mardi 26 novembre 2024

L’art de maquiller sans honte la réalité

 

                              L’art de maquiller sans honte la réalité

                       Par Christian Fremaux avocat honoraire

C’est fort et c’est osé. Il faut ne pas avoir de bornes morales et mépriser les victimes pour demander dans le climat sociétal délétère d’aujourd’hui que l’on transfère le délit d’apologie du terrorisme du droit commun pénal au droit de la presse. Et ce au nom de la liberté d’expression. LFI a déposé une proposition de loi en ce sens.  

Le tour de passe- passe juridique est hasardeux mais il permettrait à Mmes Panot et Rima Hassan convoquées par la police bien que présumées innocentes d’échapper à une éventuelle condamnation surtout si des juges militants du syndicat de la magistrature estimaient que l’infraction n’est pas constituée. LFI ne fait-elle pas confiance à la Justice ? Il permettrait aussi de sauver des militants dont un membre de la CGT. Ces héros auto-nommés, soit par tags ou par dégâts matériels ou violences parfois ou par déclarations publiques trouvent honorable le Hamas et ses homologues qui seraient de simples résistants à la politique sioniste. Entre ici Jean Moulin avec ton cortège d’ombres !  Par ailleurs rappelons qu’on a le droit de critiquer le gouvernement actuel de l’Etat d’Israël, mais de manière démocratique.

Que signifie ce transfert de délit d’un code à l’autre ?

La loi sur la presse est du 29 juillet 1881 et a pour buts d’établir les libertés et les responsabilités de la presse. Pas des politiques. Elle dispose que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Il y a un délai de prescription de trois mois ; une procédure spécifique pour saisir les tribunaux dont une plainte d’abord et comment se défendre. Ainsi en prouvant la vérité des faits ou sa bonne foi on peut échapper à une condamnation. Les sanctions étant par ailleurs plutôt financières. La loi de 1881 visait l’apologie des crimes de guerre et contre l’humanité.

Comme la loi de 1881 était insuffisante pour le terrorisme contemporain on a décidé qu’il fallait changer de braquet pour essayer d’enrayer aussi la montée de l’apologie du terrorisme qui nous frappe. Le gouvernement socialiste de M. Bernard Cazeneuve à juste titre fit voter la loi du 13 novembre 2014 qui inclut dans le droit pénal commun le délit d’apologie du terrorisme avec des peines de prison ferme et des amendes conséquentes. Et une procédure classique contradictoire avec droits de la défense, le procureur devant prouver les éléments constitutifs de l’infraction. Ce n’est pas discrétionnaire !  

C’est désormais l’article 421-2-5 du code pénal qui permet en outre une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel compétent sur tout le territoire. Ce qui facilite naturellement les poursuites qui peuvent coûter cher à ceux et celles qui sont condamnés. La cour de cassation a défini l’apologie du terrorisme comme « le fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions [crimes ou délits] ou leurs auteurs un jugement favorable ». Qu’est un jugement favorable ? Seuls les juges du siège indépendants peuvent trancher.

On constate que les délits d’apologie sont en nombre croissant ce qui montre le danger. C’est cela la réalité. Et non le fait que l’on veuille museler la liberté d’expression de militants. Et de ceux et celles qui croient détenir la vérité et appliquer leur justice de la mer au Jourdain notamment. En provoquant la haine dans notre pays et en créant un climat de prétendues victimes indirectes par solidarité qui doivent obtenir réparations. Personne n’est indifférent au sort des morts et des blessés où qu’ils soient mais il n’y en pas de plus égaux que d’autres. La compassion ne se divise pas. 

Le juge anti-terroriste Marc Trévidic a été pendant des années peu suspect de complaisance avec ceux qui comparaissaient devant lui. Il a sollicité et approuvé la loi de 2014. Or en constatant qu’il y avait de plus en plus de poursuites pour apologie du terrorisme et qu’un simple tag pouvait conduire à des ennuis sérieux sinon à des condamnations pénales, il vient de s’interroger loyalement selon ce que j’ai compris : n’y aurait-il pas abus de poursuites pour des « broutilles » certes détestables et usage dévoyé du délit en question pour des motifs qui deviendraient liberticides ? Ce que LFI a immédiatement traduit comme des violations permanentes de la liberté d’expression celle de ses adeptes. En citant aussi la Cour Européenne des droits de l’homme qui accepterait les idées qui choquent ou inquiètent ?   

 D’où la proposition de loi dont l’objectif est clair : mettre le délit au « bon endroit » dans le « bon » code et pas le supprimer quelle horreur ce serait ! Revenons à la loi sur la presse. Abrogeons l’article 421-2-5. Pour continuer comme avant à énoncer des énormités mais sans risques judiciaires même minimes.  Et ainsi encourager implicitement au moins l’apologie. Or Mmes Panot et Rima Hassan ne craignent rien. Sauf erreur de ma part la condamnation pour délit d’apologie ne s’accompagne pas de droit ni de l’inéligibilité ni de l’exécution provisoire. Ainsi pourrait- on le cœur pur soutenir des assassins devenus martyrs.

Il n’y a pas que moi qui sursaute car des alliés au sein du NFP n’approuvent pas cette proposition de loi et il faudrait un rassemblement hétéroclite jusqu’à la droite pour trouver une majorité. Tout est cependant possible car personne ne veut soutenir le gouvernement vacillant ni prendre sa place au demeurant.
Quant au peuple ce n’est pas la peine de l’interroger puisqu’on est sur les grands principes. Dormez tranquille LFI veille en droit. En prônant la révolution.  

Il m’aurait beaucoup plu que LFI demande une aggravation des sanctions du délit d’apologie ce qui aurait sûrement soudé toutes les composantes de la nation. Et peut être fait baisser les actes qui attisent les tensions.

De façon générale on ne gomme pas les idées par des condamnations. La justice n’est pas la vengeance ou l’élimination du concurrent. Il faut convaincre que l’on a raison et les responsables doivent s’expliquer. Pas esquiver.

 LFI a choisi de défendre ses intérêts et d’instrumentaliser la loi. C’est son droit. La liberté ne s’use que si on ne s’en sert pas. Mais la liberté d’expression ne veut plus rien dire si on en abuse sans prendre ses responsabilités. Une liberté sans limite est vide de sens. Et peut conduire au pire.          

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