Le droit contre les tordus.
Par Christian Fremaux avocat honoraire.
A chaque
fois qu’il y a un drame comme l‘assassinat de la policière du commissariat
de Rambouillet, monte spontanément un cri de désespoir avec de la
compassion pour la victime, de la haine pour le meurtrier, et des
commentaires : c’est inadmissible, c’est la faute au gouvernement, il
faudrait faire ceci ou cela… Comme si quelqu’un avait la vérité et savait
quelle était la solution pour arrêter les crimes volontaires fussent -ils
symboliques, politiques ou religieux, familiaux ou de n’importe quelle nature ;
ou juguler le terrorisme individuel ou de groupe organisé de l’extérieur, et
faire que tout le monde vive en paix. En
matière de forces de l’ordre après quelques jours la victime et sa famille sont
quelque peu quasi oubliés : on leur rend hommage publiquement, avec des
belles paroles martiales du genre plus jamais cela qui sont à juste titre prononcées
par les plus hautes autorités ce qui nous fait du bien. Puis on décore, et on
passe à autre chose.
Des
réactions peu chaudes.
Je dois
avoir l’ouïe bouchée, car je n’ai pas immédiatement entendu pour se
désolidariser le représentant du culte concerné qui doit être par définition
contre la violence. Je n’ai pas non plus été rendu sourd par une clameur publique
spontanée de citoyens comme après les attentats de Charlie hebdo pour soutenir
les policiers. A défaut ce silence assourdissant semblerait vouloir dire que
certains pensent que se faire tuer ou blesser c’est le risque du métier quand
on incarne l’ordre public ou que la mort d’une policière n’est pas un évènement.
Je ne tiens pas compte des indignés qui n’admettent pas que l’on soutienne les
victimes alors même que l’assassin forcément détraqué et en proie à des
problèmes dépressifs ou métaphysiques et absorbant des produits y compris médicamenteux
- qui est présumé innocent selon nos règles procédurales bien que mort - aurait
eu des circonstances atténuantes ou un coup de chaud qui l’exonérerait de toute
responsabilité du même type que pour le bourreau de Madame Sarah Halimi.
Qui
veut de ma solution ?
Au- delà de l’horreur
on assiste au concours Lépine de propositions de loi ou de modifications du
code pénal qui émanent surtout de ceux qui n’ont aucune légitimité. Mais on
entend aussi - le cadavre n’étant pas encore froid et l’enquête étant en cours -
des responsables politiques notamment qui en profitent pour vanter leur fonds
de commerce basé sur la sécurité, et faire croire qu’avec eux cela n’arriverait
pas. D’autres veulent changer le système qui serait trop inégalitaire,
discriminatoire et empêche de croire, ce qui entrainerait des frustrations et
des passages à l’acte. Surfer sur le désastre est indécent et personne
n’est dupe. Nul n’a la formule magique légale naturellement et concrète qui
permet d’anticiper et d’éviter que des crimes aient lieu, et qu’on empêche des
attaques fréquentes des commissariats ou gendarmeries enfin contre tout ce qui
représente l’ordre et l’autorité donc la démocratie. On sait que les promesses
n’engagent que ceux qui y croient, mais celui ou celle qui annonce n’importe
quoi à quelques encâblures des élections prend une responsabilité grave. Il en
est de même pour ceux à la réflexion ambiguë qui critiquent toute action ou
initiative et qui la jugent toujours insuffisante et sont donc contre. Ils
ne veulent rien partager avec la majorité au pouvoir qu’ils veulent remplacer
par leur omniscience.
Un fait divers, une loi ?
On ne peut
pas faire une loi à chaque fois qu’il y a une catastrophe naturellement non
prévue. N’est pas Cassandre ou la Pythie qui veut. Le gouvernement avec
célérité va tenter de pallier les conséquences d’un nouvel assassinat comme
celui de Mme Halimi où l’antisémitisme était avéré. Il a raison. Les juges
ne peuvent s’en remettre aux seuls experts psychiatres en estimant que la loi
ne distinguait pas suffisamment les causes d’abolition du discernement donc de
la responsabilité, alors que comme je l’ai constaté pendant mes dizaines d’années
d’exercice d’avocat, les juges savent modifier parfois radicalement et
soudainement la jurisprudence, interpréter les textes légaux, ou innover dans
des domaines que la loi n’avait pas prévu, et qui résultent de l’évolution de
la société, des mœurs, de la morale, ou de la bioéthique. Un procès est
salutaire pour que la famille des victimes tente de comprendre ce qu’elle ne
peut accepter, pour examiner le mécanisme intellectuel ou éducatif du
coupable, les raisonnements qui conduisent à la barbarie, et voir si
l’entourage est complice.
La
société du spectacle en décors réels.
Je participe
moi aussi au concours d’idées. Les télévisions diffusent régulièrement des procès
reconstitués ou des faits criminels que l’assassin soit vivant ou disparu. Pourquoi
ne pas organiser un vrai procès pour les faits symboliques qui heurtent
l’opinion, et les jurés qui sont des citoyens décideront de qui a son
discernement aboli ou restreint ou non, puisqu’ils ont au moins autant de bon
sens que les experts psychiatres que les magistrats suivent. Je suis pour un
procès à la suite de l’assassinat de la policière de Rambouillet pour lui
rendre d’abord hommage, et malgré la mort de l’auteur- justifiée par la
légitime défense - essayer de comprendre comment Allah Akbar peut conduire au
pire. Le Garde des Sceaux veut faire filmer certains procès pour que les citoyens
comprennent encore plus comment fonctionne la justice. Chiche ! On nous dit que
les assassins sont de gentilles personnes avec leurs familles et leurs voisins
bien que brutalement devenus déséquilibrés voire « fous ». D’où
un procès qui sera pédagogique. Bien sûr la législation la plus ferme du monde
n’empêchera pas les tordus d’agir. La peine de mort n’avait pas évité les tueries.
Le zéro crime ou délit est une utopie, surtout avec le terrorisme. Mais sans
droit c’est encore plus dangereux.
Pour
une politique pénale qui dure.
Ne légiférons pas pour tout et rien à chaque
émotion. Définissons une politique
pénale qui concilie la répression et la prévention sans abandonner nos grands
principes qui protègent chaque justiciable et n’en changeons pas à chaque
nouvelle majorité. Appliquons sévèrement la loi existante et armons nous
légalement si on manque de moyens juridiques. Comme le covid 19 qui est dans le « cloud »,
nous n’avons pas trouvé le virus du mal. Créons une atmosphère plus respirable,
plus apaisée, plus fraternelle et moins laxiste, ce qui impose un effort de
tous, colossal pour des radicalisés sectaires. Mais abaissons le glaive de la
justice sans trembler. C’est mon dernier mot.