires et lu
des articles sérieux, je vais quand même donner mon avis pas plus irrecevable
que celui de ceux qui n’y connaissent rien en droit ou en justice et sur ce que
je crois être les raisonnements parfois surprenants des magistrats exceptés quand
ils font droit à celui que l’on soutient : ils deviennent de bons
juges ! Je ne m’énerve pas disait Coluche à sa femme j’explique aux gens.
Je ne sais pas si Paul Bismuth alias Nicolas
Sarkozy est coupable ou non dans une affaire que l’on a voulue
« d’Etat », qu’on a monté en épingle et qui ramenée aux faits et aux
prétendus objectifs des poursuivis pour avoir des avantages d’ailleurs non atteints,
est en réalité minuscule. La construction
intellectuelle purement subjective des juges aboutissant à un faisceau d’indices
graves précis et concordants qui constitueraient une preuve me perturbe,
l’accusation dont c’est le rôle n’ayant rien démontré. La presse judiciaire qui
a assisté aux débats avait conclu que les prévenus étaient proches de la non-
culpabilité? Mais le tribunal a entériné le raisonnement ténu du parquet financier
par solidarité de corps ou conviction profonde ? Il aurait estimé que
faute de preuves irréfutables, d’éléments de faits tangibles, l’intention
frauduleuse par elle -même suffirait pour être convaincu d’avoir commis l’infraction.
Pourtant il n’y a rien de plus difficile à caractériser qu’une intention dont
le contenu est à géométrie variable et qui se nourrit de sentiment personnel
proche de la morale : il n’aurait pas dû tenter de… Et que fait- on du vieil
adage : « le doute profite à l’accusé » ? Le tribunal aurait
pu relaxer et il se serait grandi en montrant une indépendance d’esprit et
la connaissance fine et subtile du droit chacun pensant ce qu’il veut des
faits en cause. Je ne doute pas des
compétences juridiques des juges, mais j’estime qu’ils ont commis sauf preuve
contraire du dossier une erreur d’appréciation. On part donc désormais dans la polémique
et le soupçon politique d’autant plus que les sanctions dépassent tout entendement
pour des primo- délinquants, qui ont eu des carrières éblouissantes et qui ne
vont ni fuir ni récidiver. Je l’admets : je souhaitais l’innocence de Paul
Bismuth , et encore plus celle de Me Thierry Herzog que je connais depuis très
longtemps, avocat pénaliste de grand talent , expérimenté, connaissant le droit
et la déontologie de l’avocat et reconnu unanimement par ses pairs.
Corporatisme oblige mais pas que, on peut et doit être sincère ! Aurait-il fait
une erreur sans aucun préjudice avéré pour personne sauf le principe théorique du
non-respect d’obligations légales et déontologiques ayant peut-être pu conduire
à de la corruption et du trafic d’influence, on ne condamne pas pour l’exemple
un avocat avec un casier judiciaire naturellement vierge et des dizaines d’années
de barreau à de la prison ferme en y ajoutant 5 ans d’interdiction d’exercer ce
qui revient à annoncer sa mort professionnelle. Ayant avoué mon opinion, je
puis continuer de mettre en avant des éléments objectifs. Il y aura appel, puis pourvoi en cassation de
l’une ou l’autre partie, puis saisine éventuelle de la Cour européenne de
sauvegarde des droits de l’Homme à Strasbourg au moins sur les écoutes qui ont
été réalisées par le parquet national financier secrètement pendant des années
selon la pratique des « filets dérivants » qui ont accroché aussi Me
Dupond- Moretti avocat, à partir d’une autre affaire. S’ajoutera le problème
fondamental pour la défense et donc les libertés pour tous de la violation
du secret professionnel général et absolu en écoutant un avocat et son
client et en triant- ce que le tribunal a trouvé normal !- ce qui
peut être retenu à charge au prétexte que l’avocat serait complice ou aurait participé
à une infraction et en écartant ce qui n’intéresse pas la juridiction et peut
innocenter la personne poursuivie. Le tribunal est ainsi de fait juge et
partie. C’est très inédit et inquiétant comme pratique. Mais patientons jusqu’à
ce que la cour d’appel se prononce, et en l’attente la présomption
d’innocence demeure.
Une décision politique ?
Certains
crient à la décision politique. Si à chaque fois qu’un « grand »
élu par ses fonctions ou notoriété est poursuivi pour des faits de droit commun
ce serait politique et non juridique, il ne pourra plus y avoir de justice
possible. D’où des « protégés » par leurs fonctions ce qui n’est
pas acceptable. Essayons de quitter
l’émotion et l’écume de la polémique pour examiner cette objection. Je ne
crois pas que le Président Macron - ne serait -ce que par son Garde des sceaux
qui envoie des circulaires de politique pénale à ses parquets et est interdit
de donner des instructions sur des dossiers individuels -soit ravi que
M.Sarkozy ait été aussi lourdement condamné. Imagine- t -on l’ancien président
avec un bracelet électronique, obligé de pointer au commissariat de police,
participer à un travail d’intérêt général ou suivre un stage de
civisme ? Le président Macron
politiquement, pourrait avoir besoin du soutien ou de la neutralité du nouveau
condamné pour braconner sur les terres de l’électorat de droite attaché à son
ancien chef, qui va être désormais une victime de la justice dite macronienne et
lui porter contradiction puisqu’un politique n’est jamais mort avant de
disparaitre, on a vu des ressuscités par le passé. Se servir de la justice ou d’un
média comme Médiapart dénonciateur orienté en chef et accusateur public pour le
bien qu’il préconise et choisit arbitrairement, n’est pas un bon
calcul politicien car il est réversible. Mais je ne joue pas dans la cour des grands
stratèges, je ne suis qu’un électeur, je peux me tromper et être encore naïf
après tant d’années de barreau et de vie publique ! Les juges qui ont des valeurs et des
convictions dont celle d’être impartiaux, n’ont besoin de personne et n’attendent
pas de recevoir des ordres, soit pour vouloir faire plaisir au pouvoir comme
les juges dits rouges d’après 1981 ce qui est un jeu dangereux, soit pour ne
suivre que leur devoir et conscience pour se prononcer sur les faits du dossier
et le droit applicable. Dans tous les cas si une personnalité politique est en
lice, ils seront critiqués. La justice
est une science inexacte : on peut être condamné en 1ère instance et
relaxé en appel, et inversement (exemple récent de M.Tron devant la cour
d’assises). Pourquoi ne pas admettre que les juges sont indépendants au point
de n’en faire qu’à leur tête sans rendre de compte à personne ? C’est
un vrai sujet au moins d’égalité de traitement et de responsabilité puisqu’une
décision judiciaire n’est pas neutre : il y a un gagnant et un perdant les
deux étant d’ailleurs souvent insatisfaits, et en matière pénale il y a
des relaxés ou des condamnés ce qui modifie le cours de leur vie. Que se
passe- t -il quand le juge s’est trompé, ou que sa décision entraine des
conséquences désastreuses puisqu’ il est faillible comme chacun d’entre
nous ?
Une réflexion s’impose
sur la responsabilité des juges.
Le
lundi 1er mars sera aussi peut être la date de départ d’une vraie réflexion-
une sorte de grenelle de la justice- sur l’autorité judiciaire, la place des
juges dans l’état de droit, le rôle du parquet national financier créé en
2013 après l’affaire Cahuzac pour lutter contre la grande délinquance
financière nationale et internationale, en revoyant sa pratique procédurale
pour la rendre plus transparente et plus neutre avec des garanties pour la
défense et une délimitation précise de ses compétences. On n’est pas obligé de jeter l’outil avec
l’eau du bain même s’il y a eu des dérives ou si certains réclament à cors et à
cris sa dissolution. Il faudra
aussi analyser ce que les soupçonneux appellent le gouvernement des juges,
nationaux comme européens et leur influence sur notre souveraineté. Peut-on se
protéger par des lois spécifiques sans encourir le veto d’une jurisprudence qui
serait externe ? On y ajouterait un vieux débat : comment engager la
responsabilité des juges puisque si les justiciables et les avocats sont soumis
au droit commun encore faut-il que le conseil de la magistrature ne juge
pas disciplinairement « entre soi » comme le dirait le Garde des sceaux ?
On sait qu’un magistrat qui aurait commis
une faute dans ses activités juridictionnelles est substitué par l’Etat -l’agent
judicaire du trésor- devant les juridictions et qu’il faut démontrer une
faute lourde ou un déni de justice. C’est un régime de responsabilité dérogatoire
que le citoyen ne comprend pas.
Qui
crée le droit légitimement ?
Faut-il faire
du juge avec des barrières pour empêcher les abus, un justiciable comme un
autre ? Oui s’il s’est vraiment auto -attribué un rôle très large, la
nature ayant horreur du vide. Mme Chantal Arens 1ère présidente de la cour de
cassation a déclaré récemment dans la presse : « en théorie la loi prévoit
tout. Mais dans les faits nous voyons bien que la société qui se complexifie a
un rôle créatif et est souvent en avance sur le temps des gouvernants. Cela amène
les tribunaux et la cour de cassation à créer du droit dans le respect de nos rôles ».
Qui compose et avec
quelle légitimité la société en question ? La « création » même
improbable ou minoritaire devient -elle une obligation supérieure ? Et encore
faut-il, puisque la justice est rendue au nom du peuple que celui- ci soit d’accord
et que le parlement où il élit ses représentants ne soit pas dépossédé de son
pouvoir de fabriquer la loi, en fonction de l’avis de la majorité des électeurs
et sous le verdict des urnes. Montesquieu ne peut pas avoir tort et la
séparation des pouvoirs est intangible. La question est de savoir qui est le
plus qualifié pour incarner le peuple et sa volonté de choisir son destin,
ses règles de droit et ses valeurs républicaines dans une démocratie ? En
général on ne demande pas à l’arbitre de changer les règles ou d’en inventer d’autres
pendant le jeu. La justice qui a la fonction délicate de trancher les litiges
donc de créer des mécontents, n’est pas faite pour remédier à toutes les
injustices, faire de la quasi loi par une jurisprudence innovante, bâtir ex
-nihilo une société idéale, punir par principe les uns et exonérer les autres
et faire du progressisme selon ses choix ou ceux d’imaginatifs inconnus sans en
répondre. Le dernier mot doit revenir au
peuple qui a besoin d’être éclairé mais pas d’être remplacé.
La justice
doit être égale pour tous, justiciables de tout niveau, politiques, avocats,
procureurs et juges du siège. C’est un
principe de responsabilité où nous sommes tous égaux. Il n’y a impunité pour
personne. On a besoin des juges :
rendons les forts, insoupçonnables et encore plus responsables.
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