lundi 18 janvier 2016

Plaidoyer pour le juge judiciaire
Par Christian FREMAUX avocat honoraire et élu local
18 janvier 2016
La vie politique en France offre toujours des sujets d’étonnement sans compter les sujets de mécontentement .On nous a habitué depuis des décennies à penser sous la dictature médiatique  des nouveaux philosophes ou apparentés, jadis plutôt classés à gauche sauf exception notable , qui décernaient les brevets du bien, choisissaient ceux qui devaient être entendus et ceux qui devaient se taire et être voués aux gémonies, adoraient tel ou tel régime ou homme politique du style Fidel CASTRO ou les khmers rouges pour les plus exaltés d’entre eux,  et la vie politique  était le reflet de ces donneurs de leçons. La justice avait été déclarée par la Constitution de la 5 ème république  en 1958 autorité judiciaire : les juges judiciaires étaient ainsi cantonnés à un rôle secondaire dans les institutions. Il fallut Mai 1968 pour que le syndicat de la magistrature  se crée et qu’apparaissent les juges dits rouges qui avaient choisi le faible théorique contre les puissants qu’ils définissaient eux-mêmes. Progressivement le juge d’instruction –que déjà NAPOLEON  nommait l’homme le plus puissant de France- s’imposa et de plus en plus de scandales touchant ceux qui dirigeaient furent mis à jour. Personne ne se plaindra que la justice soit égale pour tous. Puis l’histoire passa : on déboulonna les anciennes idoles à l’EST en particulier, en s’apercevant que l’utopie révolutionnaire avait  créé des goulags et des victimes en grand nombre ; le mur de BERLIN tomba ; l’économie globalisante apparut avec son cortège de difficultés économiques ; les printemps arabes conduisirent plus au chaos qu’à la démocratie à la française ; le terrorisme toucha tous les camps et oblige  à une révision radicale des schémas de pensée. Nos intellectuels se firent de plus en plus discrets ne sachant où était l’ennemi extérieur, et furent découragés  par la gauche de M.HOLLANDE, au point de l’attaquer à boulets rouges, à front renversé : il n’y a pire adversaire que l’ami déçu .Fin 2015 et début 2016 on ne sait plus qui est qui, quels intellectuels -qui dénoncent leurs  collègues et leur attribuent des adjectifs  disqualifiants  comme le fait d’être de droite ou de faire le lit d’une formation  politique honnie mais qui est légale et a des millions d’électeurs- représentent  le camp du bien et celui de la  pensance acceptable cataloguée comme telle.
Il a fallu les attentats de janvier 2015-que tous les français n’ont pas dénoncé d’ailleurs ce qui est significatif- puis ceux du 13 novembre 2015 où les yeux se sont dessillés  et que tout le monde comprenne  que nous étions en guerre puisque nous avions été attaqués chez nous, sur nos valeurs républicaines, sur notre mode de vie, pour que citoyens et dirigeants acceptent de prendre des mesures drastiques et on l’espère, efficaces.
Le gouvernement malgré des discussions internes très vives et des désaccords entre ministres,  avec sa majorité hésitante sur telle ou telle proposition, a décidé d’agir très fortement. M.Manuel VALLS  Premier ministre n’a pas l’intention de céder ou de renoncer à quoi que ce soit en matière de sécurité, tout en préservant les libertés publiques et individuelles même s’ il faut savoir trouver l’équilibre et faire accepter aux français –qui y sont prêts selon les sondages- à restreindre un peu de leurs droits dans cette période très troublée. Il faut en effet savoir ce que l’on veut : de la protection et donc des moyens accrus donnés à nos forces de l’ordre et services de renseignement, ou rester tel quel avec peu de devoirs collectifs et nos avantages de vie y compris juridiques, conformément notamment à la déclaration des droits (et des devoirs) de l’homme et du citoyen ?Notons au passage que M.VALLS doit rendre à CESAR-je veux dire à M.SARKOZY- ce qui lui appartient à savoir des mesures qu’il avait proposées pendant son quinquennat et que la gauche de l’époque a refusé obstinément de voter criant aux lois liberticides et au racisme et à la discrimination ou au fascisme(ce terme étant particulièrement inadapté et insultant). Comme quoi il faut toujours être prudent et responsable quand on est dans l’opposition et que l’on veut accéder ou revenir aux affaires…Le gouvernement de M.VALLS soutient avec raison, des mesures que la droite n’aurait pas même osé suggérer ? Cela rend soit en rage soit muets nos donneurs de leçons habituels qui ne savent plus ce que le mot gauche veut dire quelles en sont les valeurs intangibles et ce sur quoi ils ne peuvent pas céder ou faire semblant d’être d’accord. Ils se querellent … entre eux ce qui n’est ni amusant ni utile au débat.
La justice essaie de faire entendre sa voix : je parle des magistrats et pas de Mme TAUBIRA Garde des sceaux qui a ses propres convictions, semble avaler beaucoup de couleuvres et tente de justifier sa place au gouvernement. Personne ne peut soupçonner M.VALLS de vouloir attenter à notre démocratie  ou à nos valeurs universelles. Il l’a redit dans l’émission de M.RUQUIER « on n’est pas couché ».Effectivement il s’agit de ne pas de se coucher devant ceux qui dans le débat interne ,crient au scandale sur la déchéance de nationalité , mesure symbolique  et non discriminatoire sans  avoir besoin d’analyser les raisons et donc commencer à « justifier »  même pour les besoins du raisonnement et de la compréhension, ceux qui tuent d’autres français ;ou estiment que la part est trop belle pour la sécurité et donc l’armée ou les forces de l’ordre, en oubliant de rappeler   que  toutes deux sont éminemment républicaines. Il convient d’envoyer un signal fort et faire comprendre  que tous les moyens notamment de droit-qui est aussi une arme légale et morale qui s’oppose à la kalachnikov et à la barbarie-seront employés pour nous défendre .Et quand on parle de défense l’avocat que je suis pense aux droits de la défense et aux juges.
Après la loi sur le renseignement d’il y a quelques mois et l’état d’urgence qui a été décrété, le gouvernement de M.HOLLANDE pour lutter contre le terrorisme (et non pas dans tous les domaines) veut modifier la Constitution ce qu’il faut faire d’une main tremblante, même si depuis 1958 il y a eu de nombreuses modifications, et  certaines dispositions de procédure pénale. « Le malheur » comme le disait  jadis mon illustre confrère René FLORIOT ,  est que l’exception prise pour les besoins de la cause peut devenir la règle définitive .Il appartiendra aux rédacteurs des textes de préciser que les modifications ne concernent que le terrorisme, dans un état d’urgence  et qu’en dehors de ce cadre les textes d’exception ne s’appliquent pas ?Mais comme je crains que le combat contre le terrorisme dure longtemps, le juge judiciaire doit  avoir un rôle très important puisqu’il est par la Constitution le garant des libertés individuelles .Et les avocats pourront  exercer leur métier : le barreau de Paris  notamment qui approuve globalement les mesures de protection de la population  ce qui est la mission régalienne de l’Etat, a pointé  cependant quelques dérives de l’état d’urgence, et plaide pour que les droits des citoyens soient préservés .Mais le gouvernement semble avoir choisi le juge administratif pour des contrôles a posteriori ?, et les préfets  qui seront au centre du dispositif .Personne ne conteste la compétence du CONSEIL d’ETAT en matière de droit et libertés publiques, et de préservation des pouvoirs des autorités publiques, ni la haute conscience et le professionnalisme du Corps préfectoral qui gère l’intérêt général et l’ordre public. Mais il me semble que le JUGE JUDICIAIRE est le mieux placé et le plus légitime pour apprécier et autoriser en temps réel les atteintes aux libertés individuelles ou leurs limitations temporaires, le barreau comme auxiliaire de justice veillant aussi  de près. Une  société sans juges judiciaires indépendants qui doivent être au centre des débats et de l’action ,  me parait être  un recul démocratique, que le terrorisme ne justifie pas. Au contraire : puisque les terroristes ne respectent rien ni le droit bien sûr, ni la vie d’innocents et s’attaquent à nos valeurs , il faut montrer que  nous sanctuarisons nos principes et que malgré l’horreur et la tentation de « la vengeance » nous ne nous écartons pas de ce qui est pour nous, le bien .A défaut les juges auront le sentiment que l’on veut les écarter-à tort ou raison- de la lutte contre le terrorisme, ce qui n’est pas fait pour les valoriser, et  viendra ainsi renforcer l’appréciation« mitigée »  qui existe de la justice. Je suis pour une justice forte qui joue pleinement son rôle dans la filière pénale ,qui renforce l’action des forces de l’ordre qui sont sur le terrain et prennent des risques y compris physiques ; qui ont besoin d’une sécurité juridique dans leurs interventions (ex. le débat sur la légitime défense) ; et qui sanctionne après un débat contradictoire  au vu de la loi, ceux qui méritent de l’être .La lutte contre le terrorisme  qui est l’affaire de tous se joue à tous les niveaux et en premier lieu naturellement, chez le citoyen qui y participe avec ses moyens. Lors de la rentrée de la Cour de Cassation début 2016, le 1er président M .Bertrand LOUVEL et le Procureur général  M.jean-claude MARIN-nommé par  le pouvoir exécutif- ont dénoncé le fait que l’Etat ne choisisse pas l’autorité judiciaire pour défendre ses intérêts  supérieurs, mais préfère  la police administrative placée sous l’autorité du gouvernement , à travers le ministère de l’intérieur, ce qui sera un changement  de paradigme pour la procédure pénale, voire pour les libertés ?Les deux plus hauts magistrats exprimaient le sentiment de tous les juges. M.MARIN a souhaité la création d’un procureur général de la nation ou de la république pour garantir son indépendance et pour répondre, on le suppose, aux critiques de la Cour Européenne des droits de l’homme à STRASBOURG sur la nature de notre « parquet » à savoir l’indépendance des procureurs qui n’est pas celle des magistrats du siège. Le gouvernement a  cependant entendu le cri des magistrats puisqu’il veut profiter de la révision constitutionnelle pour faire adopter la réforme du conseil supérieur de la magistrature. Attendons le texte définitif des propositions soumises aux parlementaires lors du prochain congrès (où l’on vote à une majorité des 3 /5 ème donc majorité et opposition  se renforçant mutuellement) en espérant que la justice quotidienne, celle que l’on peut maudire quand elle nous donne tort mais que l’on ne doit pas suspecter a priori, sortira confortée, avec plus de pouvoirs, des comptes à rendre car personne n’échappe à ses responsabilités   , et une image rénovée. Le débat sur  le fait qu’il faut bâtir ou non un pouvoir judiciaire selon ce que préconisait MONTESQUIEU , n’est pas à l’ordre du jour.


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