LES ANCIENS ET LES MODERNES
Par Christian Fremaux avocat
honoraire
On le savait
par avance. Quel que soit le gouvernement nommé, immédiatement les cris
fuseraient en hurlant au déni de démocratie, que les derniers deviennent les premiers
et que les perdants sont les gagnants. C’est exact mais il n’y a pas
mathématiquement de vainqueurs indiscutables et certains ont refusé de participer
au prétexte que seul leur camp est légitime et qu’il détient la vérité. Qu’il ne s’agît pas de collaborer pour sauver
la macronie, et qu’un politique de gauche ne s’abaisse pas à saluer un
homologue de droite qui est devenu forcément un extrémiste. Le petit milieu
politique a ses œillères et ses exigences. En réservant l’avenir donc ses
intérêts. Et les Français dans tout
cela ?
Après une
attente quasi insoutenable dans la pantomime, heureusement qu’il y avait les
jeux olympiques pour compenser, on a eu droit à un remake de la querelle des
anciens et des modernes. Des noms ont circulé et on s’étonne qu’ils soient
encore en activité. On se bat pour l’âge de la retraite mais en politique elle
n’existe pas. On a fait du neuf attendu avec du vieux éprouvé. Car il fallait
changer les têtes si l’on veut montrer que l’on a compris le message des
électeurs qui veulent que tout évolue et que l’efficacité règne. En rassurant.
Je n’évoque
pas l’âge du capitaine car aux âmes bien nées et tenaces la valeur n’attend pas
le nombre des années. Elle la confirme.
Le premier ministre est fringant, calme, a de l’expérience et sait
naviguer par vents contraires y compris jusqu’à Bruxelles.
Malgré le
vote inédit des Français tout le monde sait ce qu’ils attendent du
gouvernement : de la fermeté, de la remise en ordre, un niveau de vie plus
important et de la protection étatique, sanitaire, culturelle, policière ou
militaire et des services publics à la hauteur des impôts que l’on paie. On est
fatigué des invectives et des insultes, des accusations pour tout et rien,
d’entendre que rien ne va et qu’il faut faire table rase. Ou d’écouter des
godelureaux sortis à peine de la puberté donner des leçons de comportement ou
de morale. On n’a pas besoin de nouveaux
rapports de commissions Théodule ou d’interrogations interminables, ou
d’experts auto-proclamés ou de sachants ou de groupes de travail avec quelques
citoyens tirés au sort. Il faut prendre des décisions et trancher quitte à ne
pas faire plaisir aux idéologues et aux groupes de pression. On doit définir un
cap, des objectifs, un destin enthousiasmant et des valeurs au moins communes.
Les citoyens
sont responsables autant sinon plus dans leurs environnements personnels dont
ils sont seuls comptables que les politiques qui jouent un rôle de composition
et viennent de donner un spectacle pitoyable. Dans leurs familles, dans leurs
professions, et même dans leurs loisirs, les individus savent qu’il faut fournir
des efforts et des compromis. Ils ne sont pas naïfs : c’est eux qui paieront
notamment les pots cassés ou les décisions de principe pour l’exemple et
l’édification du peuple car quand les politiques se trompent ce sont les
citoyens qui trinquent.
Mes
informateurs sont dans le bistrot de ma petite commune rurale de l’Oise où je
discute avec tout le monde, de gauche -peu dans mon coin-ou de droite. Personne
n’est extrême. Ils se moquent des étiquettes politiques qui ne veulent plus
dire grand-chose. Ce qui leur importe c’est le fond : quelles actions vont
être engagées ? Aura -t -on le courage de dire non ou de sévir si
nécessaire ? Que va devenir la France ?
Si une personnalité de la gauche républicaine
boude - pauvre petit frustré ! - et ne veut pas se « compromettre »,
on n’aime pas car dans le monde rural on pratique l’entraide, la solidarité
et on ne rejette pas les bonnes volontés. Le voisin n’est pas un ennemi même
s’il ne vit pas comme soi. La petite commune a besoin de tous ses fils et
filles, vieux comme jeunes quoiqu’ils pensent ou votent.
On a eu les
modernes, les jeunes diplômés avec leurs certitudes qui croyaient que la nation
était une start- up et qu’il suffisait de cliquer en gommant le passé pour que
l’avenir soit radieux. Erreur profonde. On ne construit rien de solide en ne
consolidant pas les fondations, en ignorant l’histoire et qui nous sommes. Et en
ne bétonnant pas nos structures et nos valeurs républicaines. Sans oublier ceux
et celles qui se dévouent dans la fonction publique et le monde
associatif, comme dans l’entreprise et dans les champs ou sur le terrain avec
les élus locaux qui sont les vrais dirigeants de proximité.
Ce qui n’empêche pas d’innover. On n‘est pas non
plus obligé de choisir des oubliés blanchis sous le harnais et de revenir à des
solutions éculées ou qui ne sont plus dans l’air du temps. Mais des anciens
expérimentés peuvent être utiles. Le progressisme n’est l’apanage d’aucun camp.
L’humanisme ne se divise pas et chacun en porte une part. On a besoin d’union,
de consensus sur des thèmes fédérateurs. Ce qui compte c’est la volonté de
réussir sans qu’il y ait des perdants ou qui croient l’être.
La querelle
des anciens et des modernes éclate quand Charles Perrault en1687 récuse l’idéal
des classiques grecs ou romains et fait l’éloge du siècle de Louis XIV qu’il
affirme supérieur à celui d’Auguste. Ne tombons pas dans la dispute
contemporaine entre les conservateurs ou néo libéraux qui peuvent avoir la
fibre sociale et ceux qui veulent tout réformer y compris par la révolution ou
en coupant des têtes, même pour ce qui marche ou en niant les faits. Tout est
compatible si le bon sens prévaut. Et non le désir de prendre ses rêves pour
des réalités.
Dans le Guépard
le (vieux) prince Salina murmure : « il faut que tout change pour que tout reste pareil ». On veut effectivement que ça bouge, au moins dans l’état
d’esprit de nos dirigeants pour qu’ils ne confondent pas compétition électorale
et guerre et qu’ils agissent dans l’intérêt collectif supérieur à leurs accommodements.
Sachant que personne n’aura totalement raison.
Car on doit reconstruire en gardant ce qui a fait ses preuves.
« Sur
des pensers nouveaux faisons des vers antiques » a écrit André Chénier.
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