Dissoudre
est-ce régler les problèmes ?
Par Christian Fremaux avocat honoraire
A chaque
fois qu’une idée ne plait pas surtout si elle n’est pas dans la tendance de
l’anti- racisme, de la discrimination, de la théorie du genre, et qu’elle ne
s’exprime pas en écriture inclusive, les beaux esprits hurlent au fascisme pour
le moins, et demande la condamnation judiciaire de l’auteur pour que l’idée
s’efface. On croit que par un éventuel casier judiciaire de celui qui a
prononcé une opinion le mal est éradiqué : erreur fatale souvent l’auteur
poursuivi se prend pour un quasi martyr et il est conforté dans son
avis bon ou mauvais.
Dissoudre le débat.
La justice
est devenue malgré les critiques formées contre elle pour des raisons
spécifiques, l’arbitre de la bien-pensance, le jury quasi populaire par
délégation des déclarations publiques voire de la pensée unique. On exclut le
débat public et plutôt que d’obliger ceux qui ont des idées bien arrêtées en
forme de slogans souvent formulées sous le coup de l’indignation à venir publiquement et courageusement les détailler,
les expliquer par la raison face à un contradicteur structuré ce qui permettrait
à chacun de se faire une opinion précise et de voir que souvent l’invective n’a
aucune profondeur ou est démentie par l’histoire ou simplement par la réalité,
on préfère polémiquer et avancer des arguments invérifiables. On a donc dissous
la discussion publique qui enrichit, au bénéfice de l’à- peu près et du
sectarisme. A Sciences- po Paris ou dans d’autres universités qui devraient donner
l’exemple de l’ouverture intellectuelle, on interdit à des personnalités de
venir faire une conférence en présupposant que leurs discours ne conviendront
pas à une minorité agissante : c’est très grave, car si l’élite- prétendue
- future avance avec des œillères et des idéologies où les faits doivent s’y
conformer, il n’y a plus de démocratie.
Dissoudre les
associations déviantes
Je pose en
outre une question de principe qui est d’actualité. Dès qu’il y a un drame ou un
incident quelconque qui fait la une des médias, on exige la dissolution de la
structure ou de l’association loi 1901 qui a porté la voix pendant que son
responsable est envoyé se justifier devant la justice pénale. La dissolution
devient une arme des néo censeurs pour faire taire. Elle est justifiée pour des
faits graves qui mettent en cause la nation et ses lois et les citoyens. Mais on
la réclame aussi quand il n’y a rien de répréhensible a priori, sauf de ne pas
partager l’opinion au pouvoir ou la pensée dominante de ceux qui gesticulent. Ainsi pour
l’association « génération identitaire » que je ne défends pas
particulièrement, dont chacun peut penser ce qu’il veut de ses actions de
protection auto- autorisée de la nation française qu’il les approuve ou non,
et qui a fait l’objet d’une dissolution comme quelques associations islamistes telles
le Ccif ou BarakaCity qui prêchaient la
haine de la France ce qui a pu conduire à des actions violentes liées au
terrorisme. Tout se vaut- il ? Y a-
t -il équivalence parfaite ? A vouloir équilibrer la balance cela
peut être contreproductif. Il appartient à la justice en l’espèce celle des
juges administratifs d’examiner les motifs de dissolution. Les magistrats ont
le dernier mot pour d’autres sujets à la place des politiques. C’est l’état de
droit. La dissolution d’associations de
la loi de 1901 doit se faire d’une main tremblante car elle porte atteinte à
une liberté fondamentale réaffirmée par le conseil constitutionnel en 1971. Il
ne s’agit pas d’en user par opportunité du moment. Les critères à respecter
sont visés à l’article L.121-1 du code de la sécurité intérieure et touchent à l’ordre
public.
Dissoudre
en équilibre
Si je comprends la démarche du ministre de
l’intérieur il n’y aurait ainsi pas lieu à critiques sur le principe de deux
poids et deux mesures, et le en même temps s’applique à plein. Le Conseil d’Etat jugera et
examinera les motifs de la dissolution : s’il annule, les concernés s’estimeront être sur
le bon chemin. J’ajoute que dans le
souci de ne pas faire de vagues, plutôt que de sanctionner seulement ceux qui
ne suivent pas la règle commune républicaine et ont des actions qui bouleversent
la société, on choisit de supprimer la cause et non les effets , ce qui
entraine que tous ceux qui n’ont rien fait sont pénalisés. J’évoque pour l’exemple la loi en discussion
sur le séparatisme et le non -respect des valeurs républicaines. Le Grand Rabbin
de France Haïm Korsia vient de déclarer : « il faut faire
attention aux effets collatéraux sur les autres religions d’autant qu’il y a
des cultes qui ont été exemplaires depuis toujours avec la république ». Cette
réflexion est valable dans de nombreux autres domaines.
Dissoudre
avec prudence
Abordons la dernière polémique avec Sciences Po
Grenoble où deux professeurs ont été taxés d’islamophobie, et sont désormais…
sous protection policière ! Chacun a en tête le mensonge de la collégienne
qui a entrainé la décapitation du professeur Paty. A Grenoble ce sont des
représentants de l’Unef qui auraient désigné les cibles. C’est un tollé à juste
titre. On savait que ce syndicat avait des orientations politiques mais il
défendait aussi les intérêts de tous les étudiants en dialoguant aussi avec les
enseignants pas en les bâillonnant. On a suivi ses péripéties matérielles et
ses dérives y compris philosophiques ou communautaires. Outre une enquête administrative sur les
faits, la justice judiciaire va instruire sur l’appel à la haine, les menaces
et autres délits même si l’Unef nationale s’est désolidarisée de ses
représentants locaux ce qui est facile et la moindre des choses. Mais là encore
on crie à la dissolution de l’organisation syndicale. Je suis cohérent et je ne suis pas pour les
dissolutions hâtives sous le coup de l’émotion sauf motifs graves, bien que je
désapprouve et le mot est faible le comportement des quelques étudiants qui au
lieu d’apprendre la tolérance prétendent détenir une vérité universelle, qui ont
stigmatisé leurs professeurs et qui méritent au moins une sanction. La liberté
universitaire n’équivaut pas à une impunité.
Dissoudre
pour apprendre la tolérance.
On ne peut dissoudre les associations qui ne plaisent pas
sauf infractions à l’ordre public avérées, menaces sur les individus et la nation.
Nous sommes dans un combat d’idées, de civilisation où la nôtre est
menacée. Nous devons convaincre de nos principes
fondamentaux comme liberté , égalité, fraternité plus laïcité, de nos traditions,
de nos institutions et de l’état de droit qui protège par ses lois notamment ceux qui nous attaquent !,
débattre pour persuader que les libertés ne peuvent vivre que dans une nation
apaisée, collectivement forte, culturellement ouverte et humaniste, avec le
même destin et des valeurs compatibles entre elles, et des chances pour tous.
Sans oublier que nous avons également des devoirs. On ne pourra pas dissoudre le passé dont je ne
suis pas responsable, ni l’histoire revue à l’aune de nos références contemporaines.
Chaque individu ou évènement historique a ses zones d’ombre, et on ne le
découpe pas en tranches.
Seule la raison doit l’emporter et en prononçant une dissolution
on punit mais on n’enseigne rien. Il faut donc s’y résoudre avec
parcimonie pour des motifs objectifs mais sans faiblir, et ne pas vouloir faire
un exemple général. La pensée, les
idées, la transmission de connaissances ne sont pas solubles dans la force, la pression,
les menaces. L’opinion publique surtout celle d’une infime minorité ne peut pas
faire la loi. En démocratie seul le
débat public est fécond. Les réseaux sociaux dont je souhaite qu’ils aient un
minimum de responsabilités en droit doivent répondre de ce qu’ils
diffusent dans l’anonymat quand les limites de la liberté d’expression
sont franchies. L’autorité n’est pas incompatible avec les libertés. Un
problème ne disparait pas parce qu’on a dissout son émetteur.